2. Étude spéciale : l’indexation de la fiscalité du travail et des prestations dans les pays de l’OCDE
L'inflation a connu une forte accélération en 2021 et 2022 dans la zone OCDE. Dans la quasi-totalité des pays, les salaires ont augmenté moins vite que les prix en termes nominaux, si bien qu'ils ont baissé en termes réels. Cette Étude spéciale porte sur la manière dont la politique en matière de fiscalité du travail réagit à l’inflation dans les pays de l’OCDE, en particulier sur l’indexation, mécanisme à travers lequel les seuils, tranches, crédits d’impôts et prestations liées à l’exercice d'un travail sont ajustés en fonction de l’évolution des prix, des salaires et (plus rarement) de variables macroéconomiques. Ces ajustements ont vocation à compenser le phénomène du freinage fiscal, c’est-à-dire l’alourdissement de la pression fiscale découlant mécaniquement de la revalorisation des salaires. L'analyse présentée dans ce chapitre repose sur les réponses à un questionnaire diffusé aux pays de l’OCDE en 2022 et porte principalement sur les systèmes fiscaux tels qu’ils se présentaient cette année-là.
La structure de l’Étude spéciale est la suivante. La première partie porte sur l’évolution de l'inflation et des salaires dans les pays de l’OCDE depuis le début de la pandémie de COVID-19, en 2020. La deuxième explique le phénomène du freinage fiscal et décrit les différentes composantes des politiques d’indexation. La troisième analyse les réponses au questionnaire diffusé aux pays de l’OCDE et montre comment les pays ajustent l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), les cotisations de sécurité sociale (CSS) et les prestations en espèces1 pour tenir compte de l’inflation. La quatrième section examine l’alourdissement de la pression fiscale qui a découlé des hausses des salaires nominaux qui ont eu lieu entre 2019 et 2022 dans les pays de l’OCDE. L'analyse révèle qu’en l’absence d’indexation et autres mesures fiscales, une famille monoparentale ayant deux enfants à charge et percevant 67 % du salaire moyen aurait été particulièrement pénalisée par le freinage fiscal au cours de cette période.
Dans la zone OCDE, l’inflation a commencé à augmenter sensiblement en 2021, et cette tendance s’est accélérée en 2022 (graphique 2.1). Dans un premier temps, la hausse des prix était due aux conséquences de la pandémie de COVID-19 sur l'économie mondiale, la demande de certains biens durables ayant explosé sur fond de chocs d’offre aggravés par l’augmentation des coûts d’expédition (OECD, 2022[1]). Certains de ces facteurs ont persisté durant l’année 2021, mais c’est en 2022 que la pression inflationniste s’est intensifiée sous l’effet de la guerre d’agression illégale menée par la Russie contre l’Ukraine. Le prix de matières premières aussi essentielles que le pétrole, le gaz et le charbon, les métaux, le blé et le maïs, les huiles alimentaires et l’engrais a immédiatement explosé. Le prix de gros de l’électricité a connu une forte hausse en Europe en raison de l’augmentation du prix du gaz. Les prix alimentaires se sont également envolés (OECD, 2022[1]). L'inflation a cependant ralenti au dernier trimestre 2022 dans un grand nombre de pays de l’OCDE (OECD, 2023[2]).
L'inflation des prix à la consommation a connu un sommet de 10.8 % dans la zone OCDE en octobre 2022 et s’est établie à 9.6 % pour 2022 dans son ensemble, soit un niveau nettement supérieur aux 4 % de 2021 et 1.4 % de 2020 (OECD, 2023[2]). Au cours des deux décennies qui ont précédé la pandémie, elle est restée faible et relativement stable en dépit de périodes d'instabilité des prix de l’alimentation et de l’énergie (graphique 2.1). Elle devrait refluer jusqu’à 6.5 % en 2023 et 5.1 % en 2024, ce qui resterait nettement supérieur aux objectifs visés par les banques centrales et à la trajectoire à long terme antérieure à la pandémie (OECD, 2022[1]).
Les salaires sur lesquels sont fondés les modèles des Impôts sur les salaires ont augmenté durant la pandémie2. D’après des données provisoires sur les salaires se rapportant à 2022, entre 2019 et 2022, la croissance annuelle moyenne des salaires nominaux des travailleurs pris en compte dans ces modèles a été supérieure à ce qu’elle a été entre 2010 et 2019 dans 27 des 38 pays de l’OCDE (graphique 2.2). Dans 15 pays, elle a été plus de 50 % plus rapide. C’est au Canada, en Suisse, en Slovénie, en Finlande et aux États-Unis que la croissance annuelle des salaires nominaux a connu l'accélération la plus rapide entre les deux périodes considérées, et au Japon, en Grèce (deux seuls pays où les salaires nominaux ont diminué pendant la pandémie), en Colombie, au Mexique et en Corée qu’elle a le plus ralenti.
Toutefois, comme le révèle le chapitre 1 de ce rapport, les salaires nominaux moyens retenus dans les modèles ont progressé moins vite que les prix en 2022. D’après des données provisoires relatives à 2022, les salaires réels se sont repliés entre 2021 et 2022 dans tous les pays sauf trois (Colombie, Hongrie et Suisse). Entre 2020 et 2021, ils ont progressé dans 26 des 38 pays de l’OCDE dans un contexte de reprise économique dans l’ensemble de la zone OCDE.
S'agissant du marché du travail dans son ensemble, il ressort du graphique 2.3 que dans 31 des 32 pays de l’OCDE pour lesquels des données sont disponibles pour le troisième trimestre 2022, les salaires se sont repliés en glissement annuel, perdant 3.3 % en moyenne par rapport à la même période de 2021.
L'inflation a une incidence sur la charge fiscale des travailleurs, y compris des catégories de ménages pris en compte dans Les impôts sur les salaires. Cette section explique pourquoi, dans un système fiscal progressif, la croissance des salaires nominaux se traduit par un alourdissement de la pression fiscale et, potentiellement, par une hausse non négligeable des recettes fiscales, à travers le mécanisme du freinage fiscal (OECD, 2008[3]). Ce phénomène a suscité énormément d'intérêt dans les pays de l’OCDE en raison de la forte inflation qui a marqué 2022, mais il a une incidence sur la pression fiscale supportée par les travailleurs même lorsque l'inflation est relativement faible. Par ailleurs, il a un impact sur la répartition du revenu et les mesures incitatives qui s’adressent aux travailleurs.
Le freinage fiscal passe par plusieurs canaux. Il peut en outre être examiné en termes nominaux ou réels (Heinemann, 2001[4]). Il y a freinage fiscal « nominal » lorsque la valeur absolue des seuils et des tranches d'imposition n’est pas ajustée automatiquement en fonction de l’intégralité de l’inflation. En pareil cas, les revenus de certains travailleurs se déplacent jusqu’à un niveau plus élevé du barème fiscal lorsque leur salaire nominal augmente. Ce phénomène est particulièrement marqué lorsque le barème comporte de nombreuses tranches ou lorsque les taux d’imposition varient beaucoup d’une tranche à l'autre (Beer, Griffiths and Klemm, 2023[5]). Un contribuable peut cependant voir sa charge fiscale augmenter même s'il ne change pas de tranche, dans l’hypothèse où une plus forte proportion de son revenu imposable est imposée à un taux plus élevé.
Qualifié de glissement par le jeu des tranches d’imposition ou de progression à froid, ce phénomène se traduit mécaniquement par une augmentation des recettes fiscales nominales perçues par l’État (à taux d’emploi et nombre d’heures travaillées constants), mais cette hausse manque de transparence. Comme le soulignent (Beer, Griffiths and Klemm, 2023[5]), « relever les seuils mais dans une proportion inférieure à l’inflation (voire les geler tout en abaissant les taux d'imposition) peut être un moyen politiquement commode d'augmenter subrepticement les impôts tout en donnant l'impression de les réduire ».
L’inflation réduit la valeur réelle des abattements, des déductions fiscales forfaitaires, des crédits d'impôt et des prestations en espèces, de même que le montant des seuils à ne pas franchir pour percevoir des prestations soumises à condition de ressources lorsque ces seuils ne sont pas revalorisés parallèlement à la hausse des prix. Comme ces dispositifs ciblent les travailleurs modestes, le freinage fiscal nominal risque de pénaliser davantage les personnes situées à l’extrémité inférieure de l’échelle des revenus, d’où un risque de moindre progressivité du système fiscal et d'aggravation de la pauvreté. Myck et Trzciński font observer que les pouvoirs publics pourraient peut-être compenser cet effet négatif du freinage fiscal sur la répartition des revenus en affectant les recettes fiscales qui en résultent au financement de dépenses redistributives. Cet aspect dépasse toutefois le champ couvert par ce chapitre (2022[6]).
Le freinage fiscal a aussi une incidence sur les cotisations sociales, mais son effet s’exerce dans des directions opposées. À l’extrémité inférieure de l'échelle des revenus, il entraîne une hausse des recettes parce qu’il abaisse le revenu d'activité réel à partir duquel les cotisations sont prélevées. À l’extrémité supérieure, il réduit les recettes parce qu’il entraîne une baisse du plafond au-delà duquel les cotisations ne sont pas prélevées. Heinemann montre qu’une inflation plus forte va de pair avec une hausse des recettes tirées des cotisations de sécurité sociale dans les pays de l’OCDE et en déduit qu’il « est politiquement plus facile d'augmenter les plafonds et les taux de cotisation dans un contexte inflationniste » (2001[4]).
Quant au freinage fiscal « réel », il permet de recouvrer davantage de recettes, mais cette augmentation n’est pas la résultante directe de l’inflation et peut être observée même lorsque les systèmes fiscaux sont parfaitement indexés sur les prix. Cette forme de freinage fiscal se produit lorsque les salaires augmentent en termes réels dans l’ensemble de l’économie. Comme dans le cas du freinage nominal, la charge fiscale d'une personne s’alourdit sous l’effet de la progressivité du système fiscal. Cette hausse n’existe pas si les paramètres du système fiscal en valeur absolue s'ajustent automatiquement en fonction de la croissance des salaires réels, ce qui est en pratique très rare, comme ce chapitre le montrera.
Qu'il soit nominal ou réel, le freinage fiscal a toujours été une cause importante de hausse du ratio impôt sur PIB dans la zone OCDE, en particulier durant les années 1970, marquées par une forte inflation qui a conduit plusieurs pays de l’OCDE à mettre en place des politiques d’indexation (Heinemann, 2001[4]). Le freinage fiscal nominal a par ailleurs été une composante des politiques d'assainissement budgétaire adoptées dans le sillage de la crise financière mondiale (Avram et al., 2013[7]).
En 2022, la forte inflation et la baisse des salaires réels ont suscité un énorme regain d’intérêt pour le freinage fiscal nominal et les mesures envisageables pour l’atténuer, dont l’indexation. En cas de baisse des salaires réels, un travailleur peut avoir à supporter une charge fiscale plus élevée malgré un revenu réel plus faible, ce qui signifie qu'il est doublement pénalisé par l’inflation. C’est dans les pays où l’inflation et les taux d'imposition ont augmenté et où les seuils n’ont pas été ajustés pendant relativement longtemps que les effets du freinage fiscal risquent de se faire le plus sentir.
Ajustement et indexation sur l’inflation
Il est possible d'atténuer l'impact du freinage fiscal en réagissant à l’inflation par un ajustement de la valeur des paramètres des systèmes d'imposition des personnes physiques, des cotisations sociales et des prestations en espèces. Cette partie est consacrée aux trois principales caractéristiques de la politique d'indexation d'un pays, à savoir la méthode, l'indicateur de référence retenu et les aspects liés au calendrier. Un impôt ou une prestation pouvant servir des objectifs de politique publique divers, l’approche à adopter en matière d'indexation est elle aussi variable. Comme exposé dans la section suivante, une majorité de pays de l’OCDE ajustent les paramètres de leurs systèmes fiscal et de prestations, mais les modalités d’indexation diffèrent considérablement, à la fois d'un pays à l'autre et d’un instrument à l'autre au sein d’un même pays.
Méthode d'indexation
L’indexation peut être automatique ou discrétionnaire. L'indexation automatique repose en général sur une disposition légale prévoyant la revalorisation des seuils et tranches d’imposition et des prestations en fonction de la variation d’un indicateur quelconque à une date donnée au cours de l’exercice budgétaire. Un régime d’indexation discrétionnaire implique que les pouvoirs publics peuvent choisir de procéder ou non à un ajustement et décident de l’ampleur de l’ajustement et de la date à laquelle il est effectué.
L'automaticité de l’indexation ne signifie pas nécessairement que le système fiscal s'adapte plus rapidement à l'inflation. Dans certains pays, les pouvoirs publics ajustent les impôts et les prestations pour tenir compte de l’inflation dans le cadre d'un système bien rodé, régulier et transparent, sans pour autant que ces ajustements soient prévus par la loi. De surcroît, si l’ajustement automatique ne prend effet qu’au-delà d’un certain taux d'inflation, comme c’est le cas dans plusieurs pays de l’OCDE, un risque de freinage fiscal subsiste. Une indexation ponctuelle (automatique ou non) permet aux pouvoirs publics de mieux réagir à une envolée de l'inflation.
Indicateur de référence
Le choix de l’indicateur sur la base duquel les impôts sur le travail et les prestations sont ajustés a des conséquences sur le freinage fiscal, le pouvoir d'achat des travailleurs et la répartition du revenu. L'ajustement des seuils en fonction de l’indice des prix à la consommation (IPC) permet que ces seuils conservent leur valeur réelle, mais n’empêche pas le freinage fiscal en cas de croissance du salaire réel. Pour l’empêcher, il faut que les seuils évoluent en fonction des salaires, ce qui est moins fréquent dans les pays de l’OCDE (et plus courant pour les cotisations sociales que pour l'IRPP). (Beer, Griffiths and Klemm, 2023[5]) préconisent de retenir l’IPC comme base d’indexation par souci de cohérence entre différents types d'impôts, mais reconnaissent qu’une indexation sur la base du salaire moyen garantirait une stabilité du taux d'imposition appliqué au salarié moyen.
Revaloriser les prestations en fonction des prix à la consommation protège le pouvoir d’achat des bénéficiaires, mais creuse l'écart de revenu entre les bénéficiaires de prestations et les travailleurs en cas de progression des salaires réels, ce qui accentue les inégalités (même s’il est vrai que l'inverse se produirait en cas de baisse des salaires réels (Paulus, Sutherland and Tasseva, 2020[8]))3. De surcroît, une indexation sur les prix implique que les seuils de revenu à ne pas dépasser pour ouvrir droit à des prestations diminuent aussi par rapport aux salaires, ce qui peut avoir une incidence sur le nombre de personnes qui rempliront à l’avenir les conditions d'ouverture des droits (Immervoll, 2022[9]).
Comme ce chapitre entend le montrer, la majorité des pays de l’OCDE indexent leur système d’imposition des salaires sur l’IPC ou sur des indices spécifiques eux-mêmes indexés sur l’IPC. Toutefois, plusieurs pays, par exemple les Pays-Bas, ont mis au point leur propre indice dans le but d’ajuster leur système fiscal en fonction de l’inflation. Certains indexent les impôts et prestations sur les prix, mais ne tiennent pas compte de tous les éléments mesurés par l’IPC dans l’indicateur de référence retenu. Quelques pays de l’OCDE ont mis au point un indice des prix qui reflète les habitudes de dépense des bénéficiaires de prestations (Immervoll, 2022[9]) et tient compte du fait que les catégories modestes consacrent une plus forte proportion de leur budget aux biens de première nécessité.
Certains pays ont conçu un indice spécifique pour ajuster les paramètres de leur système fiscal. À titre d’illustration, au Chili, l’administration fiscale indexe les tranches de l’IRPP sur l'unité fiscale mensuelle ou annuelle (Unidad Tributaria Mensual/Anual, UTM/UTA), tandis que le crédit d'impôt pour l’éducation évolue en fonction de l'unité de compte indexée sur l'inflation (Unidad de Fomento, UF). L’UTM est calculée par l’administration fiscale et l’UF par la banque centrale. L’une et l'autre sont indexées sur l’inflation. De même, le Mexique calcule l’unité de mesure et d’actualisation (Unidad de Medida y Actualización, UMA) pour définir le seuil en deçà duquel le revenu n’est pas imposable au niveau fédéral et à celui des États. L’UMA est actualisée annuellement en fonction de l’IPC.
Dans un petit nombre de pays de l’OCDE, les salaires eux-mêmes sont indexés sur les prix pour que les travailleurs soient protégés contre l’inflation. Dans certains cas, les revalorisations du salaire minimum légal peuvent avoir une grande importance parce que ce salaire peut être une référence pour certaines composantes du système fiscal.
Calendrier et fréquence
Enfin, les politiques d'indexation (automatique ou non) reposent sur une période de référence. La pratique la plus courante consiste à calculer l’indicateur de référence en utilisant les données disponibles les plus récentes à la date de modification des paramètres du système fiscal (généralement au début de l'exercice budgétaire T). Lorsque l’exercice budgétaire commence le 1er janvier de l'année T, les pouvoirs publics utilisent souvent les chiffres de l’inflation du deuxième semestre de l’année T-1, ce qui laisse le temps de calculer l'impact sur les recettes des mesures d’indexation et autres mesures fiscales devant s'appliquer pendant l’année T.
Lorsque l’inflation est relativement stable, comme c'était le cas dans la plupart des pays de l’OCDE avant la pandémie de COVID-19, il n’est pas vraiment problématique de s'appuyer sur la variation des prix constatée en T-1 pour calculer les seuils applicables durant l’année T. En revanche, lorsque les prix connaissent de fortes hausses, utiliser une période de référence passée pour calculer l'indicateur de référence peut se traduire par une perte de valeur des paramètres du système fiscal et des prestations en termes réels avant le début de l’exercice budgétaire et tout au long de l’exercice. Le freinage fiscal s’en trouve alors accentué et le revenu disponible des ménages baisse. Une estimation prospective de l’indicateur (ou des indicateurs) de référence pourrait offrir une protection contre l’impact de ce décalage, mais peut aussi être remise en cause par une variation rapide et imprévue des prix.
Les périodes de forte inflation posent également la question de la fréquence des ajustements à prévoir. Comme expliqué par (Beer, Griffiths and Klemm, 2023[5]), « un ajustement annuel suffit en présence d’une inflation modeste, mais en cas d’inflation élevée, des revalorisations plus fréquentes pourraient se justifier ». Plusieurs pays ont procédé à des ajustements en cours d'année face à la forte inflation de 2022, comme expliqué ci-après.
Pour mieux cerner les pratiques en matière d'indexation, on a invité les pays de l’OCDE à répondre à un questionnaire diffusé en 2022 dans le cadre de la collecte de données réalisée pour les besoins de cette édition des Impôts sur les salaires. Cette section présente une synthèse des réponses à ce questionnaire, qui était axé sur la méthode employée par les pays pour ajuster leur système fiscal et leur système de prestations en fonction de l’inflation, sur l'indicateur de référence retenu et sur le calendrier et la fréquence des ajustements.
Les informations qu’elle contient se rapportent aux politiques d’indexation qui étaient en place en 2022. Ces politiques sont susceptibles de changer : ainsi, en Autriche, un système d’indexation automatique de l’IRPP et des prestations en espèces est entré en vigueur en janvier 2023, et la Grèce a prévu de modifier le régime d'indexation des cotisations sociales en 2025. Quant au Royaume-Uni, il déroge provisoirement à ses pratiques habituelles en matière d'indexation.
Pour l’ensemble des pays, il faut interpréter les résultats en gardant à l’esprit qu’il n'était pas demandé une description exhaustive des mécanismes d'ajustement des impôts et prestations contenus dans les modèles des Impôts sur les salaires, l’objectif étant de recueillir des informations sur l’approche générale4.
Automaticité ou non de l'ajustement
Le tableau 2.1 indique si les pays de l’OCDE ajustent les paramètres de l’IRPP, les cotisations sociales et les prestations en espèces de manière automatique ou discrétionnaire. Il indique également la périodicité des ajustements. Dans certains pays, la pratique en matière d'indexation varie d'un paramètre à l’autre au sein de ces trois grandes catégories. En pareil cas, le tableau indique la pratique la plus courante pour chacune des catégories.
Les résultats présentés de façon synthétique dans le tableau 2.2 témoignent de la diversité des pratiques entre pays de l’OCDE et au sein même des pays de l’OCDE. Dans moins de la moitié (17) des pays de l’OCDE, l'indexation des paramètres de l’IRPP est automatique, tandis que dans les 21 autres, elle est discrétionnaire. La majorité des pays indexent les cotisations et les prestations sociales. Les trois catégories – IRPP, CSS et prestations – sont ajustées automatiquement dans 12 pays et de manière discrétionnaire dans dix pays.
Lorsque l’indexation est discrétionnaire, elle a généralement lieu annuellement, au début de l’exercice budgétaire. Dans certains pays, l'ajustement n’est effectué que si l’inflation dépasse un certain seuil. C’est le cas en Belgique, au Luxembourg (où il peut être effectué deux fois par an), au Mexique (pour le barème de l'impôt sur le revenu) et en Nouvelle-Zélande (pour le crédit d’impôt familial – Family Tax Credit – et l'allocation Best Start).
En Belgique, dans deux des trois régions5, les allocations familiales sont ajustées mensuellement tandis que les cotisations sociales le sont mensuellement (cotisations personnelles) ou trimestriellement (cotisations patronales). Plusieurs pays ont indiqué ne pas ajuster les seuils ou les prestations à la baisse en cas de déflation et les laisser inchangés.
Dans les pays où l’indexation est discrétionnaire, le moment où elle intervient est en général laissé à l'appréciation des décideurs. Toutefois, en Irlande, le Programme de gouvernement en cours contient un engagement à indexer les crédits d'impôt et les tranches d’imposition au début de chaque exercice budgétaire pour éviter le freinage fiscal à condition que les revenus soient en hausse et que l'économie se redresse (Taoiseach, 2020[10]). Il en va de même en Finlande, où le système fiscal est indexé chaque année, à quelques rares exceptions près.
Lorsqu'une revalorisation annuelle est la norme, il peut néanmoins y avoir des exceptions. La France a décidé de ne pas revaloriser le barème de l’impôt en 2012 et 2013 au nom de l’assainissement des finances publiques. Au Royaume-Uni, où l'indexation annuelle était la règle, certains seuils vont rester inchangés par rapport à leur niveau actuel en termes nominaux jusqu’à l’exercice budgétaire 2025/26. L'Autriche a prévu de passer à un système d’indexation automatique en 2023 (encadré 2.1).
Certains pays ont indiqué avoir procédé à des ajustements en cours d'année face au choc inflationniste actuel. Ainsi, l’Allemagne a adopté plusieurs mesures de soutien au cours de l’année 2022. Les lois portant allègement de la fiscalité ont augmenté l'abattement de base du régime de l’IRPP, de même que l’allocation familiale et l’abattement forfaitaire au titre des frais professionnels. Tous les travailleurs assujettis à l’IRPP ont reçu un chèque-énergie ponctuel de 300 EUR en septembre 2022. Ce paiement forfaitaire est soumis à l'impôt sur le revenu des personnes physiques, mais pas aux cotisations de sécurité sociale. Par ailleurs, une prestation ponctuelle de 100 EUR par enfant a été versée en juillet 2022. La France a procédé en juillet 2022 à un ajustement exceptionnel des prestations familiales et de la prime d'activité pour tenir compte de l’inflation. De même, l’Autriche a accordé une prime anti-inflation de 250 EUR, exonérée d'impôt pour les personnes disposant d’un revenu imposable annuel inférieur à 90 000 EUR.
Bien que l’Autriche soit présentée dans ce chapitre comme faisant partie des pays qui ont opté pour une indexation discrétionnaire des impôts et prestations face à l’inflation, elle a adopté en septembre 2022 une réforme qui introduira, avec effet à compter de janvier 2023, une indexation de l’IRPP et des transferts sociaux visant expressément à contrer le freinage fiscal.
Désormais, deux instituts de recherche économique indépendants calculeront l'impact de l’inflation sur les recettes fiscales. Les seuils du barème de l’IRPP et les crédits d'impôt seront ajustés sur cette base de manière à neutraliser cet impact (les abattements ne seront pas modifiés).
Deux tiers de l’impact estimé de l’inflation sur les recettes tirées de l’IRPP seront compensés par un ajustement automatique des seuils et des crédits d'impôt, et le tiers restant sera redistribué pour compenser par d'autres moyens l’effet de l’inflation sur les personnes qui perçoivent le revenu, par exemple à travers le régime de l’IRPP, les cotisations sociales ou des mesures spécifiques. Les transferts sociaux tels que les prestations familiales et les crédits d'impôt au titre des enfants seront totalement indexés sur l'inflation.
Cet ajustement sera effectué au début de chaque année sur la base de l’IPC. Pour l’année T, il sera effectué sur la base de la moyenne des taux d'inflation mensuels entre le mois de juillet de l'année T-2 et le mois de juin de l’année T-1.
Source : Réponse du pays au questionnaire (Government of Austria, 2022[11]).
Modalités de l'ajustement en fonction de l'inflation dans les pays de l’OCDE
Cette section présente les indicateurs retenus pour l'indexation des systèmes d'imposition et les périodes de référence correspondantes. Ces informations sont issues des réponses au questionnaire fournies par les pays et sont récapitulées dans le tableau 2.3, qui met en évidence la pratique générale adoptée pour chaque grande catégorie dans chaque pays. Le tableau 2.4 présente une synthèse des résultats. Comme la méthode d'indexation présentée dans la section précédente, les modalités d'indexation varient sensiblement au sein d'un même pays et d'un pays de l’OCDE à l'autre.
Impôts sur le revenu des personnes physiques
Quinze pays ont indiqué ajuster leur régime d'imposition des personnes physiques sur la base des prix, tandis que 18 ont déclaré ne pas utiliser d'indicateur en particulier. Deux pays – le Danemark et la Lituanie – ont expliqué ajuster l’IRPP sur la seule base des salaires. Dans trois pays, l’indicateur de référence retenu varie.
En Finlande, l'ajustement se fait soit sur la base des prix soit sur la base des salaires, l’indicateur retenu étant celui qui a le plus augmenté. En République slovaque, les principaux paramètres du régime de l’IRPP sont ajustés en fonction de l’indicateur du niveau de vie minimum, lui-même ajusté sur la base du taux d'inflation calculé parmi les ménages à faible revenu ou d’un indicateur du revenu disponible, étant entendu que l’indicateur retenu est celui qui a le moins augmenté. La Norvège indexe les paramètres de l’IRPP en fonction de celui des indicateurs suivants qui est le plus pertinent – prix à la consommation, salaires, pensions ou valeur des actifs.
Sur les quinze pays qui indexent le régime de l’IPRR sur les prix, dix se fondent sur l’IPC, un sur l’indice des prix à la production et quatre sur un indice des prix spécifique. Ainsi, la France exclut le tabac de son indice des prix et la Colombie fait appel à un indice des prix calculé pour les ménages de la classe moyenne. L’Islande et la Suède revalorisent les paramètres de l’IRPP sur la base de l’IPC majoré de 1 % (Islande) et 2 % (Suède). Dans le cas de l’Islande, cette majoration correspond à la moyenne sur longue période de la croissance annuelle de la productivité du travail et a expressément pour but d’atténuer le freinage fiscal.
Les Pays-Bas ajustent les seuils de l’IRPP, des cotisations de sécurité sociale et des prestations sur la base d’un indicateur dénommé tabelcorrectiefactor. Cet indicateur repose sur l’IPC, mais ne tient pas compte des effets de la modification du taux des taxes appliquées aux produits (comme la taxe sur la valeur ajoutée) et des subventions et taxes liées à la consommation (comme la taxe sur les véhicules). L’objectif est de garantir une indépendance entre les différents instruments fiscaux et d’empêcher des interdépendances non souhaitables entre différentes mesures de politique publique. Le crédit d'impôt en faveur des personnes qui travaillent, dont les seuils sont ajustés en fonction des salaires, constitue la seule exception à ce principe.
L’Allemagne ajuste les seuils et autres paramètres des impôts et prestations modélisés dans Les impôts sur les salaires en fonction des conclusions de deux rapports. Le premier, intitulé Existenzminimumbericht (rapport sur le minimum vital), est publié tous les deux ans par l’administration fédérale et sert à déterminer le montant de l’abattement fiscal de base et de l’abattement pour enfant nécessaire pour que le revenu correspondant au minimum vital ne soit pas imposable. Ce minimum vital est calculé sur la base des dépenses d'alimentation, d’habillement, d’hygiène, d’énergie, de logement et d'assurance (sociale), entre autres, et il est actualisé au moyen de « l'indice mixte » (Mischindex), qui repose à 70 % sur la variation du prix des biens et services pris en compte dans le calcul du minimum vital et à 30 % sur la variation du salaire net.
Le deuxième rapport, intitulé Bericht über die Wirkung der kalten Progression (rapport sur les conséquences de la progression à froid), a spécifiquement pour but d'assurer le suivi du freinage fiscal. Également publié tous les deux ans, il analyse dans quelle mesure la revalorisation des salaires destinée à compenser la hausse de l'inflation (mesurée par le déflateur de la consommation privée) se traduit par une hausse du taux d'imposition moyen imputable à la progressivité du barème de l’IRPP.
Cotisations de sécurité sociale et prestations en espèces
Douze pays ajustent les paramètres des cotisations sociales seulement en fonction des prix. Parmi eux, 10 se fondent sur l’IPC. La Belgique, qui est l’un des deux pays à faire appel à un indice des prix spécifique, ne tient pas compte du tabac, des boissons alcoolisées, de l’essence ou du diesel dans le calcul de l’indice qui sert de base à l'indexation des cotisations de sécurité sociale et prestations en espèces. Huit pays les ajustent sur la base du salaire (minimum ou moyen ou une combinaison de ces deux indicateurs). La Grèce ajuste actuellement les CSS sur la base des prix, mais passera à un ajustement sur la base de l’indice des salaires en 2025.
Onze pays seulement n'indiquent pas utiliser un indicateur de référence particulier pour les CSS (contre 18 pays dans le cas de l’IRPP). Parmi les trois pays qui ne mentionnent pas d’indicateur de référence unique, la Norvège utilise les facteurs de croissance pertinents comme expliqué plus haut dans le cas de l’IPRR, tandis que la Finlande se fonde soit sur l’inflation des prix soit sur la hausse des salaires et retient le plus élevé des deux, comme dans la cas de l’IRPP. Quant à la Suède, elle ajuste le revenu à partir duquel les CSS sont prélevées en fonction des prix, comme dans le cas de l’IRPP, mais le plafond au-delà duquel elles ne sont plus prélevées en fonction d’un indice de revenu.
S'agissant des pays qui utilisent les salaires pour ajuster les CSS (ou d'autres aspects de la fiscalité du travail), le tableau précise si l’indicateur de référence est le salaire minimum légal ou le salaire moyen pour l’ensemble de l’économie. Trois pays indiquent retenir le salaire minimum et quatre le salaire moyen (sept si l’on tient compte de l’indice de revenu employé par la Suède et de l'indice salarial utilisé par la Finlande). En France et en Lituanie, le salaire minimum et le salaire moyen sont utilisés pour revaloriser des paramètres différents des CSS.
Lorsque l’indicateur retenu est le salaire minimum, le mécanisme de revalorisation est défini par la loi. L'ajustement peut être directement lié aux prix ou aux salaires (voire aux deux, comme dans le cas de la France) ou peut être négocié, comme en Colombie et en Estonie. En Belgique et au Luxembourg, la loi prévoit une obligation de revalorisation des salaires en fonction de l’inflation. En Islande, la cotisation de sécurité sociale fixe est censée conserver sa valeur en termes réels au fil du temps parallèlement aux seuils du barème de l’IRPP et du crédit d'impôt, mais la revalorisation a toujours été plafonnée à 2.5 %. Toutefois, pour l’exercice budgétaire 2023, la revalorisation a reposé sur la variation de l’IPC au cours des 12 mois précédents, nettement supérieure à ce plafond.
Seize pays ajustent les paramètres des prestations en espèces en fonction des prix. Parmi eux, onze se fondent sur l’IPC. Deux pays revalorisent les prestations en fonction du salaire minimum, et la Finlande les revalorise en fonction de la hausse du salaire minimum ou de celle de l’IPC en retenant le plus élevé des deux indicateurs. Seize pays ont déclaré ajuster les prestations de manière discrétionnaire.
La Lituanie revalorise ses prestations en fonction de l’allocation sociale de base, dont le montant est fixé de façon discrétionnaire. Le Portugal précise que le choix de revaloriser les prestations familiales en fonction du salaire minimum et non des prix est motivé par la volonté de contrer la baisse du taux de natalité. La Nouvelle-Zélande revalorise le crédit d'impôt familial minimum (Minimum Family Tax Credit, MFTC) sur une base discrétionnaire de telle manière que les familles monoparentales aient un meilleur niveau de vie si elles bénéficient du MFTC et travaillent 20 heures par semaine que si elles perçoivent d'autres prestations. Le calcul repose sur plusieurs paramètres, dont le salaire minimum et d'autres paramètres liés aux prestations.
Période de référence
Plus de la moitié des pays de l’OCDE ajustent leur fiscalité du travail en fonction de la variation d’un indicateur de référence observée avant le début de l’exercice budgétaire concerné par la revalorisation. Il en résulte un décalage qui peut être particulièrement important en période de forte inflation. Pour huit des pays où la revalorisation est discrétionnaire, il n’a pas été possible de déterminer de période de référence ni de savoir de manière certaine s’il existe un décalage dans leur système fiscal et quelle en est l’ampleur.
L'approche la plus courante dans les pays de l’OCDE consiste à revaloriser les seuils applicables l'année T en fonction de la variation annuelle de l’indicateur d’inflation de référence enregistrée un des derniers mois de l'année T-1, aux alentours de la date à laquelle les politiques fiscales qui s'appliqueront pendant l’exercice budgétaire T sont formulées. Si le mois correspondant à la fin de la période de référence se situe au second semestre de l’année T-1, la période indiquée dans le tableau 2.2 est T-1 parce que la majeure partie de la période de référence correspond à cette année. Si la période de référence couvre les six derniers mois de l'année T-2 et les six premiers de l’année T-1, l'indication figurant dans le tableau est T-2/T-1.
Dans certains pays, le décalage est particulièrement grand. Au Danemark, la plupart des paramètres sont ajustés en fonction de la variation des salaires observée deux ans avant l'exercice budgétaire concerné (les prestations familiales sont ajustées en fonction de l’IPC enregistré deux ans avant l’exercice budgétaire concerné). Au Canada, le décalage est important pour les prestations familiales – les droits sont déterminés en juin de l’année T en fonction du revenu net du ménage au cours de l'année T-1 et des paramètres des prestations familiales indexés en fonction du niveau de l’IPC entre octobre de l’année T-2 et septembre de l'année T-1.
Dans trois pays, les paramètres du système fiscal sont indexés sur des variations très récentes de l’indicateur de référence. Dans le cas du Luxembourg, la raison en est que les paramètres changent dès lors que l'indicateur de référence dépasse un certain seuil. Dans le cas de la France, le taux d'inflation de l’année T est évalué au moyen d'une méthode de prévision immédiate dans le cadre de la préparation du vote du budget, durant les derniers mois de l'année T. En conséquence, les paramètres de l’IRPP utilisés pour imposer les salaires perçus au cours de l'année T (imposition qui intervient en T+1) évoluent parallèlement à l’inflation de l'année T. En République tchèque, les seuils applicables aux CSS reposent sur les données relatives aux salaires durant l’année T-2.
Quatre pays – la Finlande, la Corée, la Norvège et la Pologne – font appel à une méthode prospective pour prévoir le taux d'inflation de l'année T. En Finlande, ce calcul repose sur la prévision économique réalisée par le gouvernement au dernier trimestre de l’année T-1. En Norvège, le facteur de croissance retenu pour chacun des instruments au cours de l’année T est calculé durant l'année T-1, tandis que la Pologne fait appel à une prévision du salaire annuel au cours de l’année T pour revaloriser les prestations familiales (tous les trois ans).
Ensemble, les tableaux 2.1 et 2.2 montrent que la situation est globalement similaire à celle constatée lors du dernier examen des pratiques d'indexation des pays de l’OCDE pour les Impôts sur les salaires, en 2007. (OECD, 2008[3]) parvient à la conclusion suivante : « La plupart des pays de l’OCDE ont recours à des ajustements sous une forme ou sous une autre, comme l’indexation des limites de tranches d’imposition pour tenir compte de l’inflation, afin d’éviter un dérapage de la charge fiscale sous l’effet de l’inflation ou de la croissance des gains réels. Toutefois, ces ajustements sont incomplets ou rares dans une majorité de pays. Par conséquent, l’incidence des réformes visant à alléger la charge fiscale une année donnée peut être largement annulée par les effets de freinage fiscal qui se sont accumulés sur une période plus longue. »
Cette section porte sur la pression à la hausse que les augmentations du salaire nominal mises en évidence par le graphique 2.2 ont exercée sur le coin fiscal dans les pays de l’OCDE entre 2019 et 2022. Les deux parties du graphique 2.4 représentent le coin fiscal en 2019 (barres bleu foncé) et 2022 (barres bleu clair) pour deux types de ménages : un travailleur célibataire seul et percevant 100 % du salaire moyen et une famille monoparentale ayant deux enfants à charge et percevant 67 % du salaire moyen. Elles présentent également un troisième indicateur, qui montre ce qu’aurait été le coin fiscal en 2019 si le montant du salaire moyen avait été égal à ce qu’il était en 2022 (en prix courants).
Ce troisième indicateur, représenté pour chaque pays sous la forme d’un trait bleu au-dessus des barres bleu foncé, correspond à l’impact que les hausses du salaire nominal qui ont eu lieu entre 2019 et 2022 aurait eu sur le coin fiscal des deux types de ménages si les tranches d'imposition, les seuils, le montant des avantages et autres paramètres avaient conservé la même valeur nominale tout au long de cette période. Il correspond donc au freinage fiscal nominal potentiel (décrit plus haut) et résulte uniquement de l’interaction entre les hausses du salaire nominal et la valeur nominale des paramètres du système fiscal.
Le freinage fiscal réel entre 2019 et 2022 dépend de l'inflation, de l’évolution des salaires réels et des mesures ayant un impact sur la pression fiscale éventuellement adoptées entre les deux années, par exemple des mesures d’indexation et autres mesures d’ajustement en fonction de l’inflation, entre autres. Le calculer dépasserait le cadre de ce chapitre. Il faudrait en effet distinguer les conséquences des réformes de celles de l’évolution des salaires (réels et nominaux) entre 2019 et 2022, période durant laquelle la fiscalité du travail a constitué un volet important de l'action menée face à la pandémie de COVID-19 et pendant laquelle les fluctuations du salaire moyen ont été la principale cause de la variation du coin fiscal (OECD, 2022[12]).
Travailleur célibataire et percevant 100 % du salaire moyen
Le graphique 2.4a représente le coin fiscal et le freinage fiscal potentiel pour un travailleur célibataire et percevant 100 % du salaire moyen. En moyenne dans la zone OCDE, le coin fiscal pour ce type de ménage est passé de 34.9 % en 2019 à 34.6 % en 2022 ; il a augmenté dans 18 des 38 pays et diminué dans 15, et l'amplitude moyenne de la baisse a été supérieure à l’amplitude moyenne de la hausse. La pression à la hausse exercée par le freinage fiscal potentiel sur le coin fiscal moyen des pays de l’OCDE s’est établie à 0.9 point de pourcentage (en d’autres termes, la croissance des salaires nominaux a entraîné une hausse de près d’un point du coin fiscal moyen de la zone OCDE) et a été supérieur à un point dans 15 pays.
C’est en Türkiye que le freinage fiscal potentiel (4.5 points de pourcentage) a été le plus fort pour ce type de ménage entre 2019 et 2022. La Türkiye est aussi le pays de l’OCDE qui a enregistré la plus forte hausse du salaire nominal au cours de cette période. Toutefois, d'autres pays ont connu une augmentation particulièrement nette du salaire nominal moyen sans pour autant afficher le freinage fiscal potentiel le plus élevé. Sur les 15 pays dans lesquels le freinage fiscal potentiel a été supérieur à un point de pourcentage, six seulement – Türkiye, Luxembourg, Estonie, Lituanie, États-Unis et Islande – font aussi partie des 15 pays où le salaire nominal a le plus augmenté entre 2019 et 2022.
Parallèlement, le freinage fiscal potentiel a été nul en Hongrie et limité à 0.2 point en Lettonie et en Pologne, alors même que ces deux pays sont ceux qui ont vu le salaire augmenter le plus après la Türkiye et la Lituanie au cours de la période 2019-22. La raison en est que la Hongrie, la Lettonie et la Pologne ont un barème fiscal très peu progressif au-delà de 100 % du salaire moyen pour un travailleur célibataire, si bien que la hausse hypothétique du salaire moyen en 2019 ne va pas de pair avec un alourdissement de la charge fiscale. Les représentations graphiques de la charge fiscale figurant dans le chapitre 4 en sont l’illustration.
Famille monoparentale percevant 67 % du salaire moyen
De manière générale, dans le cas d’une famille monoparentale percevant 67 % du salaire moyen, la hausse du salaire nominal au cours de la période 2019-22 aurait entraîné une augmentation beaucoup plus marquée du coin fiscal en l'absence d’indexation et autres mesures que ce qui a été observé dans le cas d'un travailleur célibataire et percevant 100 % du salaire moyen. Le freinage fiscal potentiel pour ce type de ménage s’établit à 3.5 points de pourcentage en moyenne et dépasse 4 points dans 15 pays. Entre 2019 et 2022, le coin fiscal a augmenté dans 22 pays et il est passé de 16.2 % à 16.6 % en moyenne dans la zone OCDE.
Le freinage fiscal potentiel a été beaucoup plus sensible à la hausse du salaire nominal parce que ce type de ménage peut avoir accès à un éventail plus large d'instruments – crédits d'impôt et prestations familiales par exemple – et en raison du rythme auquel le montant de ces avantages diminue à mesure que le salaire nominal augmente aux alentours de ce niveau de revenu. Dix des 15 pays où le freinage fiscal potentiel est supérieur à 4 points font aussi partie des 15 pays où le salaire nominal a connu la plus forte croissance au cours de la période considérée. Dans le même temps, les pays où le salaire nominal a le moins progressé se caractérisent aussi par un faible freinage fiscal potentiel : dans les neuf pays dans lesquels le freinage fiscal potentiel a été inférieur à un point pour ce type de ménage, la croissance des salaires a été plus lente entre 2019 et 2020 qu’elle ne l’avait été entre 2010 et 2019.
La Slovénie constitue cependant une exception remarquable : la croissance annuelle du salaire moyen a été 138 % plus forte pendant la pandémie qu’au cours de la période 2010-2019, mais le freinage fiscal potentiel pour ce type de ménage a été nul, ce qui s’explique en partie par le fait que le montant des prestations familiales diminue lentement à mesure que le revenu augmente et que l’abattement fiscal supplémentaire en faveur des plus défavorisés disparaît progressivement en deçà de 67 % du salaire moyen.
Résultats globaux
Une analyse globale pour les deux types de ménages montre que la liste des 15 pays affichant le freinage fiscal potentiel le plus fort varie sensiblement selon le type de ménage. En Hongrie, Pologne et Lettonie, le freinage fiscal potentiel est nul ou presque pour un travailleur seul percevant 100 % du salaire moyen, tandis que pour une famille monoparentale percevant 67 % du salaire moyen, il est de 5.7 points en Lettonie, 6.2 points en Hongrie et 18.8 points en Pologne – qui arrive loin devant les autres pays de l’OCDE pour ce type de ménage. Ces trois pays se caractérisent par un barème de l’impôt très peu progressif au-delà du salaire moyen, mais le coin fiscal pour une famille monoparentale augmente rapidement à mesure que le revenu progresse en deçà du salaire moyen.
Le Canada est un autre pays où la différence est notable : le freinage fiscal potentiel pour une famille monoparentale percevant 67 % du salaire moyen s’établit à 12.2 points de pourcentage – le pays se classe ainsi en deuxième position parmi les pays de l’OCDE – parce que la hausse du revenu entraîne une baisse des prestations familiales, du crédit pour la taxe sur les produits et services et de la réduction d'impôt provincial, ce qui classe le pays en quatrième position parmi les pays de l’OCDE. Le freinage potentiel n’est que de 0.4 point pour un travailleur seul percevant le salaire moyen.
Pour un travailleur célibataire et percevant 100 % du salaire moyen, le coin fiscal en 2022 a été supérieur à la somme du coin fiscal de 2019 et du freinage fiscal potentiel (somme de la hauteur de la barre bleue et du trait bleu) dans seulement quatre pays – Canada, Costa Rica, Corée et Suisse – contre six pays dans le cas d’une famille monoparentale percevant 67 % du salaire moyen – Costa Rica, Japon, Mexique, Slovénie, Suisse et Royaume-Uni.
Comme le coin fiscal n’avait pas la même structure en 2019 et en 2022 dans les pays de l’OCDE, il n’est pas possible de comparer le freinage fiscal nominal potentiel et le coin fiscal en 2022. Le freinage fiscal potentiel peut plutôt être interprété comme la manifestation d’une pression à la hausse que l’augmentation du salaire nominal a exercée sur le coin fiscal entre 2019 et 2022. Les résultats laissent penser que les mesures fiscales adoptées dans la plupart des pays de l’OCDE, dont les ajustements en fonction de l’inflation, ont, au minimum, permis d'atténuer cette pression. Il est cependant aussi possible que la progression du salaire nominal moyen annule l’impact des mesures fiscales destinées à réduire le coin fiscal.
Cette analyse corrobore des études antérieures montrant que les travailleurs à faible revenu sont particulièrement exposés au risque de freinage fiscal. Ainsi, dans la quasi-totalité des pays, le freinage fiscal potentiel est nettement plus important pour une famille monoparentale percevant 67 % du salaire moyen que pour un travailleur seul percevant le salaire moyen. De surcroît, les pays où le freinage potentiel est le plus fort sont souvent aussi ceux où le salaire nominal a le plus augmenté entre 2019 et 2022, ce qui est vraisemblablement l'une des principales raisons pour lesquelles le coin fiscal a augmenté pour ce type de ménages dans la zone OCDE entre 2019 et 2022 et a aggravé les grandes difficultés que les travailleurs à faible revenu et les travailleurs précaires ont rencontrées sur le marché du travail pendant la pandémie.
Cette Étude spéciale est consacrée aux pratiques des pays de l’OCDE en matière d’indexation dans un contexte où l’inflation se situe à un niveau jamais atteint au cours des 30 dernières années. Bien que les salaires nominaux aient fortement augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE entre 2019 et 2022, ils ont progressé moins vite que les prix en 2022, d'où une diminution des salaires réels. La perte de pouvoir d'achat est d'autant plus grande que l’inflation a alourdi la charge fiscale parce qu’elle a érodé la valeur réelle des seuils des barèmes d’imposition et des prestations – phénomène connu sous le nom de « freinage fiscal ». Les pouvoirs publics peuvent utiliser le freinage fiscal pour accroître les recettes tirées de la fiscalité du travail, ce qui peut cependant avoir une forte incidence sur la transparence et l’effet des impôts et des transferts sur la répartition du revenu. Il est possible d’empêcher en grande partie ce phénomène de freinage en ajustant les paramètres du système fiscal en fonction de l’inflation, en d'autres termes à travers une indexation ou une revalorisation.
Ce chapitre présente les résultats d'un questionnaire qui a été diffusé en juillet 2022 et invitait les pays de l’OCDE à indiquer si et comment ils ajustaient les impôts et prestations inclus dans les modèles des Impôts sur les salaires en réaction à l’inflation. Les réponses au questionnaire révèlent d’importantes disparités entre pays de l’OCDE (et souvent au sein d’un même pays). À peine la moitié des pays pratiquent un ajustement automatique des paramètres de l’IRPP en fonction de l’inflation, tandis qu’une proportion plus forte ajuste automatiquement les cotisations sociales et prestations en espèces. La plupart des pays qui procèdent à un ajustement automatique le font sur la base de la variation des prix à la consommation, même si certains utilisent un indicateur de salaire, en particulier pour ajuster les CSS et les prestations en espèces. Les réponses au questionnaire apportent aussi un éclairage sur les aspects liés au calendrier et à la périodicité de ces ajustements : comme la plupart des pays effectuent des ajustements annuels, souvent sur la base de données retardées sur l’inflation, le risque de freinage fiscal est grand en période de forte inflation.
En conclusion, l’Étude spéciale révèle que la récente hausse du salaire nominal dans les pays de l’OCDE a souvent entraîné un alourdissement de la pression fiscale. Ces résultats rappellent combien il est important d’indexer la fiscalité du travail sur l'inflation pour éviter que la pression fiscale n’augmente sous l’effet du freinage fiscal. L'analyse montre également qu’une famille monoparentale percevant 67 % du salaire moyen est particulièrement exposée au risque de freinage fiscal induit par la hausse du salaire nominal. Ce type de ménage a en effet accès à divers crédits d'impôts, avantages et exemptions, lesquels évoluent en cas de variation du salaire nominal si les paramètres et les seuils ne sont pas ajustés en fonction de l'inflation.
Références
[7] Avram, S. et al. (2013), The distributional effects of fiscal consolidation in nine EU countries, No. EM2/13. EUROMOD Working paper, 2013.
[5] Beer, S., M. Griffiths and A. Klemm (2023), “Tax Distortions from Inflation: What are they and How to Deal with them?”, IMF Working Papers 23/18.
[11] Government of Austria (2022), Government decides to abolish cold progression (bracket creep), https://www.bmf.gv.at/en/press/press-releases/Press-Releases-2022/September-2022/Government-decides-to-abolish-cold-progression-(bracket-creep)-.html (accessed on 25 January 2023).
[4] Heinemann, F. (2001), After the Death of Inflation: Will Fiscal Drag Survive?, pp. 527-546.
[9] Immervoll, H. (2022), Income support for working-age individuals and their families, https://www.oecd.org/social/Income-support-for-working-age-individuals-and-their-families.pdf.
[6] Myck, M. and K. Trzciński (2022), Income Tax Policy in Europe between Two Crises: From the Great Recession to the COVID-19 Pandemic.
[2] OECD (2023), Consumer price indices - Complete database, OECD Publishing, Paris, https://stats.oecd.org/.
[1] OECD (2022), OECD Economic Outlook, Volume 2022 Issue 2, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/f6da2159-en.
[12] OECD (2022), Taxing Wages 2022: Impact of COVID-19 on the Tax Wedge in OECD Countries, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/f7f1e68a-en.
[3] OECD (2008), Taxing Wages 2007, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/tax_wages-2007-en.
[8] Paulus, A., H. Sutherland and I. Tasseva (2020), Indexing Out of Poverty? Fiscal Drag and Benefit Erosion in Cross‐National Perspective, pp. 311-333.
[10] Taoiseach, D. (2020), Programme for Government – Our Shared Future, https://www.gov.ie/en/publication/7e05d-programme-for-government-our-shared-future/.
Notes
← 1. Seules les prestations incluses dans les modèles des Impôts sur les salaires sont analysées dans ce chapitre, ce qui signifie que l'étude ne couvre pas nécessairement toutes les prestations sociales versées dans un pays donné. Des informations complémentaires sont présentées dans les chapitres par pays contenus dans la partie II de cette publication et dans l’annexe.
← 2. Comme souligné dans le chapitre 1 et dans l’annexe au présent rapport, les évolutions des salaires telles qu’elles résultent des modèles des Impôts sur les salaires ne sont pas représentatives de tous les travailleurs de l’économie parce que l’indicateur utilisé ne couvre que les secteurs correspondant aux codes B à N de la CITI, rev. 4 et ne tient pas compte des formes atypiques d’emploi – travail à temps partiel ou activité indépendante, par exemple.
← 3. Les questions soulevées par l’indexation des pensions sur la croissance des salaires, qui est appliquée dans certains pays de l’OCDE, n’entrent pas dans le champ couvert par ce chapitre mais sont pertinentes en ce qui concerne les pratiques d’indexation au sein du système dans son ensemble et la question plus large de la soutenabilité budgétaire.
← 4. Dans certains pays, il existe des différences de pratique entre l'administration nationale et les administrations infranationales. C’est le cas au Canada, où il existe des écarts entre territoires et provinces en ce qui concerne l’automaticité ou non de l’indexation, le nombre de seuils et de valeurs indexés et l’utilisation ou non du taux d'indexation fédéral. L’Ontario, qui est la province représentative pour les Impôts sur les salaires, retient la même approche que l’administration fédérale. Des différences sont aussi observées entre les cantons suisses (à titre d’exemple, le canton de Zurich ajuste les tranches d'imposition et les déductions deux fois par an) et entre les différents États des États-Unis.
← 5. Dont la région de Bruxelles-Capitale, qui est la région de référence pour Les impôts sur les salaires.