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Cinq choses à savoir sur les inégalités régionales et les solutions possibles

Écrit par : Lamia Kamal-Chaoui, Directeur du Centre pour l’entrepreneuriat, les PME, le développement local et le tourisme, OCDE
Dernière mise à jour : 27 mars 2019

©OECD/Andrew Wheeler

Entre le mécontentement populaire, les manifestations et les appels à un retour au protectionnisme, parcourir les gros titres ne laisse pas de place au doute : trop de citoyens se sentent laissés pour compte ou tout simplement exclus. Les crises économiques et sociales ont renforcé ce sentiment et ces fractures sont perceptibles dans nos régions. Nous aurions dû prévoir qu’en nous focalisant sur les moyennes nationales, nous risquions de perdre de vue les besoins de bon nombre de collectivités. Les carences de nos politiques régionales et l’insuffisance des efforts consentis au niveau des territoires sont manifestes, et il n’est pas surprenant que la population perde patience. Toutefois, une analyse plus approfondie de ces fractures régionales montre qu’en redonnant un élan stratégique aux politiques de développement régional, notamment dans le contexte de la transformation numérique à l’œuvre, il est possible de transformer les handicaps géographiques d’aujourd’hui en opportunités de demain.

Les disparités économiques régionales sont inévitables.

L’activité économique est très concentrée, avec des poches localisées de dynamisme économique, situées dans des grandes villes comme dans des zones rurales reculées. Dans 20 des 34 pays de l’OCDE pour lesquels on dispose de données, on observe un écart du simple au double entre le PIB par habitant des régions figurant dans la tranche supérieure des 20 % (dont beaucoup comptent des grandes villes) et celui des régions de la tranche inférieure des 20 %. Seuls 15 pays de l’OCDE ont réduit cet écart depuis 2000. Ces disparités ont des effets déstabilisateurs et il est coûteux d’y remédier ; bon nombre de pays se sont fixé comme objectif politique d’éviter qu’elles ne deviennent ingérables.

Des inégalités qui ne se résument pas à une dichotomie urbain / rural

Dans les pays de l’OCDE, la majeure partie de la population vit dans une zone métropolitaine ou à proximité. En réalité, 70 % de la population se concentre dans des régions urbaines abritant des villes d’au moins 250 000 habitants, tandis que 12 % vit à une heure de route de ces mêmes villes. Les petites villes et zones rurales en périphérie bénéficient parfois de leur proximité avec une ville prospère. De plus, les zones rurales fournissent des ressources essentielles pour assurer le bon fonctionnement des villes et nourrir leurs habitants, et offrent aux citadins des espaces de détente et des possibilités d’évasion en pleine nature.

Mais force est de constater que toutes les villes ne sont pas prospères. Même si les grandes villes de l’OCDE ont connu une croissance de 13 % depuis 2000, près d’un quart des villes ont vu leur population décliner sur cette même période. Cette baisse concerne principalement les villes de taille moyenne et les anciennes villes industrielles. Certaines zones rurales s’en sortent bien, tandis que d’autres paient le prix fort, ce qui ne fait que renforcer le sentiment d’isolement en périphérie.

On observe par ailleurs, dans les villes, notamment les grandes villes, des clivages internes, qui s’imposent à une échelle moindre mais avec acuité. Les villes attirent des compétences situées aux deux extrémités de l’échelle salariale, des banquiers au salaire élevé comme des travailleurs du secteur des services faiblement rémunérés. Or ces compétences polarisent la population. Par ailleurs, l’intensification de la ségrégation résidentielle élargit la fracture territoriale entre les populations, et cette tendance est exacerbée par la croissance exponentielle du prix des logements dans bon nombre de villes.

La qualité de la vie est importante partout.

En définitive, l’objectif ultime des politiques publiques est de garantir le bien-être des citoyens sur l’ensemble du territoire. Ont-ils un emploi de qualité ? Leurs trajets quotidiens sont-ils agréables et financièrement abordables ? Ont-ils les moyens de vivre dans un logement convenable ou de payer des services tels que la garde d’enfant, une bonne école ou des soins à l’hôpital ? L’air qu’ils respirent est-il sain ? Les disparités régionales accentuent souvent les différences nées des écarts de revenu des ménages, d’où la nécessité pour les décideurs de redoubler d’efforts pour les réduire. Certes, les actions territorialisées peuvent être coûteuses mais dans certains cas, il s’agit juste d’agir plus efficacement. De plus, le coût de l’inaction peut être encore plus élevé, tant pour le budget public que pour la cohésion sociale et le bien-être de la société.

L’accroissement continu des écarts de productivité est un signe inquiétant.

Les politiques territorialisées peuvent également servir de levier de productivité. Dans les faits, les écarts de productivité régionaux suscitent des tensions lorsqu’ils se creusent pendant de longues périodes. Dans 14 pays de l’OCDE, la croissance de la productivité nationale est concentrée depuis 15 ans dans la métropole de la grande ville, dans une dynamique du « tout au gagnant ». Résultat : cette situation perpétue la concentration de l’activité économique, et d’autres régions se trouvent à leur tour laissées pour compte, voire exclues.

Néanmoins, quelques pays ont vu leurs écarts de productivité régionaux se réduire. Dans certains cas, ce phénomène s’explique par l’essoufflement de la grande ville. Heureusement, dans huit pays de l’OCDE, les régions en difficulté sont bel et bien en train de rattraper leur retard.

Technological change, ageing and the future of work could widen divides.

Dans certaines régions, 39 % des emplois sont aujourd’hui fortement menacés par l’automatisation. D’autres régions y sont moins exposées, mais toutes doivent mettre en place des politiques adaptées pour faire face aux changements. L’autre mégatendance qu’il faut anticiper, c’est le vieillissement de la population, puisque dans la moitié des régions de l’OCDE, 30 % de la population est déjà âgée de plus de 65 ans.

Ces régions sont donc à un carrefour décisif. Selon la publication Perspectives régionales de l'OCDE : Mettre à profit les mégatendances dans les régions, les ville et les zones rurales, il s’agit de déterminer si les grandes villes vont rafler toute la mise ou s’il existe des chances à saisir pour redynamiser les villes moyennes et les zones rurales. Alors que les flux de capitaux et d’investissements privilégient les villes les plus prospères, comment l’action publique peut-elle rééquilibrer la balance de sorte que la réussite de ces villes fortes irrigue l’arrière-pays et les villes plus petites. L’avènement des véhicules autonomes, de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle serait-il susceptible de contribuer à la réduction des coûts liés à la distance ou d’améliorer la prestation de services ? Va-t-il au contraire accélérer le mouvement de concentration vers les grandes villes ? Pour trouver le juste équilibre, il faut adopter des politiques publiques efficaces..

Quelles solutions ?

Tout d’abord, il faut investir de façon stratégique, à l’aide de politiques territorialisées judicieuses. Pendant trop longtemps, l’action publique ciblait des résultats nationaux, et lorsqu’elle s’intéressait à des problématiques locales, ce n’était que par le biais de subventions compensatoires et de programmes en faveur des zones les plus défavorisées. Désormais, les politiques de développement régional s’attachent à la valorisation des atouts et des connaissances au niveau local et à la mise en œuvre de stratégies d’investissement ayant l’amélioration du bien-être en ligne de mire. De toute évidence, si les régions ne possèdent pas les éléments essentiels (accès à internet haut-débit et main d’œuvre bénéficiant des qualifications adaptées), elles ne seront pas en mesure de saisir les opportunités futures.

Ensuite, il faut imposer la compatibilité des politiques nationales avec une application territorialisée. Cet aspect est indispensable pour faire en sorte que les grandes orientations nationales (en matière de services de santé et d’éducation, par exemple) s’adaptent avec souplesse aux besoins des habitants des villes comme à ceux des habitants des zones rurales. On peut aussi envisager de concevoir les politiques d’innovation visant la recherche avancée de façon à ce qu’elle draine aussi de l’activité au-delà des grands pôles technologiques.

De plus, les administrations nationales et locales doivent travailler en partenariat. La main droite doit savoir ce que fait la main gauche. Au sein de l’OCDE, on compte 36 gouvernements nationaux, mais aussi près de 137 000 autorités publiques régionales et locales élues, qui sont responsables de 57 % de l’investissement public et de 40 % des dépenses publiques. Nombre d’investissements et de réglementations contradictoires entraînent un gaspillage de ressources alors que bien des projets isolés pourraient bénéficier de ces opportunités stratégiques. Ces multiples strates sont qualifiées en France de « mille-feuilles administratif », et, comme dans la pâtisserie du même nom, cet enchevêtrement peut être compliqué.La Recommandation de l’OCDE sur l’investissement public efficace entre niveaux de gouvernement et le nouveau rapport intitulé Réussir la décentralisation : Manuel à l’intention des décideurs proposent des solutions afin que les pays évitent ces écueils.

Enfin, il faut que les administrations et responsables locaux continuent d’être le moteur des collectivités prospères, car aucune politique nationale ne peut se substituer à des initiatives locales ou à un maire énergique. Des responsables compétents et déterminés apportent des idées nouvelles adaptées à une collectivité donnée, qu’ils siègent au conseil municipal d’une grande ville ou d’une petite ville rurale. Néanmoins, ils ont besoin d’outils afin de travailler efficacement et il incombe aux décideurs à l’échelle nationale de les leur procurer. En outre, les autorités locales ne doivent pas perdre de vue le fait que leurs actions locales s’inscrivent dans un cadre mondial. De ce fait, il est nécessaire que les responsables locaux échangent entre eux au sein d’un même pays comme avec leurs homologues à l’étranger, à la recherche de conseils et d’inspiration. L’OCDE a un rôle à jouer à cet égard en sa qualité d’enceinte de collecte et partage de données, de dialogue stratégique et d’apprentissage par-delà les frontières nationales, notamment dans le cadre de l’initiative des Maires champions de l'OCDE.

En multipliant les échanges et en travaillant ensemble, les décideurs locaux peuvent aider leur région et ses habitants à s’impliquer plus activement et à sortir de l’isolement. Des principes au cœur même de toute politique territorialisée.

©Observateur de l'OCDE Mars 2019

Références

OCDE (2019), Perspectives régionales de l'OCDE 2019 : Mettre à profit les mégatendances dans les régions, les villes et les zones rurales (en anglais), Éditions OCDE, Paris https://doi.org/ https://doi.org/10.1787/9789264312838-en

OCDE (2019), Réussir la décentralisation : Manuel à l’intention des décideurs, Études de l’OCDE sur la gouvernance multi-niveaux, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/https://doi.org/10.1787/g2g9faa7-en

OCDE (2018), Panorama des régions et des villes de l'OCDE 2018, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/https://doi.org/10.1787/reg_cit_glance-2018-en

OCDE (2018), Création d'emplois et développement économique local 2018, Éditions OCDE, Paris https://doi.org/https://doi.org/10.1787/9789264305342-en

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