Éditorial : L’enjeu pour les pouvoirs publics : mobiliser le secteur privé au service d’une croissance plus forte et plus inclusive

La croissance économique mondiale s’affermit, les données les plus récentes déjouant les attentes avec des résultats supérieurs aux prévisions. Nous prévoyons, sur la période considérée, une croissance du PIB se situant plus près des moyennes de long terme, entre 3 ½ et 3 ¾ pour cent. Cette dynamique synchronisée imprimera-t-elle en fin de compte à l’économie mondiale un élan suffisant pour relever la productivité, les salaires réels et les niveaux de vie de tous ?

Pouvoir compter sur un investissement du secteur privé plus vigoureux et de meilleure qualité, notamment dans les actifs incorporels et les compétences, est primordial pour la croissance de la productivité et des salaires réels à long terme. Des indices encourageants se font jour : les enquêtes montrent que les entreprises ont l’intention d’investir, en particulier dans le capital technologique ; et les signes annonciateurs d’un redressement mondial, désormais synchrones, sont un appel à investir, en particulier en raison de l’érosion du stock de capital. Il reste que les taux d’investissement prévus demeurent trop faibles pour nourrir une accélération durable de l’activité. C’est pourquoi notre prévision concernant le PIB mondial pour 2019 fait apparaître une croissance dont le rythme se tempère au lieu de continuer à s’accélérer.

Une multitude de facteurs (différents selon les pays) font obstacle à l’affermissement de l’investissement pourtant indispensable pour que la croissance de la productivité permette de satisfaire les attentes des populations en matière d’amélioration de leurs niveaux de vie, et de tenir l’engagement à plus long terme pris par les pouvoirs publics d’offrir aux jeunes des perspectives de carrière prometteuses et d’assurer aux seniors des retraites suffisantes. Les restrictions dans le secteur des services par exemple sont autant de freins à l’investissement, en particulier pour les petites entreprises ; la durée des procédures judiciaires fait obstacle à l’assainissement des bilans et immobilise des ressources dans des entreprises peu performantes ; et les politiques du logement peuvent compliquer le recrutement de travailleurs possédant les compétences voulues, ce qui sape l’investissement tant du côté des travailleurs que des entreprises.

D’aucuns estiment que la croissance du revenu par habitant enregistrée lors de décennies antérieures est désormais hors de portée, et que de telles attentes sont irréalistes, voire inappropriées, au regard des considérations démographiques et environnementales qui prévalent. Or, s’agissant de l’aspect démographique, les travaux de l’OCDE montrent que les changements apportés aux politiques en matière de retraite pour encourager un allongement de la durée des carrières professionnelles et accroître l’activité féminine peuvent compenser en grande partie l’effet de freinage de la production potentielle exercé par l’évolution démographique. Et s’agissant de l’aspect environnemental, le rapport de l’OCDE publié en anglais sous le titre «  Investing in Climate, Investing in Growth  » trace la voie d’une amélioration du bien-être compatible avec des engagements en matière de changement climatique. Une croissance plus soutenue de la productivité est nécessaire pour améliorer les perspectives de salaire dans les économies avancées, et un accroissement de l’investissement— dans le capital physique, humain, public et social (selon des dosages différents en fonction des pays) — est de mise dans les économies émergentes si elles veulent combler leur retard en termes de niveau de vie.

Les marchés de capitaux émettent également des signaux indiquant que l’investissement réel n’a pas encore donné sa pleine mesure et que les incitations à investir sont inappropriées. Lorsque les entreprises investissent dans des actifs financiers plutôt que dans des actifs réels, les prix des actifs augmentent par rapport aux perspectives de croissance à long terme. On continue de voir s’accumuler des éléments prouvant que les prix des actifs financiers ne sont pas en phase avec les anticipations concernant la croissance future et l’orientation de l’action des pouvoirs publics, ce qui aggrave les risques de corrections financières et de dérive à la baisse de la croissance. Des vulnérabilités transparaissent sous diverses formes : les indicateurs de volatilité sont faibles alors même que la probabilité de fortes corrections est élevée, les cours des actions sont relativement hauts par rapport aux taux de croissance et d’actualisation attendus, les écarts de crédit sont étroits par rapport aux risques, les rendements des obligations sont faibles par rapport aux résultats probables des politiques budgétaires et monétaires, et la duration historiquement élevée expose les détenteurs d’obligations à des risques en cas de normalisation des taux d’intérêt. Actuellement, les taux de croissance mondiaux et les marges de manœuvre budgétaire et monétaire sont trop faibles pour qu’il soit possible de résister à d’éventuelles turbulences financières. L’importance des efforts déployés en matière de politiques structurelles n’en apparaît qu’avec plus de relief.

Les responsables de l’action publique doivent engager des changements plus profonds de leurs politiques pour dynamiser la progression de l’investissement, de la productivité et des salaires réels, et rendre la croissance plus inclusive. Il ressort du rapport Objectif croissance de l’OCDE qu’un grand nombre de pays ont concentré leurs efforts et accompli des progrès sur des politiques visant à accroître la fluidité du marché du travail et l’activité en remodelant les dispositifs d’indemnisation, en renforçant l’attrait financier du travail et en améliorant les structures d’accueil des enfants pour favoriser l’intégration des femmes dans la population active. Ces réformes ont porté leurs fruits sous la forme d’augmentations des taux d’emploi, en particulier au sein des groupes qui étaient généralement plus éloignés du marché du travail. Cependant, pour qu’elles se répercutent sur la croissance de la productivité et des salaires réels, il faut améliorer les solutions offertes pour acquérir les compétences adéquates et faire en sorte que les gains de productivité se propagent depuis les entreprises à la frontière jusqu’aux autres. En outre, la concurrence sur les marchés a pour effet d’intensifier la concurrence pour le recrutement de travailleurs, favorisant par là-même une meilleure adéquation des compétences et une hausse des salaires réels. Les efforts de réforme des marchés de produits déployés par les autorités ont été moins ambitieux, en particulier en ce qui concerne la lutte contre les ententes/la politique de la concurrence et les politiques en matière d’échanges et d’investissement ; de fait, les menaces qui pèsent sur l’ouverture sont aujourd’hui omniprésentes. Bien que des progrès aient été accomplis en termes de rétablissement des marchés de capitaux, les entreprises zombies continuent d’accaparer une trop large part des ressources en travail et en capital, ce qui nuit à la dynamique des entreprises, à la productivité et à la progression des salaires réels.

La crise financière a déclenché l’adoption de réformes structurelles et de nouvelles réglementations dans certains pans du système financier, mais l’endettement du secteur privé demeure élevé. Pendant la décennie écoulée, les entreprises se sont de plus en plus tournées vers le financement obligataire à des taux attrayants ; cette évolution s’est accompagnée d’une détérioration de la qualité du crédit et de recours à des émissions internationales, comme décrit au chapitre 2 des Perspectives économiques intitulé «  La résilience dans un contexte d’endettement élevé  ». Si le crédit est nécessaire pour soutenir l’activité économique et l’innovation, il peut amplifier les risques, peser sur la croissance et aggraver les inégalités. Une stratégie intégrée s’impose pour consolider la résilience financière des économies face à des chocs et minimiser les risques de croissance anormalement faible à moyen terme. La réglementation financière ne devrait pas être uniquement axée sur le risque, elle devrait aussi être orientée vers la croissance.

Une certaine lassitude de la part des pouvoirs publics et l’atonie de la croissance ces dix dernières années ont mis un bémol aux ambitions en matière de réforme. Et pour certains, le redressement mondial pourrait inviter à considérer que les pouvoirs publics n’ont plus à fournir d’efforts. En réalité, le rythme rapide de l’évolution technologique – avènement du numérique, robotique, intelligence artificielle, informatique en nuage – exige que, loin de céder à un excès d’optimisme, nous conduisions des réformes plus profondes et de plus large portée. Lorsqu’ils prêtent attention aux défis que posent, à l’échelon local, les évolutions mondiales et les progrès technologiques, les responsables de l’action publique doivent veiller à garantir le partage des chances. Les pays choisissant d’agir plus résolument offriront des conditions plus favorables à leurs entreprises et à leurs citoyens. À l’heure où la reprise mondiale se fait l’alliée des pouvoirs publics, le moment est venu pour eux de redoubler d’efforts.

Le 28 novembre 2017

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Catherine L. Mann

Chef économiste de l'OCDE