Éditorial : La croissance est à son pic, la négociation d’un atterrissage en douceur s’annonce délicate

L’économie mondiale traverse des zones de turbulences. La croissance du PIB mondial est élevée, mais a probablement atteint son pic. Dans de nombreux pays, le chômage est bien en dessous de ses niveaux d’avant-crise, les tensions sur l’emploi augmentent et l’inflation demeure modérée. Mais les échanges et l’investissement marquent le pas, sur fond de hausse de certains droits de douane. De nombreuses économies émergentes sont confrontées à des sorties de capitaux et ont vu s’affaiblir leur monnaie. L’économie mondiale paraît prête pour un atterrissage en douceur, avec une croissance du PIB mondial qui devrait passer de 3.7 % en 2018 à 3.5 % en 2019-20. Mais les risques s’accumulent et les gouvernements et banques centrales devront naviguer prudemment pour préserver des rythmes de croissance du PIB certes plus modestes, mais durables.

Négocier un atterrissage en douceur a toujours été délicat, mais l’exercice est particulièrement difficile aujourd’hui. Avec des banques centrales qui réduisent progressivement, et à juste titre, leurs injections de liquidités, les marchés ont commencé à revoir les prix des risques, la volatilité fait son retour, le prix de certains actifs baisse. Les flux de capitaux, qui ont contribué à l’expansion des économies de marché émergentes, s’inversent progressivement. Les tensions commerciales génèrent de l’incertitude et risquent de perturber les chaînes de valeur mondiales et l’investissement, plus spécialement dans les régions aux liens étroits avec les États-Unis et la Chine. Des incertitudes politiques et géopolitiques montent également en Europe et au Moyen-Orient.

Une accumulation de risques pourrait créer les conditions d’un atterrissage plus brutal que prévu. La recrudescence des tensions commerciales pourrait peser sur la croissance des échanges et du PIB, et générer encore plus d’incertitude pour l’investissement des entreprises. Le durcissement des conditions financières pourrait accélérer les sorties de capitaux en provenance des économies émergentes et faire reculer encore la demande. Un net ralentissement de l’activité en Chine frapperait non seulement les économies émergentes, mais aussi les économies avancées, si ce choc entraînait un repli des cours des actions et une augmentation des primes de risque dans le monde.

Les tensions politiques autres que commerciales augmentent aussi. Au Moyen-Orient et au Venezuela, les difficultés géopolitiques et politiques ont accru la volatilité des cours du pétrole. En Europe, les négociations autour du Brexit suscitent des inquiétudes. Dans certains pays de la zone euro, l’exposition des banques à la dette souveraine pourrait peser sur la croissance du crédit si les primes de risque devaient encore augmenter, ce qui ralentirait la consommation, l’investissement, la croissance et l’emploi.

Dans ce contexte, nous invitons instamment les responsables politiques à rétablir la confiance dans les institutions internationales et dans le dialogue entre tous les pays. Notamment pour apporter une solution coopérative aux discussions sur les échanges commerciaux. L’adoption de mesures concrètes au niveau du G20 serait aussi un signal positif, démontrant que les pays peuvent agir de manière coordonnée et concertée si la croissance devait ralentir plus nettement que prévu.

La coopération est d’autant plus nécessaire que les marges de manœuvre de politique économique sont limitées. Dans certains pays, les taux sont très bas et la politique monétaire est encore très accommodante, alors que les ratios dette privée/PIB et dette publique/PIB se situent à des niveaux historiquement élevés. Le soutien budgétaire diminue, à juste titre, mais si la croissance devait ralentir plus brutalement, les pouvoirs publics devraient profiter de la faiblesse des taux d’intérêt pour s’engager dans une relance budgétaire coordonnée. Dans cette édition des Perspectives économiques, nous présentons des simulations qui montrent qu’une relance budgétaire coordonnée au niveau mondial serait un moyen efficace de réagir rapidement à un ralentissement plus marqué que prévu.

La fragilité de l’environnement rend d’autant plus important l’achèvement de l’Union monétaire européenne, comme suggéré dans la dernière Étude économique de la zone euro réalisée par l’OCDE. Il est urgent que l’Europe mène à son terme l’union bancaire. L’absence de progrès dans ce domaine n’incite pas les banques à réduire la part, toujours importante, d’obligations souveraines domestiques dans leur bilan, ce qui nourrit la perception du risque de redénomination. Progresser sur la mise en œuvre d’une capacité budgétaire commune aiderait aussi à accroître la confiance dans l’aptitude de la zone euro à réagir aux chocs, et à inscrire la croissance dans la durée.

Enfin, la reprise mondiale depuis la crise financière n’a pas produit d’améliorations tangibles du niveau de vie pour un grand nombre de citoyens. Si la pauvreté absolue a fortement reculé dans un certain nombre d’économies émergentes, la crise a montré que les écarts de bien-être entre la partie de la population mobile et hautement qualifiée et la part, plus nombreuse, de personnes moins mobiles et souvent moins qualifiées, se sont creusés depuis plusieurs décennies dans de nombreuses économies avancées. Les écarts de revenu se perpétuent d’une génération à l’autre : trop souvent les perspectives d’avenir de chaque individu dépendent de l’endroit où il est né, où il a été scolarisé et où il a commencé à rechercher un emploi. Ces inégalités, l’absence de mobilité intergénérationnelle, menacent la croissance et alimentent le rejet de la mondialisation, qui a pourtant été vecteur de prospérité de nombreuses régions du monde.

Le ralentissement des gains de productivité dans de nombreuses économies bride la hausse des salaires réels mais même dans les entreprises très productives, la progression des salaires a été modeste. L’innovation technologique, qui tire vers le bas le prix relatif des investissements, renforce le pouvoir de marché des entreprises très productives. En même temps, la baisse du prix relatif des investissements peut entraîner une substitution du capital au travail, en particulier pour les emplois faiblement qualifiés et répétitifs, pour toutes les entreprises. Avec la diffusion du numérique, le fossé entre les emplois hautement qualifiés peu répétitifs et les emplois faiblement qualifiés répétitifs se creuse. Conjuguées à une redistribution moins poussée, ces tendances risquent d’aggraver les inégalités.  

Les pouvoirs publics peuvent faire davantage pour favoriser l’augmentation de la productivité et des salaires. Renforcer la concurrence sur les marchés des produits permettrait de favoriser la croissance de nouvelles entreprises, d’encourager une diffusion plus large des nouvelles technologies, et de contribuer ainsi à une hausse des gains de productivité, mais aussi de mieux répercuter les gains de productivité sur les salaires. Renforcer les compétences est également essentiel parce qu’une main-d’œuvre qualifiée est moins facile à remplacer par de nouvelles technologies. Des politiques actives du marché du travail et des politiques de formation axées sur les compétences sont aussi clés pour aider ceux qui courent le risque d’être exclus du marché du travail.

Certaines décisions des pouvoirs publics renforcent les vents contraires qui soufflent sur nos économies. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de meilleures politiques, qui reposent sur la coopération, la confiance et l’ouverture, pour pouvoir créer des emplois, pérenniser la croissance et relever les niveaux de vie.

21 novembre 2018

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Laurence Boone

Chef économiste de l’OCDE

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