Éditorial : Perspectives économiques mondiales : une embellie bienvenue, mais insuffisante

L’économie mondiale a affiché une embellie au cours de l’année écoulée. Dans la plupart des pays, les indices de confiance, la production industrielle, les principaux indicateurs de l’emploi et les échanges transfrontaliers sont repartis à la hausse. Cette expansion conjoncturelle encore modeste reste toutefois trop peu robuste pour asseoir une amélioration durable de la production potentielle ou contribuer à réduire des inégalités persistantes. Les risques liés aux vulnérabilités financières pourraient se matérialiser en cas de chocs au niveau de l’action publique ou d’ordre géopolitique. En comparaison à la moyenne obtenue pour les deux décennies antérieures à la crise, période pendant laquelle des anticipations avaient été fixées, la croissance du PIB par habitant dans la zone OCDE accuse toujours un retard de plus de ½ point de pourcentage, et la croissance mondiale, qui devait légèrement dépasser 3 ½ pour cent d’ici à 2018, est aussi à la traîne. En un mot, l’économie mondiale se porte mieux, mais pas assez bien pour améliorer durablement le bien-être des citoyens.

L’investissement n’a pas permis de soutenir comme il l’aurait fallu la croissance mondiale, les échanges, la productivité et les salaires réels. Dans le chapitre spécial des Perspectives économiques de juin 2015, trois grands déterminants incitant les entreprises à investir avaient été relevés : une reprise cyclique mondiale de la demande reposant sur une assise large, une réglementation favorable à la concurrence, et une ampleur limitée des incertitudes relatives aux politiques publiques. Sur le premier front, celui de la demande, les signaux semblent passés au vert, même si la dépendance de certaines économies émergentes et des grands producteurs de produits de base, notamment, vis-à-vis de l’évolution de la conjoncture en Chine nuit globalement à la stabilité de la reprise mondiale. Concernant le deuxième point en revanche, les Perspectives 2017 de l’OCDE sur l’entreprise et la finance signalent l’existence de pratiques de fusions-acquisitions et d’entente qui atténuent les pressions concurrentielles et, partant, la nécessité d’investir. Quant au troisième vecteur, il apparaît que les mesures protectionnistes adoptées par des pays du G20 et le discours hostile à la mondialisation, conjugués à d’autres facteurs, renforcent les incertitudes. En définitive, si la conjoncture semble plus propice à l’investissement, la clarté et la pérennité des facteurs qui le motivent devront être confirmée.

Ces dernières années, la croissance de l’emploi a retrouvé un assez bon dynamisme, et l’évolution tendancielle des taux d’emploi et d’activité est meilleure que celle relevée pendant la décennie qui a précédé la crise (sauf aux États-Unis, qui constituent une exception notable). Néanmoins, certains paramètres, tels que le nombre d’heures travaillées ou l’emploi à temps partiel, dénotent une érosion de la qualité des emplois, comme le souligne l’édition à paraître des Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2017. Au niveau de la productivité du travail comme des salaires réels, les divergences s’affirment, avec un écart très marqué entre les entreprises d’envergure mondiale hautement productives et « les autres ». En conséquence, malgré l’amélioration des résultats et des perspectives sur le marché du travail au niveau macroéconomique, les conditions d’une consommation robuste et d’un bien-être partagé apparaissent avec moins d’évidence.

La croissance des échanges mondiaux s’est affermie au cours de l’année écoulée, sans retrouver toutefois son dynamisme d’avant la crise. Facilitée notamment par le progrès technologique, l’intégration renforcée des échanges au sein des chaînes de valeur mondiales permet l’ouverture de nouveaux marchés et accroît la productivité. L’accès à une offre élargie de biens et de services proposés à des prix moindres augmente le bien-être et le pouvoir d’achat des consommateurs, particulièrement de ceux disposant de faibles revenus. Néanmoins, ces avancées s’accompagnent de coûts d’ajustement. Or, ni les premières, ni les seconds n’ont été équitablement répartis entre les régions et les personnes, offrant ainsi des arguments aux détracteurs de la mondialisation.

D’après l’analyse exposée dans le chapitre spécial de la présente édition des Perspectives économiques, la mondialisation s’inscrit dans un ensemble de dynamiques plus larges : évolution des attentes des consommateurs liée à la hausse des revenus (la demande de services progressant alors davantage que celle de produits manufacturés) ; mutation technologique en cours (qui diminue le nombre de travailleurs nécessaires à la production des biens) ; et évolution de la structure des échanges (les producteurs des économies avancées se voyant confrontés à une concurrence accrue de la part non seulement des entreprises situées dans des économies émergentes, mais aussi de leurs homologues d’autres économies avancées). Les emplois industriels, qui sont au cœur des critiques formulées à l’encontre de la mondialisation, sont davantage concentrés à l’échelle régionale que les emplois de service, ce qui accroît les efforts d’ajustements exigés des entreprises et des travailleurs concernés.

Des risques de révision à la hausse des prévisions existent en matière d’investissement, d’échanges et de productivité. Des enquêtes menées auprès des entreprises et d’autres données disponibles semblent indiquer que le vieillissement du stock de capital pourrait favoriser les investissements dans un capital fixe de qualité supérieure et faisant appel à des technologies plus avancées. Les conditions conjoncturelles s’en trouveraient améliorées et les chaînes de valeur mondiales à forte intensité d’investissement redynamisées, avec des effets d’entraînement positifs sur la demande intérieure. Un capital fixe de meilleure qualité conduirait à des gains de productivité et stimulerait la production potentielle, mais soulèverait également de nouveaux défis, notamment au regard de l’inclusivité, comme le souligne notre nouveau rapport consacré à la Prochaine révolution de la production.

Les vulnérabilités financières continuent de peser sur les prévisions. La survenue de chocs géopolitiques et l’adoption de mesures protectionnistes pourraient induire de brutales corrections des prix des actifs, et les risques de révision à la baisse des projections pourraient dès lors se matérialiser sous différentes formes. Les cours des actions se sont appréciés sur les marchés mondiaux, atteignant des niveaux records aux États-Unis et en Allemagne, malgré de légères révisions à la hausse des taux de croissance du PIB et de l’inflation. Aujourd’hui, des obligations souveraines de pays de l’OCDE représentant quelque 12 000 milliards USD (soit 32 % de l’encours total) sont toujours négociées à des taux négatifs. Toute correction significative du prix des actifs aurait des conséquences dommageables sur l’activité économique, sous la forme d’effets de richesse (plus prononcés dans les économies avancées), de conditions financières défavorables pour certaines entreprises et banques (illustrées à ce jour par des taux élevés de créances douteuses et litigieuses, notamment en Europe) ainsi que d’asymétries entre les monnaies de libellé et les échéances de certains éléments d’actif et de passif (qui concernent particulièrement certaines économies émergentes).

Le retournement favorable de la conjoncture mondiale n’est pas encore assuré, non plus que l’avènement d’une productivité accrue, d’une plus grande inclusivité et d’un système international non discriminatoire pourtant nécessaires à l’amélioration du bien-être de tous. Les responsables de l’action publique ne peuvent se permettre de baisser la garde.

La politique monétaire évolue de manière appropriée vers une orientation plus neutre aux États-Unis, tandis que l’Europe et le Japon ont recours au pilotage des anticipations. Ces mesures et ces déclarations aident les investisseurs à évaluer les risques liés à l’action publique, à mieux faire concorder les valorisations des actifs et les fondamentaux économiques, et à renforcer la surveillance des expositions aux risques et des vulnérabilités. Cependant, comme on le voit dans leurs décisions d’investissement, les opérateurs des marchés semblent toujours tabler sur une divergence des orientations de la politique monétaire entre les États-Unis, la zone euro et le Japon sur la période de prévision, dont l’ampleur pourrait atteindre environ 150 points de base à la fin de 2018. Il est probable qu’une convergence des politiques pourrait donner lieu, sur les marchés financiers, à une volatilité plus forte que celle actuellement intégrée dans les prix.

Les initiatives budgétaires qui permettent d’atténuer les facteurs à l’origine d’inégalités génèrent des avantages de long terme tant pour les citoyens que pour les territoires et les finances publiques. Comme souligné dans le rapport consacré aux Approches budgétaires favorables à une croissance inclusive dans les pays du G7, l’éducation, les services à la petite enfance, la formation et la mobilité sont autant de leviers qui contribuent à atténuer les facteurs sous-jacents des inégalités de revenu marchand, qu’elles soient intra ou interrégionales. Les investissements dans la recherche et les infrastructures publiques produisant un « effet multiplicateur » élevé, qui ont été particulièrement touchés lors de la crise financière, agissent en catalyseurs de l’activité du secteur privé, notamment parce qu’ils assurent aux entreprises une meilleure connexion avec les marchés nationaux et mondiaux. Un dosage aussi efficace de l’action budgétaire atténue, à terme, les besoins de redistribution des revenus par les prélèvements et transferts, améliorant la situation budgétaire, augmentant les revenus futurs, et donc la viabilité de la dette publique à long terme.

Si chaque pays définit son propre ensemble cohérent de mesures afin de renforcer la productivité, l’emploi et l’inclusivité, l’édition 2017 du rapport Objectif croissance expose des priorités d’action pour tous les pays du G20. Ces priorités ont été définies de manière à donner leur pleine mesure aux synergies entre les politiques publiques, par exemple en soulignant que le règlement de la question des créances douteuses et litigieuses peut insuffler un nouveau dynamisme aux entreprises, que la présence d’un environnement concurrentiel accroît l’efficacité des politiques d’activation du marché du travail, ou encore qu’une réforme de la politique du logement concourt à la fois à la mobilité géographique et à une meilleure adéquation des qualifications.

Cela étant, les entreprises et les citoyens sont affectés par le jeu des interactions entre les politiques formulées à l’échelle nationale d’une part et la nature et l’intensité de la coopération économique internationale d’autre part. Dès lors que les trois grandes dynamiques aujourd’hui à l’œuvre – l’évolution du goût des consommateurs, les technologies et les échanges – se renforcent mutuellement et changent la donne à l’échelle des régions, des entreprises et des travailleurs, les politiques publiques ciblées doivent être repensées.

À ce titre, une approche intégrée de l’action publique s’impose pour que le système dans son ensemble fonctionne mieux pour un plus grand nombre. Allant au-delà des logiques nationales et se projetant à l’échelle internationale, les responsables des politiques publiques doivent s’approprier l’éventail d’outils offerts par la coopération économique internationale pour instaurer des règles du jeu plus équitables et faire en sorte que les échanges soient régis par des principes justes et effectivement appliqués, que toutes les entreprises suivent des normes de conduite exigeantes, que les dispositions fiscales transfrontalières soient transparentes et équitables, que la corruption recule et que les normes en matière de travail et d'environnement soient respectées.

Les responsables de l’action publique ne peuvent ignorer l’interdépendance de leurs efforts respectifs. Des choix plus avisés en matière budgétaire, monétaire et structurelle comme dans l’action internationale amélioreront le bien-être des citoyens à l’échelon d’un pays, mais auront également des retombées positives pour d’autres. Les chances seront alors accrues de voir perdurer l’épisode actuel de reprise conjoncturelle, pour constituer le socle d’une progression durable et plus générale des niveaux de vie dans le monde entier.

Le 7 juin 2017

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Catherine L. Mann

Chef économiste de l'OCDE