Chapitre 5. Les politiques sectorielles influent-elles sur les migrations au Burkina Faso ?

Les politiques sectorielles mises en œuvre dans des domaines clés pour le développement, tels que le marché de l’emploi ; l’agriculture ; l’éducation ; et les investissements et les services financiers, peuvent influer sur les décisions de migration. Les enquêtes Interactions entre politiques publiques, migrations et développement (IPPMD) menées auprès des ménages et des communautés intégraient un large éventail de programmes politiques menés dans ces quatre secteurs dans l’objectif d’identifier quelques-uns des liens existant entre les politiques sectorielles et les migrations. Ce chapitre analyse en quoi les programmes politiques conduits dans ces secteurs au Burkina Faso influencent les décisions d’émigrer, de transférer des fonds, de revenir et de s’intégrer dans le pays.

  

Les politiques publiques et les migrations sont interdépendantes. La façon dont elles interagissent dépend de l’objectif visé par les politiques. Outre les politiques qui ciblent directement la migration, destinées par exemple à contrôler qui peut entrer sur le territoire et sous quelles conditions, et les politiques visant à faciliter l’envoi et la réception de transferts de fonds, des politiques sectorielles non migratoires peuvent également avoir un effet sur les migrations. Ces politiques couvrent différents secteurs clés pour le développement, allant du marché de l’emploi, aux investissements et services financiers, en passant par l’agriculture et l’éducation.

Si tous ces secteurs sont impactés de différentes manières par les migrations (voir chapitre 4), les politiques qui les régissent ont, elles aussi, des répercussions sur différents résultats en matière de migrations, tels que la décision d’émigrer ou de revenir dans le pays, ou encore celle de transférer des fonds. La nature de l’influence des politiques sectorielles sur les migrations demeure toutefois un sujet de recherche inexploré. Ce chapitre tente de mettre en lumière le lien entre les politiques sectorielles et les migrations au Burkina Faso en examinant un vaste ensemble de programmes politiques couvrant les quatre secteurs susmentionnés. Le tableau 5.1 synthétise les programmes politiques pour lesquels des données ont été collectées au Burkina Faso dans le cadre du projet IPPMD.

Tableau 5.1. Politiques sectorielles et programmes visés dans le cadre du projet IPPMD

Secteurs

Politiques / programme

Marché de l’emploi

  • Agences nationales pour l’emploi

  • Programmes de formation professionnelle

  • Programmes publics pour l’emploi

Agriculture

  • Programmes de subvention

  • Programmes de formation agricole

  • Programmes fondés sur des assurances

Éducation

  • Programmes de distribution en nature

  • Programmes reposant sur une aide en espèces

  • Autres types de programmes de formation

Investissement et services financiers

  • Politiques liées aux investissements des entreprises

  • Politiques relatives à l’inclusion et l’éducation financières

Le présent chapitre s’articule autour des quatre secteurs étudiés. Dans un premier temps, il cherche à déterminer en quoi les résultats en matière de migrations sont influencés par les politiques sur le marché de l’emploi, avant de s’intéresser, dans un second temps, aux effets des politiques régissant l’agriculture, l’éducation, et enfin le secteur investissement et services financiers.

Politiques relatives au marché de l’emploi et migrations

L’influence des migrations sur le marché de l’emploi a été étudiée dans le chapitre précédent. Mais les politiques du marché de l’emploi burkinabè ont elles aussi un effet, direct ou indirect, sur les migrations. Les données du projet IPPMD confirment que la recherche d’emploi est le moteur principal de la migration. Près de 75 % des émigrés actuels ont indiqué avoir quitté le pays pour occuper ou chercher un emploi à l’étranger. Les instruments politiques permettant d’améliorer le marché de l’emploi domestique pourraient par conséquent réduire les raisons incitant à émigrer. Ces politiques peuvent avoir pour objectif de renforcer l’efficacité du marché de l’emploi au travers des agences nationales pour l’emploi, d’améliorer les compétences de la main-d’œuvre par le biais de programmes de formation professionnelle, et d’accroître la demande de main-d’œuvre en augmentant les programmes publics pour l’emploi. Dans quelle mesure ces politiques sont-elles présentes au Burkina Faso, et ont-elles une quelconque influence sur les migrations ?

Les agences nationales pour l’emploi peuvent réduire les raisons incitant à émigrer

L’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) est un organisme public chargé de mettre en œuvre la politique du gouvernement en matière d’emploi et de formation professionnelle. Sa mission consiste, entre autres, à fournir des informations sur le marché de l’emploi aux demandeurs d’emploi. De tels organismes peuvent influencer indirectement les décisions de migration des ménages. Si les habitants peuvent trouver un emploi sur le marché de l’emploi domestique par l’intermédiaire des agences nationales pour l’emploi, ils pourraient choisir de rester plutôt que de déménager à l’étranger pour y chercher du travail.

Lors de l’enquête IPPMD auprès des ménages, il a été demandé aux personnes interrogées travaillant dans les secteurs public et privé d’indiquer comment elles avaient trouvé leur emploi, les agences nationales pour l’emploi figurant parmi les possibilités de réponses. Environ 5 % d’entre elles ont indiqué avoir obtenu leur poste actuel par le biais de ces agences. La méthode de recherche d’emploi la plus fréquente pour ce groupe était par l’intermédiaire d’amis et de la famille (41 %). L’obtention d’un examen officiel arrivait en deuxième position (38 %). Le recours au réseau de connaissances personnelles était plus fréquent dans les zones rurales que dans les zones urbaines (graphique 5.1). Si le pourcentage de personnes ayant bénéficié de l’aide d’agences nationales pour l’emploi est faible, on observe toutefois certaines tendances en lien avec la migration. Aucune des personnes ayant trouvé un emploi par le biais de ces agences nationales pour l’emploi ne projetait d’émigrer, alors que 9 % des personnes n’ayant pas eu recours à ces agences prévoyaient de le faire. Les caractéristiques individuelles des bénéficiaires des agences nationales pour l’emploi expliquent cette tendance. Les bénéficiaires sont plus susceptibles que les non-bénéficiaires d’avoir un niveau d’éducation supérieur et d’occuper un poste dans le secteur public, considéré comme offrant une meilleure sécurité de l’emploi.

Graphique 5.1. Les agences nationales pour l’emploi jouent un rôle mineur dans la recherche d’emploi chez les répondants burkinabè du projet IPPMD
Méthodes ayant permis de trouver l’emploi occupé actuellement, dans les secteurs public et privé
picture

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Les agences nationales pour l’emploi peuvent constituer un canal d’intégration ou de réintégration pour les migrants de retour et les immigrés. D’après les données du projet IPPMD, aucun migrant de retour n’a demandé l’aide de ces agences au Burkina Faso. Le non recours aux agences nationales pour l’emploi pourrait expliquer en partie la propension à l’activité indépendante. Les migrants de retour ont en effet un taux d’activité indépendante plus élevé que les non-migrants et les immigrés. Dans ce cas, ils pourraient avoir choisi de devenir indépendants en dernier ressort. Les immigrés, en revanche, semblent former le groupe qui a le plus utilisé les services de placement du gouvernement parmi les trois groupes étudiés (graphique 5.2). Ceci est lié au fait que les immigrés sont plus susceptibles d’être employés dans le secteur public que les non-migrants ou les migrants de retour.

Graphique 5.2. La part des bénéficiaires d’agences nationales pour l’emploi était la plus élevée chez les immigrés
Part des bénéficiaires d’agences nationales pour l’emploi, par type de migrants
picture

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Les programmes de formation professionnelle sont associés positivement aux projets d’émigration

Récemment, le Burkina Faso a réaffirmé sa volonté politique de tenir compte du développement du capital humain dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. En octobre 2004, le gouvernement a nommé un ministre délégué auprès du ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, chargé de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle et l’a mandaté pour conduire un processus largement participatif de formulation de la politique nationale d’enseignement et de formation techniques et professionnels. Sa mise en œuvre permettra aux jeunes et aux adultes d’améliorer leurs compétences professionnelles et d’augmenter leurs chances d’entrer sur le marché de l’emploi avec un revenu décent, réduisant ainsi la pauvreté (PN/EFTP, 2008).

Les données du projet IPPMD au Burkina Faso montrent que 5 % des personnes actives interrogées avaient participé à un programme de formation professionnelle dans les cinq ans précédant l’enquête. Les membres des ménages urbains étaient légèrement plus susceptibles d’avoir suivi un tel programme que ceux des ménages urbains : 5 % contre 4 %. La proportion des hommes (5 %) ayant suivi une formation professionnelle était supérieure à celle des femmes (3 %). Les résultats de l’enquête IPPMD indiquent que les programmes de formation les plus fréquents étaient liés à l’agriculture (28 % des 175 personnes interrogées ayant participé à une formation professionnelle), suivis par les formations en informatique et technologies de l’information (8 %).

Les programmes de formation professionnelle peuvent influer sur les migrations de deux façons. S’ils peuvent aider certaines personnes à trouver un emploi de meilleure qualité sur le marché de l’emploi domestique, ils peuvent aussi améliorer l’employabilité à l’étranger des candidats potentiels à l’émigration. Une étude comparative des dix pays partenaires du projet IPPMD met en évidence que, dans la plupart des pays, le pourcentage de personnes envisageant de migrer est plus élevé chez les personnes ayant participé à un programme de formation professionnelle que chez celles qui n’en ont pas suivi (OCDE, 2017). Le Burkina Faso s’inscrit dans ce modèle : alors que 7 % des personnes n’ayant pas suivi de programme de formation professionnelle projettent d’émigrer, la proportion de personnes ayant participé à un tel programme qui prévoient d’émigrer est plus élevée (10 %). Cela peut laisser penser que certaines personnes prennent part à des programmes de formation professionnelle dans l’objectif de trouver un emploi à l’étranger.

Cet effet est étudié au travers d’une analyse de régression (encadré 5.1). Elle examine les liens entre la participation à des programmes de formation professionnelle et les projets d’émigration, tout en tenant compte d’autres facteurs, tels que le chômage. Les résultats ne mettent en évidence aucun lien entre les programmes de formation professionnelle et les projets d’émigration au niveau individuel (tableau 5.2). Cependant, l’impact de la formation professionnelle sur le revenu des participants est positif, et la différence de revenus pourrait être utilisée pour aider un autre membre du ménage à émigrer. Le tableau 5.2 montre que les ménages dont un membre a participé à une formation professionnelle sont également susceptibles de compter un membre qui projette d’émigrer à l’avenir. Cet effet est plus marqué au sein des ménages urbains.

Encadré 5.1. Liens entre la participation à un programme de formation et les projets d’émigration

Afin de déterminer le lien entre la participation à des programmes de formation professionnelle et les projets d’émigration, les deux modèles Probit suivants ont été utilisés :

Prob( picture (1)

Prob( picture (2)

picture représente si l’individu i projette d’émigrer à l’avenir. Il s’agit d’une variable binaire qui prend la valeur de 1 si la personne prévoit de quitter le pays. picture est la variable d’intérêt. Elle correspond à une variable binaire indiquant si la personne a participé à un programme de formation professionnelle dans les cinq ans précédant l’enquête. contrôlei représente une série de variables de contrôle au niveau individuel et contrôlem des variables de contrôle au niveau du ménagea. picture représente si le ménage compte un membre qui projette d’émigrer à l’avenir. Il s’agit d’une variable binaire qui prend la valeur de 1 lorsque le ménage compte une personne qui projette d’émigrer. picture est la variable d’intérêt. Elle correspond à une variable binaire indiquant si les ménages comptent une personne ayant participé à un programme de formation professionnelle dans les cinq ans précédant l’enquête. picture correspond aux effets fixes régionaux et ɛi est le terme d’erreur réparti de manière aléatoire. Le modèle (1) a été testé pour deux groupes différents : les hommes et les femmes. Le modèle (2) a été testé pour deux groupes différents : les ménages ruraux et les ménages urbains. Les coefficients des variables d’intérêt sont indiqués dans le tableau 5.2.

Tableau 5.2. Une personne est plus susceptible de projeter d’émigrer si son ménage a participé à un programme de formation professionnelle

Variable dépendante : individu envisageant d’émigrer

Principales variables d’intérêt : individu ayant participé à un programme de formation professionnelle

Type de modèle : Probit

Échantillon : population active en âge de travailler (15-64 ans)

Variables d’intérêt

Échantillon

Tous

Hommes

Femmes

Individu ayant participé à un programme de formation professionnelle

0.027

(0.017)

0.032

(0.027)

0.022

(0.020)

Ménage comptant au moins un émigré

0.041***

(0.013)

0.055***

(0.020)

0.026*

(0.015)

Individu au chômage

-0.025

(0.025)

-0.053

(0.042)

-0.004

(0.022)

Nombre d’observations

3 445

2 050

1 206

Variable dépendante : ménage dont un membre prévoit d’émigrer

Principales variables d’intérêt : ménage dont un membre a participé à un programme de formation professionnelle

Type de modèle : Probit

Échantillon : ménages incluant des personnes actives en âge de travailler (15-64 ans)

Variables d’intérêt

Échantillon

Tous

Zone rurale

Zone urbaine

Ménages ayant participé à un programme de formation professionnelle

0.059**

(0.027)

0.029

(0.053)

0.071**

(0.032)

Ménage comptant au moins un émigré

0.060**

(0.025)

0.066*

(0.037)

0.060*

(0.035)

Nombre d’observations

1 927

762

1 165

Note : Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Erreurs-types entre parenthèses.

a. Les variables de contrôle incluent l’âge, le sexe, le niveau d’éducation des individus ainsi que le fait qu’ils soient au chômage ou non. Au niveau du ménage, la taille du ménage et sa valeur au carré, le ratio de dépendance, l’indicateur de richesse et sa valeur au carré sont contrôlés. Le fait que le ménage compte un émigré ou non est également contrôlé.

Politiques agricoles et migration

Le chapitre 4 a conclu que les migrations ont un effet positif sur le secteur agricole au Burkina Faso, en particulier par l’intermédiaire d’investissements dans des actifs agricoles et de la diversification des activités par les migrants de retour. Les politiques agricoles peuvent elles aussi influer sur les migrations. Le gouvernement est particulièrement actif dans le secteur agricole au Burkina Faso. Étant donné la part importante qu’elle occupe dans le produit intérieur brut (PIB) et la main-d’œuvre du pays, le Gouvernement burkinabè considère l’agriculture comme un élément important de sa stratégie de développement. Le secteur agricole compte parmi les quatre secteurs prioritaires dans la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (Scadd), stratégie nationale de développement pour la période 2011-15 (MEF, 2011). Cette dernière fait ressortir les insuffisances socio-économiques, techniques et physiques dans les régions rurales comme autant de contraintes qu’il convient de lever pour assurer le développement du secteur. Pour ce faire, elle mentionne en particulier la création essentielle de petites et moyennes entreprises agricoles, ainsi que leur intégration dans la chaîne de valeur du pays. La stratégie énumère spécifiquement les domaines prioritaires suivants :

  1. la sécurité foncière

  2. la santé et la gestion des sols

  3. la mécanisation agricole

  4. les mesures d’adaptation et d’atténuation de la vulnérabilité du secteur face aux variations climatiques

  5. le développement de la transformation agro-industrielle et la promotion de la commercialisation des produits agricoles.

La Scadd reposait sur des stratégies rurales et agricoles spécifiques élaborées par le gouvernement, en particulier le Programme national du secteur rural 2011-2015 (PNSR) et le Programme de croissance économique dans le secteur agricole 2013-2018 (PCESA). Arrivée à son terme en 2015, la Scadd a été remplacée par une nouvelle initiative en 2016, le Plan national de développement économique et social (PNDES) 2016-20 (MEFD, 2016). L’agriculture joue toujours un rôle central dans cette nouvelle stratégie, qui pointe la faible productivité du secteur dans le pays et le faible développement de l’agro-industrie comme principaux déterminants de la faible croissance du secteur manufacturier. Parmi les objectifs majeurs de cette nouvelle stratégie figurent une augmentation de la productivité agricole de l’ordre de 50 % et un accroissement de la part des produits agricoles transformés de 12 % à 25 % de la production totale. S’il n’occupe plus une place centrale parmi les priorités stratégiques nationales, le développement du secteur agricole constitue l’un des objectifs visés au titre d’un axe visant à dynamiser les secteurs porteurs pour l’économie et les emplois. En conjonction avec cette stratégie, le gouvernement a créé une banque agricole en mai 2016, dont l’objectif est d’aider les agriculteurs à obtenir des fonds permettant de payer des intrants essentiels, un problème chronique qui paralyse le secteur.

Une composante importante de la stratégie agricole au Burkina Faso réside dans l’octroi de subventions aux agriculteurs afin de les aider à couvrir les coûts des intrants nécessaires aux semences et aux récoltes. La plus grande partie de la politique de subvention au Burkina Faso s’inscrit dans un cadre visant à améliorer et garantir la sécurité alimentaire dans le pays (Sabo, Siri et Zerbo, 2010). Dans le pays, les subventions sont principalement destinées à l’achat de semences de bonne qualité (et à la diversification des cultures), d’engrais et de matériel agricole pour les petits exploitants (Mafap, 2013). De nombreux agriculteurs ont bénéficié d’un programme de subvention administré par le ministère des Finances et financé par la Banque mondiale dans le cadre du Projet de diversification agricole et de développement des marchés (PDADM), qui subventionne un large éventail d’intrants depuis 2007, y compris des greniers pour stocker les récoltes (Banque mondiale, 2017a).

Les subventions peuvent influer sur les résultats en matière de migrations, notamment sur la décision d’émigrer, de transférer des fonds, de revenir dans le pays ou de s’y intégrer ; mais il n’est pas toujours évident de déterminer si elles ont des effets positifs ou négatifs. En augmentant le flux de revenus du ménage, elles peuvent réduire les contraintes financières, par exemple. Elles peuvent ainsi réduire la nécessité pour le ménage de chercher une source de revenus ailleurs et, partant, diminuer la pression en faveur de l’émigration au sein du foyer. En revanche, elles pourraient également apporter un revenu supplémentaire suffisant pour couvrir les coûts de l’émigration. Parallèlement, les subventions pourraient inciter les émigrés à revenir dans le pays et, plus important encore, à y rester. Elles pourraient également inciter les ménages à investir et à consacrer des fonds aux activités agricoles, et augmenter ainsi leur besoin de transferts de fonds, ou en diminuer la nécessité et réduire ainsi les mouvements d’argent.

L’enquête IPPMD a recueilli des données permettant de déterminer si les ménages bénéficiaient ou non de subventions agricoles, entre autres programmes agricoles menés dans le pays. D’après l’enquête IPPMD, 260 des 1 621 (16 %) ménages agricoles ont bénéficié de programmes agricoles entre 2010 et 2014, et 217 (13 %) d’entre eux ont reçu des subventions agricoles1. En outre, 199 de ces 217 ménages ont touché des subventions spécifiquement destinées à l’achat de semences. Comment ces subventions influent-elles sur les décisions de migration des ménages au Burkina Faso ?

Les subventions agricoles tendent à augmenter les projets d’émigration, mais aussi les migrations de retour

Les statistiques descriptives basées sur les données du projet IPPMD suggèrent que les ménages ayant reçu des subventions agricoles tendent à être plus susceptibles de compter un membre qui projette d’émigrer. Ces statistiques montrent que 17 % des ménages ayant reçu des subventions agricoles comptent des membres qui prévoient d’émigrer, contre 13 % pour les ménages n’en ayant pas reçu (graphique 5.3, différence statistiquement significative). Cette observation vient corroborer l’hypothèse selon laquelle les subventions agricoles aident les ménages à réunir les fonds nécessaires à la migration et semblent par conséquent les augmenter. Cependant, cela ne semble pas se traduire en émigration réelle. Les ménages ayant bénéficié d’une subvention à un moment au cours des cinq années précédant l’enquête comptent un pourcentage similaire de membres qui ont émigré au cours des mêmes années que les ménages qui n’ont pas reçu de subvention (14 % contre 13 %).

Graphique 5.3. Les ménages qui bénéficient de subventions agricoles sont plus susceptibles de compter un membre projetant d’émigrer, mais aussi un migrant de retour
Part des ménages comptant un membre projetant d’émigrer et un migrant de retour, selon qu’ils aient ou non reçu des subventions agricoles
picture

Note : La signification statistique calculée à l’aide du test du khi carré est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Les subventions agricoles sont également liées à un taux plus élevé de migration de retour ; 17 % des ménages migrants qui en ont bénéficié comptaient un migrant de retour parmi leurs membres, contre 12 % des ménages qui n’en ont pas bénéficié2. Par conséquent, les subventions peuvent inciter à revenir dans le pays et à travailler dans les activités agricoles du ménage ou réduire la nécessité de compter un migrant qui transfère des fonds depuis l’étranger, conduisant ainsi au retour du migrant.

En outre, les ménages avec immigrés semblent avoir moins accès à ce type de subventions que d’autres types de ménages. Dans l’ensemble, 8 % des ménages agricoles comptant un immigré ont bénéficié de subventions agricoles, contre 14 % des ménages agricoles sans immigré (différence statistiquement significative pour l’intervalle de confiance à 95 %).

Ces résultats descriptifs sont confirmés par l’analyse de régression développée dans l’encadré 5.2, qui tient compte de facteurs pouvant influer sur les résultats en matière de migrations, notamment le fait que les subventions agricoles aient été spécifiquement destinées à l’achat de semences, le type de subvention le plus fréquent parmi les ménages interrogés. Les résultats suggèrent que les subventions agricoles créent une dynamique circulaire en incitant les membres à émigrer, mais aussi à revenir dans leur foyer au Burkina Faso (lignes supérieures du tableau 5.4). Les influences positives montrées dans les statistiques descriptives sont confirmées, les projets d’émigrer et les migrations de retour réelles étant influencés par les subventions agricoles. Cependant, les résultats suggèrent également que l’émigration réelle est associée négativement et faiblement à ces subventions. Ces résultats suggèrent que le lien positif entre les subventions agricoles générales et les projets d’émigration pourrait s’expliquer par le fait que les projets d’émigration peuvent ne jamais se concrétiser en émigration réelle pour les ménages qui bénéficient d’une subvention car l’émigration reste trop coûteuse. Si tel est le cas, l’augmentation des subventions pourrait en réalité entraîner une hausse de l’émigration.

Encadré 5.2. Liens entre les subventions agricoles et les migrations

Le modèle de régression Probit suivant a été utilisé pour estimer la probabilité qu’une subvention agricole (ou son absence) ait influé sur les résultats en matière de migrations :

picture (3)

où l’unité d’observation est le ménage m et la variable binaire dépendante migm) prend la valeur 1 si le ménage a enregistré un résultat migratoire et 0 dans le cas contraire. picture représente une variable nominale prenant la valeur de 1 si le ménage a bénéficié d’une subvention agricole au moins une fois au cours des cinq dernières années (de 2010 à 2014). contrôlem correspond à une série de variables explicatives (régresseurs) au niveau du ménagea. Les erreurs types, picture, sont robustes en présence d’hétéroscédasticité.

Les résultats pour les quatre critères sont présentés dans le tableau 5.3. La colonne 1 présente les résultats reflétant la probabilité que le ménage compte un membre projetant d’émigrer ; la colonne 2, une variable binaire égale à 1 si le ménage a compté au moins un membre émigré au cours des cinq dernières années (excluant les ménages dont un membre a émigré avant cela) ; la colonne 3 une variable binaire égale à 1 si le ménage compte un migrant de retour d’un épisode d’émigration depuis les cinq dernières années (y compris les ménages qui comptent des membres de retour ou actuellement émigrés) ; et la colonne 4 une variable binaire égale à 1 si le ménage compte un membre immigré.

Tableau 5.3. Les liens entre les subventions agricoles, les projets d’émigration et la migration de retour sont positifs

Variable dépendante : résultats de la migration

Principales variables d’intérêt : ménage ayant bénéficié d’une subvention agricole

Type de modèle : Probit

Échantillon : ménages agricoles

Variables d’intérêt

Variables dépendantes

(1)

Ménage dont un membre prévoit d’émigrer

(2)

Ménage dont un membre a émigré au cours des 5 dernières années

(3)

Ménage dont un membre est revenu (parmi les ménages avec migrant)

(4)

Ménage comptant un membre immigré

A bénéficié d’une subvention agricole au cours des 5 dernières années

0.049*

(0.028)

-0.016

(0.020)

0.090*

(0.053)

-0.040*

(0.021)

A bénéficié d’une subvention agricole (achat de semences) au cours des 5 dernières années

0.051*

(0.030)

-0.035*

(0.018)

0.099*

(0.055)

-0.042*

(0.021)

Nombre d’observations

1 621

1 475

585

1 621

Note : La signification statistique est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Les coefficients résultant des estimations de modèle Probit reflètent des effets marginaux. Les erreurs-types sont indiquées entre parenthèses et sont robustes en présence d’hétéroscédasicité.

a. Les variables de contrôle pour l’estimation du modèle présenté ici incluent la taille du ménage ; son ratio de dépendance (le nombre d’enfants de 0 à 15 ans et de personnes âgées de plus de 65 ans divisé par le nombre total des autres membres) ; le ratio d’adultes hommes et femmes ; sa richesse estimée par un indicateur (chapitre 3) ; et le type de région, rurale ou urbaine.

En examinant plus particulièrement les subventions dédiées à l’achat de semences, un intrant nécessaire au début de la saison agricole, on observe un lien statistiquement significatif entre une émigration plus faible et lesdites subventions (lignes inférieures du tableau 5.4). L’association négative entre les subventions destinées aux semences et l’émigration pourrait être liée à l’aide financière dont bénéficient les ménages, qui réduit la nécessité d’émigrer pour des raisons économiques. Dans le même temps, comme les semences constituent un intrant indispensable au début de la saison, les ménages sont peut-être davantage pris par leurs activités de la saison et leurs membres par conséquent moins enclins à émigrer.

L’analyse de régression confirme également que les ménages avec immigré ont moins accès aux subventions agricoles que les autres ménages, ce qui conduit à une perte potentielle de productivité et d’investissement par les immigrés du secteur dans le pays.

Politiques en matière d’éducation et migrations

Comme indiqué au chapitre 4, les migrations ont à la fois des effets positifs et négatifs sur les résultats en matière d’éducation : les transferts de fonds tendent à augmenter la scolarisation des enfants, tandis que l’émigration et la perspective d’une émigration future sont associées à des décrochages scolaires précoces (niveau primaire). Dans le même temps, les politiques en matière d’éducation peuvent également influer positivement et négativement sur les décisions de migration. Les politiques visant à améliorer l’accès à une éducation de qualité peuvent se traduire par une diminution des épisodes d’émigration dont l’objectif est de financer l’éducation des enfants par le biais de transferts de fonds. En particulier, les programmes d’éducation basés sur des prestations pécuniaires, telles que les transferts monétaires conditionnels et les bourses, peuvent alléger la pression qui pèse sur les ménages pour gagner un revenu supplémentaire afin de payer l’éducation des enfants, et réduire ainsi les raisons incitant à émigrer. En revanche, ils pourraient avoir l’effet contraire en donnant aux ménages les moyens financiers de permettre à l’un de leurs membres d’émigrer. Le fait de bénéficier d’une aide financière pour l’éducation des enfants pourrait aussi influer sur le montant et la fréquence des fonds rapatriés. La présente section analyse les effets d’une série de politiques en matière d’éducation sur les migrations et les modes de transfert au Burkina Faso.

Le Burkina Faso a adopté deux programmes de grande envergure pour l’éducation au cours des 15 dernières années. Le Plan décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB) a été lancé en 2002 et le Programme de développement stratégique de l’éducation de base (PDSEB) couvre la période 2012-2021. Le PDDEB visait à atteindre un taux brut de scolarisation de 70 % et un taux d’alphabétisation de 40 % à l’horizon 2010. Il s’articulait en deux phases. La première avait pour objectif d’étendre l’accès à l’éducation en investissant dans les infrastructures, en réduisant les frais et en investissant dans les cantines scolaires. La seconde était axée sur la qualité de l’enseignement et des apprentissages, tout en continuant à soutenir les actions visant à promouvoir l’accès et la rétention. Le plan pour l’éducation mettait en particulier l’accent sur le taux de scolarisation des filles et accordait une aide financière aux familles qui envoyaient leurs filles à l’école.

Le programme actuellement en place (le PDSEB) inclut les axes prioritaires suivants :

  1. priorité accordée au développement de l’enseignement primaire

  2. développement des autres niveaux d’éducation

  3. diversification des actions d’alphabétisation et de post-alphabétisation (en langues nationales et en français).

Le PDSEB vise à réaliser l’éducation primaire universelle à l’horizon 2020, à mettre en application l’éducation universelle jusqu’à 16 ans, à renforcer davantage d’autres niveaux d’éducation et de formation, et à développer les capacités internes et externes du système d’éducation. Il accorde une importance particulière à la formation technique et professionnelle (République du Burkina Faso, 2012 et 2015)

Les programmes pour l’éducation sont liés aux intentions d’émigrer et aux transferts de fonds

L’enquête auprès des ménages du projet IPPMD incluait des questions relatives aux programmes pour l’éducation mis en œuvre dans le pays incluant des prestations pécuniaires et en nature. Il était demandé aux ménages d’indiquer si l’un de leurs membres avait bénéficié de différents programmes au cours des cinq ans précédant l’enquête.

Au total, 51 % des ménages interrogés avaient bénéficié d’un programme pour l’éducation, tous types d’initiatives confondus. Les ménages avec émigré étaient plus susceptibles d’avoir bénéficié de l’un des programmes (58 %) que les ménages sans émigré (49 % ; graphique 5.4). L’aide la plus fréquente était la distribution de manuels scolaires (51 % des ménages avec émigré et 57 % des ménages sans émigré), suivie par les programmes de cantine scolaire, dont 44 % des ménages avec émigré et 39 % des ménages sans émigré ont bénéficié. Les programmes de cantine scolaire constituaient une stratégie importante visant à appuyer les taux de scolarisation et de rétention scolaire, et à améliorer la sécurité alimentaire au sein des ménages vulnérables dans le cadre du PDDEB. Au Burkina Faso, de nombreux enfants devaient abandonner l’école lorsque les parents n’étaient pas en mesure de subvenir à leurs besoins alimentaires de base. En outre, le PDDEB a mis en place la distribution gratuite de manuels scolaires.

Graphique 5.4. Les ménages avec émigré sont en général plus susceptibles d’avoir bénéficié d’un programme en faveur de l’éducation
Part des ménages bénéficiant d’un programme en faveur de l’éducation (en %), selon qu’ils comptent ou non un émigré
picture

Note : le questionnaire incluait des questions distinctes pour les bourses d’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Compte tenu du faible pourcentage de ménages bénéficiant de bourses, les données ont été agrégées afin d’inclure une seule catégorie pour les bourses couvrant tous les niveaux d’enseignement.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Environ 8 % des ménages ont bénéficié d’un programme d’alphabétisation (13 % des ménages avec émigré et 7 % des ménages sans émigré). Pour la plupart des autres programmes en faveur de l’éducation, la couverture est relativement limitée, en particulier en ce qui concerne les prestations pécuniaires, et on n’observe aucune différence entre les ménages avec et sans émigré. Moins d’1 % des ménages ont bénéficié des programmes de transferts monétaires conditionnels (TMC) et quelque 4 % des ménages à peine ont reçu une bourse.

Afin de préciser le lien entre les programmes pour l’éducation et les décisions de migration, il est nécessaire de tenir compte d’autres facteurs, tels que les caractéristiques du ménage et le lieu où il vit. Pour ce faire, l’analyse de régression résumée dans l’encadré 5.3 a été menée. L’émigration est ici limitée aux émigrés ayant quitté le pays dans les cinq dernières années afin de refléter uniquement les décisions d’émigration prises au moment où le ménage bénéficiait de la politique en faveur de l’éducation.

Encadré 5.3. Lien entre les politiques en faveur de l’éducation et les migrations

Afin d’estimer l’impact des programmes en faveur de l’éducation sur la décision d’émigrer, l’équation Probit suivante est appliquée :

picture (4)

picture représente le statut migratoire du ménage correspondant à une variable binaire pour le ménage comptant au moins un membre prévoyant d’émigrer à l’avenir (spécification 1), comptant au moins un émigré ayant quitté le pays dans les cinq ans précédant l’enquête (spécification 2), et recevant des transferts de fonds (spécification 3). polit_educm est la variable d’intérêt et représente une variable binaire indiquant si le ménage a bénéficié d’une politique pour l’éducation au cours des cinq ans précédant l’étude (résultats présentés dans la partie supérieure du tableau). Elle prend la valeur 1 si le ménage a bénéficié d’un programme en faveur de l’éducation et 0 dans le cas contraire. contrôlem désigne un ensemble de caractéristiques observées du foyer influençant le résultata. picture correspond aux effets fixes régionaux et picture est le terme d’erreur réparti de manière aléatoire.

En outre, les programmes basés sur des prestations pécuniaires (bourses d’enseignement primaire, secondaire et supérieur) sont analysés séparément, et ces résultats sont présentés dans la partie inférieure du tableau. Les programmes de TMC n’ont pas été analysés en raison de la petite taille de l’échantillon de ménages bénéficiant de ce type de programme.

Tableau 5.4. Les transferts de fonds sont associés positivement aux bourses

Variable dépendante : ménage avec un émigré/recevant des transferts de fonds/dont un membre prévoit d’émigrer

Principales variables d’intérêt : ménage ayant bénéficié d’un programme en faveur de l’éducation

Type de modèle : Probit

Échantillon : tous les ménages

Variables d’intérêt

Variable dépendante

(1)

Envisage d’émigrer

(2)

Ménage comptant un émigré (5 ans)

(3)

Ménage recevant des transferts de fonds

Ménage ayant bénéficié d’un programme en faveur de l’éducation au cours des 5 dernières années

-0.034**

(0.017)

-0.021

(0.015)

-0.004

(0.016)

Nombre d’observations

2 122

2 025

2 122

Programmes reposant sur une aide en espèces

Ménage ayant bénéficié d’un programme de bourses

s.o.

s.o.

0.071***

(0.027)

Nombre d’observations

2 122

Note : La signification statistique est indiquée comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Les erreurs-types sont entre parenthèses et sont robustes en présence d’hétéroscédasticité. L’échantillon dans la colonne 2 est restreint aux ménages avec émigré dont l’un des membres a émigré au cours des cinq dernières années afin de tenir compte du moment de la décision de migration et de l’intervention politique. La taille de l’échantillon des ménages bénéficiant d’une bourse est petite (80 ménages) ; aussi les résultats doivent-ils être interprétés avec précaution. Aucune analyse du lien entre émigration et bourse n’a été effectuée en raison du faible nombre de ménages ayant simultanément bénéficié d’un programme de bourses et comptant un membre qui projette d’émigrer ou un membre qui a émigré au cours des cinq dernières années.

a. Les variables de contrôle incluent la taille du ménage ; le ratio de dépendance du ménage (défini comme le nombre d’enfants et de personnes âgées au sein du ménage par rapport au nombre de membres en âge de travailler) ; le niveau d’éducation moyen des adultes au sein du ménage ; le nombre de jeunes enfants (de 6 à 14 ans) ; et le nombre de jeunes (de 15 à 17 ans) dans le ménage ; une variable nominale pour le milieu urbain ; l’indice d’actifs visant à déterminer la richesse du ménage ; et les effets fixes régionaux.

Les résultats de la régression ne mettent en évidence aucune association statistiquement significative entre le fait qu’un ménage bénéficie d’un programme pour l’éducation et les intentions d’émigrer, le fait de compter un émigré ou de recevoir des transferts de fonds. Cela pourrait s’expliquer par la nature des programmes. Les politiques en matière d’éducation conduites au Burkina Faso sont, dans une large mesure, des programmes de distribution - de manuels scolaires ou de repas par exemple - plutôt que des prestations pécuniaires. Comme indiqué précédemment, les programmes de prestations pécuniaires pourraient avoir un effet plus marqué sur les décisions de migration, car ces prestations diminuent les raisons incitant à émigrer afin de financer l’éducation. Par conséquent, une analyse distincte a été réalisée pour les programmes de bourses. Néanmoins, en raison du nombre réduit de ménages qui, à la fois, ont bénéficié d’un programme de bourses et comptent un émigré ayant quitté le pays dans les cinq ans précédant l’enquête ou projetant d’émigrer, l’analyse a été limitée à l’association entre les transferts de fonds et les bourses (partie inférieure du tableau 5.4). Les résultats montrent que les transferts de fonds sont liés positivement aux programmes de bourses. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’aide publique entraîne une hausse des rendements de l’éducation, augmentant par là même l’attractivité de l’investissement dans l’éducation. Comme précisé au chapitre 4, l’éducation est un domaine important d’investissement pour les ménages recevant des transferts de fonds. Les résultats indiquent que les programmes gouvernementaux en faveur de l’éducation basés sur des prestations pécuniaires, tels que les bourses, pourraient être renforcés par les transferts de fonds et contribuer à développer l’impact de ces derniers. Une étude connexe examinant un programme de subvention en faveur de l’éducation au Salvador a mis en évidence que les émigrés à l’étranger et les ménages bénéficiaires dans le pays ont répondu aux subventions en mobilisant des fonds supplémentaires pour les investir dans l’éducation (Ambler, Aycinena et Yang, 2015).

Politiques en matière d’investissement et de services financiers et migrations

Le Burkina Faso a mis en œuvre plusieurs réformes relatives au secteur de l’investissement au cours des dix dernières années, conduisant à des améliorations du climat des affaires et de la croissance des entreprises. Entre 2003 et 2012, le secteur des entreprises a connu un rythme de croissance annuel d’environ 12 %. D’importantes réformes liées au système fiscal, aux droits de propriété et à la privatisation ont également été mises en place afin de faciliter les investissements (MICA, 2015). Malgré ces réformes, le Burkina Faso reste relativement mal positionné dans le classement de l’édition 2017 du rapport Doing Business de la Banque mondiale, occupant le 146e rang sur 190 pays. La ventilation du classement par différentes mesures montre une image plus positive pour certains secteurs, tels que la création d’entreprise (72e rang) et la délivrance de permis de construire (62e rang) (Banque mondiale, 2017b).

Le pourcentage de personnes possédant un compte bancaire et une épargne dans une institution financière est également faible au Burkina Faso. Seulement 14 % des adultes (personnes de plus de 15 ans) dans le pays possèdent un compte bancaire, et seuls 9 % ont déclaré avoir une épargne dans une institution financière, des taux considérablement inférieurs à ceux observés dans la plupart des autres pays de la région (Banque mondiale, 2016).

L’accès au secteur financier formel peut stimuler les transferts de fonds

Un climat d’investissement favorable et des institutions financières inclusives stimulent l’épargne et les investissements. L’accès au secteur financier formel pourrait faciliter l’envoi et la réception de fonds et, partant, encourager davantage de transferts de fonds en général, en particulier à travers les canaux formels. L’enquête IPPMD auprès des communautés montre que la couverture en matière de services financiers dans les communautés retenues est particulièrement faible, surtout dans les zones rurales. Moins de la moitié des communautés urbaines comptent une institution financière sous la forme d’un organisme de microcrédit, d’une société de transferts de fonds ou d’une banque. Dans les zones rurales, la couverture est considérablement plus faible, puisque seules 5 % des communautés rurales comptent un organisme de microcrédit et 2 % seulement ont une banque, tandis qu’aucune société de transferts de fonds n’y est établie. Une formation commerciale et entrepreneuriale est proposée dans environ 20 % des communautés de l’échantillon, et aucune différence significative n’est relevée entre les communautés rurales et urbaines (19 % des communautés rurales et 20 % des communautés urbaines accèdent à ce type de formation).

Dans l’enquête auprès des ménages, il était demandé aux personnes interrogées si une personne du ménage possédait un compte bancaire. Au total, 30 % des ménages interrogés dans l’enquête IPPMD possèdent un compte bancaire, soit le deuxième taux le plus bas enregistré dans le projet IPPMD après le Cambodge (OCDE, 2017)3. La comparaison entre zones urbaines et zones rurales révèle que 90 % des ménages dans les zones rurales n’ont pas de compte bancaire, contre 55% dans les zones urbaines. Ces disparités géographiques ne sont pas très surprenantes étant donnée la faible couverture des institutions de services financiers en milieu rural (graphique 5.5).

Graphique 5.5. La couverture par des institutions financières et des formations commerciales est faible dans les zones rurales du Burkina Faso
Proportion des communautés comptant des institutions financières et une formation commerciale/entrepreneuriale (en %), par zone urbaine/rurale
picture

Note : Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %. Aucune communauté rurale incluse dans l’échantillon ne compte de banque.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

L’enquête inclut également des informations sur les canaux de transfert de fonds utilisés par les ménages, et les données descriptives montrent que les ménages recevant des transferts de fonds qui n’ont pas accès à un compte bancaire sont plus susceptibles de recevoir ces fonds par le biais d’un canal informel (49 %) que les ménages qui ont accès à un compte bancaire (32 %). En outre, les données du projet IPPMD montrent que les ménages qui possèdent un compte bancaire reçoivent également des montants plus importants : 586 dollars américains (USD) par an contre 244 USD par an pour les ménages sans compte bancaire (graphique 5.6). Ces modèles témoignent de l’importance de l’accès aux institutions financières formelles pour stimuler les transferts de fonds par le biais de canaux formels. Non seulement les fonds envoyés via les canaux formels sont plus sûrs pour l’expéditeur et le destinataire, mais en plus ils peuvent contribuer au développement du secteur financier et créer des effets multiplicateurs en mettant des ressources à disposition pour financer les activités économiques ce qui, en retour, encourage des investissements plus productifs.

Graphique 5.6. Les ménages possédant un compte bancaire perçoivent des fonds d’un montant plus élevé et sont moins susceptibles de les recevoir par le biais de canaux informels
Montant des transferts de fonds reçus (en USD) au cours de l’année écoulée et proportion des ménages recevant des transferts de fonds via des canaux informels (en %), selon qu’ils possèdent ou non un compte bancaire
picture

Note : l’échantillon inclut uniquement les ménages recevant des transferts de fonds. Les canaux informels incluent les fonds envoyés par l’intermédiaire d’agents informels, de membres de la famille et d’amis, ou ramenés dans le pays par l’émigré.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Le rapport comparatif IPPMD a étudié la relation entre la possession d’un compte bancaire et les modes de transfert de fonds. Les résultats de la régression appuient légèrement l’hypothèse selon laquelle un meilleur accès aux institutions financières se traduit par des effets positifs sur le mode de transfert des fonds. L’accès à un compte bancaire est associé négativement et de manière significative aux fonds reçus par le biais de canaux informels dans les zones urbaines. Posséder un compte bancaire ne semble pas stimuler des transferts de fonds d’un montant plus élevé (OCDE, 2017). Une analyse plus approfondie de l’association entre les modes de transfert et l’inclusion financière s’avère toutefois difficile en raison de la petite taille de l’échantillon. La part des ménages avec émigré recevant des transferts de fonds est faible (47 % seulement des ménages comptant un émigré reçoivent des transferts de fonds, comme le montre le chapitre 3). De surcroît, l’échantillon des ménages qui, à la fois reçoivent des transferts de fonds et possèdent un compte bancaire est encore plus restreint. Il convient, dès lors, d’interpréter les résultats avec prudence.

Les ménages migrants sont moins susceptibles d’avoir participé à des programmes d’éducation financière

Afin d’optimiser l’utilisation des transferts de fonds et des fonds mobilisés par les migrants de retour et les immigrés, les ménages doivent connaître les possibilités d’investissement et d’épargne, ainsi que les outils financiers et d’investissement à leur disposition. Les programmes d’éducation financière contribuent à les sensibiliser à cette question et à améliorer leurs connaissances financières.

L’enquête IPPMD auprès des ménages incluait une question portant sur la participation du ménage à une formation financière au cours des cinq dernières années. Près de 9 % des ménages de l’échantillon ont participé à une formation de ce type. Ce pourcentage est supérieur à celui enregistré dans la plupart des autres pays de l’échantillon du projet IPPMD. On observe toutefois des disparités entre les ménages en ce qui concerne la participation à ce type de formation en fonction des différents types d’expériences migratoires. Les ménages recevant des transferts de fonds (8 %) et ceux qui comptent un migrant de retour (6 %) sont les moins susceptibles d’avoir bénéficié d’une formation financière. Les ménages avec immigré en revanche sont ceux qui sont les plus susceptibles d’avoir suivi une formation de ce type : 15 % d’entre eux ont participé à une formation financière.

Graphique 5.7. Les ménages avec migrant de retour sont les moins susceptibles d’avoir bénéficié d’une formation financière
Part des ménages ayant bénéficié d’un programme de formation financière au cours des 5 dernières années (en %), par expérience migratoire
picture

Note : Les résultats présentant une signification statistique sont indiqués comme suit : *** : 99 %, ** : 95 %, * : 90 %.

Source : Élaboré à partir des données IPPMD.

Les connaissances financières peuvent également amener à décider d’investir dans des actifs productifs. Une meilleure connaissance des possibilités d’investissement et d’épargne peut encourager les personnes à orienter les fonds rapatriés vers des investissements productifs. Les statistiques descriptives montrent, en outre, que les ménages ayant participé à une formation financière sont plus susceptibles de posséder une entreprise (38 %) que les autres (21 %). On retrouve un schéma similaire en analysant uniquement les ménages recevant des transferts de fonds, bien que la différence soit moins marquée (30 % contre 23 %)4. Cela indique qu’une augmentation de l’offre de formations financières pourrait encourager les investissements dans l’entrepreneuriat. Accroître les possibilités de formation financière, en particulier auprès des ménages avec émigrés et migrants de retour, pourrait donc libérer en partie le potentiel de développement des migrations et des transferts de fonds.

Conclusions

Ce chapitre identifie les liens entre les politiques sectorielles menées dans quatre secteurs différents (le marché de l’emploi ; l’agriculture ; l’éducation ; et l’investissement et les services financiers) et les résultats en matière de migrations au Burkina Faso.

Il montre que les politiques ont une influence majeure sur l’émigration, mais que la nature de cet effet est variable selon la politique concernée. Ainsi, la formation professionnelle et l’accès à des programmes en faveur de l’éducation augmentent l’émigration, et les subventions agricoles sont associées à une hausse des projets d’émigration, alors que ces mêmes subventions diminuent l’émigration réelle, à l’instar des bureaux de placement. L’une des raisons principales des dynamiques observées réside probablement dans le fait qu’une politique lie ou non le ménage ou l’individu à des activités dans son pays de résidence. Les subventions agricoles pourraient aider les ménages à investir et à développer leurs activités agricoles puisque celles-ci leur demandent de mobiliser de la main-d’œuvre dans leurs champs. Les bureaux de placement aident les personnes à trouver du travail au Burkina Faso, ce qui les conduit à abandonner leur projet de chercher un emploi à l’étranger. En revanche, la formation professionnelle peut les aider à acquérir des compétences qui leur seront utiles à l’étranger, et ne sont pas nécessairement recherchées dans le pays.

Les politiques influent également sur les transferts de fonds, souvent de manière positive. Les bourses d’éducation, par exemple, sont liées positivement aux transferts de fonds tandis que les ménages qui possèdent un compte bancaire reçoivent davantage de fonds et plus souvent par le biais de canaux formels. Cependant, la couverture en matière de services financiers et d’investissement reste faible dans les zones rurales du Burkina Faso.

La situation unique du Burkina Faso eu égard aux immigrés et aux migrants de retour ayant quitté la Côte d’Ivoire suite au conflit qui sévit dans ce pays est aussi étroitement liée aux politiques publiques. Les subventions agricoles sont liées positivement à la migration de retour mais négativement aux immigrés. Les immigrés semblent accéder moins aisément à ce type de prestations. En revanche, les immigrés, dont beaucoup sont des enfants de parents burkinabè, semblent se diriger vers les secteurs non-agricoles. Ils sont plus susceptibles que tout autre groupe d’avoir bénéficié des services des agences nationales pour l’emploi et de programmes de formation financière.

Références

Ambler, K., D. Aycinena et D. Yang (2015), « Channeling Remittances to Education : A Field Experiment among Migrants from El Salvador », American Economic Journal : Applied Economics, vol. 7, n°2, pp. 207-32.

Banque mondiale (2017a), « De petites subventions qui transforment le monde rural », Banque mondiale, Washington, DC, www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2017/01/09/small-grants-transform-rural-livelihoods-in-burkina-faso.

Banque mondiale (2017b), « Economy Rankings », Doing Business (base de données), www.doingbusiness.org/rankings (consulté le 3 février 2017).

Banque mondiale (2016), Global Financial Inclusion Database (base de données), http://databank.worldbank.org/data/reports.aspx?source=global-findex (consulté le 15 novembre 2016).

Mafap (2013), « Revue des politiques agricoles et alimentaires au Burkina Faso », Série rapport pays SPAAA, Monitoring and Analysing Food and Agricultural Policies Programme, FAO, Rome, www.fao.org/fileadmin/templates/mafap/documents/Burkina_Faso/BURKINA_FASO_Country_Report_FR_July2013.pdf.

MEF (2011), « La stratégie de croissance accélérée et de développement durable 2000-2010 (SCADD) », ministère de l’Économie et des Finances, Ouagadougou, http://scadd.bf.

MEFD (2016), « Plan national de développement économique et social 2016-2020 (PNDES) », ministère de l’Économie, des Finances et du Développement, Ouagadougou, www.pndes2020.com/pdf/pndes.pdf.

MICA (2015), « Tableau de bord statistique de l’industrie, du commerce et de l’artisanat 2012, » ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, Direction générale des études et des statistiques sectorielles, Ouagadougou.

OCDE (2017), Interrelations between Public Policies, Migration and Development, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264265615-en.

PN/EFTP (2008), Décret N°2008-584/PRES/PM/MESSRS/MEF du 19 septembre 2008 portant adoption du document de politique nationale en matière d’enseignement et de formation techniques et professionnels, JO n°43 du 23 octobre 2008, Ouagadougou.

Sabo I., A. Siri et A. Zerbo (2010), « Analyse de l’impact des subventions de fertilisants chimiques de céréales au Burkina Faso : MEGC micro-simulé », Document de travail PNUD 01/2010, PNUD, Ouagadougou, www.undp.org/content/dam/burkina_faso/docs/publications/UNDP_bf_impact_subv_fert%20(2).pdf.

République du Burkina Faso (2015), « Décret n° 2015-591/PRES-TRANS/PM/MENA du 11 mai 2015 portant dispositif institutionnel de pilotage du Programme de développement stratégique de l’éducation de base (PDSEB) », Journal officiel, 2015-08-27, n°35

République du Burkina Faso (2012), « Programme de développement stratégique de l’éducation de base (PDSEB) – Période 2012 – 2021 », Adopté en Conseil des Ministres le 1er août 2012, www.preventionweb.net/files/PDSEB%20VF%20PARAPHE.pdf.

Notes

← 1. La question sur la participation aux programmes liés à l’agriculture était formulée comme suit : « Au cours des cinq dernières années, une personne au sein de votre ménage a-t-elle participé au programme suivant ? » Le questionnaire demandait aux ménages s’ils avaient bénéficié : 1) de subventions pour l’achat de semences ; 2) de subventions pour le travail agricole ; et 3) de subventions pour d’autres intrants. Les résultats présentés ici se rapportent aux ménages ayant répondu oui à l’un des types de subvention précités. L’analyse réalisée dans ce chapitre se concentre sur les subventions agricoles ; des données sur d’autres politiques publiques ont toutefois également été collectées dans l’enquête IPPMD. Outre les subventions agricoles, 61 ménages (4 %) ont bénéficié de programmes de formation agricole. Quelques ménages ont affirmé avoir bénéficié de programmes fondés sur des assurances, tels que les assurances récoltes et les programmes « vivres contre travail » (à peine 1 % des ménages étaient concernés). En plus de ces programmes, des données ont aussi été collectées afin de savoir si le ménage avait reçu une aide financière consécutive à la perte d’une récolte (129 ménages, 8 % des ménages agricoles cultivant des terres arables), si le ménage possède son certificat de titre de propriété (136 ménages, 10 % des ménages agricoles cultivant des terres arables) et si le ménage est membre d’une coopérative agricole (346 ménages, 21 % des ménages agricoles).

← 2. Comme indiqué au chapitre 3, la répartition entre émigrés et migrants de retour a été laissée au hasard dans le cadre de l’échantillonnage ; il est donc possible de comparer les taux d’émigration et de migration de retour au sein des ménages.

← 3. Le pourcentage est supérieur à celui des personnes possédant un compte bancaire (19 %), comme indiqué ci-dessus. La part observée devrait toutefois être supérieure en examinant les comptes bancaires au niveau des ménages.

← 4. L’échantillon des ménages recevant des transferts de fonds qui ont participé à des formations financières est, lui aussi, de petite taille, puisqu’il ne compte que 27 ménages.