L’OCDE doit jouer un rôle pionnier pour les Objectifs de développement durable

Gass Ron
Directeur fondateur de la Direction de l’OCDE des affaires sociales, de la main-d’œuvre et de l’éducation et du Centre de l’OCDE pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement

À une époque, j’aurais pu dire que l’OCDE avait le développement durable dans le sang mais les métaphores biologiques ont beaucoup évolué depuis quelques années et je dirai aujourd’hui que développement durable est dans l’ADN de l’Organisation. La Convention de l’OCDE signée en décembre 1960 évoque la détermination des pays signataires à « réaliser la plus forte expansion possible de leur économie et améliorer le bien-être économique et social de leurs peuples ». Cet engagement est régulièrement réaffirmé, comme en 2013 par exemple, lorsque la mission stratégique de l’OCDE a été définie comme étant d’aider à l’avènement d’une économie résiliente, d’une société inclusive et d’un environnement durable.

La question de savoir comment relier la croissance économique et les autres objectifs ne relève pas simplement de l'analyse puisqu’elle met à nu les brûlantes questions politiques du jour : biosphère en danger ; inégalités grandissantes constituant une menace pour la démocratie ; et nouvelle révolution technologique. Plus important encore, on observe dans le monde entier une perte de confiance dans la capacité des gouvernements à progresser vers la concrétisation d'objectifs manifestement souhaitables.

Aucun de ces problèmes ne peut être abordé isolément, mais les systèmes économiques, sociaux et environnementaux obéissent à des logiques différentes de sorte que l’analyse systémique est à nouveau en vogue. Les arbitrages et les synergies peuvent être mis en évidence par l’analyse mais c'est aux responsables politiques qu'il revient d'opérer un choix entre différents objectifs. La décompositions des cadres d'action fait partie de ce mouvement qui a plusieurs axes : la nécessité de mettre en relation un éventail restreint d’indicateurs avec les objectifs politiques de chaque pays ; les "tables rondes" dans le processus des examens nationaux pour définir les véritables options pour l’action ; le rôle prépondérant des zones métropolitaines dans la croissance ; et le fait que les stratégies nationales peuvent simplement ne pas donner de bons résultats au niveau régional.

Est-il possible de réformer les systèmes économiques, sociaux et environnementaux de manière à tenir compte de cette vision plus complexe et plus réaliste de ce qui motive les êtres humains ? L’égoïsme rationnel peut-il être contrebalancé par l’altruisme, le pouvoir par l’autonomie individuelle et l’appât du gain par la solidarité ? Ces questions portent le modèle de croissance de l’OCDE à ses limites, voire au-delà. Elles remettent en question les hypothèses concernant le comportement de l'homme et de la femme agents économiques sur lesquelles repose la théorie macroéconomique dominante. Du côté de la théorie, l’économie comportementale commence à apporter un nouvel éclairage sur la rationalité individuelle et collective. Du côté de l’action, des concepts nouveaux comme l’économie collaborative commencent à être débattus.

La longue quête de l’OCDE pour des sociétés justes (distribution des revenus) et ouvertes (égalité des chances) se heurte à présent à un nouveau défi : comment relier ces deux dimensions? Les analyses de l’OCDE montrent que les inégalités de revenu s’aggravent et que l’ascenseur social est en panne. Il n’y a pas de stratégie clairement définie pour assurer la redistribution des chances, associant à la fois l’éducation et le marché du travail. La redistribution des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie pourrait être une réponse car elle aiderait les individus à renouveler leur capital humain plusieurs fois au cours de leur vie.

Derrière tout cela se cache la menace la plus grave pour la société inclusive: les profondes inégalités intergénérationnelles. Lorsque j’ai demandé aux participants au Séminaire sur la nouvelle logique de croissance organisé dans le cadre de l’Initiative de l’OCDE sur les nouvelles approches face aux défis économiques (NAEC) si la croissance inclusive englobait la population inactive, le « oui » franc reçu en réponse m’a surpris car j’avais l’impression inverse. Manifestement, la croissance inclusive couvre la population inactive dans la mesure où le revenu des ménages et les soins de santé sont concernés, mais le problème de l’exclusion sociale pose la question de la redistribution des possibilités et pas seulement des revenus. D’où la création récente du Centre l’OCDE pour les opportunités et l’égalité (COPE).

La situation des jeunes dans la société, comme celle des femmes défendue par le mouvement féministe, ne relève pas uniquement de l’économie. Comme indiqué dans le projet du Centre de développement de l'OCDE et de l'UE sur l’intégration des jeunes : « les jeunes sont les agents du changement. Ils vivent dans un monde en pleine mutation et leurs attentes sont fortes ». Le coût à payer si l’on empêche les jeunes d'accéder à la condition d'adulte, en tant que citoyens mais aussi en tant que travailleurs, sera très élevé. La réponse réside dans une « société digne des générations futures », thème déjà abordé dans le cadre du Groupe de stratégie globale. L’avenir se joue aujourd'hui et il est à inventer, ainsi s’expriment les visionnaires stratégiques. Certes, mais il doit aussi s’appuyer sur les fondations du passé.

Je suis frappé par le fait que le passé et l’avenir se télescopent. La croissance comme la décroissance sont dans la nature des choses: la gousse devient fleur, meurt et renaît. L’humanité a apporté l’idée de progrès : avancer vers des objectifs choisis.

Cependant, le lien entre objectifs collectifs et autonomie individuelle est au cœur de la démocratie et il envahit le débat philosophique, politique et économique contemporain. Les droits de l’homme, l’autonomisation, les besoins humains universels sont intégrés dans les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies et l’approche de l’OCDE pour « une vie meilleure ». Comment cette réalité peut-elle s’exprimer dans les efforts entrepris par les pays de l’OCDE et les autres pays pour tracer leur propre avenir ?

Il est impossible de faire appel en toutes circonstances à des solutions fondées sur les marchés pour faire face aux interdépendances systémiques entre l’économie, la société et la nature. Un nouvel humanisme, centré sur les besoins fondamentaux de l’homme et non sur une fuite en avant consumériste, doit être adopté pour combattre la menace du transhumanisme. Aujourd’hui, il faut faire preuve de créativité et d'esprit d'innovation dans le cadre de l’action publique, en s’appuyant sur une vision stratégique et en ayant le progrès humain comme objectif.

L’objectif visant à réconcilier nature, économie et société nécessite que l’on se place dans une perspective mondiale. En l’absence d’un gouvernement universel, une sorte de coalition d’organisations multinationales, au service de l'impulsion politique qui est donnée dans le cadre de l’ONU, du G20 et du G7, émerge. Il existe de nombreux exemples d’activités de coopération bilatérale mises en œuvre par l’OCDE et d’autres organisations internationales comme l’OMC, l’OIT et l’UNESCO, mais le phénomène le plus frappant est l’effort commun déployé pour réaliser les ODD.

Au sein de cette « coalition » d’organisations internationales, le rôle de l’OCDE consiste à explorer de nouvelles voies et à établir des normes, en s’appuyant sur le pouvoir de persuasion plutôt que sur le pouvoir juridique ou financier comme le FMI, l’OIT et l’OMC. Le professionnalisme, la neutralité politique et l’indépendance intellectuelle sont déterminants si l’on veut que ce rôle soit tenu et accepté.

Liens utiles

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2sI.

Travaux de l’OCDE sur les Objectifs de développement durable : www.oecd.org/dac/sustainable-development-goals.htm.