Résumé

Le débat politique sur l’urbanisation africaine a longtemps souffert d’un manque de données fiables. Ce rapport apporte un éclairage nouveau sur les économies urbaines africaines, d’une portée et d’une précision sans équivalent. Sur la base de données recueillies auprès de plus de 4 millions d’individus et d’entreprises, issus de 2 600 villes de 34 pays, le rapport décrit la performance économique et les conditions sociales des villes de différentes tailles à travers le continent.

Les villes sont attrayantes en raison des opportunités d’emploi qu’elles offrent. Les salaires horaires dans les grandes villes sont plus de deux fois plus élevés que dans les zones rurales. Si la proportion d'adultes sans emploi est légèrement plus faible dans les villes qu’en milieu rural, le sous-emploi est moins répandu : les travailleurs urbains travaillent 30 % d'heures de plus par semaine que les travailleurs ruraux.

De même, l’accès à l’éducation est meilleur en ville qu’au sein des zones rurales. Selon la taille de la ville, les jeunes bénéficient en moyenne de 2.5 et 4 ans d’éducation de plus que leurs homologues des zones rurales. Ceci a un impact durable puisque les avantages économiques et sociaux d’une bonne éducation durent toute la vie. L’amélioration du niveau d’éducation résultant de l’urbanisation construit le capital humain nécessaire à la transition vers une économie d’emplois qualifiés. Aujourd’hui, la part des emplois qualifiés en ville est environ 2.5 fois plus élevée qu’en milieu rural.

Plus généralement, les villes facilitent l’accès aux infrastructures et aux services, publics comme privés. Dans les grandes villes, 80 % des ménages sont connectés au réseau électrique, contre 20 % seulement en zones rurales. La moitié environ des ménages urbains sont propriétaires de leur maison, contre seulement 20 % dans les zones rurales. De même, le pourcentage d’individus vivant dans un ménage détenant un compte en banque est de plus de 50 % dans les grandes villes, près de 40 % dans les petites, moins de 20 % en milieu rural.

Outre les meilleures perspectives économiques et le niveau de vie supérieur qu’elles proposent, les villes sont des incubateurs de changements sociaux et culturels. Elles facilitent, par exemple, la transition démographique avec des taux de fécondité plus d’un tiers plus bas dans les grandes villes que dans les zones rurales. En conséquence, les rapports de dépendance sont plus favorables en ville.

La plupart des indicateurs analysés sont liés à la taille des villes. Les villes les plus grandes sont plus performantes que les petites, cependant ces dernières réussissent beaucoup mieux que les zones rurales. En général, l’écart entre les villes de différentes tailles est toutefois inférieur à celui entre villes et zones rurales. Dans la plupart des domaines analysés, les conséquences pour les individus qui bougent d’une zone rurale vers une ville de moins de 50 000 habitants sont plus importantes que pour les individus qui passent d’une ville de moins de 50 000 habitants à une ville de plus de 1 million d’habitants. Ceci montre que même les petites villes offrent un grand nombre des avantages de l’urbanisation, allant de meilleurs services et infrastructures à des économies relativement plus avancées.

Les villes sont porteuses d’économies d’agglomération. Les entreprises et les travailleurs y sont plus productifs que ceux des zones rurales. Au fur et à mesure que la population des villes croît, les économies d'agglomération qu'elles génèrent augmentent, ce qui entraîne une hausse du Produit intérieur brut (PIB). Si l’on connaît l’ampleur des économies d’agglomération et les taux de croissance récents des villes africaines, il est possible d’évaluer l’effet de l’urbanisation sur la hausse du PIB. Selon une estimation prudente, l’augmentation de la population génère 0.33 % de la croissance annuelle moyenne par habitant en Afrique. Ceci représente environ 29 % de la croissance annuelle moyenne totale du PIB par habitant en Afrique de 2001 à 2020.

La population urbaine de l’Afrique a triplé depuis 1990. Mais même si elles comptent 500 millions d’habitants supplémentaires, les villes ont continué d’enregistrer de bonnes performances par rapport aux zones rurales. Dans les zones urbaines et rurales, l’évolution de la plupart des indicateurs a suivi les tendances nationales et l’écart entre villes et campagnes est resté à peu près constant. Les villes ont donc réussi à intégrer des millions de personnes sans déclin perceptible de leur performance économique globale ou des conditions de vie. Ainsi, entre 1990 et 2020, environ 390 millions d’habitants des villes ont été connectés au réseau électrique. Même si les villes ne sont pas à la hauteur à bien des égards, l’urbanisation a amélioré l’accès aux services, aux infrastructures et aux opportunités économiques pour des centaines de millions d’individus.

Face à une croissance démographique spectaculaire, les villes africaines ont maintenu une bonne performance économique par rapport au reste de leurs pays, ce qui est une prouesse en soi. Toutefois, malgré les avantages qu'elle offre, l'urbanisation n'a pas entraîné une transformation durable des villes. Les économies n'ont connu qu'une croissance lente depuis les années 1990, et les indicateurs clés de l'économie urbaine se sont améliorés tout aussi lentement. La part des emplois qualifiés dans les villes, par exemple, est restée stable et les taux de possession de biens de consommation durables, tels que les voitures et les réfrigérateurs, ont peu ou pas augmenté.

Les villes permettent aux habitants et aux entreprises des zones rurales d’accéder aux services, aux infrastructures et aux marchés. L’intégration de l’économie rurale dans les chaînes de valeur urbaines-rurales encourage l’innovation et la diversification dans les zones rurales. Il n’est donc guère surprenant que les zones rurales situées à proximité des villes tendent vers de meilleurs résultats que celles qui sont plus éloignées. Par exemple, la part des ménages ruraux disposant d’un compte en banque est deux fois plus élevée à moins de 5 kilomètres d'une ville qu’au-delà de 30 kilomètres.

Depuis 1990, le nombre des villes africaines a plus que doublé, passant de 3 300 à 7 600. Des milliers de nouvelles agglomérations ont vu le jour, souvent dans des zones rurales à forte densité de population. Ces villes permettent aux habitants et aux entreprises des campagnes d’accéder aux services et aux infrastructures alors que, sans elles, le centre urbain le plus proche serait très éloigné. L’urbanisation a donc facilité la transformation économique et sociale des zones rurales ; l’émergence d’un grand nombre de petites villes a rapproché les zones rurales et urbaines. Pour plus des deux tiers (68 %) de la population rurale d’Afrique, la ville la plus proche compte moins de 50 000 habitants.

La nouvelle série d’indicateurs démontre les avantages considérables de l’urbanisation pour les individus et les entreprises. Si un changement d’échelle de l'urbanisation est – en soi - porteur d’inconvénients, ces derniers sont compensés par les opportunités économiques et l'amélioration du niveau de vie que les villes génèrent. Les gouvernements doivent considérer l’urbanisation comme une opportunité à saisir. Ils doivent la gérer dans le but de faire profiter de ses avantages au plus grand nombre de personnes possible. Ceci suppose d’investir dans les grands centres urbains, mais également de renforcer les villes petites et moyennes qui sont les pôles socio-économiques des communautés rurales environnantes.

Partout en Afrique, des grappes urbaines émergent. Tant que les taux d’urbanisation étaient faibles, les agglomérations étaient éloignées les unes des autres ; jouant surtout le rôle de centres administratifs nationaux et de portes d’accès à l’exportation des ressources vers les marchés mondiaux. Le nombre et la taille des villes augmentant, ces dernières se retrouvent plus près les unes des autres. En 2015, l’Afrique comptait 31 grappes urbaines de plus de 2.5 millions d’habitants dans un rayon de 100 km, et 6 de plus de 10 millions de résidents urbains dans un rayon de 250 km.

Au sein de ces grappes, les centres urbains profitent économiquement de la proximité les uns des autres. Les petites villes peuvent ainsi attirer des industries spécialisées et jouer des rôles économiques qui seraient autrement réservés aux grandes villes. Toutes les villes proches les unes des autres ne fonctionnent cependant pas en tant que système économique intégré. Pour que cela soit le cas, elles ont besoin de bonnes infrastructures permettant de les relier et de faciliter les échanges.

Certaines des grappes urbaines les plus importantes s’étendent sur plusieurs pays. Elles devraient bénéficier de la réduction des barrières commerciales consécutive à la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). La ZLECAf devrait par ailleurs grandement bénéficier à des villes n’appartenant pas aux grappes urbaines transfrontalières. La réduction des barrières au commerce intra-africain profitera au secteur marchand des villes et réduira les prix pour leurs consommateurs. Quoi qu’il en soit, les opportunités offertes par la mise en œuvre de la ZLECAf doivent être accompagnées d'investissements dans les infrastructures transfrontalières et d'autres mesures visant à promouvoir le commerce.

L’avenir économique de l’Afrique réside dans ses villes. Les stratégies nationales de développement doivent refléter les opportunités offertes par l'urbanisation et inclure des mesures pour les mettre à profit. Quatre domaines prioritaires sont particulièrement importants :

Il faut créer chaque année un grand nombre d’emplois pour les jeunes urbains dont le nombre ne cesse de croître. Les gouvernements doivent soutenir les secteurs qui créent des emplois dans les zones urbaines.

La performance d'une économie est déterminée par sa productivité. Pour améliorer la productivité des zones urbaines, les gouvernements doivent investir dans les villes, promouvoir la croissance de secteurs à forte productivité, tels que l’industrie et les services marchands. Ils doivent supprimer les obstacles à la création et au développement des entreprises urbaines.

Chaque pays possède un système urbain spécifique, constitué de villes de différentes tailles aux spécialisations économiques différentes. Les politiques nationales efficaces sont celles qui en tiennent compte et prennent des mesures ciblées correspondant aux besoins propres à chaque ville, dépendant de leur rôle dans l’économie nationale.

Les politiques nationales relatives aux villes doivent faire l’objet d’une bonne coordination entre les différents niveaux du gouvernement et entre secteurs pour qu'elles se renforcent mutuellement. En outre, les politiques nationales doivent garantir que les gouvernements locaux disposent des moyens (fiscaux et autres) pour jouer un rôle actif dans le développement économique.

Afin de concevoir des politiques ciblées pour les villes et de s'adapter à l'évolution des contextes, les gouvernements ont besoin de données à jour sur l’état des économies urbaines. Ce rapport montre comment des indicateurs infranationaux solides peuvent contribuer à une meilleure compréhension des villes. Les systèmes statistiques nationaux doivent être améliorés pour être en mesure de produire des statistiques actualisées pouvant être désagrégées au niveau infranational.

À mesure que la taille des villes augmente, les gouvernements locaux jouent un rôle plus déterminant dans le développement économique. De tous les niveaux de gouvernement, ce sont les gouvernements locaux qui connaissent le mieux leur ville et qui sont le mieux à même de définir des politiques qui correspondent aux besoins locaux. Ils sont en outre plus directement responsables de leurs actes devant la population locale et ont un intérêt marqué pour les bonnes performances de leur ville. Pourtant, dans la plupart des pays africains, les gouvernements locaux ont une faible capacité administrative et des responsabilités qui ne sont pas clairement définies. Il leur est difficile de mettre en œuvre des politiques de développement économique efficaces. Il est donc essentiel de décentraliser des compétences et de renforcer les capacités locales afin que les gouvernements locaux soient à même de soutenir efficacement le développement économique.

Les gouvernements locaux africains doivent accorder la priorité au développement économique dans leurs politiques. Dans de nombreuses économies à croissance rapide (notamment en Chine), les gouvernements locaux considèrent le développement économique comme leur responsabilité première. Ils construisent des infrastructures, font la promotion de leur ville auprès des investisseurs, établissent des liens entre entreprises et universités, développent des projets fonciers pour accueillir de nouvelles activités et aident les entreprises dans leurs démarches administratives. Fournir des niveaux de soutien similaires aux économies locales en Afrique permettrait de stimuler la croissance économique.

Les gouvernements locaux qui souhaitent définir des stratégies de développement économique local peuvent se fonder sur plusieurs principes :

  • Les paquets de mesures concertées regroupant des interventions coordonnées sont plus efficaces que des mesures isolées. Les stratégies efficaces de développement économique local sont celles qui englobent plusieurs secteurs d’intervention ainsi que des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.

  • Les avantages concurrentiels varient en fonction du lieu. La réussite de nombreuses stratégies de développement économique local repose sur l’identification et l’exploitation de ces avantages concurrentiels spécifiques.

  • Les politiques de développement économique local visant à renforcer les secteurs et les activités existantes ont plus de chances de réussir que celles qui espèrent attirer des secteurs économiques entièrement nouveaux. Les gouvernements locaux doivent travailler avec les entreprises locales pour mieux connaître les opportunités économiques sur lesquelles fonder leurs politiques.

  • Les villes contribuent à la diversification économique des économies nationales grâce à leurs différentes spécialisations économiques. La plupart des pays hautement diversifiés ne sont pas uniformes sur le plan économique. En général, ils comptent de nombreuses villes à spécialisations économiques distinctes qui contribuent ensemble à créer une économie diversifiée.

  • Les universités et autres institutions d’enseignement supérieur peuvent être des sources d’innovation et d’entrepreneuriat. Il faut les encourager à travailler en étroite collaboration avec les entreprises locales, par exemple en proposant des programmes d’enseignement qui correspondent aux besoins des entreprises ou en créant des incubateurs d’entreprises.

Les gouvernements locaux disposent de ressources financières extrêmement limitées. La part des ressources propres dans leurs budgets est faible et les transferts financiers en provenance d’autres niveaux de gouvernement sont limités et souvent irréguliers. En outre, la grande majorité des gouvernements locaux n’a pas accès au crédit pour financer des investissements, même si ces derniers offrent des rendements élevés. Ceci explique pourquoi les gouvernements locaux ont du mal à développer leurs capacités administratives. Ils manquent également souvent de ressources propres pour investir, même lorsque ces investissements seraient économiquement et socialement bénéfiques et produiraient à long terme une hausse des recettes fiscales.

Il n’existe pas de solution unique pour répondre aux besoins de financement des gouvernements locaux. Il revient aux gouvernements nationaux d’accroître leur soutien financier aux gouvernements locaux ; de les doter d’une plus grande stabilité fiscale ; de leur permettre ainsi de s’engager à long terme, notamment sur des investissements majeurs dans les infrastructures. Les gouvernements locaux, quant à eux, doivent générer davantage de ressources propres en améliorant leurs recettes fiscales et en développant de nouvelles sources de revenu. Dans de nombreux pays, il faudra pour cela accorder aux gouvernements locaux des pouvoirs fiscaux accrus.

Toutefois, même une hausse significative des transferts et des recettes fiscales ne permettra sans doute pas de répondre aux besoins d’investissement des villes africaines. Les gouvernements nationaux et locaux doivent travailler ensemble pour que ces derniers puissent recourir au financement par emprunt et soient ainsi à même d’investir dans les infrastructures. Une première étape consisterait à accorder des prêts aux gouvernements locaux par le biais de fonds publics d’investissement. Il s’agit là d’une source de financement à part entière. Pour les gouvernements locaux, le recours à ces fonds est également l’occasion d’acquérir une expérience du financement par emprunt ; cette expérience étant susceptible de leur permettre d’accéder à d’autres formes de crédit.

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