Chapitre 1. Contribution des immigrés à l’économie des pays en développement : Aperçu et recommandations de politiques publiques

Ce chapitre offre un aperçu du projet « L’évaluation de la contribution économique des migrations de travail dans les pays en développement comme pays de destination », auquel dix pays ont pris part : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kirghizistan, le Népal, la République dominicaine, le Rwanda et la Thaïlande. Il explique tout d’abord l’importance pour les décideurs politiques des pays en développement de mieux comprendre les effets économiques de l’immigration de travail, ainsi que les modalités et les raisons qui ont sous-tendu le choix des dix pays partenaires du projet. Il expose ensuite plus en détail les différentes approches méthodologiques adoptées par l’équipe du projet et synthétise les principaux résultats du rapport dans une perspective comparative. Il propose enfin une série de recommandations de politiques publiques afin d’accroître la contribution économique des immigrés dans les pays en développement.

  

Les migrations internationales font désormais partie intégrante de l’agenda mondial de développement. Le Programme d’action d’Addis Abeba de 2015 et le Programme de développement durable à l’horizon 2030 reconnaissent tous deux la contribution positive des migrants à la croissance inclusive et au développement durable dans les pays d’origine, de transit et de destination. Ils soulignent en outre la nécessité de renforcer la coopération internationale afin de garantir des migrations sûres, ordonnées et régulières, dans le plein respect des droits humains, indépendamment du statut migratoire. Les Objectifs de développement durable (ODD) intègrent ces préoccupations en soulignant la nécessité de protéger les droits des travailleurs migrants, en particulier ceux des femmes (cible 8.8), d’adopter des politiques migratoires bien gérées (cible 10.7) et de réduire les coûts des transferts de fonds (cible 10.c) (Nations Unies, 2015a). Par ailleurs, la multiplication des crises humanitaires des réfugiés a amené la communauté internationale à examiner la mise en œuvre de deux pactes mondiaux : le premier pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ; et le second pour les réfugiés (Nations Unies, 2017 et 2016).

Bien que ces nouveaux engagements constituent des avancées significatives sur la voie d’une meilleure coordination de l’agenda des migrations internationales, l’immigration demeure un sujet sensible dans la plupart des pays. Les populations locales ont souvent le sentiment que les immigrés prennent les emplois des travailleurs nés dans le pays, contribuent à faire baisser les salaires, profitent des services publics, ne paient pas assez d’impôts, et menacent la cohésion sociale et la sécurité.

La perception selon laquelle les immigrés coûtent plus qu’ils ne rapportent est répandue, mais se fonde rarement sur des éléments probants. De fait, la plupart des études existantes montrent que les effets économiques de l’immigration dans les pays de destination sont en général positifs, quoique limités. Ces études ciblent toutefois habituellement les pays à revenu élevé de l’OCDE. Rares sont celles qui analysent la contribution de l’immigration dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, et celles qui le font ne couvrent en général qu’une seule composante spécifique (par exemple l’emploi, le commerce ou la productivité) ou qu’un seul pays1 .

Le projet « L’évaluation de la contribution économique des migrations de travail dans les pays en développement comme pays de destination » a été conçu pour pallier cette lacune. Il présente des données empiriques – à la fois quantitatives et qualitatives – sur les multiples façons dont les travailleurs immigrés influent sur le développement économique de leur pays de destination. Le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation internationale du travail (OIT) ont mis en œuvre ce projet de quatre ans, cofinancé par le programme thématique « Migrations et asile » de l’Union européenne. Lancé en août 2014, ce projet a été mené en partenariat avec dix pays à revenu faible ou intermédiaire : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kirghizistan, le Népal, la République dominicaine, le Rwanda et la Thaïlande.

Ce rapport, accompagné des dix rapports pays correspondants, entend constituer un outil utile pour les décideurs politiques des pays partenaires du projet ainsi que d’autres pays en développement. Il présente les résultats de recherche les plus récents et les plus exhaustifs existants sur la contribution économique de l’immigration de travail dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Il peut aider les décideurs politiques dans la conception et la mise en œuvre de politiques tant migratoires que sectorielles afin de renforcer la contribution des immigrés au développement. Il propose en outre des recommandations méthodologiques aux décideurs politiques et aux chercheurs désireux d’évaluer les contributions économiques des travailleurs immigrés.

Ce rapport cible trois des principaux canaux à travers lesquels les immigrés contribuent potentiellement à l’économie de leurs pays de destination : le marché du travail, la croissance économique et les finances publiques. Après avoir exposé le contexte de l’immigration dans chaque pays partenaire du projet (chapitre 2), il examine le degré d’intégration des immigrés sur le marché du travail (chapitre 3). Il analyse ensuite l’impact de l’immigration sur le marché du travail des dix pays partenaires du projet (chapitre 4), les différents canaux à travers lesquels les immigrés contribuent à la croissance économique (chapitre 5), et enfin leur incidence sur les finances publiques, aussi bien en tant qu’utilisateurs de services publics que de contribuables (chapitre 6).

Le projet : Comprendre les effets économiques de l’immigration de travail dans les pays en développement

Comprendre comment les immigrés contribuent à l’économie des pays en développement revêt un réel intérêt pour les décideurs politiques, et ce à différents égards. Les immigrés influent non seulement sur la prospérité économique d’un pays, mais aussi sur le bien-être de la population née dans le pays, ainsi que sur les systèmes de protection sociale et autres dispositifs compensatoires. De par la variété des rôles qu’ils jouent, les immigrés exercent en effet des influences diverses sur l’économie de leur pays d’accueil :

  • En tant que travailleurs, les immigrés font partie du marché du travail, mais ont aussi un impact sur celui-ci ; ils modifient en outre la distribution des revenus du pays et influent sur les priorités d’investissement national.

  • En tant qu’étudiants, les immigrés – ou leurs enfants – contribuent à l’augmentation du stock de capital humain et à la diffusion des connaissances.

  • En tant qu’entrepreneurs et investisseurs, ils créent des emplois et promeuvent l’innovation et le progrès technologique.

  • En tant que consommateurs, ils contribuent à l’augmentation de la demande de biens et de services nationaux – et étrangers –, influant ainsi sur le niveau des prix et de la production, ainsi que sur la balance commerciale.

  • En tant qu’épargnants, ils transfèrent non seulement des fonds vers leurs pays d’origine, mais contribuent aussi indirectement, à travers le système bancaire, à favoriser l’investissement dans leurs pays d’accueil.

  • En tant que contribuables, ils contribuent au budget de l’État et bénéficient des services publics.

À travers ces différents rôles, les immigrés peuvent aider à stimuler la croissance économique de leurs pays de destination et promouvoir ainsi le développement. Ils contribuent en outre à la diversité sociale et culturelle des communautés dans lesquelles ils vivent, mais cet aspect sort du champ d’étude de ce projet.

Dans ce cadre, le projet « L’évaluation de la contribution économique des migrations de travail dans les pays en développement comme pays de destination » vise à informer les pays partenaires, ainsi que d’autres pays en développement présentant des contextes économiques et politiques similaires, sur les différentes façons dont les immigrés contribuent au développement. Il tente en outre d’orienter les décideurs politiques de ses pays partenaires sur différentes questions spécifiques afin d’exploiter pleinement le potentiel de l’immigration dans leurs pays. Pour ce faire, il applique des méthodologies largement reconnues, tout en tenant compte des défis spécifiques rencontrés par les pays en développement. Au vu de la rareté et de la dispersion, dans ces pays, des analyses et des données sur les populations née dans le pays et née à l’étranger, l’équipe du projet a compilé les informations pertinentes sur l’immigration et a aidé à générer de nouvelles données, en particulier au moyen d’enquêtes sur les entreprises et d’études sectorielles. Afin de mieux comprendre la façon dont les immigrés contribuent au développement économique, l’analyse tient compte du contexte historique, juridique et économique de chaque pays.

Synthétisant le fruit de ces efforts, ce rapport permet un examen empirique de la contribution des immigrés à l’économie de leur pays d’accueil (graphique 1.1). Il se concentre plus spécifiquement sur :

  • le marché du travail, non seulement en termes de population active et de capital humain, mais aussi d’emploi et de rémunération

  • la croissance économique, en particulier la production et la productivité, tant au niveau des entreprises que de l’économie

  • les finances publiques, notamment les dépenses publiques et les contributions fiscales.

Graphique 1.1. Les immigrés contribuent à l’économie de leur pays d’accueil à différents égards
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Les pays partenaires représentent un large éventail de régions, de niveaux de revenu et de contextes migratoires

Le projet a été mené en partenariat avec un groupe équilibré de dix pays en développement (graphique 1.2), qui représentent un large éventail de régions, de niveaux de revenu et de contextes migratoires. Avec un nombre total de 13.7 millions d’immigrés en 2015, ces dix pays partenaires représentent environ 6 % du stock de migrants internationaux (243.7 millions) et 16 % du nombre total d’immigrés dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (84.8 millions) (Nations Unies, 2015b ; voir le graphique 2.1 au chapitre 2). Par région, les immigrés dans les pays partenaires du projet représentent 38 % du nombre total d’immigrés dans des pays à revenu faible ou intermédiaire en Amérique latine et dans les Caraïbes, 15 % en Afrique et 12 % en Asie.

Graphique 1.2. Les dix pays partenaires du projet représentent un large éventail de régions
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L’équipe du projet a travaillé en étroite collaboration avec différents acteurs qui ont contribué à définir les priorités auxquelles chaque pays fait face. Le choix des pays partenaires s’est fondé sur trois grands critères :

  1. La volonté des autorités compétentes de chaque pays de devenir partenaire du projet. Leur coopération est le fruit de discussions et d’un accord formel avec les autorités publiques. Chaque pays était ensuite invité à désigner une institution nationale comme point de contact du projet (tableau 1.1).

  2. Une représentation équilibrée de pays à revenu faible ou intermédiaire. La classification 2015 des pays en fonction de leur revenu établie par la Banque mondiale place : l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Costa Rica, la République dominicaine et la Thaïlande dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ; la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Kirghizistan, dans celle des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ; et le Népal et le Rwanda, dans celle des pays à faible revenu. En incluant différents niveaux de revenu, le projet avait pour objectif d’explorer la façon dont différents niveaux de revenu et contextes socio-politiques influent sur la contribution de l’immigration au développement économique.

  3. Un pourcentage significatif d’immigrés dans la population. Afin d’analyser la contribution économique de l’immigration de travail, les pays partenaires devaient présenter des taux d’immigration importants. En 2015, le pourcentage d’immigrés dans la population allait de 1.5 % au Ghana et 1.8 % au Népal à 8.8 % au Costa Rica et 9.6 % en Côte d’Ivoire (graphique 1.3)2 .

Tableau 1.1. Chaque pays partenaire a désigné un point de contact institutionnel

Pays

Point de contact institutionnel

Afrique du Sud

Ministère du Travail

Argentine

Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale

Costa Rica

Direction générale des migrations, ministère de l’Intérieur et de la Police

Côte d’Ivoire

Office national de la population

Ghana

Ministère de l’Emploi et des Relations de travail

Kirghizistan

Service national des migrations

Népal

Ministère de l’Emploi et du Travail

République dominicaine

Ministère de la Planification économique et du Développement

Rwanda

Ministère du Service public et du Travail

Thaïlande

Ministère du Travail

Graphique 1.3. Les pays partenaires du projet représentent différents niveaux de PIB par habitant et de stocks d’immigrés (en volume et en pourcentage)
PIB par habitant (en USD constants de 2010) et stock d’immigrés en pourcentage et en volume, selon la classification des pays en fonction de leur revenu
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Note : La taille du cercle représente le volume du stock d’immigrés. La couleur du cercle indique le niveau de revenu du pays : bleu = pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ; gris = pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ; et noir = pays à faible revenu.

Source : Nations Unies (2015b) et données de la Banque mondiale (http://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.PCAP.KD).

 https://doi.org/10.1787/888933689843

Le projet portant principalement sur les migrations de travail, il n’inclut pas les pays où les réfugiés représentent plus de 50 % du nombre total d’immigrés. Parmi les pays partenaires du projet, c’est au Rwanda que le pourcentage de réfugiés est le plus élevé : en 2015, les réfugiés enregistrés y représentaient environ 16.5 % de la population immigrée (Nations Unies, 2015b). Dans tous les autres pays partenaires, les réfugiés constituaient moins de 5 % de la population immigrée (4.9 % au Costa Rica et 4.6 % au Ghana, mais seulement 0.1 % en Côte d’Ivoire et en République dominicaine).

Dans certains pays partenaires du projet, les immigrés se comptent en millions ou représentent un pourcentage important de la population totale (graphique 1.3). La Thaïlande et l’Afrique du Sud, deux pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, présentaient en 2015 le nombre total d’immigrés le plus élevé (respectivement 3.9 millions et 3.1 millions). La Côte d’Ivoire et le Costa Rica affichent quant à eux le pourcentage le plus élevé d’immigrés dans la population totale (respectivement 9.6 % et 8.8 %). Deux pays à faible revenu, le Népal et le Rwanda, et deux pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, le Ghana et le Kirghizistan, présentent la population immigrée la plus réduite (en volume et en pourcentage de la population totale). Entre 1995 et 2015, c’est en Thaïlande que la croissance en volume a été la plus forte (4.8 fois) parmi les 10 pays partenaires, tandis qu’au Kirghizistan et au Népal, le nombre d’immigrés a reculé. Entre 1995 et 2015, le pourcentage d’immigrés dans la population totale a augmenté en Afrique du Sud, en Argentine et en Thaïlande, mais diminué dans les sept autres pays partenaires.

Même si les immigrés n’occupent pas tous un emploi, la plupart sont dans ce cas. L’immigration de travail représente une part importante de l’immigration totale à travers le monde. La part moyenne de l’immigration de travail à l’échelle mondiale, telle que mesurée par le taux de participation de la population immigrée à la main-d’œuvre, s’établit à 72.7 % (contre 63.9 % pour la population non migrante) (OIT, 2015a). Le taux de participation des immigrés à la main-d’œuvre dans les pays à revenu faible, intermédiaire de la tranche inférieure ou intermédiaire de la tranche supérieure s’établit respectivement à 59.4 %, 69.7 % et 70.7 % (OIT, 2015a). À 64.3 %, le taux moyen de participation à la main-d’œuvre est inférieur dans les pays partenaires du projet (à l’exclusion de la Thaïlande, en raison de l’insuffisance des données), du fait de la relative faiblesse des taux de participation observés au Kirghizistan (47 %) et au Népal (41.9 %). Le taux de participation à la main-d’œuvre est en revanche élevé en Côte d’Ivoire (85.5 %), en Afrique du Sud (78.8 %) et en République dominicaine (72.7 %).

Reflétant la diversité des niveaux de revenu et des contextes d’immigration, les systèmes de gouvernance des migrations varient également sensiblement entre les dix pays partenaires du projet. Les politiques d’immigration vont de régimes relativement ouverts, comme en Argentine et au Costa Rica, à des dispositifs plus restrictifs, comme en Thaïlande où la législation relative à l’immigration réserve certains emplois aux travailleurs thaïs. Les autres pays présentent différents degrés d’ouverture et de restriction vis-à-vis de l’immigration. Le Népal applique une politique d’ouverture des frontières avec l’Inde, tandis que le Ghana et le Rwanda ont mis en place des politiques encourageant l’immigration comme vecteur de développement. De même, l’Afrique du Sud a diversifié les pays d’origine de ses immigrés en raison d’une restructuration économique depuis les années 90. Le Kirghizistan a quant à lui opéré de fréquents changements dans ses institutions en charge de l’immigration et mené de nombreuses réformes dans le domaine des migrations.

De même, les politiques d’intégration et les droits dont bénéficient les immigrés diffèrent entre les pays partenaires du projet. Dans tous les pays partenaires, les travailleurs immigrés devraient en théorie bénéficier des mêmes droits que leurs homologues nés dans le pays en termes d’égalité de la rémunération pour un travail de valeur égale, ainsi que de conditions de travail et de protection. Dans la pratique, toutefois, des restrictions sont parfois appliquées. En général, dans la plupart des pays partenaires, les immigrés en situation régulière ont immédiatement accès à l’enseignement public, à la formation et aux services de santé publique. Certaines restrictions subsistent toutefois pour les immigrés en situation irrégulière. Si la plupart des pays partenaires garantissent aux immigrés des droits économiques, sociaux et civils similaires, certaines restrictions peuvent toutefois exister, comme par exemple en Côte d’Ivoire pour les droits fonciers. Dans la plupart des pays, les droits politiques sont quant à eux souvent restreints. Une mesure importante d’intégration – l’acquisition de la nationalité par naturalisation – existe dans les dix pays partenaires du projet et requiert deux à sept années de résidence permanente ou temporaire, selon le pays.

Immigrés et travailleurs migrants : deux notions complexes à définir

L’une des principales difficultés concerne la définition des notions d’immigration et de migration de travail. Elle diffère en effet selon les organisations et les pays. Dans un souci de comparabilité entre les pays, le projet a tenté d’utiliser les mêmes définitions opérationnelles pour l’ensemble des pays, même si les données statistiques disponibles n’y sont pas toujours conformes.

Immigrés

Il n’existe aucune définition universellement admise du concept d’« immigré ». La définition la plus souvent retenue est celle des Recommandations en matière de statistiques des migrations internationales de 1998 : « toute personne qui change de pays de résidence habituelle […], c’est-à-dire le pays dans lequel elle dispose d’un logement qui lui sert habituellement pour son repos quotidien » (Nations Unies, 1998). Un individu est considéré comme visiteur dans un pays, et non comme immigré, si la durée de son séjour y est inférieure à trois mois. Au-delà de ces trois mois, il est considéré comme immigré de courte durée pour les neuf mois suivants. Il ne sera considéré comme immigré de longue durée qu’après une année de résidence légale dans le pays.

Conformément à cette définition, la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies estime le stock de migrants internationaux en utilisant le pays de naissance comme référence (Nations Unies, 2015b). C’est la définition retenue dans le présent rapport, en raison de son utilisation courante dans les travaux d’analyse et de la disponibilité des données dans l’ensemble des pays couverts par le projet. Par immigré international, on entend donc tout individu né dans un autre pays que celui où il vit. Cette définition ne tient pas compte de la nationalité des individus.

Certains individus sont nés dans un autre pays, sans pour autant être étrangers, tandis que d’autres sont nés dans leur pays de résidence, mais n’en ont pas la nationalité. Ces différences sont souvent liées aux législations nationales en matière de nationalité et de naturalisation. Le tableau 1.2 illustre quatre scénarios différents en matière de pays de naissance et de nationalité :

  • Dans les pays privilégiant le jus sanguinis (ou droit du sang), il est plus difficile pour les enfants d’immigrés nés dans le pays d’acquérir la nationalité de leur pays de naissance (étrangers nés dans le pays).

  • Dans les pays où c’est le jus soli (ou droit du sol) qui prévaut, les enfants d’immigrés peuvent acquérir la nationalité de leur pays de naissance plus facilement. Il s’agit donc de ressortissants nationaux nés dans le pays (ou autochtones), que l’on qualifie toutefois souvent d’immigrés de la deuxième génération.

  • Dans certains pays, et en fonction des règles de naturalisation, les individus nés à l’étranger peuvent acquérir la nationalité de leur pays de résidence après un certain nombre d’années. Il s’agit de ressortissants nationaux nés à l’étranger.

  • Si la majorité des individus nés dans leur pays de résidence ont aussi la nationalité de ce pays, dans la plupart des cas, les individus nés à l’étranger ont aussi le statut d’étrangers (étrangers nés à l’étranger). Les raisons peuvent en être les suivantes : i) ils ne séjournent pas assez longtemps dans le pays pour en acquérir la nationalité ; ii) la législation de leur pays d’origine n’autorise pas la double nationalité ; ou iii) la législation de leur pays d’accueil est trop stricte.

Tableau 1.2. Comprendre la différence entre immigrés et étrangers

Pays de naissance

Nés dans le pays de résidence

Nés dans un pays étranger (immigrés)

Nationalité

Ressortissants nationaux du pays de résidence

Ressortissants nationaux nés dans le pays

Ressortissants nationaux nés à l’étranger

Ressortissants nationaux d’un autre pays (étrangers)

Étrangers nés dans le pays

Étrangers nés à l’étranger

Le présent rapport cite des données administratives qui font donc parfois référence aux ressortissants étrangers. Au vu des différences possibles de définitions entre les pays, chaque rapport pays explique en détail les définitions retenues.

Travailleurs migrants

La migration de travail désigne une immigration dont le motif principal est de travailler dans le pays de destination ; elle se mesure de différentes façons. L’OIT dispose de deux grands instruments relatifs aux migrations de travail et à la protection des travailleurs migrants3 : la Convention n° 97 (1949) et la Recommandation n° 86 qui l’accompagne ; et la Convention n° 143 (1975) et la Recommandation n° 151 qui l’accompagne. Cette dernière affirme (article 11) que le terme « travailleur migrant » désigne « une personne qui émigre ou a émigré d’un pays vers un autre pays en vue d’occuper un emploi autrement que pour son propre compte, et inclut toute personne admise régulièrement en qualité de travailleur migrant ». D’après l’article 2 de la Convention des Nations Unies de 1990, le terme travailleur migrant désigne « les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes ».

À des fins statistiques, les estimations mondiales et régionales de l’OIT sur les travailleurs migrants les définissent comme « tous les migrant(e)s internationaux qui sont actuellement employés, ou qui sont au chômage et à la recherche d’un emploi dans leur pays de résidence actuelle » (OIT, 2015a). Une autre définition inclut les individus ayant choisi le travail ou des possibilités liées à l’emploi comme motif principal d’immigration. Les données sur les motifs d’immigration ne sont toutefois pas toujours disponibles, même dans les pays à revenu élevé (OCDE/Union européenne, 2014). Certains pays partenaires du projet (notamment l’Argentine, le Costa Rica, la République dominicaine et la Thaïlande) disposent néanmoins de ces informations.

Dans le présent rapport, l’immigration de travail désigne les immigrés occupant un emploi ou à la recherche d’un travail d’après les enquêtes sur la population active ou les recensements de population. Au sens large, elle désigne aussi la population en âge de travailler (soit les individus âgés de 15 ans ou plus, ou de 15 à 64 ans), sachant que la plupart des travailleurs immigrés appartiennent à ce groupe d’âge. Cette définition reflète le fait que l’immigration de travail entraîne souvent d’autres types de flux migratoires, tels que l’immigration de regroupement familial, mais peut aussi elle-même résulter en partie de ceux-ci (OCDE, 2017 ; OCDE/Union européenne, 2014). Au sens strict, les immigrés arrivés dans leur pays d’accueil pour des motifs sans rapport avec l’emploi, tels que les migrants humanitaires et les étudiants, peuvent aussi à un moment ou l’autre entrer sur le marché du travail et contribuer ainsi à l’économie de leur pays de destination au même titre que les travailleurs immigrés.

La nationalité constitue également un critère important de l’immigration de travail. Dans la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le terme « travailleur migrant » désigne ainsi « les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes » (Nations Unies, 1990). Le présent rapport établit, le cas échéant, une distinction entre les travailleurs immigrés ayant la nationalité de leur pays d’accueil ou non.

Méthodologie : Comment le projet a-t-il mesuré et analysé la contribution des immigrés ?

Les analyses de l’impact économique de l’immigration de travail dans les pays en développement et les données pertinentes en la matière sont rares. Les différentes méthodologies adoptées dans le cadre de ce projet pourraient donc s’avérer utiles aux décideurs politiques et chercheurs désireux de mesurer cet impact par eux-mêmes. Afin de pallier l’insuffisance des données et d’améliorer la comparabilité entre les dix pays partenaires, l’équipe du projet a eu recours à des données secondaires tirées de sources nationales et internationales, et a procédé à la collecte de données primaires, en particulier au moyen d’une série d’études sectorielles qualitatives. Les principales méthodologies utilisées dans le cadre de l’analyse et de la collecte des données primaires sont présentées ci-après. Si l’analyse couvre dans l’ensemble trois composantes de l’impact de l’immigration dans les dix pays partenaires du projet, chaque analyse nationale a néanmoins nécessité l’ajustement des méthodologies (OCDE/OIT, 2017a-b et à paraître a-h).

Pour élaborer le cadre méthodologique, l’équipe du projet a tout d’abord procédé à l’examen de la littérature existante (Böhme et Kups, 2017), organisé une réunion d’experts internationaux les 23 et 24 février 2015 à Paris, ainsi que des séminaires de consultation nationale tout au long de l’année 20154 . Ces événements ont également permis de sensibiliser à l’intérêt d’une meilleure compréhension du contexte de l’immigration et de son impact économique à l’échelle nationale. Ils ont en outre bénéficié de la contribution d’experts nationaux concernant le contexte historique, politique et réglementaire.

Afin d’examiner l’impact de l’immigration sur la population active et le capital humain, l’équipe du projet a utilisé une série d’indicateurs clés du marché du travail (OIT, 2016) et d’indicateurs sur l’inadéquation des compétences (OIT, 2014a), ainsi qu’une méthode de comptabilité démographique (OCDE/Union européenne, 2014). Ces indicateurs ont permis l’analyse de l’intégration des travailleurs immigrés sur le marché du travail. La méthode de comptabilité démographique décompose quant à elle les évolutions de la population active entre deux périodes, par groupe d’âge. Les résultats associés à cette méthode permettent de souligner la contribution des travailleurs immigrés récemment arrivés par rapport à différents groupes de travailleurs nés dans le pays.

L’équipe du projet a par ailleurs utilisé l’approche des groupes de compétence et une analyse de régression (Borjas, 2003 ; Card, 2001 ; Facchini, Mayda et Mendola, 2013). Ces approches s’avéraient nécessaires, le niveau de capital humain parmi les travailleurs immigrés déterminant la présence d’un impact (ou son ampleur) sur les performances des travailleurs nés dans le pays sur le marché du travail. Cette méthode répartit les travailleurs selon leur niveau de compétence, en les classant dans différents groupes en fonction de leur niveau d’éducation et de leur expérience professionnelle estimée. Elle examine ensuite si le pourcentage de travailleurs nés à l’étranger dans chaque groupe de compétence influe sur les performances sur le marché du travail des travailleurs de ce groupe nés dans le pays, durant la même période et dans certains cas, à des niveaux infranationaux. Cette méthode se fonde sur l’hypothèse que les travailleurs se trouvent en concurrence avec d’autres travailleurs du même niveau de compétence.

Concernant le lien entre immigration et croissance économique, l’équipe a estimé la contribution des immigrés à la valeur ajoutée (OIT/OCDE/Banque mondiale, 2015). Pour les pays disposant de données pertinentes, elle a aussi examiné la façon dont l’immigration peut influer sur la productivité à travers sa contribution aux exportations (au Costa Rica, au Ghana, au Kirghizistan, en République dominicaine et au Rwanda), à la production à l’échelle des entreprises (en Côte d’Ivoire, au Népal et au Rwanda) et à l’entrepreneuriat, c’est-à-dire l’exploitation d’une entreprise (dans l’ensemble des pays partenaires). L’équipe a notamment collaboré avec les instituts nationaux de la statistique de la Côte d’Ivoire et de la République dominicaine pour l’inclusion d’un module sur les travailleurs immigrés dans les enquêtes existantes sur l’activité économique à l’échelle des entreprises5 .

Par ailleurs, l’équipe a utilisé un modèle macro-économique multisectoriel en Afrique du Sud et un modèle d’équilibre général calculable en Thaïlande. Ces modèles se fondent sur une série d’hypothèses sur le fonctionnement de l’économie. Ils simulent la façon dont le produit intérieur brut (PIB) et ses principales composantes réagissent à l’évolution du pourcentage d’immigrés sous différents scénarios. Contrairement à d’autres méthodologies utilisées dans le présent rapport, l’analyse fondée sur ces deux modèles peut servir à l’examen de l’impact de l’immigration dans une perspective à long terme.

Outre cette analyse quantitative, l’équipe a utilisé une approche qualitative pour la collecte de nouvelles données sectorielles complémentaires dans certains pays partenaires au projet. Les études sectorielles, menées en collaboration avec différents instituts de recherche nationaux en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Kirghizistan et au Népal, couvrent un ensemble d’aspects qualitatifs de l’impact des immigrés sur certains secteurs, compte tenu de la rareté des données disponibles à l’échelle des secteurs et des entreprises. Ces études sectorielles ciblent deux secteurs d’activité employant un pourcentage important de travailleurs immigrés dans chacun des pays concernés. Elles incluent : i) des entretiens auprès d’entreprises formelles ; ii) des entretiens auprès d’acteurs clés ; iii) des groupes de discussion parmi les travailleurs nés dans le pays comme parmi ceux nés à l’étranger.

L’équipe du projet a organisé des ateliers de formation pour la réalisation de travaux de terrain et d’études pilotes, auxquels a participé une équipe locale de recherche de chacun des quatre pays sélectionnés. Les études sectorielles jouent un rôle important pour mieux comprendre le point de vue individuel d’entrepreneurs et de travailleurs nés dans le pays ou à l’étranger concernant les impacts réels ou perçus de l’immigration sur leur lieu de travail et leur secteur.

Enfin, pour l’analyse de la contribution fiscale des immigrés, l’équipe du projet a utilisé une méthode de comptabilité statique (Dustmann et Frattini, 2014). Sur la base des enquêtes auprès des ménages de chaque pays, cette méthode estime tout d’abord les parts des dépenses et des recettes publiques attribuables aux immigrés, puis les combine avec les données des budgets publics sur les mêmes catégories de dépenses et de recettes. La Thaïlande est exclue de cette analyse en raison de l’absence d’une enquête contenant des informations à la fois sur le pays de naissance et le revenu des répondants.

L’analyse de l’impact de l’immigration, en particulier dans les pays en développement, se heurte à deux difficultés conceptuelles : l’immigration illégale et l’économie informelle, qui figurent rarement dans les statistiques officielles. Ainsi, dans la plupart des pays partenaires du projet, aucune estimation n’est disponible sur la taille de la population immigrée en situation irrégulière. Des indications peuvent être obtenues soit lors de l’interpellation et de l’expulsion de ces immigrés en situation irrégulière, soit a posteriori, à travers les campagnes de régularisation.

L’analyse du présent rapport se fondant en grande partie sur des enquêtes auprès des ménages ou des recensements de population, elle inclut à la fois les immigrés en situation irrégulière et l’emploi informel. L’exactitude de ces données n’est toutefois pas garantie. Bien que le statut juridique des immigrés ait certainement une incidence sur la qualité de leur intégration sur le marché du travail et, par extension, sur leur impact économique, l’insuffisance des données ne permet pas de mener une analyse de cet impact selon le statut juridique.

Principaux résultats : Quelle est l’incidence de l’immigration de travail sur l’économie des pays partenaires du projet ?

Ce rapport montre que dans les pays en développement, l’impact de l’immigration de travail sur la population née dans le pays et l’économie varie selon les groupes démographiques, les niveaux d’éducation, les niveaux infranationaux, les secteurs, les professions et les caractéristiques individuelles. Des informations et un éclairage détaillés sur les différents niveaux d’impact peuvent s’avérer utiles pour la conception et la mise en œuvre de meilleures politiques.

Les performances des immigrés sur le marché du travail sont relativement supérieures à celles des travailleurs nés dans le pays, mais leurs conditions de travail sont souvent moins bonnes

Les performances des immigrés sur le marché du travail illustrent leur degré d’intégration sur le marché du travail de leur pays d’accueil et, par suite, leur incidence sur le marché du travail dans son ensemble, en particulier sur les performances des travailleurs nés dans le pays (chapitre 3). Dans la plupart des pays partenaires du projet, les travailleurs nés à l’étranger ne semblent pas avoir une incidence significative sur le marché du travail en termes de taille par rapport à d’autres groupes présents sur ce marché. Les travailleurs nés dans le pays, en particulier les jeunes récemment entrés sur le marché du travail, sont à l’origine de la majeure partie des évolutions de la composition de la population active. Toutefois, dans nombre de pays partenaires du projet, la croissance de la main-d’œuvre immigrée tend à être plus soutenue que celle de la main-d’œuvre née dans le pays.

Bien que les performances sur le marché du travail puissent varier en fonction des caractéristiques des sous-groupes et des individus, dans l’ensemble, les immigrés occupent proportionnellement plus souvent un emploi que leurs homologues nés dans le pays, et ont une rémunération inférieure par rapport à ces derniers (tableau 1.3). L’emploi rémunéré est plus prévalent parmi les travailleurs immigrés. Ils sont toutefois plus susceptibles (et cette tendance va croissant) d’occuper des emplois peu qualifiés et de moindre qualité – par exemple dans les secteurs de la construction, des services domestiques privés et du commerce – que les travailleurs nés dans le pays (tableau 1.4). Ce constat reflète le fait que les travailleurs immigrés tendent à avoir un niveau d’éducation inférieur à celui de leurs homologues nés dans le pays, et à être plus souvent sous-qualifiés pour leur travail et plus susceptibles d’exercer des formes atypiques d’emploi. La surqualification des travailleurs nés à l’étranger est un problème dans les professions semi-qualifiées.

Tableau 1.3. Les immigrés occupent proportionnellement plus souvent un emploi que leurs homologues nés dans le pays, mais dans des professions moins qualifiées
Comparaison des performances sur le marché du travail entre les travailleurs nés à l’étranger et ceux nés dans le pays

Salaire/revenus du travail

Taux d’emploi

Chômage

Emploi dans des professions peu qualifiées

Emploi rémunéré

Argentine

Costa Rica

O

Côte d’Ivoire

O

République dominicaine

O

Ghana

O

Kirghizistan

Népal

O

O

Rwanda

Afrique du Sud

O

Thaïlande

N/D

N/D

Note : L’échantillon se limite à la population âgée de 15 ans ou plus. L’Afrique du Sud, l’Argentine, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Kirghizistan utilisent les revenus du travail, et le reste des pays partenaires, le salaire. Les flèches pointant vers le bas et celles pointant vers le haut indiquent respectivement que les travailleurs nés à l’étranger ont un taux inférieur/supérieur à leurs homologues nés dans le pays. O = aucune différence de taux entre les travailleurs nés à l’étranger et leurs homologues nés dans le pays. N/D = aucune donnée disponible.

Source : OCDE/OIT, 2017a-b et OCDE/OIT à paraître a-h.

Tableau 1.4. Les travailleurs immigrés sont surreprésentés dans les secteurs de la construction, du commerce, et des services d’hébergement et de restauration
Classement des secteurs en fonction de la différence de part d’emploi entre les travailleurs nés à l’étranger et ceux nés dans le pays (part des travailleurs nés à l’étranger moins celle des travailleurs nés dans le pays, période la plus récente)

Pays/Classement

1

2

3

4

5

Argentine

Services domestiques privés

Construction

Commerce de gros et de détail

Industries manufacturières

Activités liées aux services d’hébergement et de restauration

Costa Rica

Services domestiques privés

Construction

Agriculture, sylviculture, pêche et chasse

Activités liées aux services d’hébergement et de restauration

Activités d’organisations extraterritoriales

Côte d’Ivoire

Commerce de gros et de détail

Industries manufacturières

Autres services

Construction

Agriculture, sylviculture, pêche et chasse

République dominicaine

Agriculture, sylviculture, pêche et chasse

Construction

Activités liées aux services d’hébergement et de restauration

-

-

Ghana

Construction

Santé et travail social

Mines

Commerce de gros et de détail

Activités liées aux services d’hébergement et de restauration

Kirghizistan

Industries manufacturières

Autres services

Commerce de gros et de détail

Transport et communication

Éducation

Népal

Commerce de gros et de détail

Industries manufacturières

Autres services

Services domestiques privés

Éducation

Rwanda

Commerce de gros et de détail

Administration publique et défense

Éducation

Santé et travail social

Autres services

Afrique du Sud

Commerce de gros et de détail

Construction

Activités liées aux services d’hébergement et de restauration

Services domestiques privés

Agriculture, sylviculture, pêche et chasse

Thaïlande

Industries manufacturières

Construction

Services domestiques privés

Électricité, gaz et eau

Mines

L’immigration a un impact limité sur les performances sur le marché du travail des travailleurs autochtones

Dans les pays partenaires du projet, la relation entre le pourcentage de travailleurs immigrés et le taux d’emploi des travailleurs nés dans le pays est dans l’ensemble minime. Les résultats varient toutefois en fonction du niveau de l’analyse (national/infranational) et de facteurs tels que le nombre d’années de résidence, le sexe et le niveau d’éducation. Ainsi, au Kirghizistan, au Népal et en Thaïlande, les effets négligeables observés au niveau national sur le taux d’emploi de la population autochtone deviennent positifs et significatifs au niveau infranational, tandis qu’en Afrique du Sud, ils deviennent significativement négatifs (tableau 1.5). Les effets sur le chômage, l’emploi rémunéré et l’emploi vulnérable diffèrent aussi au niveau infranational. L’écart observé entre les niveaux national et infranational peut probablement s’expliquer par des différences de caractéristiques infranationales, comme un niveau supérieur d’urbanisation (au Rwanda) et, dans certaines provinces, les nombreux départs de travailleurs nés dans le pays (au Kirghizistan et au Népal).

Tableau 1.5. Les impacts de l’immigration sur le marché du travail diffèrent entre les niveaux national et infranational

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Note : L’échantillon se limite à la population en âge de travailler (15-64 ans). La part des immigrés est égale au nombre d’immigrés d’un groupe de la population active d’une année, d’un niveau d’éducation et d’une expérience professionnelle (d’une province) donnés rapporté à l’ensemble de la population active de ce même groupe. o = aucun effet significatif ; - = effet négatif significatif (cellules grisées), + = effet positif significatif (cellules en bleu foncé). Dans Facchini, Mayda et Mendola (2013), l’effet sur la rémunération est négatif au niveau national en Afrique du Sud. Aucune régression n’a été effectuée pour la Côte d’Ivoire au niveau infranational en raison de l’insuffisance du nombre d’observations.

Source : OCDE/OIT, 2017a-b et OCDE/OIT à paraître a-h.

Ce sont les femmes nées dans le pays qui semblent affectées le plus négativement par la présence de travailleuses immigrées. Ce constat pourrait s’expliquer par leur surreprésentation dans les emplois vulnérables et temporaires, et par la concurrence qui s’ensuit avec les travailleurs immigrés.

Dans plusieurs pays, la relation entre les performances des travailleurs autochtones sur le marché du travail et la présence de travailleurs immigrés arrivés récemment est bien plus forte que celle observée avec la présence de l’ensemble des travailleurs nés à l’étranger. Par travailleurs immigrés arrivés récemment, on entend ceux qui résident dans leur pays d’accueil depuis moins de dix ans. Ce constat semble indiquer qu’il existe des effets perceptibles à court terme qui finissent par se dissiper avec le temps, à mesure que les travailleurs immigrés s’intègrent sur le marché du travail. C’est en Afrique du Sud que les effets des travailleurs immigrés arrivés récemment sont les plus prononcés.

Les effets sur la rémunération des travailleurs autochtones sont également minimes dans les pays partenaires du projet, à deux exceptions près. Le Ghana et le Rwanda affichent ainsi des effets respectivement fortement positifs et négatifs au niveau infranational. En Afrique du Sud, l’effet des travailleurs immigrés arrivés récemment et des femmes immigrées sur la rémunération est positif. Les différences de capital humain n’expliquent qu’en partie l’écart de rémunération entre travailleurs nés dans le pays et travailleurs immigrés. La rémunération des travailleurs immigrés est parfois supérieure à celle des travailleurs nés dans le pays. C’est notamment le cas au Ghana et au Rwanda. L’écart de rémunération n’est imputable à la profession exercée qu’au Costa Rica. Cet écart peut aussi subir l’influence d’autres facteurs, tels que la langue et la connaissance des marchés et débouchés locaux.

Au niveau national, le taux d’emploi de la population autochtone tend à être inférieur en présence d’un plus grand nombre de travailleurs nés à l’étranger. Cet effet n’est pas nécessairement défavorable compte tenu d’autres impacts. Ainsi, au Rwanda, l’impact négatif de l’immigration sur le taux d’emploi de la population née dans le pays résulte vraisemblablement des politiques relatives à l’immigration de travail et d’une planification du développement à long terme. Le pays a fait appel à des travailleurs nés à l’étranger très qualifiés dans des secteurs et des emplois manquant de main-d’œuvre autochtone qualifiée. À l’inverse, en Thaïlande, l’impact de l’immigration – statistiquement positif sur le taux d’emploi rémunéré de la population autochtone, et négatif sur son taux d’emploi vulnérable – semble indiquer qu’il existe une forme de complémentarité entre les travailleurs immigrés et ceux nés dans le pays. Les immigrés offrent aux travailleurs autochtones la possibilité de trouver un meilleur emploi.

L’immigration de travail est peu susceptible d’avoir des effets marqués sur des facteurs étroitement liés à la croissance économique

La contribution économique de l’immigration de travail va au-delà de l’évolution potentielle des performances sur le marché du travail évoquée ci-dessus. L’immigration peut ainsi avoir une incidence sur le revenu global des individus nés dans le pays en influant sur la productivité du travail. L’évolution du nombre et de la productivité des travailleurs sous l’effet de l’immigration peut déterminer l’impact de l’immigration sur le PIB. L’immigration entraîne en général une hausse du pourcentage d’actifs occupés dans la population totale, principalement en raison de la plus forte concentration des immigrés dans la population en âge de travailler. Cette hausse entraîne la croissance de la population active et, par conséquent, une augmentation du PIB par habitant. Le capital humain, tel que mesuré par le nombre d’années de scolarisation, est plus faible parmi les travailleurs immigrés que parmi leurs homologues autochtones dans tous les pays partenaires du projet, à l’exception de l’Afrique du Sud, du Népal et du Rwanda. Les différences sont néanmoins limitées, indiquant une faible diminution du capital humain moyen par travailleur.

L’estimation de la contribution des immigrés à la valeur ajoutée s’effectue en prenant en compte les répartitions sectorielles en fonction des pourcentages de travailleurs nés à l’étranger et nés dans le pays, et de leur nombre d’années de scolarisation. Il en ressort que la contribution des immigrés à la valeur ajoutée est souvent supérieure à leur pourcentage dans la population active occupée (graphique 1.4). Leur contribution au PIB va d’environ 1 % au Ghana à près de 19 % en Côte d’Ivoire. Dans ce pays, ainsi qu’au Kirghizistan, au Népal et au Rwanda, la contribution des immigrés au PIB est supérieure à leur pourcentage dans la population active occupée, tandis que dans le reste des pays partenaires, elle y est similaire ou inférieure. Dans l’ensemble, il paraît peu probable que les travailleurs nés à l’étranger entraînent une diminution du revenu par habitant.

Graphique 1.4. La contribution des immigrés à la valeur ajoutée est souvent similaire à leur pourcentage dans la population active occupée
Estimation de la part des immigrés dans la valeur ajoutée et dans la population active occupée
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Note : L’estimation de la contribution des travailleurs nés à l’étranger au PIB s’effectue comme suit : le pourcentage d’immigrés parmi les travailleurs d’un secteur donné est multiplié par le ratio du nombre d’années de scolarisation des travailleurs de ce secteur nés à l’étranger/nombre d’années de scolarisation des travailleurs de ce secteur nés dans le pays, et par la valeur ajoutée produite par ce secteur. Ces estimations de la valeur ajoutée produite par les travailleurs immigrés des différents secteurs d’activité sont ensuite additionnées pour obtenir l’estimation de la valeur ajoutée totale produite par les immigrés. La part de cette valeur ajoutée dans la valeur ajoutée totale correspond à la contribution estimée des travailleurs nés à l’étranger au PIB.

Source : Calculs des auteurs basés sur les données des recensements de population du Minnesota Population Center (2017) ou des instituts nationaux de la statistique ; les données d’enquêtes auprès des ménages sont utilisées pour l’Argentine et la Côte d’Ivoire.

 https://doi.org/10.1787/888933689862

L’immigration peut influer sur la productivité d’un pays à travers différents canaux. Les immigrés contribuent souvent à des secteurs connaissant de graves pénuries de compétences (à la fois génériques et spécialisées), du fait de l’émigration ou de la faiblesse du niveau d’éducation des travailleurs nés dans le pays. Toutefois, d’après certaines données qualitatives collectées à l’échelon des individus, des entreprises et des secteurs, les employeurs peuvent percevoir le recrutement et l’embauche de travailleurs immigrés comme un fardeau. Les données qualitatives des études sectorielles montrent également que les immigrés peuvent certes être vecteurs de concurrence, de substitution ou de pression sur l’environnement, mais contribuent aussi au transfert de connaissances et à l’innovation. L’étude ne met au jour aucun élément permettant de conclure à l’existence d’un effet positif ou négatif des immigrés sur la productivité à l’échelon des entreprises et des secteurs, bien que ce constat puisse résulter de la limitation des données.

L’entrepreneuriat constitue un autre canal à travers lequel l’immigration peut influer sur la croissance économique d’un pays. Dans la majorité des pays partenaires du projet (en Afrique du Sud, en Argentine, au Costa Rica, au Kirghizistan, au Rwanda et en Thaïlande), les immigrés sont plus susceptibles d’être employeurs que leurs homologues nés dans le pays. En Afrique du Sud, au Costa Rica et en République dominicaine, le pourcentage d’employeurs parmi les individus nés dans le pays tend à être plus élevé lorsque ceux-ci vivent dans une zone où la concentration d’immigrés est plus forte. De plus amples analyses sont néanmoins nécessaires pour en évaluer les réelles implications politiques. Il s’agirait notamment d’examiner si la concentration des immigrés influe aussi sur la productivité des entreprises appartenant à des individus nés dans le pays.

L’impact direct de l’immigration sur le budget public des pays partenaires du projet est dans l’ensemble limité, mais positif

L’impact direct de l’immigration sur le budget public de neuf pays partenaires (la Thaïlande étant exclue en raison de l’absence de données pertinentes) lors d’une année récente semble limité (chapitre 6), constat concordant avec les résultats observés dans les pays de l’OCDE (OCDE, 2013a). À l’aide d’une méthode de comptabilité statique, on estime que la contribution fiscale nette globale des immigrés est inférieure à 1 % du PIB, que l’impact soit positif ou négatif (tableau 1.6). Dans la majorité des pays partenaires à l’étude, sous certaines hypothèses, la contribution par habitant des individus nés à l’étranger est en moyenne supérieure à celle des individus nés dans le pays. Échappent à ce constat l’Argentine et le Kirghizistan, principalement en raison du pourcentage plus élevé de personnes âgées parmi leurs immigrés.

Tableau 1.6. La contribution fiscale des immigrés est dans l’ensemble limitée, mais positive
Contribution fiscale nette des immigrés

Argentine

Costa Rica

Côte d’Ivoire

République dominicaine

Ghana

Kirghizistan

Népal

Rwanda

Afrique du Sud

Immigrés (en % de la population)

4.3

8.9

7.1

2.8

1.0

4.4

4.2

3.6

4.2

Contribution globale (en % du PIB)

0.11

0.27

0.67

0.22

0.04

-0.55

-0.12

0.74

0.85

Contribution par habitant, par rapport aux individus nés dans le pays

Inférieure

Supérieure

Supérieure

Supérieure

Supérieure

Inférieure

Supérieure

Supérieure

Supérieure

Note : La Thaïlande n’est pas incluse en raison de l’indisponibilité des données. Les résultats se fondent sur le scénario du coût marginal. Les pourcentages d’immigrés indiqués sont calculés sur la base des enquêtes auprès des ménages respectivement utilisées pour l’estimation de la contribution fiscale nette. Pour le Kirghizistan, les données concernent uniquement la population adulte. Pour de plus amples informations sur le calcul des estimations et les approches méthodologiques, consulter le chapitre 6.

Source : Calculs des auteurs basés sur les données budgétaires des gouvernements et les enquêtes auprès des ménages (voir l’annexe du chapitre 6).

Cette analyse présente certaines limites. Elle ne considère par exemple qu’une seule année, alors que la contribution fiscale nette des immigrés peut varier sensiblement dans le temps. Les immigrés plus âgés, qui ont vécu plus longtemps dans leur pays d’accueil et génèrent vraisemblablement des dépenses publiques supérieures aux recettes, peuvent avoir contribué de façon significative à l’économie et aux finances publiques de ce pays par le passé. En outre, certains effets secondaires, tels qu’une hausse de la croissance économique qui accroît les recettes publiques, ne sont pas pris en compte. Enfin, la précision des estimations globales est limitée, car elles ne se basent pas sur des documents fiscaux proprement dits.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la différence de contribution fiscale nette entre les individus nés à l’étranger et ceux nés dans le pays. Le premier tient à la structure même des impôts et des dépenses. Les estimations présentées dans le tableau 1.6 allouent par exemple les coûts des biens publics dits « purs » aux seuls individus nés dans le pays. Il s’agit de biens publics, tels que la défense et la culture, au titre desquels les dépenses ne sont pas censées s’accroître lorsque la population augmente. S’ils représentent une part importante des dépenses totales, cela favorise la contribution fiscale nette des individus nés à l’étranger par rapport à ceux nés dans le pays. Une autre méthode d’estimation procède à une répartition égale du coût de ces biens entre tous les individus. Sous ce scénario, la contribution fiscale nette de l’immigré moyen au Costa Rica, en Côte d’Ivoire et au Népal n’est plus supérieure à celle de l’individu moyen né dans le pays.

Un autre facteur concerne la mesure dans laquelle les immigrés bénéficient du système de protection sociale. Après contrôle de leurs caractéristiques individuelles, les immigrés dans les pays partenaires du projet sont autant ou moins susceptibles que la population née dans le pays de bénéficier d’un régime de retraite ou de prestations sociales. Ce constat pourrait en partie s’expliquer par la surreprésentation des immigrés dans l’emploi informel et, dans certains cas, par l’irrégularité de leur statut. Toutefois, ils peuvent aussi ne pas avoir travaillé un nombre suffisant d’années dans leur pays d’accueil pour pouvoir bénéficier de ces prestations.

Les caractéristiques personnelles des individus nés dans le pays et de ceux nés à l’étranger peuvent aussi expliquer la différence de leur contribution fiscale. Ainsi, si ces deux groupes étaient plus similaires en termes d’âge, leur différence de contribution fiscale serait moins marquée qu’elle ne l’est à l’heure actuelle dans la plupart des pays partenaires du projet (voir le graphique 6.10 au chapitre 6). En outre, si les immigrés avaient le même taux d’emploi que la population née dans le pays, leur contribution fiscale par habitant diminuerait, sauf au Ghana, au Kirghizistan et au Népal.

Recommandations de politiques publiques : Comment les pays de destination peuvent accroître la contribution de l’immigration au développement

Le présent rapport montre que les migrations de travail ont un impact relativement limité sur l’économie des dix pays partenaires du projet, résultat concordant avec la littérature existante sur la contribution économique de l’immigration. D’importantes différences existent entre les dix pays partenaires du projet et les pays à revenu élevé de l’OCDE en termes de taille de l’économie informelle, de part de l’emploi informel et de qualité des conditions de vie et de travail des immigrés. Toutefois, la façon dont les travailleurs nés à l’étranger contribuent à l’économie de leur pays d’accueil est relativement similaire.

Les effets sur les perfomances des travailleurs autochtones sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance économique sont relativement limités dans ces deux groupes de pays. Il ressort de ce constat que l’idée selon laquelle les immigrés auraient une incidence négative sur leur pays de destination n’est souvent pas justifiée, mais aussi que la plupart des pays ne tirent pas suffisamment profit du capital humain et de l’expertise apportés par les immigrés. L’immigration constitue toutefois une caractéristique de plus en plus importante de nombreux marchés du travail contemporains et pour nombre de pays, une composante essentielle de l’avenir de l’emploi (OIT, 2015a ; OCDE, 2016).

À cet égard, les politiques publiques peuvent jouer un rôle clé dans le renforcement de la contribution de l’immigration au développement des pays de destination. Si de nombreux pays en développement ont adopté des politiques afin de maximiser l’impact positif de l’émigration, rares sont ceux qui ont mis en place des stratégies globales pour tirer pleinement profit de l’immigration. Ce constat peut en partie résulter du fait que l’immigration n’est pas considérée comme une priorité stratégique, cette question étant souvent nouvelle et se trouvant en concurrence avec de nombreux autres problèmes politiques urgents. Toutefois, l’exclusion de l’immigration des stratégies de développement représente en général une occasion manquée pour les pays de destination.

La contribution que les immigrés peuvent apporter à l’économie de leur pays d’accueil dépend d’un ensemble de facteurs :

  • les caractéristiques socio-économiques des immigrés eux-mêmes, telles que leur âge, leur sexe, leur pays d’origine et leur niveau de compétence

  • leurs conditions de travail, liées à la fois à leur statut migratoire et aux droits des travailleurs

  • leur niveau d’intégration dans la société, en particulier sur le marché du travail, mais aussi en termes de protection sociale, d’éducation et de services de santé

  • l’environnement économique du pays de destination, lié aux cycles économiques et aux perspectives de croissance à long terme

  • le contexte politique et institutionnel, qui peut influer sur : i) le degré de reconnaissance et d’utilisation effectives des compétences des immigrés ; et ii) la possibilité pour les immigrés d’investir et de créer de nouvelles entreprises, et de contribuer au système fiscal.

Les politiques publiques peuvent avoir des effets directs et indirects sur l’ensemble de ces facteurs, et influer non seulement sur le profil des immigrés arrivant dans le pays, mais aussi sur la façon dont ils contribuent à l’économie et s’intègrent dans la société. D’après les résultats des travaux de recherche actuels, les pays d’immigration devraient donc articuler leurs politiques autour des cinq grandes priorités présentées dans le graphique 1.5. Cette approche s’inscrit en outre dans la droite ligne des meilleures pratiques internationales, telles que les recommandations de la Déclaration du Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement (Nations Unies, 2013) et la « Résolution concernant une gouvernance équitable et efficace des migrations de main-d’œuvre » (OIT, 2017a).

Graphique 1.5. Les politiques visant à renforcer la contribution économique de l’immigration doivent s’articuler autour de cinq grandes priorités
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Adapter les politiques migratoires aux besoins du marché du travail

Les immigrés peuvent être bénéfiques à la plupart des pays en développement, et ce quel que soit leur niveau de compétence. À mesure que les pays se développent et connaissent un processus de transformation et de diversification économique, le besoin de nouvelles compétences se fait jour. En venant enrichir le stock de capital humain, les immigrés peuvent aider les pays de destination confrontés à d’importantes pénuries de compétences à renforcer leurs structures de production et à progresser sur les chaînes de valeur mondiales (OCDE, 2013b). En plus de répondre aux besoins de travailleurs semi- et très qualifiés, la main-d’œuvre née à l’étranger peut aussi remplacer ou compléter la main-d’œuvre née dans le pays dans les segments peu qualifiés de l’économie. Dans de nombreux pays, les investissements dans l’éducation permettent aux populations d’occuper des emplois meilleurs et plus qualifiés, mais la demande d’emplois peu qualifiés subsiste. Les immigrés peu qualifiés occupent souvent des emplois moins attractifs pour la main-d’œuvre locale, permettant ainsi à la population née dans le pays de se tourner vers les secteurs les plus dynamiques. Ce processus dépend aussi toutefois des qualifications des travailleurs nés dans le pays et de la demande de compétences dans ces secteurs.

Les immigrés facilitent souvent les processus de transition dans les pays en développement. Ils tendent à remplacer les travailleurs nés dans le pays qui ont quitté les zones rurales pour les zones urbaines, ou des professions moins qualifiées pour des professions plus qualifiées, ainsi que ceux qui sont partis à l’étranger à la recherche de meilleures perspectives. Dans les économies vieillissantes, les immigrés peuvent aussi contribuer au maintien du ratio entre actifs et inactifs. Ils peuvent en outre assurer la pérennité du système de retraite, à supposer que leur statut migratoire et professionnel leur permette d’y contribuer.

Les pays partenaires du projet, mais aussi les autres pays à revenu faible ou intermédiaire, devraient donc viser à développer des systèmes de gestion des migrations facilitant la mobilité de la main-d’œuvre. Pour ce faire, ils peuvent protéger les travailleurs migrants, s’appuyer sur des évaluations actualisées des besoins du marché du travail et identifier les manques de compétences. La conception et la mise en œuvre de ce type de systèmes doivent se faire en partenariat avec les organisations de travailleurs et d’employeurs.

Développer des systèmes de gestion des migrations facilitant la mobilité de la main-d’œuvre

Si tous les pays restent souverains dans la façon dont ils gèrent l’immigration, les politiques trop restrictives tendent à être à la fois coûteuses et contre-productives. Plus les politiques d’immigration sont restrictives, plus leur mise en œuvre est coûteuse. La délivrance de visas, le contrôle des entrées, la surveillance des frontières et l’expulsion des immigrés en situation irrégulière sont autant de dispositifs qui ont un coût. Par ailleurs, dans nombre de pays en développement, ces mesures restrictives sont souvent difficiles à appliquer. Les frontières tendent à être poreuses et les contrôles, particulièrement complexes à mettre en œuvre dans un contexte marqué par d’étroits liens culturels et familiaux entre les pays voisins, et un niveau élevé d’informalité sur le marché du travail (OCDE, 2011a).

Dans ce contexte, il serait plus facile pour nombre de pays en développement de mettre en œuvre des cadres de régulation des migrations fondés sur les besoins du marché du travail. Il peut s’avérer plus avantageux d’adopter une politique d’ouverture à l’égard des travailleurs nés à l’étranger et de leur famille que d’investir des ressources financières déjà limitées dans des dispositifs de gestion des frontières onéreux et souvent inefficaces. La sécurité nationale peut dépendre tout autant de l’offre de possibilités décentes d’emploi que du contrôle des frontières. En facilitant les entrées et en offrant davantage de voies légales d’accès aux travailleurs migrants, on augmenterait automatiquement le pourcentage d’immigrés en situation régulière. En conséquence, les immigrés pourraient aussi bénéficier de plus de possibilités d’emploi formel et contribueraient ainsi de façon plus significative à l’économie de leur pays d’accueil, notamment en payant davantage d’impôts.

C’est dans cet esprit que le Rwanda a adopté en 2009 sa Politique migratoire nationale. Elle vise à renforcer le développement économique et social du pays, ainsi que sa compétitivité, à promouvoir l’intégration régionale, et à protéger la sécurité et la stabilité nationales. Dans ce cadre, la législation et la politique migratoire visent à attirer les investissements étrangers et les compétences dont le pays a besoin. Ce document stratégique traite de la résidence permanente et temporaire, et crée des passerelles entre ces deux statuts. Il donne en outre des indications concernant l’acquisition de la nationalité. Ce dispositif global place l’immigration au cœur de la stratégie nationale de développement économique (OCDE/OIT, à paraître g).

Les voies légales d’accès ne devraient pas cibler uniquement les immigrés très qualifiés, mais inclure aussi les travailleurs peu et moyennement qualifiés, qui contribuent de façon significative à l’économie de leur pays d’accueil. L’octroi de visas permanents aux immigrés qui ont vécu ou travaillé dans le pays durant un certain temps est une façon de les aider à circuler plus aisément entre les pays, sans les forcer à rester dans leur pays d’accueil alors qu’ils préféreraient rentrer s’installer dans leur pays d’origine (OCDE, 2016).

De même, les accords bilatéraux constituent un outil précieux pour les pays d’origine et de destination, en particulier s’ils se fondent sur le dialogue social et reçoivent l’appui des organisations de travailleurs et d’employeurs. Ils doivent favoriser des migrations sûres, régulières et ordonnées, mais aussi garantir la protection des travailleurs migrants (OIT, 2017b) :

  • Les accords relatifs aux visas aident à réduire les coûts migratoires supportés par les travailleurs migrants. Dans certains cas, le nombre de visas peut être ajusté en fonction des besoins du marché du travail de chaque pays.

  • Les accords relatifs à l’emploi contribuent à l’adoption de contrats normalisés pour les travailleurs migrants et couvrent les conditions de travail et de rémunération, ainsi que tout un ensemble d’autres droits fondamentaux. De nombreux pays partenaires du projet ont déjà signé ce type d’accords, bien que pas avec les principaux pays d’origine dans certains cas.

  • Les accords relatifs à la reconnaissance des qualifications, grâce auxquels les migrants peuvent faire certifier leurs compétences et qualifications, favorisent l’adéquation des compétences sur le marché du travail du pays de destination.

Des accords entre les principaux acteurs de la société civile des pays d’origine et de destination peuvent aussi aider à renforcer l’échange d’informations et à promouvoir la mobilité de la main-d’œuvre. Les accords visant spécifiquement la protection des droits des travailleurs domestiques migrants peuvent s’inscrire en soutien des activités conjointes des syndicats et des organisations de travailleurs domestiques, tant dans les pays d’origine que dans les pays d’accueil. Ce type d’accords existe par exemple en Argentine et au Paraguay, ainsi qu’en Afrique du Sud, au Lesotho et au Zimbabwe. Ils offrent aux travailleurs migrants un espace pour jouer un rôle plus important dans les efforts de sensibilisation, tout en aidant les communautés à surmonter les clivages culturels6 .

Si les accords bilatéraux facilitent la mobilité de la main-d’œuvre et l’adéquation des compétences, certaines questions restent néanmoins à résoudre. À cet égard, la plupart des accords bilatéraux ne sont pas alignés sur les normes internationales du travail7 . Ainsi, le regroupement familial, bien que constituant un droit fondamental pour tous les migrants, reste un sujet sensible dans nombre de pays (OIT, 2006 ; OCDE, 2016). La signature d’accords sur la transférabilité des retraites avec les principaux pays d’origine des immigrés serait aussi un moyen de promouvoir le droit des migrants à une retraite décente (Holzmann, 2016 ; OIT, 2015c).

Enfin, les accords régionaux peuvent favoriser les migrations de travail. Ils peuvent supprimer la plupart des obstacles administratifs à la mobilité et garantir une mise en œuvre efficace pour une meilleure répartition du capital humain à l’échelle régionale. Les accords conclus entre les pays dans le domaine de l’immigration viennent en général s’inscrire en complément des accords commerciaux régionaux. Ce constat vaut notamment pour la Communauté économique de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) (CEA), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et le Marché commun du Sud (MERCOSUR). Toutefois, dans nombre des cas, la liberté de circulation existe davantage en théorie que dans les faits, la mobilité de la main-d’œuvre ne s’accompagnant pas toujours de l’égalité d’accès à l’emploi et à la protection sociale.

Afin d’encourager la mobilité régionale, les accords régionaux doivent aussi supprimer les obstacles à l’emploi au niveau national et permettre aux ressortissants de tous les pays de la région de bénéficier des dispositifs de protection sociale. L’ouverture des emplois de la fonction publique aux travailleurs qualifiés des pays voisins permettrait de réduire les déficits de qualifications et d’offrir de meilleurs services publics dans les pays de destination. Les pays francophones de la CEDEAO pourraient ainsi tirer parti des compétences linguistiques des immigrés originaires du Ghana et du Nigéria pour améliorer l’apprentissage de l’anglais en classe. Ces deux pays pourraient quant à eux aussi faire appel aux francophones et aux lusophones des pays voisins pour enseigner ces deux langues à l’école.

Mieux évaluer les besoins du marché du travail

Des systèmes cohérents de gestion des migrations devraient prendre en compte les besoins à court et long termes du marché du travail national, qui reflètent de façon plus large les objectifs de développement et les aspirations de la population. L’adoption d’indicateurs objectifs peut aider les décideurs politiques à identifier les pénuries de compétences, tant au niveau des secteurs que des professions (OCDE/Union européenne, 2014). Parmi ces indicateurs du marché du travail peut figurer, par exemple, l’évolution des taux d’emploi, de chômage, de postes non pourvus et de rémunération.

Il peut néanmoins être difficile pour les pays de destination d’évaluer ces besoins. Tout d’abord, les pénuries de main-d’œuvre sont souvent liées aux cycles conjoncturels. Si la collecte de données sur les indicateurs du marché du travail prend trop de temps, l’exactitude des informations ainsi recueillies peut s’en trouver amoindrie. Ce risque est d’autant plus élevé dans les pays en développement, où la collecte de données peut constituer un réel défi. Ensuite, les indicateurs du marché du travail ne doivent être utilisés que pour donner un aperçu de la situation générale. Ce n’est pas parce qu’une profession ou un secteur particuliers ne semblent pas manquer de main-d’œuvre que des entreprises individuelles ne peinent pas à trouver des travailleurs dotés de compétences spécifiques. Enfin, les indicateurs du marché du travail ne peuvent qu’anticiper les besoins à court terme et sont susceptibles de ne pas rendre compte des changements structurels à l’œuvre dans l’économie.

L’un des moyens de surmonter les limites inhérentes aux indicateurs du marché du travail consiste à mettre en place des mécanismes de consultation auprès du secteur privé afin d’aligner l’immigration de travail sur les besoins du marché. Ces mécanismes peuvent aider à réfléchir aux besoins futurs de l’économie, en réunissant des représentants des ministères – en charge par exemple des migrations, du travail et de la planification du développement –, des organisations sectorielles et des syndicats. Par ailleurs, en travaillant de concert avec les services publics d’emploi et les agences privées de recrutement, les décideurs politiques peuvent aussi mieux anticiper les besoins du marché du travail.

Citons à titre d’exemple la déclaration du Forum des Directeurs de l’emploi d’Amérique centrale et de la République dominicaine sur « le travail décent, l’emploi des jeunes, les migrations de travail, et leur importance dans la région ». Ce Forum convient de promouvoir la coordination pour guider la gouvernance de migrations de travail ordonnées, conformément aux normes nationales et internationales. Il se donne aussi pour objectif d’intensifier les efforts visant à améliorer le dialogue social sur les politiques relatives à l’emploi et aux migrations de travail8 .

Dans l’ensemble, les systèmes de gestion des migrations devraient s’appuyer sur différents indicateurs du marché du travail et mécanismes de consultation pour évaluer les besoins du marché du travail, tout en conservant un certain degré de flexibilité pour faire face aux besoins imprévus.

Protéger les droits des migrants et lutter contre la discrimination

La façon dont les immigrés contribuent à l’économie de leur pays d’accueil dépend en grande partie de leurs conditions de vie et de travail. À cet égard, la protection des droits des immigrés et la prévention de toute forme de discrimination devraient constituer une priorité pour les pouvoirs publics comme pour les organisations de travailleurs et d’employeurs dans les pays d’accueil de migrants.

Protéger les droits des migrants

La cible 8.8 des Objectifs de développement durable (ODD) souligne la nécessité de « [d]éfendre les droits des travailleurs, promouvoir la sécurité sur le lieu de travail et assurer la protection de tous les travailleurs, y compris les migrants, en particulier les femmes, et ceux qui ont un emploi précaire » (Nations Unies, 2015a). Le respect des droits des migrants constitue en lui-même un objectif fondamental, mais contribue également au développement économique. Lorsque les droits socio-économiques et politiques des immigrés sont respectés, leur bien-être augmente, tout comme leur capacité à contribuer de façon plus productive à l’économie de leur pays d’accueil (Kerwin, 2013). Les immigrés sont toutefois souvent exposés à la traite des personnes et à l’emploi vulnérable. Les travailleurs migrants voient en outre souvent leur droit à la liberté d’association et à la négociation collective restreint (OIT, 2017b). Les femmes migrantes peuvent se trouver confrontées à des difficultés supplémentaires liées à leur accès limité aux emplois décents et aux services de base, en particulier la santé et l’éducation, au manque d’aide juridique et de soutien psychologique, et aux violences à caractère sexiste (Initiative conjointe des Nations Unies pour la migration et le développement, 2017).

Les décideurs politiques des pays d’immigration doivent adopter des dispositifs afin de résoudre le problème de l’emploi vulnérable. Il est essentiel que les autorités centrales et locales œuvrent de concert au développement de dispositifs spécifiques afin de protéger les droits des immigrés et de lutter contre les pires formes de précarité. Les immigrés doivent avoir le droit de se syndiquer et de former des associations. En outre, les mécanismes de recours locaux, qui offrent aux immigrés des informations sur les droits et procédures, une assistance juridique et une aide pour le signalement des abus, constituent un moyen efficace de les aider à défendre leurs droits.

C’est dans cet esprit que la municipalité d’Upala au Costa Rica a mis en place, en partenariat avec des institutions gouvernementales et des organismes sociaux, un Mécanisme d’action interinstitutionnel et intersectoriel visant à protéger les migrants, notamment les femmes. Ce mécanisme d’action s’appuie sur un réseau local de promotrices bénévoles chargées d’aider les femmes victimes de violence, en leur apportant conseils juridiques et soutien psychologique. En outre, la Maison des droits des femmes offre un lieu sûr où les victimes de violence peuvent trouver refuge et recevoir aide et protection.

Lutter contre la discrimination et le racisme

L’ampleur du secteur informel dans nombre de pays en développement accroît les risques pour les immigrés d’être victimes de discriminations en termes de rémunération, de conditions de travail, de logement et de droits fonciers. Les immigrés sont en général proportionnellement plus susceptibles que leurs homologues nés dans le pays d’occuper des emplois mal rémunérés et dangereux (chapitre 3). Le fait qu’ils soient, dans nombre des cas, en situation irrégulière, ou du moins précaire, accentue encore leur vulnérabilité. Les différences linguistiques, ethniques et parfois religieuses aggravent généralement les discriminations et le racisme à leur égard.

Pour toutes ces raisons, il est nécessaire que les pays de destination adoptent des mesures spécifiques afin de lutter contre la xénophobie, et contre les stéréotypes sociaux et culturels qui contribuent à la discrimination à l’encontre des immigrés, notamment en matière d’emploi (OIT, 2017b). Pour ce faire, il est essentiel pour les pouvoirs publics de mieux comprendre ce qui constitue un acte raciste et quels mécanismes discriminatoires opèrent dans leur pays. Si la plupart des pays disposent d’une législation contre les discriminations, il convient néanmoins d’encourager aussi les mesures visant à lutter concrètement contre ces dernières. À cet égard, citons une initiative intéressante : l’Institut national contre la discrimination, la xénophobie et le racisme (INADI), organisme gouvernemental argentin qui établit une carte des discriminations.

Les décideurs politiques doivent en outre commencer à supprimer les lois discriminatoires, en particulier au vu de la persistance des normes et stéréotypes sociaux dans le temps. Le Programme d’action d’Addis Abeba de 2015 (Nations Unies, 2015c) encourage les pays à adopter des stratégies de communication visant à changer la perception de l’immigration et à faire comprendre aux populations locales comment les immigrés contribuent au développement. Au Costa Rica, l’Observatoire des médias sur les migrants et les réfugiés promeut ainsi une information transparente et fiable sur les questions de migration. Le travail avec les médias est essentiel pour garantir une information multi-ethnique et sans préjugés (OCDE, 2011c).

Les décideurs politiques doivent également viser à garantir l’égalité de traitement entre les travailleurs immigrés et ceux nés dans le pays, grâce à l’application des normes du travail (OIT, 2014b). Les travailleurs immigrés peu qualifiés, en particulier, qui occupent souvent des emplois atypiques, manquent de pouvoir de négociation et sont relativement faciles à remplacer. Ils sont donc plus susceptibles que les travailleurs nés dans le pays d’être victimes de discriminations sur le marché du travail.

Il devrait en outre être obligatoire pour les pays de destination de disposer de mécanismes de base afin de garantir la couverture des travailleurs immigrés par une assurance médicale. La Thaïlande a par exemple mis en place un régime obligatoire d’assurance maladie pour les travailleurs immigrés originaires du Cambodge, du Myanmar et de la République démocratique populaire lao. Il couvre les immigrés – en situation régulière ou irrégulière – ainsi que les personnes à leur charge –, et leur permet, moyennant le versement d’une cotisation annuelle, de bénéficier de services de santé.

Une attention toute particulière doit être portée aux femmes migrantes, plus susceptibles d’être victimes de discriminations du fait de leur double statut d’immigrante et de femme.

L’une des façons de lutter contre la discrimination consiste à étendre la couverture des services publics à l’ensemble des résidents, immigrés compris. L’Argentine et le Costa Rica constituent de bons exemples de pays soucieux d’offrir les mêmes services d’éducation, de protection sociale et de santé à tous les individus, indépendamment de leur pays de naissance, de leur nationalité ou même de leur statut d’immigration. Les décideurs politiques doivent toutefois s’assurer que l’égalité théorique de ces droits soit bel et bien appliquée dans les faits. Pour ce faire, il convient notamment que des inspecteurs puissent contrôler les conditions de travail au sein des entreprises et que tout individu s’estimant victime de discrimination puisse accéder facilement à des mécanismes de recours pour dénoncer les abus dont il aurait fait l’objet.

Investir dans l’intégration des immigrés

Bien qu’un nombre croissant de pays en développement soient devenus des pays de destination, la plupart d’entre eux manquent de stratégies globales pour faciliter l’intégration des immigrés. L’une des raisons en est que nombre de pays perçoivent l’immigration comme un phénomène temporaire : les immigrés sont censés rentrer dans leur pays d’origine après un certain temps. Toutefois, comme de nombreux immigrés décident de s’installer définitivement dans leur pays d’accueil, les taux de retour sont en général relativement faibles, ce qui accentue donc la nécessité d’une meilleure intégration. L’une des autres raisons pouvant expliquer l’insuffisance des politiques d’intégration tient au fait que dans la plupart des pays en développement, les immigrés sont originaires de pays voisins. Ils partagent donc souvent la même langue et la même culture que les ressortissants de leur pays d’accueil, ce qui facilite en général le processus d’intégration. Toutefois, le fait que les immigrés viennent de pays voisins n’implique pas nécessairement qu’ils soient toujours bien acceptés et qu’ils ne rencontrent pas de problèmes de discrimination.

Le manque d’intégration peut entraîner de graves problèmes de cohésion sociale, qui peuvent même dans certains cas occasionner des émeutes et des troubles politiques. La période de conflit qu’a connue la Côte d’Ivoire en 2010-11 était ainsi étroitement liée à des questions d’identité nationale. Une mauvaise intégration affaiblit non seulement la cohésion sociale, mais diminue aussi la capacité des immigrés à contribuer au développement de leur société d’accueil. Ainsi, les migrants qualifiés qui ne parlent pas la langue locale sont moins susceptibles de trouver un emploi correspondant à leur expertise, ce qui limite non seulement leur capacité à s’intégrer professionnellement et socialement, mais représente aussi un gaspillage de talents pour la société d’accueil, soit la perte du capital humain que peuvent apporter les immigrés. De même, dans un contexte de racisme et de discrimination, le manque d’intégration peut conduire à des problèmes de marginalisation et de violence au sein de la société.

À l’inverse, l’intégration signifie que la population du pays d’accueil accepte les immigrés dans les différentes sphères de la société, notamment sur le marché du travail, et que les immigrés bénéficient des mêmes possibilités que la population née dans le pays (OCDE/Union européenne, 2015). Ils peuvent en conséquence mieux contribuer au développement économique de leur pays d’accueil non seulement par leur travail, mais aussi par leur capacité à investir, innover et payer des impôts.

Le processus d’intégration débute dès l’arrivée des immigrés. L’offre d’un soutien aux immigrés récemment installés est une façon de les aider à surmonter les difficultés administratives et culturelles qu’ils peuvent rencontrer. À cet égard, le Bureau d’aide aux migrants de Johannesburg, Afrique du Sud, constitue un exemple intéressant d’une initiative locale visant l’intégration des immigrés dans la ville. La langue étant l’une des premières compétences que les immigrés doivent acquérir, une autre bonne pratique consiste à proposer aux immigrés et à leur famille des cours de langue gratuits ou subventionnés.

Les autorités locales peuvent en particulier jouer un rôle actif dans la promotion de l’apprentissage de la langue en embauchant des professeurs et en proposant des cours aux étrangers. En Argentine, la loi de 2003 sur l’immigration prévoit par exemple l’offre de cours de langue espagnole. Toutefois, un défi supplémentaire se pose lorsque les immigrés sont peu instruits et ont des difficultés dans leur propre langue. Cela peut être le cas lorsque les immigrés sont peu qualifiés et vivent dans des communautés où les possibilités d’apprentissage de la langue locale sont limitées. En pareil cas, il convient de redoubler d’efforts. Outre les cours de langue, les pays d’accueil devraient sans doute investir dans l’alphabétisation afin de favoriser l’intégration des immigrés.

L’éducation joue un rôle clé dans l’intégration des immigrés de la première, mais aussi de la deuxième génération. Le principal défi pour un certain nombre de pays en développement consiste à faire face au coût financier de cet investissement dans le capital humain, en particulier lorsque les élèves nés dans le pays n’ont pas acquis eux-mêmes certains fondamentaux. Une contrainte supplémentaire apparaît lorsque les immigrés sont originaires de pays où la langue est différente de celle du pays d’accueil. Il est toutefois primordial que les pays d’accueil investissent dans une éducation de qualité pour tous les enfants, quel que soit leur statut migratoire. Parallèlement, les politiques du logement doivent s’efforcer d’éviter la concentration des immigrés dans les zones les plus pauvres (OCDE, 2011a). La mise en œuvre de politiques judicieuses dans les domaines de l’éducation, du logement et de l’urbanisation aide non seulement à favoriser l’intégration économique et sociale des immigrés, mais contribue également à la mobilité sociale de la deuxième génération.

Enfin, sur le plan juridique, les pays de destination devraient permettre aux immigrés d’acquérir la nationalité au terme d’un délai raisonnable de résidence dans le pays. La double nationalité est une façon pour les immigrés de maintenir un lien avec leur pays d’origine, tout en devenant citoyens à part entière de leur pays d’accueil (OCDE, 2016).

Optimiser l’impact de l’immigration sur l’économie

Le contexte politique explique souvent pourquoi l’immigration a des effets positifs dans certains pays, mais négatifs dans d’autres. À cet égard, les interventions politiques dans les pays de destination devraient particulièrement viser à favoriser l’employabilité des immigrés, à encourager leurs investissements et à maximiser leur contribution fiscale.

Favoriser l’employabilité des travailleurs immigrés et de ceux nés dans le pays

Dans la plupart des pays partenaires du projet, le taux d’emploi des immigrés est supérieur à celui de la population née dans le pays. Ce constat tient au fait que les immigrés émigrent souvent pour des motifs liés à l’emploi et sont donc plus susceptibles de travailler que leurs homologues nés dans le pays. Toutefois, si les immigrés occupent un emploi, celui-ci ne correspond pas toujours à leur niveau de compétence. Un problème de surqualification peut se poser dans les pays où les immigrés qualifiés ne bénéficient pas des mêmes opportunités sur le marché du travail que la population née dans le pays. En outre, même lorsque les immigrés utilisent leurs compétences, la reconnaissance et l’actualisation de ces dernières sont également essentielles, notamment grâce à la validation des acquis antérieurs et à l’apprentissage tout au long de la vie.

Les politiques du marché du travail peuvent aider les travailleurs immigrés comme ceux nés dans le pays à trouver les emplois qui correspondent le mieux à leurs compétences, en développant de meilleurs systèmes d’information sur le marché du travail. Pour ce faire, il convient de mettre en place un réseau élargi de services publics d’emploi, recevant clairement pour mandat de collaborer avec les travailleurs immigrés9 . Il est particulièrement important que les immigrés aient accès aux services publics d’emploi afin qu’ils bénéficient des mêmes possibilités de mobilité au sein de leur pays d’accueil que les travailleurs nés dans le pays. À cet égard, les services de l’Agence Emploi Jeunes en Côte d’Ivoire, qui délivrent aussi des permis de travail aux immigrés non originaires de la région, sont ouverts à tous les individus, qu’ils soient nés dans le pays ou à l’étranger. De même, en Thaïlande, les centres régionaux pour l’emploi visent à faciliter l’embauche des travailleurs immigrés, tout en leur proposant une formation professionnelle. Les services d’emploi doivent par ailleurs aider les travailleurs nés dans le pays affectés par la concurrence éventuelle des immigrés à trouver un nouvel emploi plus adapté à leurs qualifications et à leur expérience (OIT, 2017c et à paraître).

Les politiques menées dans le domaine de l’éducation et des compétences doivent garantir l’égalité d’accès à l’éducation et à la formation pour tous. Les enfants d’immigrés et les étudiants nés à l’étranger offrent la possibilité aux pays de destination de renforcer leur capital humain, ce qui contribuera à leur développement économique à long terme. Ces jeunes doivent donc bénéficier des mêmes conditions que la population née dans le pays en termes d’accès à une éducation de qualité et de transition vers l’emploi. Cette approche implique notamment d’élargir aux élèves/étudiants immigrés les programmes éducatifs ciblés, tels que les bourses et les transferts conditionnels en espèces.

En outre, les politiques menées dans le domaine de l’éducation et des compétences doivent viser à accroître les possibilités de formation et d’apprentissage tout au long de la vie, à aider les travailleurs nés à l’étranger comme ceux nés dans le pays à actualiser leurs compétences, et à donner accès aux chômeurs à une offre d’emplois plus étendue afin de faciliter leur retour sur le marché du travail. Dans nombre de pays en développement, les services publics d’emploi ne disposent souvent que de ressources et de capacités limitées. Les programmes de formation doivent donc faciliter l’accès de leurs services aux immigrés, qui pourraient ainsi améliorer leur employabilité et mieux répondre aux besoins du marché du travail de leur pays d’accueil. Ces services doivent en outre répondre aux besoins des travailleurs nés dans le pays qui rencontrent des problèmes de reconversion, afin de les aider à s’orienter vers d’autres secteurs et professions.

Des politiques intégrant la dimension de genre devraient offrir une protection spécifique aux femmes immigrées, notamment aux travailleuses domestiques et aux employées d’autres secteurs peu visibles. Elles devraient créer des incitations afin d’aider les femmes immigrées à étudier et à accéder ainsi à un éventail renouvelé et plus vaste de possibilités d’emplois. L’offre de programmes publics largement accessibles de garde d’enfants pourrait aussi permettre la participation d’un plus grand nombre de femmes immigrées à la main-d’œuvre. Au vu de la surreprésentation fréquente des immigrés parmi les travailleurs domestiques, des changements politiques généraux visant à améliorer les droits du travail de l’ensemble des travailleurs de ce secteur, indépendamment de leur lieu de naissance, peuvent être particulièrement bénéfiques pour les immigrés. En Argentine, une loi définit par exemple depuis 2014 les droits des travailleurs domestiques, notamment le nombre maximum d’heures de travail et le nombre de jours de congés payés.

Encourager les investissements des immigrés

La suppression des obstacles rencontrés par les immigrés pour l’investissement et la création d’entreprises devrait être une priorité pour la plupart des pays. Les entrepreneurs migrants sont soumis à des contraintes spécifiques liées aux obstacles linguistiques, sociaux et culturels, à la complexité des procédures et, dans certains cas, à des pratiques discriminatoires (OCDE, 2011b). La difficulté d’accès aux terres empêche par exemple souvent les immigrés d’investir dans des activités agricoles. De même, les conditions d’accès au crédit et à l’investissement ne sont pas toujours identiques pour la population née dans le pays et les immigrés.

Les pays de destination devraient viser à promouvoir la création et le développement des entreprises, et offrir des incitations à cet effet (OIT, 2006), notamment en simplifiant les procédures de création. La complexité de procédures administratives et bureaucratiques a tendance à freiner l’investissement, en particulier parmi les immigrés qui ne maîtrisent pas la langue de leur pays d’accueil. À cet égard, les pays d’accueil peuvent favoriser le principe du guichet unique, à l’instar du Centre de promotion des investissements au Ghana ou des guichets uniques en Côte d’Ivoire. Ces guichets uniques peuvent offrir des services ciblant spécifiquement les entrepreneurs immigrés, afin de faciliter les procédures bureaucratiques associées à la création d’entreprises et d’encourager leurs investissements.

Le paysage entrepreneurial du pays d’accueil des immigrés pouvant différer sensiblement de celui de leur pays d’origine, il peut être utile de mettre en place des programmes de formation ciblés afin de renforcer leurs compétences dans ce domaine. Ces programmes peuvent aider les immigrés à mieux comprendre certaines des spécificités institutionnelles de leur pays d’accueil, telles que les procédures administratives, le règlement financier et les règles du marché du travail. Des programmes ciblant spécifiquement les femmes immigrées et visant à renforcer leurs compétences financières et entrepreneuriales peuvent les aider à s’autonomiser, faciliter leur intégration et accroître leur contribution au développement de leur pays d’accueil.

La réponse aux besoins des entrepreneurs migrants, en particulier en termes de droits de propriété et d’accès aux crédits, devrait constituer une autre priorité. Dans certains pays, le transfert des droits fonciers aux étrangers n’est pas autorisé, rendant l’investissement dans les activités agricoles difficile pour les immigrés. De même, les immigrés font souvent l’objet de discriminations sur le marché du crédit, probablement en raison du fait que les institutions financières tendent à considérer les investisseurs nés à l’étranger comme plus à risque que leurs homologues nés dans le pays. L’une des façons de lever ce type d’obstacles consiste à proposer des programmes ciblant les initiatives des entrepreneurs migrants. Des programmes visant à faciliter l’accès des femmes aux financements pourraient aider les femmes immigrées à développer leur propre activité, à l’instar de l’Association de soutien aux femmes entrepreneurs au Kirghizistan, qui apporte son soutien aux femmes en leur proposant des consultations juridiques gratuites sur les droits de propriété et les droits fonciers.

Une autre approche consiste à encourager l’ouverture aux biens et services des principaux pays d’origine. Ce faisant, les accords commerciaux doivent résolument intégrer les droits humains, notamment ceux du travail, dans les considérations commerciales. Les entrepreneurs immigrés pourraient ainsi tirer pleinement profit des réseaux de leurs pays d’origine pour réussir la création de leur activité et renforcer les liens avec les marchés de ces pays.

Les politiques migratoires jouent en outre un rôle important dans la façon dont les immigrés investissent dans leur pays de destination. Les immigrés en situation régulière sont ainsi plus susceptibles d’investir que ceux en situation irrégulière. La possibilité d’une régularisation des immigrés en situation irrégulière pouvant apporter la preuve de leur activité entrepreneuriale et de la création d’emplois pourrait stimuler l’activité des entreprises. De même, des politiques d’admission ciblant spécifiquement les entrepreneurs ou investisseurs potentiels pourraient encourager davantage d’étrangers à venir investir dans les pays (OCDE, 2011b).

Maximiser la contribution fiscale des immigrés

L’impact fiscal de l’immigration varie entre les pays, mais est dans l’ensemble limité. Il peut dépendre de la mesure dans laquelle les immigrés ont un droit d’accès aux systèmes de protection sociale et aux services sociaux, notamment au régime de retraite. Les modalités d’interaction entre immigration, emploi et politiques fiscales influent également sur la capacité du système fiscal à faire des immigrés des contribuables directs.

Différentes possibilités existent pour maximiser la contribution fiscale des immigrés. Dans nombre de pays en développement, les immigrés étant souvent surreprésentés dans les secteurs informels, les pays de destination devraient tenter de favoriser la croissance du secteur formel, ou du moins d’élargir l’assiette fiscale et les contributions du secteur informel. Les gouvernements pourraient aussi essayer d’aligner l’incidence fiscale sur le revenu et les modes de consommation des immigrés. Tous les immigrés, qu’ils soient en situation régulière ou non, contribuent de fait aux finances publiques de leur pays de destination en s’acquittant d’impôts sur la consommation. Toutefois, une analyse coûts-bénéfices détaillée mettrait probablement au jour la non-rentabilité de la modification du code fiscal à cet effet.

D’autres mesures stratégiques susmentionnées augmenteraient aussi probablement la contribution fiscale des immigrés. À titre d’exemple, en régularisant le statut des immigrés, on augmente leur probabilité de bénéficier de possibilités formelles d’emploi, et donc de payer davantage d’impôts.

Mesurer et évaluer l’impact économique de l’immigration

Le manque de données et d’éléments objectifs empêche la mise en œuvre de politiques et d’interventions publiques adéquates. Si l’objectif principal de ce projet était de fournir des données empiriques sur la contribution économique de l’immigration de travail dans les pays en développement, de nombreuses limitations sont apparues du fait du manque de données fiables, cohérentes dans le temps et comparables à l’échelle internationale. Il semble donc important que les pays en développement en général, et les pays partenaires de ce projet en particulier, investissent dans l’amélioration de la collecte des données relatives aux migrations. Ils doivent en outre développer l’analyse des différents impacts potentiels de l’immigration sur l’économie.

Améliorer la collecte des données

La plupart des pays partenaires du projet collectent des données utiles à l’étude de l’immigration, dans le cadre notamment des recensements de population et des enquêtes sur les ménages, la population active et les entreprises. Ces données ne permettent toutefois pas toujours d’avoir une vision complète des immigrés, notamment en termes de sexe, de compétences, de professions, de revenus et de secteurs d’activité. Dans certains pays, l’immigration ne constitue clairement pas une priorité et la collecte des données peut être lacunaire et non cohérente dans le temps. En outre, la comparabilité des données entre les pays peut parfois être invalidée par les différences de définition et de méthodologie. Ce constat vaut également pour nombre d’autres pays en développement.

L’amélioration de la disponibilité de données actualisées, fiables et de qualité sur les migrations devrait donc constituer une priorité pour la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire, comme le souligne la cible 17.1810 des ODD (Nations Unies, 2015a). Pour ce faire, il convient notamment d’harmoniser et d’intégrer les données sur l’immigration entre les institutions gouvernementales et les différentes sources, et d’inclure de façon plus systématique dans les enquêtes auprès des ménages et des entreprises des informations sur la nationalité, le pays de naissance et la durée des périodes de migration (OIT, 2015b).

La réalisation de collectes de données régulières et exhaustives peut aider à améliorer l’adéquation entre les flux d’immigration et les besoins du marché du travail. Il est essentiel de disposer de données systémiques de qualité pour informer tant les autorités en charge de l’emploi que celles en charge de l’immigration, et proposer des orientations sur la gestion des migrations, les services d’emploi et les programmes de formation (OIT, 2015d). Dans les pays disposant de ce type de système de gestion des migrations, ces données peuvent aussi aider les décideurs politiques à dresser la liste des professions en pénurie de main-d’œuvre, et les éclairer sur la mise en place éventuelle de quotas ou leur ajustement. Ces informations peuvent en outre être partagées avec les pouvoirs publics et les agences de recrutement des principaux pays d’origine, afin de leur permettre d’améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre.

L’ampleur du secteur informel sur les marchés du travail des pays en développement constitue également un facteur essentiel empêchant la collecte de données exactes à grande échelle. Le secteur informel est certes susceptible d’employer les immigrés en situation irrégulière, mais aussi ceux en situation régulière. De même, l’évaluation de l’impact réel de l’immigration est plus complexe lorsqu’on ne dispose pas de données sur le nombre d’immigrés en situation irrégulière et leurs caractéristiques. La réalisation de progrès à cet égard permettra d’améliorer la gestion de l’immigration et de maximiser son impact positif. Il est par exemple possible de trouver le juste équilibre entre la régularisation des travailleurs en situation irrégulière (ex-post) et l’assouplissement des limites des visas de travail régulier (ex-ante) grâce à la collecte et à l’analyse de données plus précises.

Un certain nombre de pays en développement disposent des capacités internes pour développer ces outils. Cependant, l’offre de plateformes dédiées de partage des connaissances et d’un appui au renforcement des capacités serait probablement bénéfique aux pays les plus pauvres. À cet égard, la mise en œuvre d’une coopération régionale pour la collecte de données sur les flux d’immigration et d’émigration pourrait constituer un bon point de départ. La Thaïlande contribue ainsi à la Base de données sur les migrations internationales de main-d’œuvre (ILMS, de l’anglais International Labour Migration Statistics) pour l’ANASE. L’ILMS rassemble toutes les sources gouvernementales officielles de données sur les stocks et les flux de travailleurs migrants en Asie du Sud-Est et ailleurs. Elle constitue une source précieuse de données quantitatives pour étayer l’élaboration des politiques sur les migrations de travail dans cette région. Elle recense en outre les sources existantes des données collectées par les pays, notamment leur qualité, leur couverture, leur exhaustivité, leur comparabilité et leurs lacunes éventuelles que le renforcement des capacités peut permettre de combler. La coopération entre les pays d’origine et de destination pour la collecte des données contribue à l’élaboration de politiques fondées sur des éléments probants à l’échelle nationale, mais aussi régionale.

Développer l’analyse

Une autre question à examiner concerne la façon dont les données sont utilisées pour mieux comprendre les défis spécifiques de l’immigration dans les pays en développement. Au vu de l’expérience acquise au cours de ce projet, les aspects suivants semblent mériter une attention toute particulière :

  • Davantage de données et de recherches sont nécessaires afin de mieux évaluer les positions relatives sur le marché du travail des travailleurs immigrés et de ceux nés dans le pays. Cet aspect concerne les complémentarités entre travailleurs en termes de capital humain et de compétences, et la mesure dans laquelle les travailleurs immigrés comblent des manques et contribuent ainsi à l’économie.

  • L’analyse de la contribution globale de l’immigration au PIB requiert le développement ou le perfectionnement de modèles économétriques, notamment de modèles d’équilibre général calculable, de manière à ce qu’ils reflètent mieux les interactions dynamiques à long terme entre migration et croissance économique.

  • La question de la contribution de l’entrepreneuriat des migrants à la création d’emplois nécessite des recherches plus approfondies, probablement au moyen d’analyses tant quantitatives que qualitatives.

  • Les effets de l’immigration sur la productivité à travers différents canaux doivent faire l’objet d’un examen plus poussé. La réalisation d’enquêtes représentatives à l’échelle nationale auprès des entreprises, collectant des informations détaillées sur les antécédents migratoires des chefs d’entreprises et des employés, peut servir de base à cet examen.

  • L’impact fiscal direct de l’immigration pourrait être analysé de façon plus approfondie et précise en combinant les données anonymisées des registres fiscaux de plusieurs années à des informations sur le pays de naissance. Pour certains pays, il pourrait s’avérer utile et réalisable d’examiner non seulement la contribution fiscale nette actuelle, mais aussi celle tout au long de la vie.

En outre, de plus amples analyses pourraient être réalisées sur des questions spécifiques mentionnées mais non développées dans le présent rapport, pour des raisons de limitation de temps et de données. Parmi ces questions figure l’impact à long terme de l’immigration sur la formation du capital humain. Quelle incidence les enfants immigrés ont-ils par exemple sur la qualité du système d’éducation et les performances des élèves nés dans le pays ? Les éléments recueillis à ce sujet dans les pays de l’OCDE sont complexes et une analyse approfondie de cette question dans les pays en développement susciterait certainement l’intérêt des chercheurs comme des décideurs politiques.

Une autre question intéressante concerne l’impact environnemental de l’immigration dans les pays déjà limités en termes de ressources naturelles. Ce sujet, amené à revêtir une importance croissante à l’avenir, a des incidences en termes de développement durable.

La question de la cohésion sociale est en outre un thème essentiel qui n’a pas fait l’objet d’un examen direct dans le présent rapport, mais mérite une analyse plus approfondie. La façon dont les immigrés s’intègrent dans une société a d’importantes répercussions sur la cohésion sociale, qui influe à son tour sur la croissance économique des pays d’accueil.

Références

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Notes

← 1. Un document de travail du Centre de développement de l’OCDE préparé dans le cadre de ce projet propose un examen de la littérature sur l’impact économique de l’immigration dans les pays à revenu élevé et dans ceux en développement. Il identifie les principaux canaux à travers lesquels les immigrés peuvent contribuer à l’économie de leur pays d’accueil (Böhme et Kups, 2017).

← 2. En 2014, au moment du lancement du projet et de la sélection des pays partenaires, les Nations Unies estimaient que les immigrés représentaient (selon les chiffres de 2013) 7.6 % de la population totale au Ghana, et 3 % au Népal, d’où l’inclusion de ces deux pays dans ce projet. Après la révision de 2015, ces pourcentages ont respectivement baissé pour s’établir à 1.5 % au Ghana et à 1.8 % au Népal (Nations Unies, 2015b). Ces écarts numériques n’ôtent rien à la pertinence du projet dans ces deux pays où l’immigration est une question importante. Par ailleurs, dans la mesure où les données des recensements couvrent les migrants en situation irrégulière, ils ont été inclus dans ces estimations.

← 3. La définition des travailleurs migrants dans les Normes internationales du travail de l’OIT trouve son origine dans la Constitution de l’OIT (1919), appelant à « […] la défense des intérêts des travailleurs occupés à l’étranger », bien qu’elle ne propose pas de définition juridique générique de la notion de « travailleur ».

← 4. Pour de plus amples informations sur ces activités, consulter http://www.oecd.org/fr/dev/migration-développement/eclm-fr.htm et http://www.ilo.org/global/topics/labour-migration/projects/WCMS_459878/lang--fr/index.htm.

← 5. En raison de retards dans la collecte des données, le rapport n’a pas pu inclure les résultats de l’enquête auprès des entreprise pour la République dominicaine.

← 6. Pour de plus amples informations, consulter www.ilo.org/dyn/migpractice/migmain.showPractice?p_lang=en&p_practice_id=163.

← 7. Selon une récente étude de l’OIT, concernant la couverture des dispositions de l’accord type annexé à la Recommandation n° 86 de l’OIT, aucun accord n’inclut l’ensemble des 27 dispositions pertinentes (OIT, 2017b).

← 8. Pour de plus amples informations, consulter www.ilo.org/dyn/migpractice/migmain.showPractice?p_lang=en&p_practice_id=99.

← 9. Dans nombre de pays en développement, les services publics d’emploi n’ont pas pour mission de travailler avec les travailleurs migrants et ont souvent besoin de renforcer leurs capacités pour être en mesure de le faire.

← 10. La cible 17.18 des ODD souligne la nécessité « [d]’ici à 2020, [d’]apporter un soutien accru au renforcement des capacités des pays en développement, notamment des pays les moins avancés et des petits États insulaires en développement, l’objectif étant de disposer d’un beaucoup plus grand nombre de données de qualité, actualisées et exactes, ventilées par niveau de revenu, sexe, âge, race, appartenance ethnique, statut migratoire, handicap et emplacement géographique, et selon d’autres caractéristiques propres à chaque pays ».