Éditorial Retrouver une croissance saine : agir au service d’une productivité plus forte et plus inclusive

Un redressement de la croissance mondiale reste difficile à obtenir, près de huit ans après le déclenchement de la crise financière. La reprise est toujours léthargique dans les économies avancées, en particulier dans la zone euro et au Japon, et la croissance s’est ralentie dans les économies de marché émergentes. Le commerce international et l’investissement demeurent moroses, tandis que la progression de l’emploi et la croissance des salaires ont été décevantes. Les marchés de capitaux sont de plus en plus volatils, à l’heure où les flux financiers sont déterminés à la fois par une quête de rendement et de sécurité. Pour retrouver une croissance vigoureuse et inclusive, les pouvoirs publics doivent agir de toute urgence, en mobilisant de façon simultanée les politiques monétaire, budgétaire et structurelles. D’un côté, des politiques de la demande ne permettront pas seules de revenir à une croissance durable, mais de l’autre, des mesures destinées à renforcer la concurrence et l’innovation, à stimuler la création d’emplois et à assainir les systèmes financiers afin qu’ils financent l’investissement ne porteront leurs fruits que si la demande est suffisante.

L’édition 2016 d’Objectif croissance souligne l’importance que revêtent les synergies entre politiques publiques dans le cadre de l’élaboration des trains de mesures. La cohérence des politiques publiques correspondant à un large éventail d’objectifs de réforme, liés par exemple à la concurrence sur les marchés de produits, à la mobilité des travailleurs et à la solidité des marchés de capitaux, est essentielle pour créer un environnement propice aux processus d’innovation et de redéploiement des ressources, indispensables pour inverser la tendance généralisée au ralentissement de la productivité et à la montée des inégalités.

La productivité – facteur essentiel de bien-être – est en perte de vitesse dans une grande majorité de pays, ce ralentissement remontant aux alentours de l’an 2000, à tout le moins dans les économies avancées. Cela peut s’expliquer en partie par des problèmes de mesure, mais ce ralentissement global tient à un ensemble commun de tendances inquiétantes : la dispersion des taux de croissance de la productivité entre entreprises d’un même secteur, le recul du taux d’investissement dans le capital intellectuel et la baisse du rythme des créations d’entreprises. Ces tendances découlent de problèmes inhérents au cadre fondamental de l’action publique – innovation et concurrence sur le marché des produits, institutions du marché du travail, structure et solidité du secteur financier – qui contribuent également aux évolutions défavorables observées en matière de distribution des revenus.

Lorsqu’ils s’attaquent aux défis de productivité et d’inclusivité, les gouvernements ne doivent pas perdre de vue les politiques publiques fondamentales sous-jacentes à ces évolutions et, partant, la nécessité de concevoir des trains de mesures cohérents. Considérons en premier lieu la réduction de l’écart de productivité entre entreprises, ce qui passe par une meilleure diffusion des innovations des entreprises de pointe vers celles qui sont à la traîne. Dans la mesure où les premières sont essentiellement des multinationales, l’intensité des relations transnationales fondées sur les échanges, l’investissement direct étranger (IDE), les chaînes de valeur mondiales et la mobilité de la main-d’œuvre qualifiée est cruciale pour la diffusion des connaissances et des technologies de ces entreprises mondialisées « situées à la frontière » vers les entreprises nationales.

Pour relancer le commerce international, il faut que les accords multilatéraux récemment conclus dans ce domaine soient résolument mis en œuvre, mais aussi que des efforts soient déployés pour réduire encore les obstacles prenant la forme de restrictions relatives aux prises de participations étrangères ou de traitements préférentiels accordés aux fournisseurs nationaux en matière de marchés publics, de fiscalité et de subventions. Dans plusieurs économies de marché émergentes – notamment au Brésil, en Inde et en Indonésie – il est nécessaire de s’attaquer aux obstacles qui entravent l’investissement dans les infrastructures, pour améliorer sensiblement les services de transport et de logistique qui étayent les échanges internationaux.

Il faut ensuite étudier les possibilités d’améliorer la diffusion des connaissances et de tirer le meilleur parti des nouvelles technologies, ce qui suppose que les entreprises à la traîne réalisent des investissements synergiques dans différentes formes de capital intellectuel, telles que la recherche-développement (R-D), les compétences et le savoir-faire organisationnel. Malgré la nécessité de relancer l’investissement en capital intellectuel, la fréquence des réformes des politiques d’innovation semble avoir régulièrement diminué ces dernières années, ainsi que l’indique ce rapport.

En outre, pour que les réformes engagées dans le domaine de l’innovation portent leurs fruits, il faut que toutes les conditions requises soient réunies afin d’inciter les entreprises à s’efforcer d’élaborer à moindre coût des produits nouveaux et de meilleure qualité. Une de ces conditions réside dans une concurrence vigoureuse sur les marchés de produits. De ce point de vue, le recul des créations d’entreprises dans les économies avancées pourrait constituer le signe d’une lente augmentation des obstacles à l’entrée sur le marché, y compris via le système financier, et donc d’un affaiblissement progressif de la concurrence.

Il est nécessaire de réexaminer la politique de la concurrence, le droit des faillites et la réglementation des marchés de produits pour faciliter les entrées et les sorties du marché, et garantir l’existence de conditions de concurrence équitables entre les nouvelles entreprises et celles qui sont en place. Comme nous le soulignons dans ce rapport, des réformes propices à la concurrence s’imposent tout particulièrement dans les services où subsistent des possibilités considérables à la fois en termes de création d’emplois et de gains de productivité. Cela vaut tout spécialement pour l’Allemagne, le Japon et la Corée, où l’écart de productivité entre les services et le secteur manufacturier est le plus important parmi les économies avancées, mais aussi pour la Chine, dont l’économie est engagée dans un processus difficile de rééquilibrage du secteur manufacturier vers les services.

L’intégration mondiale de plus en plus poussée des économies et la place grandissante prise par les formes immatérielles de capital soulignent l’importance d’une approche collective dans les domaines de l’application du droit de la concurrence, de l’harmonisation des réglementations, de la recherche fondamentale et de la fiscalité des capitaux mobiles. Parmi les réalisations majeures de 2015, on peut citer la conclusion d’un accord mondial sur une liste de mesures destinées à limiter les pratiques d’évasion fiscale des multinationales, fondé sur le Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) élaboré sous les auspices du Groupe des Vingt (G20) et de l’OCDE.

Au-delà du renforcement de la concurrence, les réformes des marchés de produits favorisent également le redéploiement des ressources des entreprises peu productives vers celles qui affichent une forte productivité. L’efficience de la répartition des ressources serait encore améliorée par des mesures visant à réduire les obstacles à la mobilité de la main-d’œuvre, notamment ceux qui sont liés aux marchés du logement. Cela dit, pour que le redéploiement des ressources soit vraiment un facteur de bien-être, il faut que les travailleurs soient mieux équipés et qu’ils se voient offrir de réelles possibilités d’adaptation de leurs compétences. Les programmes de formation pour adultes devraient donc être davantage axés sur la complémentarité entre compétences et progrès technologique, de manière à contribuer à réduire les problèmes d’inadéquation des compétences et à faciliter l’adaptation des individus à l’évolution rapide de la nature des tâches associées à des emplois spécifiques. Une meilleure adéquation entre les compétences et les emplois permet de renforcer la productivité et de réduire les inégalités.

Croissance soutenue et création d’emplois constituent les meilleurs moyens d’améliorer la distribution des revenus, dans la mesure où le poids des récessions économiques porte essentiellement sur les personnes à faible revenu et les individus peu qualifiés. Un des défis que doivent relever plusieurs économies avancées – en particulier celles qui sont confrontées à la persistance d’un chômage élevé, comme la France, l’Italie et l’Espagne – consiste à réorienter vers les individus une protection sociale axée sur des emplois spécifiques, de manière à mieux accompagner le processus de rotation des emplois et des entreprises sur lequel reposent les économies dynamiques en expansion. Des réformes dans ce domaine contribueront à améliorer les perspectives d’emploi des jeunes et des travailleurs peu qualifiés, qui sont très durement touchés par le chômage. Dans les économies émergentes, il faut renforcer la protection sociale pour faire reculer l’économie informelle et les inégalités, tout en stimulant la consommation intérieure.

Une croissance forte de l’emploi est essentielle pour garantir que les fruits de l’expansion économique profitent à tous les segments de la société, mais ce n’est pas une condition suffisante. Dans plusieurs pays, une part importante et grandissante des fruits de la croissance revient aux ménages à hauts revenus, tandis que les revenus des ménages situés au bas de l’échelle stagnent depuis de nombreuses années. Au Royaume-Uni et surtout aux États-Unis, des réformes permettant d’améliorer l’accès des jeunes issus de milieux défavorisés à un enseignement de qualité conjuguées à des mesures destinées à renforcer l’efficience et l’équité du système d’imposition, contribueraient à rendre la croissance plus inclusive. Dans certains pays, tels que l’Italie et la Corée, le revenu des ménages a augmenté moins vite que le PIB au cours des deux dernières décennies. Nous examinons dans le chapitre 3 les canaux via lesquels les revenus découlant du PIB sont transmis aux ménages.

Compte tenu de l’ampleur et de la nature évolutive des problèmes de croissance et d’inclusivité auxquels sont confrontées les économies avancées et émergentes, le ralentissement du rythme des réformes structurelles mis en évidence dans ce rapport est profondément préoccupant. Alors que les réformes devraient être accélérées pour pouvoir retrouver une croissance durable et équitable, leur rythme semble avoir régulièrement diminué depuis 2011-12. Certains pays ont certes accompli des efforts considérables, mais d’autres, nombreux, n’ont pris que des initiatives très limitées, et des pays ayant adopté des programmes de réformes ambitieux, comme l’Inde, le Japon et la Turquie, sont confrontés à des difficultés politiques considérables et à un risque d’essoufflement. Des progrès ont été accomplis en termes d’intensification des efforts de réformes conformément au plan d’action du G20, mais nombre de dispositions restent à mettre pleinement en œuvre.

Compte tenu de l’atonie de la demande, les trains de réformes structurelles visant à renforcer la productivité devraient également, lors de leur conception, être axés sur la maximisation des gains de croissance qui en découlent à court terme. Nous nous penchons dans le chapitre 2 de ce rapport sur diverses questions et données relatives aux effets des réformes engagées dans une conjoncture économique difficile, en examinant à la fois les résultats obtenus en termes de productivité et de distribution des revenus. Les stratégies de réforme qui mettent davantage l’accent sur une modification de la composition des dépenses publiques en faveur de l’investissement, sur les mesures destinées à faciliter l’entrée de nouvelles entreprises dans les services et sur la réduction des obstacles à la mobilité de la main-d’œuvre sont les plus susceptibles de stimuler l’activité à court terme, si elles sont étayées par des politiques de la demande et un secteur financier assaini. Des efforts de réforme plus énergiques de la part des pays de la zone euro, caractérisés par un ample excédent des paiements courants, contribueraient également à garantir que le redressement de la croissance observé aujourd’hui dans cette région du monde ne soit pas victime de divisions internes et de vents contraires d’origine extérieure. Tous les gouvernements contribuant collectivement aux efforts de réforme et au soutien de la demande améliorent les perspectives de retour à une productivité plus forte et à une croissance plus inclusive, tant dans leur propre pays qu’à l’échelle de l’économie mondiale.

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Catherine L. Mann

Chef économiste, OCDE