Éditorial

Le ralentissement des migrations internationales observé pendant la pandémie de COVID-19 s’est inversé en 2021, en raison d’une forte reprise de l’activité économique et de la réouverture des frontières, ainsi que de l’augmentation des besoins en main-d’œuvre et de la reprise du traitement des visas. L’année 2022 a été marquée par des flux encore plus importants, résultant de la guerre d’agression non provoquée de la Russie contre l’Ukraine. Au-delà de la tragédie humaine, cette guerre a déclenché une crise des réfugiés et une crise humanitaire d’une ampleur inégalée en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Près de cinq millions d’Ukrainiens ont fui vers l’UE et d’autres pays de l’OCDE, tandis que de nombreux autres ont été déplacés à l’intérieur de l’Ukraine.

Les pays de l’OCDE ont réagi fermement et rapidement à la crise des réfugiés ukrainiens, en apportant un soutien sans précédent aux millions de personnes en quête de protection venues de façon soudaine et inattendue. Les mesures prises par les pays de l’OCDE se sont appuyées sur les enseignements tirés d’expériences antérieures d’afflux massifs de réfugiés et ont été adaptées à cette nouvelle situation. Les pays ont coordonné leurs réponses, en établissant différents canaux de consultation et de collaboration pour gérer les flux d’informations entre les parties prenantes au sein des pays – entre les ministères, les municipalités et les organisations non gouvernementales – et au-delà des frontières, ce qui a permis une adaptation continue au fur et à mesure de l’évolution de la crise. Parallèlement, les gouvernements ont mis en œuvre des stratégies de communication efficaces et proactives pour informer les réfugiés et le grand public de leurs actions.

L’Union européenne, en activant pour la première fois de son histoire la directive sur la protection temporaire, a pu mobiliser rapidement des ressources pour gérer l’afflux dans l’UE et garantir la protection immédiate et les droits des personnes éligibles. Dès leur enregistrement, les bénéficiaires du statut de protection temporaire ont immédiatement obtenu un permis de séjour, et ont pu accéder à l’emploi, au logement, à la santé ainsi qu’à de nombreux autres droits. Les personnes de moins de 18 ans ont également eu accès à l’éducation. En dehors de l’UE, d’autres pays de l’OCDE ont également pris des mesures remarquables pour apporter un soutien immédiat aux réfugiés ukrainiens. Plusieurs pays, dont le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont lancé de nouveaux programmes et politiques migratoires pour accueillir les Ukrainiens fuyant la guerre. De nombreuses autres mesures exceptionnelles ont été prises, comme le souligne le chapitre 4 de ces Perspectives.

Aux côtés des gouvernements, des citoyens et des ONG se sont mobilisés dans de nombreux pays de l’OCDE pour apporter leur soutien aux réfugiés ukrainiens. L’élan positif de solidarité et la puissance de l’action de la société civile ont été largement reconnus et souvent soutenus par des initiatives publiques. Cela a permis aux pays d’agir nettement plus, avec les ressources disponibles. L’impact a été le plus visible en ce qui concerne l’accès au logement pour les nouveaux arrivants. De nombreux pays, dont la Pologne, se sont largement appuyés sur un réseau de bénévoles pour répondre à la demande d’hébergement.

Dans l’ensemble, les pays de l’OCDE ont bien géré la phase initiale de la crise, en s’inspirant largement des expériences précédentes. Cependant, nous entrons dans une nouvelle phase de la crise des réfugiés ukrainiens, déclenchée par l’agression à grande échelle de la Russie contre l’Ukraine. Nous espérons tous que les personnes qui ont fui l’Ukraine auront la possibilité de rentrer chez elles rapidement et en toute sécurité. Toutefois, compte tenu de la destruction du pays et des expériences traumatisantes des réfugiés, nous devons également penser aux personnes qui ne sont pas en mesure de rentrer chez elles ou qui souhaitent rester dans le pays d’accueil où elles ont commencé à reconstruire leur vie. Nous devons nous préparer à la possibilité que de nombreux réfugiés restent dans les pays de l’OCDE dans un avenir proche. Dans cette perspective, les pays doivent explorer des solutions à “double objectif” qui permettent aux réfugiés d’accéder rapidement à un soutien à l’intégration à grande échelle sans entraver un éventuel retour en Ukraine lorsque la situation le permettra.

Il est clair que l’investissement dans les compétences linguistiques des réfugiés est essentiel pour faciliter l’insertion des enfants ukrainiens dans les systèmes scolaires nationaux et assurer l’intégration de leurs parents sur le marché du travail. Il s’agit également d’un investissement destiné à favoriser les relations à plus long terme de l’Ukraine et de sa population avec l’UE et l’OCDE.

L’éducation jouera également un rôle clé. L’accès à l’enseignement public pour les enfants mineurs a été possible dans tous les pays de l’OCDE dès le début de la crise des réfugiés. Néanmoins, le début de l’année scolaire 2022-23 a vu beaucoup plus d’enfants ukrainiens entrer dans les systèmes éducatifs nationaux. Les pays d’accueil ont déployé d’importants efforts pour renforcer leurs capacités d’enseignement à temps, par exemple en recrutant des enseignants ukrainiens. En parallèle, de nombreuses nouvelles initiatives sont également mises en place par les établissements et par d’autres acteurs pour faciliter les possibilités d’apprentissage et le développement des compétences des adultes. L’éducation et la formation à tout âge constituent un important vecteur d’intégration, avec des retombées positives évidentes lorsque ces nouvelles compétences seront transférées en Ukraine pour reconstruire le pays.

Il convient également de reconnaître pleinement les compétences des Ukrainiens et de favoriser leur insertion rapide sur le marché du travail. La plupart des adultes déplacés d’Ukraine ont fait des études supérieures, ils sont donc bien placés pour trouver un emploi, surtout à un moment où des pénuries de main-d’œuvre et de compétences se profilent dans de nombreux secteurs (Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2022). L’un des aspects cruciaux que les pays d’accueil doivent aborder à cet égard est l’accès aux services de garde d’enfants, ce qui est particulièrement important étant donné que la plupart des adultes ukrainiens en âge de travailler sont des femmes avec enfants. Capitaliser sur les compétences des réfugiés ukrainiens stimulera non seulement l’économie des pays d’accueil, mais aidera également les réfugiés à devenir autonomes. Il est également impératif pour la reconstruction de l’Ukraine que les compétences des Ukrainiens ne soient pas négligées pendant leur déplacement forcé.

Différents obstacles à l’intégration subsistent toutefois. L’accès sur le long terme à un logement abordable est l’un d’entre eux. Obtenir un logement est une condition préalable pour que les réfugiés puissent retrouver une certaine stabilité dans leur vie, mais leur disponibilité est limitée dans de nombreux pays d’accueil, notamment en Europe. L’afflux rapide de réfugiés ukrainiens s’est produit dans un contexte déjà tendu, marqué notamment par l’insuffisance de l’offre de logements et la hausse des coûts. Des solutions doivent être trouvées rapidement, car les tensions sur le marché immobilier ne montrent aucun signe d’amélioration.

Il est important de reconnaître que de nouveaux flux migratoires, en provenance d’Ukraine ou d’autres régions du monde, pourraient être déclenchés par la guerre actuelle de la Russie contre l’Ukraine. Les premiers enseignements de la crise actuelle peuvent nous aider à nous préparer. Des réponses politiques unifiées et bien coordonnées entre les pays nous ont permis de réagir et de nous adapter rapidement à la première vague de réfugiés. L’expérience actuelle a également souligné l’importance de l’opinion publique et de son soutien lors des crises migratoires. Cela pose la question de savoir comment exploiter et maintenir au mieux ce niveau de solidarité à long terme, d’autant que les conséquences économiques indirectes de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine se font de plus en plus sentir dans les pays d’accueil. La capacité à maintenir le soutien de l’opinion publique dépendra, du moins en partie, de l’intégration rapide et réussie des réfugiés ukrainiens déjà présents dans les pays d’accueil.

La crise des réfugiés ukrainiens façonnera les migrations internationales pour les années à venir. Sans aucun doute, le chemin à parcourir ne sera pas facile, mais les pays de l’OCDE mettent en pratique les leçons du passé et travaillent ensemble pour faire face à la situation. Il est toutefois important de continuer à prendre des mesures audacieuses fondées sur les bonnes pratiques pour relever les défis de la prochaine phase de cette crise humanitaire. Cela est crucial pour apporter le soutien nécessaire aux réfugiés ukrainiens et ouvrir la voie à la reconstruction de l’Ukraine.

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Stefano Scarpetta,

Directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales,

OCDE

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