Préface

C’est avec plaisir que je recommande à tous la lecture du présent ouvrage, mais je tiens d’emblée à souligner l’ambiguïté que peut faire naître son titre même. Présenter les nouveaux Objectifs de développement durable comme des « opportunités d’investissement » pour ceux qui recherchent le profit pourrait être interprété par certains lecteurs comme un encouragement à l’exploitation, au service d’intérêts personnels, de très graves problèmes de portée planétaire. Aucun de ceux qui participent à ce projet ne souhaite encourager une quelconque exploitation ; l’ambiguïté est inhérente, non seulement au titre de l’ouvrage, mais plus largement, à l’enthousiasme que suscitent de plus en plus les solutions apportées par le secteur privé aux graves enjeux auxquels sont confrontés les pouvoirs publics. Il convient donc de lever immédiatement cette ambiguïté.

Personnellement, je me suis fixé comme principe de servir mon propre intérêt dans les affaires, et d’obéir à l’intérêt général lorsque j’agis en tant que philanthrope ou en tant que citoyen. Si mon intérêt personnel entre en conflit avec l’intérêt général, c’est ce dernier qui doit l’emporter, telle est ma conviction. C’est pourquoi je n’hésite pas à plaider en faveur de politiques en contradiction avec mes intérêts d’homme d’affaires.

Les Objectifs de développement durable (ODD) sont l’incarnation d’une articulation inédite de « l’intérêt général » à l’échelle de la planète pour toutes les populations du monde. En tant que tels, ils nous contraignent à nous poser des questions délicates sur notre manière de faire des affaires. Certes, on décompte d’innombrables opportunités économiques qui peuvent servir les intérêts de milliers de chefs d’entreprise ou d’investisseurs, tout en faisant avancer la réalisation des ODD. De la même manière, les ODD nous aident à identifier où se situent les opportunités de mieux réguler et contenir la recherche du profit personnel au moyen de politiques publiques, d’accords internationaux ou encore de normes rigoureuses imposées aux entreprises. En résumé, l’articulation de l’intérêt général dans les ODD peut révéler les cas où les intérêts personnels vont dans le sens du bien collectif et les cas où ils vont à leur encontre. Ce qu’il faut faire, c’est encourager les entreprises privées à exercer leur activité là où il y cohérence entre les deux, et assurer une meilleure régulation là où ces intérêts sont en conflit.

Ce sont de véritables « opportunités économiques » qu’offrent les ODD. Nous sommes invités à répondre à la question suivante : comment ceux qui font des affaires, investisseurs, chefs d’entreprise ou directeurs de société, peuvent-ils contribuer à la réalisation de ces objectifs ? Nous avons tous besoin d’économies stables et en bonne santé, de sociétés justes et bien gouvernées, de chaînes de valeur commerciales bien réglementées, d’une atténuation du changement climatique, de paix dans le monde et de respect des droits de l’homme. Cet ouvrage étudie en quoi le secteur privé peut être un acteur puissant au service de la réalisation de ces objectifs communs, mais également les champs d’action où il doit se restreindre. À cet égard, le bien public doit être à la fois le facteur de contrainte, limitant la marge de manœuvre de ceux qui ont vocation à agir dans leur propre intérêt, et la finalité, pour ceux qui agissent dans l’intérêt de la collectivité. Dans cet effort, il faut non seulement se prémunir contre le fléau de la corruption, mais également contre les dangers de l’exploitation. Nous devons non seulement chercher à faire plus de bien, mais aussi nous demander comment éviter de nuire.

Compte tenu de l’ampleur des problèmes auxquels le monde doit faire face, et le niveau sans précédent des inégalités dans le monde, ces questions non seulement sont importantes, mais elles revêtent un caractère d’urgence. Les entreprises ont leur rôle à jouer. Les pouvoirs publics et les institutions multilatérales, qui administrent les ressources en notre nom à tous, ont également leur rôle à jouer. Les instances de régulation, aux niveaux local, national et international, ont, elles aussi, leur rôle à jouer. Collectivement, nous pouvons mobiliser des ressources financières d’ampleur inégalée pour mettre en œuvre un large éventail d’efforts de développement. Pour autant, un progrès durable à l’échelle mondiale ne saurait être atteint par de seuls moyens monétaires ou par l’investissement. Il est vital que les capacités des individus, mais aussi des institutions de la société civile, soient renforcées afin que les uns et les autres puissent jouer un rôle dynamique au service d’une telle transformation, notamment au service de la régulation avisée de l’activité des entreprises.

J’encourage tous ceux qui s’intéressent au développement ou aux affaires à lire ce rapport et à mesurer toute l’importance des défis, et des opportunités, qui y sont présentés.

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George Soros