Région Asie-Pacifique: les défis du développement durable

Groff Stephen P.
Vice-président (Asie du Sud-Est, Asie de l’Est et Pacifique), Banque asiatique de développement

Malgré les formidables avancées enregistrées dans la baisse du nombre de personnes vivant dans une misère abjecte, plus de la moitié de la population mondiale touchée par l’extrême pauvreté se trouve aujourd’hui dans la région Asie-Pacifique. Compte tenu de l’incertitude des perspectives économiques régionales et mondiales, la principale difficulté pour l’Asie est de maintenir le rythme de croissance nécessaire pour créer des emplois et réduire la pauvreté.

Il est tout aussi important de veiller à ce que les efforts de développement entrepris pour lutter contre la pauvreté s’attaquent au caractère multidimensionnel du problème. Les Objectifs de développement durable (ODD) prennent acte du fait que beaucoup de problèmes sont étroitement liés dans des domaines comme l’eau, l’assainissement, l’éducation et la santé et exigent une approche intégrée. Concilier de multiples composantes dans un projet unique ajoute à la complexité ; nous devons donc prendre dûment en considération les enseignements qui se dégagent des interventions passées. De la sorte, nous pourrons garantir que nos efforts au niveau des projets renforcent les réformes structurelles et macroéconomiques visant à promouvoir la croissance économique et à accroître le bien-être.

À cet égard, il est largement admis que la croissance doit être socialement inclusive. Les résultats obtenus au regard de nombreux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) montrent que la croissance économique et le recul de la pauvreté monétaire à eux seuls ne sont pas parvenus à réduire bon nombre de formes de dénuement. Si les pays ont dans leur ensemble été en mesure de réaliser les cibles des OMD concernant l’enseignement primaire (taux de scolarisation et taux d’achèvement des études), il n'en va pas de même pour les cibles visant à réduire le nombre d’enfants souffrant d’un déficit pondéral, à améliorer la santé infantile et à réduire la mortalité maternelle. Par ailleurs, beaucoup d'entre eux sont loin d'assurer à leur population l'accès aux services d’assainissement de base, situation associée à un mauvais état sanitaire. Quant à l’OMD sur l’égalité des sexes, il devrait être réalisé mais les progrès sont à la traîne sur le front de l’autonomisation des femmes.

Ces manques de résultat persistants sont préoccupants car la montée des inégalités, qu'il s'agisse des revenus ou de l’accès aux services de base à l’intérieur des pays et des sous-régions et entre ceux-ci, est susceptible de fragiliser la cohésion sociale et d’éroder les gains obtenus sur le plan du développement. Les disparités entre les hommes et les femmes, par exemple, entraînent une perte de ressources humaines productives précieuses, ce qui fragilise la performance économique d’un pays et le tissu social des communautés qui le compose.

Des menaces comme l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’appauvrissement de la biodiversité, les inondations et les sécheresses, qui portent préjudice aux moyens de subsistance des populations vulnérables en particulier, viennent encore aggraver ces problèmes. Elles intensifient les pressions sur les ressources naturelles, phénomène qui devrait s’aggraver avec la croissance démographique en Asie.

Ces faits mettent en lumière les dimensions multiples et interdépendantes des défis que les ODD doivent permettre de relever. Que nous apprend la mise en œuvre des OMD ? Lorsque les problèmes se recoupent, des projets et programmes bien conçus peuvent véritablement améliorer la vie des populations. L’expérience que nous avons acquise dans le cadre d’activités multisectorielles mises en œuvre dans les secteurs sociaux « avant 2015 » offre des enseignements utiles pour ce type de programmes.

Premièrement, pour les institutions financières internationales, les difficultés à atteindre les objectifs dans le cadre de projets multisectoriels peuvent donner lieu à des notes de performance faibles et créer des freins internes sans que cela soit voulu. Face à ce risque, nous avons modifié notre stratégie opérationnelle en simplifiant la conception des projets, en adoptant une approche sectorielle comportant moins de composantes si les conditions ne se prêtent pas à une approche multisectorielle ; en évaluant, et le cas échéant, en renforçant la capacité des pouvoirs publics à entreprendre des opérations multisectorielles, par exemple pour les services municipaux ; en créant des incitations pour que les citoyens puissent avoir accès à des services grâce à des approches comme les transferts monétaires conditionnels ; en travaillant avec les pouvoirs publics afin qu'ils collaborent avec des prestataires de services différents et efficaces, comme les ONG, les entreprises publiques et le secteur privé, pour la prestation de services et la reddition de comptes ; et en modifiant les mécanismes de financement dans le but de mieux soutenir les grands programmes pilotés par les pouvoirs publics, lorsque ceux-ci fonctionnent bien et produisent des résultats de manière relativement satisfaisante.

Deuxièmement, alors que les OMD étaient principalement considérés comme des objectifs définis à l'intention des pouvoirs publics, leur mise en œuvre a mis en évidence la nécessité de faire appel à des partenariats entre les gouvernements, les citoyens et le secteur privé pour concrétiser les ODD. Si l’adhésion de tous les partenaires aux ODD est forte, il reste beaucoup à faire aux niveaux national et régional pour traduire ces Objectifs de développement internationaux en législations, réglementations et politiques opérationnelles acceptées par l’ensemble des parties.

Troisièmement, la mise en œuvre des OMD montre à quel point les données et les connaissances sont indispensables pour apporter des améliorations progressives aux opérations menées. L’arrivée des ODD est opportune car elle coïncide avec des progrès technologiques dans un monde plus ouvert et interdépendant qui nous permettront d’entreprendre des recherches opérationnelles à l’aide de nouveaux outils comme l’internet, les satellites et les téléphones mobiles ; de communiquer avec les parties prenantes avec des images et des données puissantes sur ce qui se passe dans nos salles de classe, nos forêts et dans les océans ; et d’utiliser les médias sociaux pour débattre, éclairer les priorités d’action et peaufiner les programmes publics.

Ces enseignements contribuent à développer l’appropriation par les pays, à resserrer l’attention portée aux résultats pour le développement, à attirer des sources privées de financement et à encourager l’innovation. Ils s’appuient sur les leçons tirées des OMD et peuvent être déployés à plus grande échelle au titre des ODD.

Les ODD sont ambitieux et exigent des programmes d’action intégrés, offrant de nouvelles possibilités aux institutions financières internationales (IFI) de répondre à l’évolution des besoins des pays. Deux domaines particuliers méritent une attention accrue pour permettre la mise en œuvre d’activités intégrées efficaces : le financement du développement et l’investissement au service du développement durable. Les IFI peuvent jouer un rôle essentiel en renforçant les marchés financiers, en mobilisant les sources privées de financement au profit du développement, en accroissant les ressources budgétaires nationales et plus important encore, en contribuant à orienter de plus en plus de ressources destinées au financement climatique vers les pays où des investissements sont nécessaires. La diversité de l’Asie fait qu’il est essentiel que les investissements consacrés au développement durable et autres instruments financiers soient conçus en fonction de la situation particulière de chaque pays. La Banque asiatique de développement développe ses capacités financières pour mettre des ressources beaucoup plus importantes au service d’opérations de prêts, en tenant compte des besoins particuliers de ses pays membres. Nous envisageons d’accroître le volume des prêts annuels qui passerait de 13.6 milliards de dollars environ en 2012-14 à 16.8 milliards au moins d’ici 2018, voire 20 milliards d’ici 2020.

La réalisation des ODD va être un défi opérationnel, mais c'est pour les IFI l'occasion de recalibrer leurs stratégies pour obtenir un impact maximal. La Banque asiatique de développement a entamé les travaux de définition d'une nouvelle stratégie à long terme pour 2030 afin de répondre plus efficacement à l’évolution rapide des besoins de la région. La réalisation des ODD dans la région sera l’un de ses principaux objectifs et la fourniture d’une aide multisectorielle intégrée sera déterminante pour notre réussite.

Lien utile

Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2pv.