Résumé

Le Maroc est un pays d’émigration nette depuis au moins son indépendance, en 1956 ; les émigrés représentaient environ 8% de la population au Maroc en 2015. Les transferts de fonds, qui représentent une partie importante de l’économie marocaine (environ 7% du produit intérieur brut), ont augmenté à mesure que la taille de la diaspora augmentait. Compte tenu de l’importance de ces flux, le Gouvernement marocain a, au fil du temps, mis en place des politiques et des institutions novatrices destinées à tirer parti des migrations pour développer le pays. Cependant, faute de données suffisantes, il demeure difficile d’apporter des réponses politiques éclairées et cohérentes sur la question des migrations dans le pays. Le projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) au Maroc – géré par le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et cofinancé par l’Union européenne – a vocation à appuyer la prise de décisions au Maroc. Il s’efforce plus particulièrement de déterminer :

  1. Comment les migrations, dans leurs multiples dimensions, influent sur divers secteurs clés pour le développement, notamment le marché de l’emploi, l’agriculture, l’éducation, ainsi que l’investissement et les services financiers.

  2. Comment les politiques publiques menées dans ces secteurs renforcent ou affaiblissent l’impact des migrations en termes de développement.

Ce rapport synthétise les conclusions et les principales recommandations politiques découlant des recherches empiriques menées entre 2013 et 2017 en collaboration avec Thalys Conseil S.A.R.L. et le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration (MCMREAM). Les données sont tirées d’une étude conduite auprès de 2 231 ménages, d’entretiens menés avec 25 autorités locales sur leur communauté, ainsi que de 30 entretiens approfondis avec les parties prenantes au Maroc. Une solide analyse statistique, reflétant le contexte politique, économique et social au Maroc, éclaircit la relation complexe entre les migrations et les politiques sectorielles.

Le contexte politique au Maroc, déterminant essentiel de l’influence des migrations sur le développement

Le cadre offert par le Maroc est unique : le pays bénéficie en effet d’importants flux migratoires, tant en termes d’émigration (essentiellement vers des pays européens) que, plus récemment, de migration de retour. Les différentes dimensions de la migration – l’émigration, les transferts de fonds et la migration de retour – ont toutes des effets positifs et négatifs sur des secteurs clés au Maroc. De même, les politiques sectorielles ont des répercussions indirectes et parfois inattendues sur les résultats migratoires et leurs liens avec le développement. Comprendre ces impacts est essentiel pour l’élaboration de politiques cohérentes.

Les agences nationales pour l’emploi et les programmes de formation professionnelle sont trop rarement utilisés pour avoir un effet sur l’émigration

L’émigration peut être freinée en fournissant les moyens aux chercheurs d’emploi de trouver un emploi ou d’améliorer leurs compétences. Malgré les efforts déployés par le gouvernement pour améliorer l’efficacité du marché du travail par le biais d’institutions telles que l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (Anapec), les enquêtes IPPMD considèrent l’utilisation de ces programmes par les Marocains limitée. Moins de 1 % des Marocains (employés dans les secteurs public et privé) de l’échantillon IPPMD ont trouvé des emplois par le biais d’agences gouvernementales d’emploi. L’enquête IPPMD a également révélé que très peu de personnes actives interrogées avaient participé à un programme de formation professionnelle dans les cinq années précédant l’enquête. Parmi les dix pays partenaires du projet IPPMD, le Maroc a eu la plus faible part de personnes qui ont participé à de tels programmes.

Les ménages bénéficiant de subventions agricoles sont moins susceptibles de compter un membre ayant un projet d’émigration

Les ménages au Maroc recevant des transferts de fonds de migrants ont davantage tendance à engager des dépenses dans le secteur agricole et à dépenser plus que les ménages ne recevant pas de transferts de fonds, ce qui aide le pays à atteindre ses objectifs stratégiques pour le secteur. Par contre, ce n’est pas le cas pour les ménages ayant un migrant de retour. De plus, les politiques publiques semblent aider à freiner l’émigration. Les ménages agricoles bénéficiant de subventions agricoles étaient statistiquement moins susceptibles de compter un membre qui envisageait d’émigrer et moins susceptibles de compter un émigré actuel (l’effet sur l’émigration actuelle est cependant moins puissant) que ceux qui ne bénéficient pas de subventions, ce qui suggère que les subventions agricoles peuvent réduire le besoin d’émigrer en permettant aux ménages de surmonter les difficultés financières qui auraient pu les pousser à émigrer. En effet, il semblerait que les subventions réduisent l’émigration dans les pays IPPMD où l’agriculture joue un rôle plus faible dans l’économie, bien qu’au Maroc cet effet semble concerner la réduction des projets d’émigration, et pas nécessairement à la réduction de l’émigration réelle.

Les bourses scolaires sont aussi liées à une probabilité plus faible de compter un émigré dans le ménage

Les résultats ne montrent pas que les migrations contribuent à l’amélioration du niveau de scolarité, puisque les enfants des ménages recevant des transferts de fonds ou ayant un migrant de retour n’ont pas plus de chances d’aller à l’école. Par contre, les ménages bénéficiant d’une bourse sont moins susceptibles de compter un émigré. Les résultats montrent en effet que recevoir une bourse est négativement lié au fait de compter un émigré dans le ménage. Cela peut indiquer que des programmes de soutien, tels que ces bourses d’études, pourraient dissuader la migration. En outre, les Marocains retournent souvent dans leur pays d’origine ayant acquis une éducation à l’étranger, ce qui peut être une forme de capital pouvant être mobilisée pour des objectifs de développement. Le taux auquel le retour des migrants ont acquis des études à l’étranger au Maroc est le deuxième plus élevé dans les pays IPPMD.

Les ménages ayant des comptes bancaires sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds

La propriété d’entreprises est supérieure parmi les ménages ne recevant pas de transferts de fonds et sans migrants de retour, ce qui met en évidence un potentiel d’investissement qui n’est pas entièrement exploité par le Maroc. L’accès au secteur financier formel peut faciliter l’envoi et la réception de montants plus élevés de transferts de fonds, notamment par des voies formelles. Les données IPPMD montrent que les ménages ayant un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds que les ménages sans compte bancaire. Les ménages ayant un compte bancaire reçoivent également des montants plus élevés de transferts de fonds. Cela a été vérifié dans la plupart des pays partenaires de l’IPPMD, confirmant l’importance de l’inclusion financière et d’un système bancaire bien développé pour accroître l’impact des transferts de fonds.

La voie à suivre : Intégrer les migrations dans les stratégies de développement nationales et sectorielles

Les migrations peuvent être bénéfiques pour le développement économique et social du Maroc, mais leur potentiel n’est pas pleinement exploité. Plusieurs ministères ont des rôles spécifiques en matière de gestion des migrations, et le gouvernement a pris des mesures concrètes pour adopter une vision des migrations plus large, mais la gestion des migrations peut être renforcée avec plus de coordination. Par ailleurs, la portée des migrations peut encore être étendue et approfondie en prenant en considération les interactions entre politiques publiques et migrations dans divers domaines politiques. De plus, un cadre politique plus cohérent entre les ministères et les différents niveaux du gouvernement pourrait permettre de tirer le meilleur parti des migrations et d’éviter les programmes contradictoires. La conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques sectorielles pertinentes en matière de développement doivent tenir compte des migrations. À titre d’exemple :

  • Les programmes de formation professionnelle et les agences nationales pour l’emploi pourraient être répandus afin de mieux cibler la demande, améliorer leur adéquation avec l’offre et ainsi réduire les flux d’émigration.

  • Des programmes d’orientation pour les migrants de retour pourraient être mis en place afin de faciliter leurs investissements dans le secteur agricole.

  • Des programmes de soutien à l’éducation pourraient être développés dans les régions où les taux d’émigration sont élevés, afin de s’assurer que les jeunes restent à l’école.

  • Le démarrage d’entreprises créées à partir des migrations pourrait être soutenu en fournissant des prêts aux petites entreprises et en offrant des formations en gestion d’entreprise.

Toutes ces initiatives pourraient intervenir dans le contexte des discussions autour d’une éventuelle stratégie migratoire nationale, en instituant une révision des stratégies sectorielles auprès de chaque ministère compétent. Plus concrètement, les autorités chargées de la gestion des migrations elles-mêmes devraient prendre part aux discussions en cours sur la conception des stratégies nationales touchant, par exemple, aux domaines de l’emploi (Stratégie nationale pour l’emploi), du développement agricole (Plan Maroc vert), de l’enseignement et de la formation professionnelle (Vision stratégique de la réforme) et des services financiers (Plan d’accélération industrielle et Plan Rawaj).