Chapitre 8. L’eau, clé de la dépendance réciproque entre villes et régions1

Peter C.G. Glas
Président de l’Initiative de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau et de l’Office des eaux de la Dommel

Ce chapitre défend l’idée que les villes et les régions ont un rôle déterminant à jouer pour résoudre les enjeux actuels et futurs de la gestion de l’eau – qu’il y en ait trop, pas assez, ou qu’elle soit trop polluée. S’il n’existe pas de formule toute faite pour résoudre ces enjeux, l’inaction n’est toutefois pas la solution. On observe au contraire une volonté de passer des idées aux actes, en particulier afin de mettre en œuvre au niveau mondial le programme à l’horizon 2030 qui vise, entre autres choses, à « garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable ». Comme on le verra ici, il est possible d’améliorer l’efficience et l’inclusion en connectant les échelons territoriaux et les bassins de ressources hydriques, ainsi que toutes les politiques qui se rapportent à l’eau. Les Principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau offrent un cadre utile pour la définition et la mise en œuvre des politiques de l’eau à tous les niveaux d’administration, afin d’améliorer le bien-être de tous.

  

Introduction

Quiconque examine des cartes thématiques portant sur la production alimentaire, l’évolution démographique et l’urbanisation ne peut manquer de constater à quel point ces questions sont liées. Si l’on y ajoute des cartes illustrant les enjeux liés à l’eau – qu’il y en ait trop, pas assez, ou qu’elle soit trop polluée –, il est impossible d’échapper à la conclusion que celle-ci constitue un facteur clé dans de nombreux enjeux mondiaux – sinon tous – auxquels devront faire face les générations tant actuelles que futures. En y regardant de plus près, il apparaît aussi clairement que, bien que toutes ces questions soient liées entre elles au niveau mondial, les pratiques quotidiennes de gestion de l’eau relèvent, par définition, du niveau local et régional. Les villes et les régions ont en commun des cours d’eau et des aquifères et c’est à cet échelon que les problèmes devront être résolus. La crise de l’eau est une crise mondiale mais les solutions devront être trouvées à une échelle plus proche des populations. Il est donc particulièrement indiqué que le Forum des politiques de 2016 porte sur le thème « Regions and cities implementing global agendas ».

La contribution de l’OCDE aux discussions internationales sur la gouvernance de l’eau est largement reconnue et, pour surmonter la crise mondiale liée à cette ressource, il est aujourd’hui nécessaire d’élargir et d’approfondir ces discussions, et de promouvoir la mise en pratique des principes de bonne gouvernance. Depuis son lancement en 2013, l’Initiative de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau (IGE) a servi de plateforme à ces discussions, notamment en permettant l’échange de pratiques concrètes et l’examen de l’évolution de l’action des pouvoirs publics avec les parties prenantes et les organisations impliquées dans l’élaboration des politiques et la gestion pratique de l’eau partout dans le monde.

L’IGE a permis de mobiliser les connaissances en provenance de différents pays – tout particulièrement lors des récents examens par les pairs des concertations nationales sur les politiques qui ont été organisées au Brésil, en Jordanie, aux Pays-Bas et en Tunisie – et surtout de la dizaine de pays qui ont présenté leurs réformes nationales au cours des réunions plénières de l’IGE, deux fois par an. Ces différents processus de réforme nationaux ont un but commun : promouvoir la bonne gouvernance. Ils mettent en jeu des questions telles que la place à accorder à la gouvernance pluriniveaux, la décentralisation, les capacités existant à l’échelon infranational, les indicateurs ruraux, urbains, publics et territoriaux et l’investissement, par exemple. Ces questions figurent toutes à l’ordre du jour des travaux du Comité des politiques de développement régional (RDPC) de l’OCDE. Le soutien du RDPC a donc joué – et continuera à jouer – un rôle clé dans la promotion de la bonne gouvernance de l’eau au niveau mondial.

Trois décennies d’évolutions de la gestion de l’eau

Les Pays-Bas se débattent avec la question de l’eau et leur situation illustre bien ce qui se passe en beaucoup d’autres régions du monde. Ayant connu une urbanisation très précoce, ils sont reliés au monde depuis plus de 500 ans. Leur situation géographique au confluent de quatre grands fleuves européens a joué un rôle déterminant à cet égard. Les Pays-Bas occupent une zone de delta et 60 % de leur PIB est produit à l’abri de digues. Si ces digues n’existaient pas, les terres seraient inondées plus d’une fois par an. Les Hollandais, par conséquent, en savent long sur la gestion de l’eau et ont réussi, pendant les dernières décennies, à garder les pieds au sec !

Il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant des siècles, les Pays-Bas ont été fréquemment inondés. La dernière marée de tempête catastrophique en mer du Nord a eu lieu en 1953. Elle a coûté la vie à plus de 2 000 personnes aux Pays-Bas, en Belgique et au Royaume-Uni. Cet événement, intervenant à peine quelques années après la Seconde Guerre mondiale, a aussi provoqué un revers économique dramatique. Il est à l’origine de la création d’un programme national de protection contre les inondations dans le delta, dont la mise en œuvre s’est étalée sur une trentaine d’années. Au terme de cette période, les Néerlandais avaient le sentiment général d’être enfin parvenus, grâce à de nombreux travaux, à se mettre à l’abri des inondations et ils pensaient que l’aménagement physique des Pays-Bas était essentiellement achevé. Au début des années 80, la gestion de l’eau était devenue le domaine réservé de spécialistes et de technocrates et un quasi-optimisme quant à l’avenir régnait dans le pays.

Certaines conséquences négatives et inquiétantes de l’ère industrielle et technologique sont toutefois peu à peu devenues manifestes. La pollution a atteint son point culminant dans les années 60 et 70 et des fonctions économiques et sociales comme la production d’eau potable et la production agroalimentaire ont été gravement affectées. Après que le Club de Rome ait tiré la sonnette d’alarme (Meadows et al., 1972), une prise de conscience des limites de la croissance et de l’exploitation des ressources naturelles de la planète s’est de plus en plus développée.

Cette prise de conscience a ouvert la voie, dans les années 80, à une période nouvelle d’optimisation et de rationalisation de la gestion de l’eau, de réduction de la pollution, de construction de stations physico-chimiques – et plus tard biologiques – d’épuration des eaux et de sensibilisation croissante à l’écologie aquatique : l’ère de la gestion intégrée de l’eau. Cependant, les questions d’irrigation et de drainage, de protection contre les inondations, d’assainissement et d’épuration des eaux usées restaient encore pour l’essentiel entre les mains compétentes de spécialistes ayant une formation scientifique ou d’ingénieur.

Pendant les années 90 et la première décennie de ce siècle, des expressions telles que « gestion intégrée des ressources en eau » et la « gestion intégrée des bassins hydrographiques et des eaux souterraines » sont devenues à la mode. Une sensibilité nouvelle à la question de l’eau est apparue aux Pays-Bas : après plusieurs incidents d’augmentation très grave du débit fluvial et de pluies locales torrentielles où des inondations ont été évitées de justesse, en 1993, 1995 et 1998, il est apparu clairement que la gestion de l’eau devait être prise en charge au niveau des régions et des bassins versants. L’aménagement du territoire dans une zone urbaines et sous-urbaine à forte densité démographique a des incidences, au niveau régional et suprarégional, sur la sécurité hydrique, la disponibilité de l’eau et sa qualité, ainsi que sur l’environnement écologique, l’agriculture et le développement industriel. Les risques relatifs à l’eau ont aussi des implications sur l’utilisation des sols et l’aménagement spatial au niveau local et régional. Aux Pays-Bas, cette manière de voir a conduit à une nouvelle phase marquée par des approches pluridisciplinaires et même transdisciplinaires de la gestion de l’eau. De nouveaux slogans comme « place au fleuve » et « place à l’eau » ont été lancés et leprincipe selon lequel il faut« construire avec la nature » a été intégré à la conception des projets de génie civil ou autres.

Plus récemment, en 2012, un nouveau Programme Delta à l’horizon 2050, ainsi qu’une Décision Delta, un Fonds Delta et un Commissaire Delta, ont été mis en place aux Pays-Bas. Ces initiatives reconnaissent l’importance de l’engagement des parties prenantes à plusieurs niveaux, d’un processus permettant d’atteindre un large consensus entre échelons et secteurs administratifs et de fondements juridiques et financiers solides. La planification est essentielle pour assurer une bonne gouvernance de l’eau – au lieu d’attendre la prochaine inondation, le prochain épisode de sècheresse ou le prochain déversement toxique – au-delà des Pays-Bas et de l’année 2012. Bien auparavant, en 2002, SAR le Prince d’Orange, dans sa contribution au Panel du Secrétaire général des Nations Unies en préparation du Sommet de Johannesburg, avait déclaré que « la crise mondiale de l’eau est une crise de gouvernance et non une crise qui serait due à la pénurie » (SAR le Prince d’Orange, 2002).

Dans le même temps on a peu à peu admis, au niveau mondial, que le climat de la planète était en train de changer et que les événements climatiques extrêmes devenaient plus fréquents. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de façon exponentielle et il ne fait guère de doute que ces phénomènes sont interconnectés. Bien que l’étude précise des causalités en jeu ne soit pas encore achevée, les effets potentiellement irréversibles de cette évolution sur les écosystèmes, ainsi que sur les habitats et les moyens d’existence des populations humaines, sont d’une ampleur telle que l’inaction n’est pas une option envisageable. Même si l’on ne tient pas compte du changement climatique, nous devons intervenir face à l’augmentation rapide de la population mondiale. Les sociétés deviennent intrinsèquement vulnérables sur le plan physique et économique, les capacités de production agricole et industrielle sont plus élevées que par le passé et, dans de nombreux pays, beaucoup reste à faire pour assurer l’accès aux services de base (eau, énergie et transport). Cette prise de conscience s’est traduite au niveau international par une volonté d’agir sur les plans politique et industriel.

Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), adoptés par l’ONU en 2000, ont été suivis en 2015 par l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD). L’eau figure en bonne place dans la plupart des ODD et leur est très liée. L’ODD 6 en particulier vise à « garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».

En 2015, de nouveaux développements internationaux dans le domaine du climat et de l’eau ont abouti à des accords au plus haut niveau. La 21e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21), qui s’est tenue à Paris, a abouti à un consensus sur l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 2° C, et de « zéro émission nette » pour ce qui est des émissions anthropiques de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Cette avancée politique est encourageante mais l’objectif annoncé devra être mis en pratique par les gouvernements et les différents secteurs industriels concernés ; il exigera aussi en définitive de chacun de nous que nous modifiions nos comportements. Toutefois, s’agissant de l’eau, une remarque critique s’impose. L’engagement politique exprimé dans l’Accord de Paris porte essentiellement sur l’atténuation du changement climatique mais le texte de l’accord mentionne de nombreuses fois (47 en tout) l’importance de l’adaptation aux effets du changement climatique (Conférence des Parties à la CCNUCC, 2015). Il est tout à fait incompréhensible, par conséquent, que les mots « eau », « inondation » ou « sècheresse » ne figurent pas dans ce document.

Compte tenu de cette omission, on peut considérer comme prometteur le fait que 300 partenaires du monde entier, dont de nombreuses villes et régions, aient signé le Pacte de Paris sur l’eau et l’adaptation au changement climatique dans les bassins fluviaux, les lacs et les aquifères (Réseau international des organismes de bassin, 2016). La préparation de ce document a eu lieu en dehors du processus formel de la COP. Le Pacte cherche à soutenir et mettre en œuvre des projets sur l’eau et l’adaptation au changement climatique au moyen d’un programme d’action visant à : i) renforcer le développement des capacités et les connaissances ; ii) adapter la planification de la gestion des bassins au changement climatique ; iii) renforcer la gouvernance ; et iv) assurer un financement adéquat.

Parmi les nombreux signataires du Pacte de Paris, beaucoup ont déjà dû prendre des mesures pour faire face aux effets actuels et à venir du changement climatique. Cela montre bien à quel point il importe d’agir dès maintenant pour protéger nos sociétés contre les perturbations qui pourraient résulter des insuffisances de l’approvisionnement en eau, de l’assainissement et de la protection contre les inondations, et aussi de la dégradation de l’environnement. Beaucoup espèrent que la COP22, qui aura lieu à Marrakech en novembre 2016, reconnaîtra explicitement au niveau politique la nécessité de promouvoir dans cette optique l’adaptation de la gestion de l’eau.

La gouvernance de l’eau

La nécessité d’aller au-delà des seules considérations techniques sur la gestion de l’eau est aujourd’hui largement admise. De nombreuses publications soulignent l’importance de la gouvernance de l’eau. On en trouvera un aperçu détaillé dans une étude récente (Havekes et al., 2016).

L’Initiative sur la gouvernance de l’eau2 a abouti en 2015 à la définition des Principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau3, dont une première version avait été examinée lors du 7e Forum mondial de l’eau en Corée du Sud (avril 2015). Ce document d’orientation générale, élaboré de manière ascendante sous l’égide du Comité des politiques de développement régional (RDPC) de l’OCDE, cherche à répondre directement aux enjeux en matière de gouvernance qui se posent dans de nombreux pays. L’Initiative sur la gouvernance de l’eau (IGE), créée sous la forme d’un réseau international pluri-acteurs en mars 2013, est issue de l’engagement pris par l’OCDE de contribuer à remédier aux lacunes de la gouvernance de l’eau mises au jour lors du 6Forum mondial de l’eau (Marseille, 2012). Ses objectifs sont les suivants :

  • Offrir une plateforme technique pluri-acteurs pour partager des connaissances, des expériences et des meilleures pratiques sur la gouvernance de l’eau à différents niveaux de gouvernement.

  • Conseiller les gouvernements sur les étapes nécessaires dans le cadre des processus de réforme pour une gouvernance de l’eau efficace, par le dialogue entre pairs et l’engagement des parties prenantes provenant des secteurs public, privé et à but non lucratif.

  • Offrir un mécanisme de consultation pour accroître la visibilité de la gouvernance de l’eau dans les discussions internationales sur l’eau (ODD, COP, Habitat III, etc.).

  • Soutenir la mise en œuvre des Principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau en diffusant les meilleures pratiques et en contribuant au développement d’indicateurs.

  • Favoriser la continuité des discussions sur la gouvernance entre les différents Forums mondiaux de l’eau (tous les trois ans), en particulier en soutenant la Feuille de route pour la mise en œuvre de la gouvernance entre les 7e (Corée, 2015) et 8e (Brésil, 2018) éditions du Forum mondial de l’eau.

L’IGE a tenu six réunions plénières (deux par an) depuis sa création et ses groupes de travail se sont réunis entre les plénières. Elle compte actuellement plus d’une centaine de membres et leur nombre continue à augmenter. Les Principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau constituent le principal résultat tangible de ses deux premières années d’activité et, en les approuvant le 4 juin 2015, la Conférence ministérielle de l’OCDE leur a donné un bel élan politique. Les Principes ont été traduits en quinze langues et sont accessibles en ligne, ce qui favorise grandement leur diffusion et leur utilisation dans les discussions avec les parties prenantes. Les douze principes devraient aussi être entièrement repris dans la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur l’eau, qui est en cours de préparation.

Les villes et les régions

Bien que la crise de l’eau soit une crise mondiale, l’échelon adéquat pour le traitement des conséquences imminentes de cette crise est plus proche de chacun de nous. Les villes et les régions ont un rôle déterminant à jouer dans la gestion de l’eau et ce sont donc elles qui orienteront, dans une certaine mesure, les discussions internationales sur l’eau – et non l’inverse. Selon le niveau d’engagement des parties prenantes, certaines questions doivent être traitées au niveau international et d’autres à un échelon fortement local. L’importance des considérations d’échelle apparaît également dans les programmes de l’UE sur l’eau et les villes et dans l’ordre du jour de la prochaine conférence Habitat III des Nations Unies. Ces activités et leur suivi offrent une occasion unique de mieux relier échelons territoriaux et discussions sur l’eau.

Les chiffres de la croissance démographique et de l’urbanisation dans le monde sont en effet impressionnants : de 34 % sur une population mondiale de 2.5 milliards en 1960, la proportion de citadins passera à 70 % en 2050, sur une population mondiale de 9 à 10 milliards (ONU DAES, 2015). Cela veut dire qu’en un siècle, la population urbaine augmentera d’un coefficient proche de dix. Il est clair que l’utilisation des ressources naturelles par les prochaines générations atteindra un niveau et des taux de rotation sans précédent.

Le professeur Herman Wijffels, un ancien banquier néerlandais qui enseigne aujourd’hui la durabilité et le changement social, a récemment exposé deux tendances qui, à son avis, détermineront le cours du siècle actuel. Pendant toute la période qui a suivi la révolution industrielle, les ressources naturelles étaient pratiquement illimitées à l’échelle mondiale, mais l’accès à ces ressources était restreint à cause de la monopolisation de l’information. À la fin de ce siècle, certaines des ressources les plus essentielles (par ex. le phosphore) seront épuisées mais l’accès à l’information sera pratiquement instantané et universel. Il existera donc à la fois une situation de monopole à l’égard de ressources limitées et une information illimitée. Ces deux évolutions sont déjà en cours et, selon Wijffels, la conjugaison de ces tendances opposées pourra avoir des effets perturbateurs à l’échelle mondiale. C’est pourquoi le Forum économique mondial (2015) a décidé de classer la crise de l’eau parmi plusieurs catégories de facteurs, comme les risques climatiques, alimentaires, démographiques et de santé, dont l’impact présente les menaces les plus graves pour les décennies à venir.

Ces tendances n’ont pas seulement une dimension économique mais aussi une dimension géopolitique. Le Secrétaire général de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), M. Lamberto Zannier, considère que la coopération dans le domaine de la gouvernance de l’eau peut jouer un rôle catalyseur du point de vue du développement durable et de la sécurité globale. « Une bonne gouvernance de l’eau exige une gestion responsable, transparente et équitable des ressources en eau. Elle contribue au développement de la confiance et est essentielle pour prévenir les conflits relatifs à l’eau à tous les niveaux, y compris celui des communautés locales », a déclaré M. Zannier lors de la Journée mondiale de l’eau 2015 (OSCE, 2015).

Lors du 7Forum mondial de l’eau (Corée, avril 2015), le Secrétaire général de l’OCDE, M. Angel Gurría, a également souligné que les questions relatives à l’eau sont liées à d’autres évolutions inquiétantes dans les domaines de l’alimentation, de la sécurité et de l’énergie (OCDE, 2015a). Il a insisté en particulier sur trois points importants à prendre en compte dans la définition des priorités : i) la nécessité d’une cohérence des politiques ; ii) le rôle du financement ; et iii) l’amélioration de l’architecture institutionnelle.

Comment passer aujourd’hui des politiques à la pratique ? Des idées à l’action ? Et sur la base de quels scénarios sociaux, économiques, écologiques et technologiques ? Ces questions sont, bien entendu, cruciales. Un renversement de la tendance mondiale à l’urbanisation ne semble guère probable. Un nombre toujours plus grand d’individus vivent dans des mégapoles. Le rapport récent de l’OCDE intitulé Water Governance in Cities (2016) appelle les décideurs locaux à prendre conscience du rôle décisif qui est le leur, les ressources en eau étant principalement gérées au niveau local. S’appuyant sur une enquête menée auprès de 48 villes situées dans des pays membres et non-membres de l’OCDE, ce rapport propose un cadre de coordination tridimensionnel en vue d’une meilleure articulation entre politiques, habitants et localités. Il présente des pratiques exemplaires axées sur : la promotion d’une vision stratégique dans tous les secteurs, l’engagement des parties prenantes, et le développement d’une gestion intégrée de l’eau dans les villes et leur périphérie au moyen de partenariats ville-campagne et de la gouvernance métropolitaine.

Les profils de gouvernance de l’eau des 48 villes qui ont participé à l’enquête sont présentés sur le site web de l’OCDE4. Ils montrent à la fois la grande diversité des solutions adoptées dans ces villes et le fait qu’il n’existe pas de modèle uniforme pour résoudre les enjeux associés à la gestion de l’eau. Dans le développement des pratiques de gestion de l’eau et de gouvernance de l’eau, il est donc particulièrement important d’ouvrir la discussion par des échanges de points de vues sur les valeurs et les principes, au lieu d’aborder immédiatement la question des moyens à employer pour leur mise en œuvre. Les Principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau fournissent un excellent point de départ pour une telle discussion.

Les villes de l’avenir n’auront pas d’autre choix que de coopérer avec leur périphérie et avec les régions et territoires auxquels elles sont liées non seulement par des cours d’eau et des aquifères mais aussi par des flux d’aliments, d’énergie, de transport et d’information. En tant que biologiste, je pense naturellement aux principes écologiques qui servent à décrire les relations entre organismes vivants. Lorsqu’un organisme en parasite un autre, qu’il s’agisse d’une plante ou d’un animal, l’hôte involontaire finit par mourir. De même, si une ville vit aux dépens de la région qui l’entoure, il est probable qu’elle réussira à prospérer pendant un certain temps mais, lorsque les ressources de la région environnante viendront à s’épuiser, le métabolisme de la ville finira par défaillir. Dans l’idéal, ville et région devraient tirer profit toutes deux de leur relation qui, en termes écologiques, doit être une relation de symbiose mutualiste. La cohabitation dans la nature des végétaux en fleur et des insectes pollinisateurs, celle des plantes et des champignons et, à un niveau supérieur de l’évolution, celle des êtres humains et des animaux domestiques sont des exemples de mutualisme. Celui-ci prend de nombreuses formes qui, toutes, se caractérisent par un réseau intrinsèque de flux interconnectés d’aliments, d’énergie et d’information entre espèces ou populations partenaires. Ces liens réciproques sont le produitd’une très longue évolution et aboutissent dans la plupart des cas à une forme unique et irremplaçable d’interdépendance.

La métaphore du mutualisme est utile pour décrire la relation entre une ville et la région qui l’entoure mais il ne faut pas perdre de vue que les aspects de gouvernance de la gestion de l’eau ne peuvent être séparés de ceux d’autres domaines de gestion et de l’action publique. Les questions d’efficacité, d’efficience, et de confiance et d’engagement, qui constituent les trois axes des Principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau, doivent être discutées entre les différentes parties prenantes à tous les niveaux de l’écosystème d’une ville, d’une région et d’un bassin hydrologique.

Pour conclure, laissons-nous aller à quelques remarques futuristes sur ce que pourrait être la ville de demain. En effet, les premiers signes d’un continuum entre carbone minéral et carbone organique, de l’autosuffisance énergétique, de la clôture du cycle hydrologique eau de pluie-eau potable-eaux usées, de l’application des principes du bio-mimétisme dans la conception des bâtiments, des maisons et des usines sont déjà parmi nous. Les bâtiments absorbent l’eau et la lumière solaire et sont en interaction avec leurs habitants de multiples façons. À l’avenir, il sera peut-être possible de reproduire à domicile, avec une imprimante 3D, des protéines animales à partir de cellules souches et de produire des plantes et des herbes dans une cuisine. Les besoins nutritifs des individus pourront ainsi être satisfaits avec un minimum de gaspillage d’eau et de minéraux. Les compléments alimentaires et les médicaments personnalisés produits à domicile devraient être une réalité d’ici deux décennies. Ces progrès seront sans doute accessibles aussi en dehors des économies développées. Les innovations récentes dans le domaine des TIC, des transports et d’autres secteurs montrent que le processus de diffusion entre économies et territoires peut prendre seulement quelques années et non plusieurs décennies.

Le métabolisme des villes et des régions et leurs relations de mutualisme devront donc nécessairement être dynamiques, flexibles et en évolution constante dans un environnement parfois imprévisible et même source de perturbations. Les régions ont autant intérêt que les villes à éviter que les individus soient contraints d’adopter un mode de vie urbain, laissant de ce fait dépérir les territoires environnants. Au XXIsiècle, la fluidité des structures, de l’interaction sociale et des connexions matérielles sera à la base de la gouvernance de l’eau et de la gouvernance de toutes les autres ressources essentielles. La question, en définitive, est donc simplement de savoir si l’on accepte ou non de prendre part à cette évolution.

Bibliographie

Conférence des Parties à la CCNUCC (2015), « Adoption de l’Accord de Paris. Proposition du Président », Nations Unies, Genève, http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09r01f.pdf.

DAES (2015), World Urbanization Prospects: The 2014 Revision, Nations Unies, New York, http://esa.un.org/unpd/wup/Publications/Files/WUP2014-Report.pdf.

Forum économique mondial (2015), The Global Risks Report 2015: 10th Edition, Genève, http://reports.weforum.org/global-risks-2015/.

Havekes, H. et al. (2016), Building blocks for good water governance, Water Governance Centre, La Haye, http://watergovernance.s3.amazonaws.com/files/P085-01-16-006-eindpubBB.pdf.

HRH Prince of Orange, W.-A. (2002), « No Water, No Future : A Water Focus for Johannesburg », contribution au Panel du Secrétaire général des Nations Unies en préparation du Sommet de Johannesburg, www.ircwash.org/sites/default/files/HRHWillemAlexander-2002-No.pdf.

Meadows, D.L. et al. (1972), Limits to Growth: A Report for the Club of Rome’s Project on the Predicament of Mankind, Universe Books, New York.

OCDE (2016), Water Governance in Cities, Études de l’OCDE sur l’eau, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264251090-en.

OCDE (2015a), « Water : The way forward – from thematic priorities to strategic considerations », Forum mondial de l’eau 2015, Remarques finales de A. Gurría, www.oecd.org/fr/environnement/the-way-forward-from-thematic-priorities-to-strategic-considerations.htm (consulté le 15 mai 2016).

OCDE (2015b), Principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau, document officiel, disponible à l’adresse : www.oecd.org/governance/oecd-principles-on-water-governance.htm [C/MIN(2015)12].

OCDE (2014), Water Governance in the Netherlands : Fit for the Future?, Études de l’OCDE sur l’eau, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264102637-en.

OSCE (2015), « OSCE Chairperson Dačić and Secretary General Zannier highlight importance of water governance on World Water Day », Communiqué de presse, 20 mars, www.osce.org/cio/145841 (consulté le 10 mai 2016).

Réseau international des organismes de bassin (2016), « Pacte de Paris sur l’eau et l’adaptation au changement climatique dans les bassins des fleuves, des lacs et des aquifères », brochure, www.riob.org/IMG/pdf/Pacte_Paris_F_version_Non_COP_V17.pdf.

Notes

← 1. Ce chapitre ne doit pas être présenté comme exprimant les vues officielles de l’OCDE ou de ses pays membres. Les opinions exprimées et les arguments employés sont ceux des auteurs.

← 2. Voir : www.oecd.org/env/watergovernanceprogramme.htm.

← 3. Voir : www.oecd.org/governance/oecd-principles-on-water-governance.htm.

← 4. Voir : www.oecd.org/gov/regional-policy/water-governance-in-cities-city-profiles.htm.