Résumé

Les migrations ont toujours tenu une place importante dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Le pays accueille des immigrés depuis longtemps (en particulier en provenance du Burkina Faso), dans le sillage de sa politique migratoire relativement ouverte depuis les années 60. Plus récemment, la Côte d’Ivoire est également devenue un pays d’origine d’émigration. Cependant, faute de données suffisantes, il demeure impossible d’apporter des réponses politiques éclairées et cohérentes sur la question des migrations dans le pays. Le projet Interactions entre politiques publiques, migrations et développement en Côte d’Ivoire (IPPMD) – géré par le Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et cofinancé par l’Union européenne – a vocation à appuyer la prise de décisions en Côte d’Ivoire. Il s’efforce plus particulièrement de déterminer :

  1. Comment les migrations, dans leurs multiples dimensions, influent sur divers secteurs clés pour le développement, notamment le marché de l’emploi, l’agriculture, l’éducation, l’investissement et les services financiers, ainsi que la protection sociale et la santé.

  2. Comment les politiques publiques menées dans ces secteurs renforcent ou affaiblissent l’impact des migrations en termes de développement.

Ce rapport synthétise les conclusions et les principales recommandations politiques découlant des recherches empiriques menées entre 2013 et 2017 en collaboration avec le Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (CIRES) et l’Office national de la population (ONP). Les données sont tirées d’une étude conduite auprès de 2 345 ménages, d’entretiens menés avec 110 autorités locales et chefs de villages, ainsi que de 44 entretiens approfondis avec les parties prenantes en Côte d’Ivoire. Une solide analyse statistique, reflétant le contexte politique, économique et social en Côte d’Ivoire, éclaircit la relation complexe entre les migrations et les politiques sectorielles.

Le contexte politique en Côte d’Ivoire, déterminant essentiel de l’influence des migrations sur le développement

Le cadre offert par la Côte d’Ivoire est unique : le pays bénéficie en effet d’importants flux migratoires, tant en termes d’immigration, dont la plupart s’opèrent avec d’autres pays en développement, que, plus récemment, d’émigration. Les analyses montrent que les différentes dimensions de la migration – l’émigration, les transferts de fonds, la migration de retour et l’immigration – ont toutes des effets positifs et négatifs sur des secteurs clés en Côte d’Ivoire. De même, les politiques sectorielles ont des répercussions indirectes et parfois inattendues sur les résultats migratoires et leurs liens avec le développement. Comprendre ces impacts est essentiel pour l’élaboration de politiques cohérentes.

Les programmes de formation professionnelle tendent à intensifier l’émigration hors de la Côte d’Ivoire

Si les programmes de formation professionnelle peuvent permettre, par exemple, d’obtenir de meilleurs postes sur le marché de l’emploi domestique, et ainsi de diminuer la nécessité d’émigrer, ils peuvent aussi offrir aux émigrés potentiels de meilleures possibilités d’emploi à l’étranger, ce qui laisse supposer que des personnes peuvent prendre part à des programmes de formation professionnelle dans le but de trouver un emploi à l’étranger. En effet, si 15 % des personnes qui n’ont pas suivi de programmes de formation professionnelle en Côte d’Ivoire ont l’intention d’émigrer, une part bien plus grande des participants envisage de partir (29 %) ; cette tendance semble plus marquée chez les femmes. La Côte d’Ivoire possède l’un des taux de formation professionnelle les plus bas parmi les pays partenaires du projet IPPMD ; si ce taux augmente, cela pourrait entraîner plus d’émigration.

Les migrations revitalisent et diversifient le secteur agricole, et les politiques agricoles pourraient bien stimuler davantage l’émigration

Après des années de conflit, le secteur agricole se reconstruit. L’émigration peut amener les ménages agricoles à s’appuyer sur le marché du travail externe, ce qui peut soulager les congestions sur le marché du travail agricole. L’immigration semble aussi contribuer à la diversification et à l’expansion du secteur agricole. Les ménages avec un immigré ont plus tendance que les ménages sans immigré à exercer à la fois des activités de culture et d’élevage. En outre, parmi ceux qui n’exercent qu’une activité, les ménages avec un immigré ont plus tendance à avoir une activité d’élevage que les ménages sans immigré. Le pays s’appuie fortement sur l’agriculture comme source de croissance ; le secteur joue un rôle relativement important par rapport au PIB du pays et par rapport aux autres pays partenaires du projet IPPMD. Plusieurs programmes ont récemment été mis en place pour stimuler le secteur agricole, programmes qui ont une incidence sur les projets d’émigration. Par exemple, en sécurisant la propriété, les titres fonciers réduisent le risque de perdre le droit sur la terre et par conséquent les membres des ménages sont plus enclins à migrer. Également, les subventions agricoles réduisent les contraintes financières, et par là-même aident à financer les coûts de l’émigration.

Les transferts de fonds sont généralement affectés à l’éducation, et les immigrés ont moins de chance d’aller à l’école

Les résultats scolaires en Côte d’Ivoire, tels que les taux de scolarisation, sont parmi les plus faibles des pays partenaires de l’IPPMD. Les résultats indiquent un lien positif entre les transferts de fonds reçus par les ménages et la fréquentation scolaire des jeunes dans les deux groupes d’âge 15-17 ans et 18-22 ans. Néanmoins, ils ne montrent aucun lien statistiquement significatif pour les jeunes enfants du groupe d’âge 6-14 ans. En revanche, les enfants des ménages avec un immigré et les enfants eux-mêmes immigrés sont généralement moins scolarisés que les enfants des ménages sans immigré. L’écart le plus important concerne les jeunes âgés de 15 à 17 ans. Les données IPPMD montrent également que les ménages bénéficiant de programmes éducatifs en nature sont moins susceptibles d’avoir un membre du ménage qui envisage d’émigrer, ce qui peut laisser entendre que ces programmes peuvent diminuer la nécessité d’émigrer et les incitations en ce sens.

Les ménages titulaires d’un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds

Les transferts de fonds et la migration de retour peuvent aider à canaliser les capitaux vers des investissements productifs dans le pays. La propriété d’entreprise est plus élevée chez les ménages recevant des transferts de fonds et les ménages avec des migrants de retour, particulièrement dans les zones rurales en Côte d’Ivoire. Dans l’ensemble, les ménages avec des migrants de retour sont moins souvent propriétaires d’une entreprise que les autres dans les zones urbaines, mais plus susceptibles de posséder une entreprise en milieu rural. Le taux d’épargne formel en Côte d’Ivoire est relativement faible, mais se situe dans la moyenne des pays partenaires de l’IPPMD. Les données IPPMD montrent que les ménages titulaires d’un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir des transferts de fonds et recevoir des montants supérieurs. Un taux croissant de transferts de fonds pourrait donc augmenter le taux d’utilisation des comptes bancaires dans le pays.

Les immigrés sont moins susceptibles de jouir d’une protection sociale que les personnes nées en Côte d’Ivoire

L’existence d’un système adéquat de protection sociale et de couverture maladie est essentielle pour assurer la cohésion sociale, contribuer au bien-être et améliorer la productivité dans un pays. Les ménages avec un immigré en Côte d’Ivoire tendent à moins bénéficier des transferts sociaux du gouvernement que les ménages sans immigré, en milieu rural comme urbain. Les immigrés sont plus nombreux à s’être rendus dans un établissement de santé au moins une fois au cours des 12 mois précédant l’enquête que les personnes nées dans le pays, mais, parmi les personnes qui se sont rendues dans un établissement de santé au moins une fois, les immigrés ont moins souvent fréquenté un établissement. L’accès équitable à la santé et à la protection sociale peut déterminer le niveau de contribution d’un immigré à l’égard du pays hôte, et peut être accordé dans le cadre d’un emploi dans le secteur formel. La Côte d’Ivoire dépense relativement peu en termes de protection sociale et de services de santé par rapport à d’autres pays partenaires de l’IPPMD. Les individus doivent souvent trouver d’autres façons d’obtenir une aide sociale, souvent par le biais de contrats de travail. Cependant, les immigrés qui ne travaillent pas dans l’agriculture ont souvent moins de chance d’avoir un contrat de travail formel, un contrat à durée indéterminée, des prestations de santé et des prestations de retraite, ce qui rend encore plus difficile leur intégration sociale dans le pays.

La voie à suivre : intégrer les migrations dans les stratégies de développement nationales et sectorielles

Les migrations peuvent être bénéfiques pour le développement économique et social de la Côte d’Ivoire, mais leur potentiel n’est pas pleinement exploité. Plusieurs ministères ont des rôles spécifiques en matière de gestion des migrations, des initiatives liées aux Forums de la diaspora ont été lancées et le gouvernement a pris des mesures concrètes pour adopter une stratégie nationale de migration, mais la gestion des migrations manque de coordination. Par ailleurs, la portée des migrations peut encore être étendue et approfondie en prenant en considération les interactions entre politiques publiques et migrations dans divers domaines politiques. De plus, un cadre politique plus cohérent entre les ministères et les différents niveaux du gouvernement pourrait permettre de tirer le meilleur parti des migrations et d’éviter les programmes contradictoires. La conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques sectorielles pertinentes en matière de développement doivent tenir compte des migrations. À titre d’exemple :

  • Les programmes de formation professionnelle pourraient mieux cibler la demande et améliorer leur adéquation avec l’offre.

  • Les programmes de délivrance des titres fonciers pourraient être associés aux programmes liant migrations et développement spécifiquement.

  • La qualité dans les établissements scolaires publics et privés, ainsi que leur accès, pourraient être mieux garantis, en réponse à une immigration accrue.

  • Des formations en gestion d’entreprise pourraient accroître la productivité des nouvelles entreprises créées avec la réception des transferts de fonds.

  • L’accès universel à la protection sociale pourrait être augmenté de jure, mais aussi de facto afin d’améliorer l’intégration des immigrés.

Toutes ces initiatives pourraient intervenir dans le contexte des discussions autour de la stratégie migratoire nationale, en instituant une révision des stratégies sectorielles auprès de chaque ministère compétent. Plus concrètement, les autorités chargées de la gestion des migrations elles-mêmes devraient prendre part aux discussions en cours sur la conception des stratégies nationales touchant, par exemple, aux domaines de l’emploi, du développement agricole, de l’enseignement et de la formation professionnelle, des services financiers, ainsi que de la protection sociale et de la santé, sur lesquelles s’appuient le Plan national de développement (PND) 2016-20 et ses versions futures.