Note de réflexion 5 : Aplatir la courbe du chômage : comment soutenir le revenu des travailleurs tout en œuvrant au prompt rétablissement du marché du travail ?

Cette note examine le rôle des mesures de préservation de l’emploi – notamment les dispositifs de chômage partiel – et du régime d’assurance chômage dans le soutien au revenu des travailleurs, et comment ils peuvent garantir que l’emploi se rétablira rapidement lorsque les restrictions appliquées aux activités non essentielles dans le contexte du COVID-19 auront été levées. Les conséquences à long terme de la crise du COVID-19 pour la réaffectation des ressources entre secteurs et entre entreprises étant très incertaines, l’enjeu consiste à préserver les emplois qui sont viables à moyen terme tout en favorisant la réorientation de la main-d’œuvre des entreprises et secteurs en difficulté vers les entreprises et secteurs qui offrent de meilleures perspectives de croissance. Sur cette toile de fond, la présente note examine un certain nombre de solutions de politique qui peuvent permettre d’équilibrer préservation de l’emploi et réaffectation des ressources en ajustant les paramètres des politiques existantes au fil de l’évolution de la crise du COVID-19.

La propagation du virus du COVID-19 virus sur la planète et les mesures adoptées par les gouvernements pour l’endiguer – fermeture de nombreuses entreprises et restrictions sur les déplacements et la mobilité notamment – vont entraîner une forte contraction du PIB, et les pertes d’emplois qui en découlent risquent d’être très loin supérieures à celles enregistrées lors de la crise mondiale de 2008-09. L’OCDE projette une augmentation du taux de chômage d’environ 6 points de pourcentage entre le quatrième trimestre de 2019 et le deuxième trimestre de 2020 dans la zone OCDE, à comparer à la hausse de 2.2 points enregistrée entre le troisième trimestre de 2008 et le deuxième trimestre de 2009.

Les politiques du marché du travail ont un rôle essentiel à jouer, en limitant la précarité sociale et en faisant en sorte que l’emploi puisse rebondir rapidement lorsque les mesures de mise à l’arrêt des activités non essentielles auront pris fin. Cette note s’intéresse plus particulièrement au rôle joué par les politiques visant à préserver les emplois existants (par exemple, dispositifs de chômage partiel, de mise à pied temporaire, et mesures administratives pour limiter les licenciements) et par le régime d’assurance chômage. Les récessions économiques qui sont provoquées par des chocs transitoires et exogènes, tels que les catastrophes naturelles, ne requièrent généralement qu’une réaffectation limitée des ressources. Dans ce cas, les mesures visant à préserver les emplois existants sont peut-être les plus indiquées pour soutenir les travailleurs et veiller à ce que les entreprises puissent reprendre leur activité rapidement une fois les effets du choc initial passés. Mais dans le cas de chocs qui nécessitent une réaffectation massive des ressources, tels qu’une crise financière ou une crise du logement, ou encore des changements persistants des prix des produits de base, les emplois existants sont susceptibles de devenir non viables. Il peut alors être judicieux de s’appuyer partiellement sur le régime d’assurance chômage pour opérer une réaffectation suffisante des ressources et éviter de préserver des emplois dont la viabilité est remise en cause. Le dosage optimal à trouver pour soutenir les travailleurs et assurer une reprise rapide de l’activité, entre mesures de préservation de l’emploi et recours de allocations de chômage, dépendra donc de la question de savoir si le choc exogène provoqué par le COVID-19 est purement transitoire ou plus persistent.

Les principaux constats de l’analyse sont résumés dans l’encadré 2.6.

La loi d’Okun quantifie la réponse moyenne du taux de chômage aux variations de la croissance du PIB. Les études antérieures ont constaté dans l’ensemble que la loi d’Okun était observée avec une grande régularité empirique dans la plupart des pays (Ball et al., 2017). Il apparaît néanmoins qu’en règle générale, le coefficient d’Okun – c’est-à-dire l’effet d’un choc de PIB de 1 % sur le taux de chômage – varie d’un pays à l’autre et, dans une moindre mesure, qu’il varie au fil du temps dans un même pays. Les estimations types du coefficient d’Okun se situent entre -0.1 et environ -0.8, ce qui signifie qu’un déclin de 1 % du PIB conduit à une hausse du taux de chômage comprise entre 0.1 et 0.8 point de pourcentage. Ces variations sont généralement mises au compte des différences existant entre les politiques et institutions du marché du travail.

Les coefficients d’Okun par pays sont estimés à l’aide des données trimestrielles sur le chômage et le PIB au cours de la période 2000-2019, appliquées à l’équation suivante :

(3)    ΔUq=α+β0Δlog(Yq)+β1Δlog(Yq-1)+β2Δlog(Yq-2)+εq

Uq désigne le taux de chômage au trimestre q, Yq le PIB réel, β les coefficients d’Okun et ε le terme d’erreur ; α dénote l’ordonnée à l’origine et peut être interprété comme la mesure dans laquelle le taux de chômage varie quand la croissance du PIB est nulle. Conformément aux résultats des études antérieures, les coefficients d’Okun estimés sont compris entre environ -0.1 dans certains pays, parmi lesquels la Corée, le Japon et la Norvège, et -0.8 en Espagne (graphique d’annexe 2.B.1).

Appliquée aux projections du PIB dans un scénario tablant sur une seule vague de COVID-19 (le « scénario du choc unique »), la loi d’Okun indique que le taux de chômage de l’OCDE pourrait grimper d’environ 5 % au quatrième trimestre de 2019 à 8 % au deuxième trimestre et à 9 % au troisième trimestre de 2020 (graphique 2.25). Dans le scénario du choc unique, la croissance du PIB dans la zone OCDE serait d’environ -2 % au premier trimestre de 2020, de -13 % au deuxième trimestre et de +6 ½ pour cent au troisième trimestre. Le chômage prévu par la loi d’Okun continue d’augmenter au troisième trimestre en dépit du fait que la croissance du PIB repasse en territoire positif, car les coefficients d’Okun estimés impliquent une forte persistance du chômage.

La déviation moyenne positive des projections de l’OCDE par rapport aux prévisions d’Okun peut être due à plusieurs raisons. L’un des facteurs possibles est la prévalence des arrêts d’activité liés au COVID-19 dans les secteurs à forte intensité d’emploi – situation qui semble se vérifier dans la zone OCDE dans son ensemble (graphique d’annexe 2.B.2). Une autre raison possible, particulièrement pertinente dans le contexte actuel, est que la réponse du chômage est non linéaire. Plus précisément, des chocs négatifs massifs sur le PIB sont susceptibles de produire un impact d’une ampleur et d’une rapidité disproportionnées sur le taux de chômage en comparaison de chocs plus modérés. Quoi qu’il en soit, la déviation moyenne positive des projections par rapport aux prévisions d’Okun masque des différences significatives entre les pays (OECD, 2020c). Cela vient peut-être en partie de ce que les projections de l’OCDE intègrent les mesures du marché du travail exceptionnelles mises en place en réaction à la crise du COVID-19.

Les politiques qui encouragent la préservation des emplois existants, tels que les dispositifs de maintien dans l’emploi et les suspensions administratives des licenciements, peuvent faire dévier le chômage des prévisions d’Okun. La loi d’Okun décrite ci-avant mesure la réponse moyenne du chômage aux variations de la croissance du PIB pendant les phases d’expansion économique comme pendant les récessions. Étant donné qu’un certain nombre de gouvernements ont mis en place des mesures exceptionnelles pour freiner la hausse du chômage en réponse à la crise du COVID-19, on peut s’attendre à ce que la loi d’Okun surestime la hausse du chômage, ou tout au moins ne la sous-estime pas, comme le fait apparaître le graphique 2.25 pour la moyenne de l’OCDE. Les données sur la croissance du PIB et le chômage au premier semestre de 2020 n’étant pas encore disponibles, il n’est pas possible de vérifier formellement cette hypothèse ; cependant, on peut effectuer une évaluation préliminaire à l’aide des projections de l’OCDE. Les experts des pays de l’OCDE intègrent dans leurs projections des informations en temps réel sur la croissance du PIB et le chômage, tirées d’indicateurs à haute fréquence, ainsi que des informations sur l’étendue des mesures de préservation de l’emploi, y compris des données relatives aux expériences passées et des informations en temps réel sur l’utilisation des programmes. Si elles ne permettent pas de vérifier formellement l’hypothèse selon laquelle les mesures de préservation de l’emploi atténuent la hausse du chômage, les projections de l’OCDE peuvent néanmoins être utilisées pour résumer les informations actuellement disponibles de façon synthétique.

Pour pouvoir comparer et contraster les résultats, il a été décidé de répartir les pays en deux groupes : ceux dotés de dispositifs de maintien dans l’emploi de grande ampleur (« pays avec dispositifs de maintien dans l’emploi » et ceux qui n’ont pas pris de mesures exceptionnelles dans ce domaine et ont continué de compter principalement sur l’assurance chômage (« pays s’en remettant à l’assurance chômage »). Les « pays avec dispositifs de maintien dans l’emploi » ont étendu les dispositifs existants ou mis en place de nouveaux programmes de grande ampleur pendant la crise, et des données indiquent qu’une part importante des entreprises et des travailleurs y ont effectivement recours (tableau d’annexe 2.B.1). Les « pays s’en remettant à l’assurance chômage » n’ont pas de dispositifs de maintien dans l’emploi, ou les dispositifs qui existent ne sont utilisés que par une faible proportion des entreprises et des travailleurs.

Les projections du chômage sont supérieures aux prévisions d’Okun dans les pays s’en remettant à l’assurance chômage, mais comparables aux prévisions d’Okun dans les pays avec dispositifs de maintien dans l’emploi (graphique 2.26). Le fait que les projections du chômage ne dévient pas sensiblement des prévisions d’Okun dans les pays avec dispositifs de maintien dans l’emploi – alors que l’intensité d’emploi apparaît plus élevée dans les secteurs ayant été contraints de fermer que dans les autres secteurs – signifient que dans les projections établies par les bureaux géographiques, les dispositifs de maintien dans l’emploi freinent considérablement la hausse du chômage. Au deuxième trimestre, la déviation est négligeable dans ces pays alors qu’elle dépasse la prévision d’Okun d’environ 7 ½ points dans les pays s’en remettant à l’assurance chômage. Si l’on prend cette différence de déviation entre les deux groupes de pays au pied de la lettre, cela signifie que, sur la base des projections établies par les bureaux géographiques, les dispositifs de maintien dans l’emploi freinent la hausse du chômage de 7 ½ points en moyenne au deuxième trimestre de 2020 (déviation nulle moins déviation positive de 7 ½ points)1.

Une façon complémentaire d’évaluer l’efficacité probable des politiques en termes de préservation des emplois existants consiste à comparer l’évolution en temps réel du chômage dans les pays dotés et non dotés de dispositifs de maintien dans l’emploi de grande ampleur. Dans l’idéal, il faudrait comparer les déviations par rapport à la même prévision d’Okun. Or, les données sur le PIB sont moins actuelles que les données sur le chômage et sont recueillies à une fréquence moins élevée, de sorte qu’il n’est pas possible de calculer les déviations par rapport à la loi d’Okun en temps réel. L’approche retenue dans l’encadré 2.7 met en regard le changement du nombre de chômeurs déclarés et la part de la population active couverte par les demandes de recours aux dispositifs de maintien dans l’emploi. La hausse du chômage a été systématiquement plus faible dans les pays où la part de la population active couverte par les demandes d’utilisation des dispositifs de maintien dans l’emploi était plus élevée, ce qui tendrait à montrer que ces dispositifs ont effectivement limité la hausse du chômage.

D’après les analyses présentées ci-dessus, effectuées à partir des projections du chômage de l’OCDE et de données sur le chômage en temps réel, les mesures qui encouragent la préservation des emplois existants sont probablement efficaces pour ce qui est de limiter la hausse du chômage à court terme. Des recherches antérieures laissent également penser que ces mesures sont efficaces au sens où elles ne préservent pas au premier chef des emplois qui auraient été maintenus même en l’absence de tels dispositifs (Hijzen and Venn, 2011 ; OECD, 2018). Chercher un emploi adéquat sur le plan du salaire et d’autres attributs non salariaux, tels que le lieu d’exercice, le temps de travail ou les avantages offerts par l’employeur, est coûteux pour les travailleurs, de même que chercher du personnel adéquat est coûteux pour les employeurs. La préservation des emplois existants réduit ces coûts d’appariement entre employeurs et employés et peut ainsi contribuer à ce que le rebond de l’activité s’accompagne d’une plus prompte reprise du marché du travail. À considérer que le choc lié au COVID-19 soit temporaire et ne nécessite pas une réaffectation massive des ressources, le fait de geler l’affectation actuelle des ressources en préservant les emplois existants pourrait également favoriser la croissance à long terme de l’emploi et de la productivité en limitant la perte de capital humain propre aux entreprises2. Il se pourrait toutefois que la préservation des emplois existants ne soit pas efficiente si le choc lié au COVID-19 perdure plus longtemps que prévu initialement, dans la mesure où une partie des emplois préservés par les dispositifs de maintien dans l’emploi ne sont peut-être pas viables à long terme. Par exemple, un certain nombre d’activités non essentielles (telles que les voyages, l’hôtellerie et la restauration, certains secteurs de la vente au détail et les services de loisirs) pourraient accuser un déclin durable et non transitoire sous l’influence des nouvelles normes d’éloignement physique et de l’évolution des préférences des consommateurs3.

L’une des options de politique pouvant être envisagée pour préserver les emplois existants est le recours aux dispositifs de maintien dans l’emploi. Ceux-ci reposent en général sur le principe suivant : les entreprises sont subventionnées pour préserver les emplois correctement pourvus existants, et de leur côté, les employés ne subissent pas de perte de salaire ou ne subissent qu’une perte limitée (encadré 2.8). En pratique, les entreprises continuent à payer une part importante du salaire mensuel de leurs employés, même si ceux-ci ne travaillent qu’à temps partiel ou ne travaillent pas du tout. En retour, elles peuvent demander une subvention salariale couvrant une partie de l’excédent de coûts salariaux qu’elles ont à payer. Les dispositifs de chômage partiel permettent d’instaurer un partage du travail dans la mesure où, en règle générale, le temps de travail de l’ensemble des salariés est réduit dans une proportion fixe. Les dispositifs de mise à pied temporaire, quant à eux, permettent aux entreprises de mettre la totalité ou une partie de leur personnel en « congé » (c’est-à-dire en « zéro heure »). Dans la pratique, la différence entre les deux dispositifs est moins nette car la plupart des programmes de mise à pied temporaire établis pendant la crise du COVID-19 autorisent un certain degré de partage du travail. Divers pays, parmi lesquels l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont mis en place de vastes programmes de subvention salariale qui ne sont pas subordonnés à la réduction du temps de travail mais peuvent être utilisés comme des dispositifs de chômage partiel ou de mise à pied temporaire. Il est généralement imposé aux entreprises qui ont recours aux dispositifs de maintien dans l’emploi de ne pas licencier pendant qu’elles utilisent ces dispositifs, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays, comme l’illustre l’exemple du régime de chômage partiel allemand (encadré 2.8).

Les dispositifs de maintien dans l’emploi utilisés dans un objectif de partage du travail sont particulièrement efficaces pour préserver le capital humain, dans la mesure où les salariés continuent de travailler à temps partiel tout en percevant une subvention de chômage partiel. La modulation du nombre d’heures travaillées permet aux entreprises d’ajuster le temps de travail au lieu d’ajuster l’emploi, et donc de préserver les emplois correctement pourvus, tandis qu’elle permet aux travailleurs de conserver leur capital humain et leur évite le traumatisme de la perte d’emploi. Pour que les dispositifs de maintien dans l’emploi contribuent au partage du travail entre l’ensemble des travailleurs, un paramètre important à prendre en considération est la couverture des travailleurs atypiques, tels que les travailleurs temporaires et les travailleurs indépendants économiquement dépendants. Une large couverture est un moyen de s’assurer que les travailleurs atypiques n’assument pas une part disproportionnée des coûts d’ajustement de l’emploi (OECD, 2020d).

Autre mesure relevant du marché du travail qui peut être envisagée pour préserver les emplois existants et geler l’affectation des ressources dans son état actuel : la suspension des licenciements économiques. Un certain nombre de pays parmi lesquels l’Italie et l’Espagne ont mis en place ce type de suspension à des degrés divers (encadré 2.8). À l’inverse des dispositifs de chômage partiel, dont le coût est généralement réparti entre les travailleurs, les entreprises et l’État, le coût des suspensions administratives est entièrement supporté par l’entreprise si aucune subvention compensatoire n’est en place. Cela fait peser un risque de faillite sur des entreprises qui seraient viables en d’autres circonstances. En Italie et en Espagne, par exemple, les autorités s’efforcent d’atténuer ce risque en octroyant des subventions, qui prennent la forme d’un appui aux liquidités (OECD, 2020a), ou en combinant suspension des licenciements et dispositifs de chômage partiel. Néanmoins, l’un des inconvénients majeurs de la suspension des licenciements économiques est qu’elle ne s’applique pas aux travailleurs atypiques, tels les travailleurs temporaires dont le contrat est sur le point d’expirer ou les travailleurs indépendants économiquement dépendants, qui ne sont pas couverts par la réglementation sur les licenciements. L’accès limité des travailleurs atypiques aux dispositifs de chômage partiel pourrait encore accentuer le caractère inégalitaire de l’ajustement de l’emploi entre les différents groupes de travailleurs (OECD, 2020d).

Un certain nombre de pays, parmi lesquels on trouve une proportion importante de pays d’Europe centrale et orientale et les États-Unis, n’ont instauré qu’un nombre très limité de mesures relevant du marché du travail pour préserver les emplois existants4. Dans ces pays, les entreprises sont davantage incitées à mettre à pied une partie de leurs employés pour faire face au choc du COVID-19. Ainsi, des données sur le chômage déclaré aux États-Unis indiquent que dans ce pays, 13 % environ des actifs ont été mis à pied entre la mi-mars et la fin avril 2020. Ce chiffre s’explique en partie par la facilité des procédures de mise à pied aux États-Unis, ainsi que par l’absence de dispositifs de maintien dans l’emploi importants au niveau fédéral5.

Cette approche est compatible avec l’éventualité que le choc lié au COVID-19 ait des répercussions économiques plus durables que prévu initialement, et qu’il faille en conséquence procéder à une réaffectation importante des ressources à l’avenir. Les travailleurs mis à pied sont plus susceptibles de s’engager dans une recherche d’emploi que les travailleurs placés en chômage partiel. Il semble par ailleurs qu’une part exceptionnellement élevée des mises à pied effectuées aux États-Unis en mars et avril soient de nature temporaire, de l’ordre de 90 % de l’ensemble des travailleurs mis à pied ayant déclaré l’être de façon temporaire dans l’enquête sur la population active d’avril. Les travailleurs mis à pied à titre temporaire se sont vu explicitement notifier une date de réembauche par leur employeur ou s’attendent à être réembauchés à l’avenir, ce qui semblerait indiquer que les relations employeur-employé n’ont pas été totalement rompues et qu’une partie du lien entre l’employé et son ancien employeur reste intacte (Groshen, 2020). Le taux de réembauche est particulièrement élevé dans le cas des mises à pied temporaires – de l’ordre de 85 % selon Fujita et Moscarini (2017). Par conséquent, il est possible qu’une part importante de ces travailleurs soient réembauchés par leur ancien employeur si la situation économique se normalise6. En revanche, les employeurs dont les perspectives de croissance à long terme sont compromises par le choc lié au COVID-19 seront sans doute enclins à rompre les relations d’emploi de façon définitive.

Le principal inconvénient de l’approche consistant à recourir à l’assurance chômage au lieu de préserver les emplois existants est qu’elle risque de provoquer un nombre de licenciements excessif et d’être source de précarité sociale. Les entreprises n’assument pas immédiatement le coût des mises à pied, tandis qu’elles assument une partie du coût des dispositifs de chômage partiel. Même si elles considèrent que les emplois correctement pourvus sont viables à long terme, les entreprises peuvent être tentées de mettre à pied certains de leurs employés pour réduire leurs coûts, générant une externalité négative pour le régime d’assurance chômage (Cahuc and Zylberberg, 2008). Le risque de licenciements excessifs est particulièrement élevé dans les pays où l’emploi est peu protégé. Par ailleurs, l’approche consistant à se reposer sur le régime d’assurance chômage au lieu de préserver les emplois existants peut être source de précarité sociale, en particulier si les taux de remplacement des revenus d’activité sont bas ou si une fraction importante de la population active n’est pas admissible aux allocations de chômage (par exemple les travailleurs indépendants économiquement dépendants) ou ne peut prétendre qu’à de faibles indemnités (par exemple les travailleurs temporaires dont l’historique d’emploi est lacunaire) (OECD, 2020d). Même si la couverture du régime d’assurance chômage a été étendue et le montant des prestations augmenté, cette approche peut engendrer des difficultés sociales dans les pays où l’assurance maladie et/ou retraite est fournie par l’employeur ou liée au statut des personnes au regard de l’emploi.

Compte tenu de l’incertitude élevée qui entoure l’incidence du choc lié au COVID-19 sur la réaffectation des ressources, l’enjeu pour les décideurs est de trouver le juste équilibre entre les mesures axées sur la préservation des emplois viables à long terme et la réaffectation des travailleurs qui occupent des emplois non viables. L’attitude prudente est d’associer mesures de préservation des emplois existants et extensions temporaires des allocations de chômage, qui peuvent limiter les pertes de revenus des travailleurs mis à pied. Il pourrait être envisagé d’ajuster les coûts relatifs de l’utilisation du chômage partiel et des mises à pied pour les entreprises (OECD, 2018). Dans les situations où il apparaît nécessaire d’intensifier la réaffectation des ressources – ce qui pourrait être le cas si l’activité des secteurs impliquant de nombreux contacts ne se redresse pas complètement à moyen terme – une solution, pour rendre l’option de la mise à pied plus attrayante, serait de réduire la subvention de l’État aux dispositifs de chômage partiel, quitte à étendre l’assurance chômage pour protéger les revenus des travailleurs. C’est là une piste qui gagnerait à être creusée à mesure que les restrictions sur l’activité seront assouplies dans les pays où les dispositifs de maintien dans l’emploi sont subventionnés très généreusement par l’État, tels que le Danemark, la France et le Royaume-Uni. Dans les pays exposés à un risque de licenciements excessifs, tels que la plupart des pays d’Europe centrale et orientale et les États-Unis, il y a peut-être matière à promouvoir l’utilisation des dispositifs de chômage partiel existants et/ou de subordonner l’accès aux divers programmes d’aide établis en réponse au COVID-19 à des obligations de préservation de l’emploi7. Dans les États américains dotés de dispositifs de chômage partiel, par exemple, les entreprises pourraient être encouragées à réduire la durée du travail au lieu de mettre à pied des employés, en sorte que les travailleurs en activité partielle puissent percevoir l’intégralité des 600 USD forfaitaires hebdomadaires alloués par le plan d’urgence face au COVID-19, en plus des allocations de chômage proratisées (Von Watcher, 2020).

Un autre moyen d’ajuster l’équilibre entre préservation des emplois existants et réaffectation des ressources est d’encourager la réaffectation dans le cadre des dispositifs de chômage partiel et de promouvoir la réembauche de main-d’œuvre dans les cas où les entreprises recourent principalement aux mises à pied pour ajuster le temps de travail total. Pour favoriser la réaffectation au sein des dispositifs de chômage partiel, il pourrait être judicieux de lever les restrictions qui empêchent les travailleurs de combiner nouvel emploi et prestations. Des subventions à la formation, par exemple dans le domaine des compétences numériques, pourraient être accordées aux travailleurs couverts par les dispositifs de chômage partiel afin qu’ils soient aptes à chercher et occuper un emploi en ligne. Dans les pays où les entreprises recourent essentiellement aux mises à pied, il est possible d’encourager la préservation des emplois existants qui sont viables à long terme en subventionnant la réembauche des travailleurs licenciés. Les entreprises ne prennent pas en compte l’externalité positive que représentent les réembauches dans la mesure où les avantages liés aux réembauches ne reviennent qu’en partie aux entreprises, sous la forme d’une hausse de la productivité, une autre partie de l’externalité positive revenant aux travailleurs sous la forme de salaires plus élevés. En Israël, par exemple, le gouvernement a instauré une subvention à la réembauche d’environ 2 100 USD à la fin du mois de mai. Un moyen de subventionner les réembauches dans le contexte de la crise du COVID-19 consisterait à convertir en partie l’appui aux liquidités fourni sous la forme de prêts sans intérêts ou de reports d’impôts en subventions assorties d’une obligation pour l’entreprise de réembaucher les employés qu’elle a licenciés (Fujita et al., 2020).

Références

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Fujita, S. et G. Moscarini (2017), « Recall and Unemployment », American Economic Review, vol. 107, n° 12, pp. 3875-3916, https://doi.org/10.1257/aer.20131496.

Fujita, S., G. Moscarini et F. Postel-Vinay (2020), The labour market policy response to COVID-19 must save aggregate matching capital, VoxEU CEPR Policy Portal, https://voxeu.org/article/labour-market-policy-response-covid-19-must-save-aggregate-matching-capital.

Groshen, E. (2020), It Matters that Most COVID Layoffs in March were Furloughs, https://www.ilr.cornell.edu/work-and-coronavirus/public-policy/it-matters-most-covid-layoffs-march-were-furloughs.

Hijzen, A. et D. Venn (2011), The Role of Short-Time Work Schemes during the 2008-09 Recession, Éditions OCDE, Paris.

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Notes

← 1. Il est à noter que l’intensité d’emploi dans les secteurs qui ont dû fermer n’est pas systématiquement plus élevée dans les pays s’en remettant à l’assurance chômage que dans les pays avec dispositifs de maintien dans l’emploi, ce qui tendrait à montrer que les différences de déviation par rapport à la loi d’Okun ne reflètent pas uniquement des différences d’intensité d’emploi.

← 2. Des données se rapportant aux États-Unis indiquent que la probabilité de réembaucher un employé précédemment mis à pied est corrélée positivement à la durée d’occupation de l’emploi avant l’entrée au chômage et que la baisse de salaire des travailleurs mis à pied est plus faible parmi les ceux qui finissent par réintégrer leur entreprise (Fujita and Moscarini, 2017). Il semble donc que le capital humain propre à l’entreprise joue un rôle important.

← 3. S’appuyant sur une enquête auprès des entreprises, Barrero et al. (2020) estiment qu’aux États-Unis, jusqu’à présent, le choc lié au COVID-19 a causé, à court terme, trois nouvelles embauches pour dix mises à pied.

← 4. Ces pays ont pour la plupart adopté des mesures importantes qui ne relèvent pas du marché du travail pour préserver les entreprises existantes, par exemple sous la forme d’un appui aux liquidités (OECD, 2020a), et protègent les travailleurs contre les pertes de revenus au moyen de prestations d’assurance chômage étendues (OECD, 2020f).

← 5. Aux États-Unis, il existe des dispositifs de chômage partiel dans 26 États, mais leur utilisation est extrêmement limitée (Von Watcher, 2020).

← 6. Les réembauches devraient être d’autant plus nombreuses que le choc lié au COVID-19 sera de courte durée, dans la mesure où la probabilité de réembauche est élevée lorsque l’épisode de chômage est de courte durée, mais décline lorsqu’il s’allonge (Fujita and Moscarini, 2017).

← 7. Le Paycheck Protection Programme, adopté dans le cadre du plan d’urgence face au COVID-19 (loi CARES), alloue aux entreprises des prêts qu’elles n’ont pas à rembourser si elles les utilisent pour payer leurs salariés, leur loyer et leurs factures de services publics. Il s’avère cependant que le plafonnement du montant des prêts par entreprise et le niveau élevé des loyers dans les grandes villes ont limité le degré de maintien dans l’emploi.

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Cet ouvrage est publié sous la responsabilité du Secrétaire général de l’OCDE. Les opinions et les interprétations exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues officielles des pays membres de l’OCDE.

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Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem-Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.

Note de la Turquie
Les informations figurant dans ce document qui font référence à « Chypre » concernent la partie méridionale de l’Ile. Il n’y a pas d’autorité unique représentant à la fois les Chypriotes turcs et grecs sur l’Ile. La Turquie reconnaît la République Turque de Chypre Nord (RTCN). Jusqu’à ce qu'une solution durable et équitable soit trouvée dans le cadre des Nations Unies, la Turquie maintiendra sa position sur la « question chypriote ».

Note de tous les États de l’Union européenne membres de l’OCDE et de l’Union européenne
La République de Chypre est reconnue par tous les membres des Nations Unies sauf la Turquie. Les informations figurant dans ce document concernent la zone sous le contrôle effectif du gouvernement de la République de Chypre.

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