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Architecture finlandaise : une communion avec la nature

Écrit par : Ruairí O’Brien, Architecte
Dernière mise à jour : 2 mars 2020

Premier magasin Artek d’Helsinki, 1936. Photographie spécialement mise à la disposition de l’Observateur de l’OCDE par Artek.

La Finlande est, pour les designers, les architectes et les artistes, une contrée, une nation, une culture réputée pour son architecture et son design de grande qualité. En tête de peloton dans les enquêtes sur le bonheur et l’éducation, elle produit des icônes du sport combatives, et des biens de haute technologie et des jeux vidéo de renommée mondiale. C’est aussi un pays marqué par une incidence relativement élevée des maladies mentales, qui s’efforce de faire baisser son taux de suicide. Une terre faite d’extrêmes, d’émotions, de talents et d’attentes très variés.

Quelle est la recette du succès de ce petit pays ? Son peuple, avec ses habitudes et ses coutumes locales, exprime souvent une lutte existentielle avec son environnement naturel natal. En Finlande, le froid extrême et l’obscurité de l’hiver, les longues journées d’été où le soleil ne se couche jamais, l’eau froide des lacs profonds, la beauté secrète des forêts, sont autant d’éléments forts qui façonnent l’âme et le caractère. La réussite de la Finlande dans le monde du design est-elle liée aux interventions de ces puissances poétiques ? Ou à la force de caractère instinctive des Finlandais, le sisu, qui trouve son origine dans les vastes étendues désertes et un éloignement salutaire des métropoles européennes très animées ?

Au cours de mes visites en Finlande, à Helsinki, Turku, Tampere et Vaasa, j’ai ressenti la confiance humble et réservée de ce peuple admirable. Prendre un café, mon passe-temps instructif préféré, m’a permis de varier le cadre de mes recherches et moments de réflexion à mesure que je me familiarisais avec ce pays si spécial. Grâce à mon métier de designer, j’ai l’habitude de repérer les espaces où, de la manière la plus simple possible, l’harmonie et l’équilibre s’expriment dans l’interaction d’éléments isolés, comme pour composer un tout. Rien de superflu dans les lieux qui parviennent à ce niveau de cohérence. Ces espaces ont recours à un langage simple et compréhensible, sans redondance dans leur composition : les arbres feuillent en été, l’eau devient glace en hiver, le bois revêt des tons naturels de préférence, la luminosité prend des tons chauds, les tasses sont épurées et dépourvues de fioritures. Le travail de l’homme et celui de la nature ne font qu’un.

Alvar Aalto, architecte finlandais du siècle dernier et l’un des derniers membres du mouvement moderne, qui rassemble Le Corbusier et Walter Gropius, fondateur du Bauhaus, est un personnage inspirant. Je le cite souvent dans mes cours pour illustrer l’importance de la pensée holistique à une génération submergée par l’illusion de la spécialisation et de la réalité virtuelle.

Aalto et sa femme, Aino (architecte qu’il a rencontrée en 1924), ont travaillé en équipe sur différents projets. En 1935, ils ont créé une entreprise spécialisée dans l’ameublement et les luminaires (www.artek.fi). Ils croyaient à la pensée holistique, à l’art et à la technique, au petit et à l’immense. Ils pensaient que la conception d’une maison devait se faire « du seuil au séjour.

Aalto et Aino croyaient en l’importance sociale de leur profession et ont créé des produits simples et inspirants, susceptibles de plaire aux non-initiés. Ils travaillaient à toutes les échelles, en concevant aussi bien des meubles que de grands bâtiments publics. Pour eux, les meubles n’étaient pas que de simples produits à commercialiser mais constituaient un domaine du design où l’échelle et les besoins humains pouvaient être exprimés en communion avec des matériaux naturels. En limitant autant que possible le gaspillage de ces matériaux, Aalto a cherché à courber du bois afin de former une entité structurelle naturelle où pourrait s’asseoir un être humain. Cet exercice de microarchitecture nous offre à voir comment les hommes peuvent apprivoiser la nature afin d’exprimer leur communion avec l’environnement. L’architecture d’Aalto est une extension, voire une réinterprétation, de la nature qui nous entoure. Dans son travail, la recherche d’une symbiose entre les êtres humains, la nature et la technique est manifeste.

Aalto, penseur et concepteur d’espaces empreint de raison et de pragmatisme, n’hésitait pas à convoquer les pouvoirs symboliques et mythologiques de l’esprit national finlandais. Pour son célèbre pavillon de la Finlande à l’occasion de l’Exposition universelle de 1939, à New-York, Aalto a construit un mur de bois incliné et courbe. Ce dernier exposait des images de son pays et évoquait une forêt finlandaise au moyen d’une ligne ondulante s’opposant à la ligne orthogonale du bâtiment qui l’abritait. C’est le langage d’Aalto : simple et complexe, tendre et dur. Peut-être est-ce aussi celui de la Finlande.

Vase conçu par Aalto
Vase conçu par Aalto

Un autre objet très prisé conçu par Aalto est le vase en verre qu’il a créé en 1936, qui utilise la ligne dont l’architecte se servira plus tard pour concevoir son pavillon finlandais. Cette ondulation capture un mouvement, pareil à celui du vent qui ride l’eau des lacs et modifie l’aspect d’une forêt au soleil. On peut aussi observer de telles lignes dans la structure de la roche fendue ou dans la fibre d’un arbre coupé. Dans les petits objets comme dans les grandes constructions, Aalto prouve que, pour tous ceux qui la cherchent, la complexité de la vie se cache derrière sa simplicité. Je l’ai compris dans les cafés, assis sur les tabourets conçus par Aalto, qui s’inscrivent dans ce vaste langage finlandais.

Architecte installé en Allemagne, Ruairí O’Brien a travaillé en Finlande. Il enseigne actuellement au Caire.

Voir également « Une architecture radieuse », dans l’Observateur de l’OCDE n°298, T1 2014, ou sur http://observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/3605/Une_architecture_radieuse.html

Cet article fait partie d’une série consacrée à la célébration du 50e anniversaire de l’adhésion de la Finlande à l’OCDE : www.oecdobserver.org/finland50oecd

©L’Observateur de l’OCDE 317-318, T1-T2, juin 2019

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