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Pourquoi les offices statistiques devraient embaucher des humoristes

Écrit par : Vincent F. Hendricks, Professor, Director of the Center for Information and Bubble Studies, University of Copenhagen
Dernière mise à jour : 29 juillet 2019

OCDE

Saviez-vous que chaque année, aux États-Unis, près de 730 personnes meurent en tombant de leur lit, tandis que seulement neuf sont tuées par des djihadistes ? Quelle cause de décès, à votre avis, inquiète le plus les Américains ?

De son vivant, le statisticien Hans Rosling affirmait que nous étions victimes d’un « instinct de la peur » qui expliquait pourquoi les choses qui nous terrifiaient le plus étaient davantage susceptibles d’attirer notre attention. Pensez, par exemple, à la fréquence à laquelle les responsables politiques de tous bords s’appuient sur nos peurs afin de retourner l’opinion publique contre l’immigration.

À l’heure où un clic de souris suffit pour répandre de fausses informations dans les médias sociaux, la multiplication des récits sur les dangers de la vaccination, sur le prétendu mythe du changement climatique et autres thèses platistes a fragilisé le lien entre perception de la réalité, vérité objective et statistiques officielles. Sur les réseaux sociaux, les groupes deviennent la caisse de résonance d’affirmations dont la crédibilité dépend du nombre de fois où elles sont répétées. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, le fait d’être entouré de personnes qui partagent les mêmes opinions contribue à renforcer l’affect.

La raison en est peut-être que les spécialistes ne savent toujours pas comment expliquer leurs résultats d’une manière convaincante et compréhensible, en écho aux sentiments et aux préoccupations de la population. Dans une société polarisée, le danger vient du mauvais usage que les populistes font des appréciations des experts concernant les critères et cadres de mesure en jetant le discrédit sur les statisticiens, qu’ils qualifient de partiaux et d’incapables de comprendre la « vraie vie ». Tout cela vient remettre en cause la démocratie et des institutions publiques.

Comment les statisticiens peuvent-ils y remédier ? Rappelons tout d’abord ce qu’ils font. Les offices statistiques officiels ont pour mission de produire des informations dignes de foi sur l’ensemble de la société conformément aux Principes fondamentaux de la statistique officielle. Ces informations doivent s’appuyer sur des données et des méthodologies fiables tout en favorisant une réflexion, prise de décisions et action éclairées. Dans un monde idéal, les statisticiens seraient parfaitement objectifs et dénués d’émotions. En effet, leur rôle consiste à recueillir des données et à les analyser, et non à émettre des avis sur les informations recueillies.

Écouter, être attentif…

Les statisticiens doivent percevoir comment les faits qu’ils exposent sont sujets à des interprétations diverses. En dialoguant avec les utilisateurs et en écoutant leurs arguments, ils pourraient revoir plus efficacement leurs propres données à la lumière de situations nouvelles. Ainsi, il n’y aurait plus lieu de les accuser d’œuvrer dans une tour d’ivoire et ils regagneraient la confiance voulue pour travailler efficacement.

Il leur faut donc se focaliser sur l’utilisateur au lieu de débiter des chiffres qui empêchent les citoyens de saisir la provenance des données, leur utilité ou l’usage que leur réservent les autorités. L’exploitation de nouveaux canaux et de nouvelles formes de diffusion des données sera déterminante à cet égard. En témoignent les efforts que l’office statistique national du Royaume-Uni a récemment déployés pour rendre plus cohérents et comparables les chiffres de la planification du logement, grâce à l’établissement de liens entre les différents groupes.

TUne chance formidable s’offre à la communauté statistique de faire équipe avec la société civile, au niveau local pour traiter de questions qui préoccupent l’opinion : transports publics, installations sportives, éducation et autres domaines en lien avec le service public. Il s’agit de rendre les citoyens capables d’utiliser les données et les statistiques de manière responsable. Pourquoi pas en proposant une formation en statistique à la société civile et aux médias ? Statistique Canada fournit dès à présent un outil qui permet d’améliorer la qualité des données générées par les citoyens eux-mêmes. Aux Pays-Bas, l’office statistique national s’emploie désormais à diffuser les données produites auprès des utilisateurs, notamment par l’intermédiaire de son studio de télévision. Il faut plus d’initiatives de cette nature, et d’autres encore qui permettent aux statisticiens de rester à l’écoute des préoccupations et aspirations des citoyens.

… et sourire !

Réagir aux émotions des autres est un autre élément clé de la solution.

Il ne s’agit pas de s’emporter – l’attaque est le plus sûr moyen de renforcer les préjugés – mais plutôt de recourir à l’humour.

À la télévision, les émissions politiques satiriques comme le Daily Show américain, présenté par Trevor Noah, et Last Week Tonight, avec John Oliver, attirent des millions de téléspectateurs. Afin de se rapprocher de leurs électeurs, les hommes politiques font de fréquentes apparitions dans les émissions humoristiques populaires et les talk-shows. De célèbres youtubeurs, comme Cyprien en France et Charges au Brésil, manient eux aussi l’humour pour commenter les questions d’actualité. Comme dans les émissions télévisées, ils exposent les informations dans un format accrocheur, qui séduit un public varié. Il n’est donc guère étonnant qu’ils soient devenus l’une des principales sources d’information politique des « milléniaux ». Les offices de statistique pourraient-ils s’en inspirer ? Mieux : pourraient-ils participer au phénomène ?

S’ils parlaient des statistiques sur un ton léger et drôle, davantage de monde s’intéresserait à la manière dont elles sont établies et utilisées ; et les statisticiens seraient associés au débat public. En cassant les mythes et les préjugés, l’humour peut aider à stopper la prolifération d’informations qui prêtent à confusion ou donnent une image déformée de la réalité.

Il ne faut pas prendre la vérité à la légère. Alors, pourquoi ne pas passer par l’humour pour faire connaître la vérité dans l’intérêt de la science et de la société ?

Références

Durand, M. (2016), « Les chiffres comptent autant que les sentiments », Annuel de l’OCDE 2017, Éditions OCDE, Paris, http://www.oecd.org/fr/forum/annuel-ocde/les-chiffres-comptent-autant-que-les-sentiments.htm http://www.oecd.org/fr/forum/annuel-ocde/les-chiffres-comptent-autant-que-les-sentiments.htm

Hendricks, V. (2017), « Comment empêcher l’avènement de la démocratie post-factuelle ? », Annuel de l’OCDE 2015, Éditions de l’OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/forum/annuel-ocde/comment-empecher-l-avenement-de-la-democratie-post-factuelle.htm https://www.oecd.org/fr/forum/annuel-ocde/comment-empecher-l-avenement-de-la-democratie-post-factuelle.htm

Jutting, J. (2013), « Mesurer les objectifs pour le développement », L’Observateur de l’OCDE, Éditions OCDE, Paris, http://observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/3471/Mesurer_les_objectifs_pour_le_d_E9veloppement.html http://observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/3471/Mesurer_les_objectifs_pour_le_d_E9veloppement.html

Sutherland, P. (2015), « Reconnaître la valeur réelle des migrations », Annuel de l’OCDE 2015, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/developpement/reconnaitre-valeur-reelle-migrations.htm https://www.oecd.org/fr/developpement/reconnaitre-valeur-reelle-migrations.htm

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