Le casse-tête fiscal du travail à la demande
Pourquoi les implications fiscales de l’économie à la demande bousculent les employeurs, les travailleurs et les finances publiques.
Quand un travailleur est-il un salarié ? À l’heure actuelle, la réponse à cette question se chiffre en millions de dollars, en particulier pour les caisses de l’État.
Emportée par la transformation numérique, l’économie à la demande a le vent poupe : la livraison de plats cuisinés, les VTC et le babysitting sont autant de services qu’il est désormais possible de réserver depuis son téléphone ou d’un clic de souris. Ils sont assurés par des travailleurs à la demande, qui ne sont généralement pas traités comme des salariés classiques, mais ont le statut d’autoentrepreneur, de travailleur indépendant ou d’entrepreneur indépendant.
Si ce statut rend beaucoup plus flexibles les conditions de recrutement, il signifie aussi généralement un niveau de protection sociale et des avantages moins importants que celui dont bénéficient les salariés, par exemple en termes de salaire minimum, d’assurance-chômage, d’assurance-santé et de congés payés. Certes, en engageant des travailleurs sous le statut d’indépendant, les employeurs économisent à la fois sur les cotisations patronales et leurs impôts, mais c’est tout le reste de la société qui en paye le prix, sous la forme d’un manque à gagner dans les caisses de l’État.
Cette situation est appelée à bientôt disparaître dans certains pays. Ainsi, aux États-Unis, l’attribution du statut d’indépendant aux travailleurs à la demande a récemment été remise en question en Californie, où une nouvelle loi vise à mettre fin à ces pratiques dans certaines conditions. Des mesures similaires ont été proposées ou mises en place dans plusieurs autres États du pays et quelques nations européennes. C’est un domaine dans lequel le droit évolue très vite.
Dans un récent document de travail, l’OCDE a étudié de plus près les implications fiscales des différentes formes d’emploi, en comparant le traitement fiscal réservé aux travailleurs indépendants et à d’autres statuts atypiques dans huit pays et en cherchant à établir si les différences de régime permettaient aux entreprises d’alléger le montant de leurs impôts.
Un tel potentiel d’arbitrage fiscal entre statuts professionnels signifie que des entreprises et individus qui exercent pourtant des activités similaires ne sont pas nécessairement imposés de la même manière, ce qui peut nuire à l’efficacité des systèmes fiscaux mais aussi à l’équité.
Comme indiqué dans l’étude susmentionnée, les entreprises qui recrutent de la main-d’œuvre parmi les travailleurs indépendants au lieu d’embaucher des salariés au sens classique du terme supportent généralement un fardeau fiscal moins lourd par employé.
On en trouve un exemple aux Pays-Bas, où le potentiel d’économies sur les coûts de main-d’œuvre est non négligeable : engager un travailleur indépendant y coûte, sur le plan fiscal, 37 % moins cher que recruter un salarié classique. Cela tient au fait que les entreprises qui recourent aux services d’entrepreneurs indépendants ne sont pas redevables de cotisations sociales pour ces travailleurs et que ces derniers ont droit à certaines déductions de l’impôt sur le revenu, ce qui allège le fardeau fiscal des uns et des autres.
Les Pays-Bas ne constituent pas un cas à part. En effet, dans la plupart des pays étudiés, la responsabilité de l’employeur en matière d’assurance sociale ne s’étend pas aux travailleurs indépendants. Un moyen d’améliorer l’égalité de traitement fiscal entre formes d’emploi consiste à soumettre les travailleurs indépendants à des cotisations sociales plus élevées que les salariés. En Italie et aux États-Unis, les entrepreneurs indépendants sont soumis à des taux plus élevés qui pallient l’absence de cotisations patronales. Dans ces pays, le financement de la protection sociale est moins en péril.
Il incombe aux décideurs de revoir et corriger les régimes fiscaux en place afin de les adapter à l’évolution du marché du travail. À ce jour, les impôts sur le travail forment la catégorie de prélèvements la plus importante dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Autrement dit, dans les pays dans lesquels les coûts totaux de l’emploi diffèrent grandement selon qu’ils concernent des salariés ou des travailleurs indépendants, les entreprises sont fortement incitées à engager des travailleurs en contrats atypiques. Dans ces conditions, il est fort probable que les régimes fiscaux stimulent la demande de main-d’œuvre aux statuts atypiques.
La transformation numérique de l’économie a entraîné l’apparition d’un assortiment de modèles d’affaires centrés sur la mise en relation des consommateurs et des prestataires. Beaucoup exploitent les différences fiscales des statuts professionnels pour économiser sur les coûts de l’emploi liés à la fiscalité, ce qui n’est pas sans incidence sur les travailleurs, les employeurs et l’État. Si les entreprises sont naturellement enclines à économiser sur les coûts de main-d’œuvre liés à la fiscalité, cette dynamique pourrait mettre en péril les finances publiques et mener à un monde dans lequel les travailleurs qui occupent des postes précaires sont socialement peu protégés. Les systèmes de prélèvements-prestations devraient être réformés de façon à ne pas indûment inciter les entreprises à s’appuyer sur les entrepreneurs indépendants pour alléger leur ardoise fiscale.
Dans le même temps, il convient d’encourager les formes légitimes de travail indépendant, lesquelles ne devraient pas toutes être soumises au même régime fiscal. La neutralité fiscale censée exister entre les types de statut n’est pas toujours synonyme d’égalité en matière de prestations et d’allocations, ce qui peut justifier un traitement différencié pour peu qu’il s’appuie sur des principes d’action rationnels.
Consulter www.oecd.org/taxation
Milanez, A. et B. Bratta (2019), « Taxation and the future of work: How tax systems influence choice of employment formation », Documents de travail de l'OCDE sur la fiscalité, n° 41, Éditions OCDE, Paris https://doi.org/https://doi.org/10.1787/20f7164a-en.
fiscalité, n° 41, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/20f7164a-en. Milanez, A. et B. Bratta (2019), « Annex-Taxation and the Future of Work: How Tax Systems Influence Choice of Employment Formation », Documents de travail de l'OCDE sur la fiscalité, n° 42, Éditions OCDE, Paris https://doi.org/https://doi.org/10.1787/6b20cce5-en.