Chapitre 6. Des politiques fiscales pour promouvoir un secteur privé dynamique et un État efficace
Le système fiscal de la Côte d’Ivoire doit évoluer en profondeur pour favoriser la réalisation des objectifs de développement et de transformation économique. La Côte d’Ivoire ne pourra pas se contenter de réformes partielles, elle a besoin d’une réforme fiscale complète et adaptée à son contexte pour arriver à un bon équilibre d’imposition, à la fois générateur de revenus et incitatif pour les contribuables. Une stratégie axée sur deux piliers, la limitation progressive des droits de douanes et la valorisation des autres taxes, notamment de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), sera clé. Des réformes fondamentales et transversales devraient aussi conduire à une fiscalité simplifiée et renforcée, avec moins d’exonérations, et des procédures de l’administration fiscale plus modernes. Ceci permettra de développer une administration fiscale efficace, compétente et transparente, pour améliorer la confiance des contribuables et lutter contre la fraude fiscale.
Pour pouvoir contribuer à l’émergence du pays, le système fiscal de la Côte d’Ivoire doit subir des réformes de fond
Le système fiscal de la Côte d’Ivoire doit évoluer en profondeur pour favoriser la réalisation des objectifs de développement et de transformation économique. Le système fiscal en place ne génère pas de recettes suffisantes pour soutenir les investissements en biens et services publics indispensables à la transformation de l’économie. Il ne constitue pas le dispositif peu coûteux de recouvrement des recettes dont le pays a besoin et ne facilite pas la transition des entreprises informelles vers un secteur formel fiscalisé. Le système fiscal de la Côte d’Ivoire peut jouer un rôle important dans l’atteinte du statut d’économie émergente, mais au prix de plusieurs ajustements politiques, d’un renforcement des capacités et de l’augmentation de l’efficacité de l’administration fiscale ; un processus de longue haleine mais nécessaire.
Les recettes publiques de la Côte d’Ivoire sont moins élevées et croissent plus lentement que celles de nombreuses économies comparables, ce qui freine la transformation économique. Compte tenu de la structure du système fiscal, la croissance des recettes devrait à peine dépasser celle du PIB au cours des prochaines années, sous réserve que les politiques menées ne subissent pas de changement, et au regard des prévisions économiques. L’absence de marge de manœuvre budgétaire contraint la dépense publique indispensable à l’émergence, notamment les investissements dans la formation de la future main-d’œuvre ivoirienne : recrutement et formation des enseignants, développement de l’enseignement technique, investissements dans le secteur de la santé et construction et entretien d’infrastructures publiques pour faciliter les activités des entreprises. Compte tenu de la structure du système fiscal et de l’économie actuelle de la Côte d’Ivoire, il semble possible de collecter davantage de recettes. Bien que la levée de nouvelles recettes fiscales ait un coût, les gains économiques devraient dépasser ces coûts si le système fiscal est réformé graduellement et si les recettes additionnelles sont utilisées le plus efficacement possible. Une analyse économique comparative avec d’autres pays d’Afrique subsaharienne permet d’envisager une hausse de 20 % des recettes. Il semble également possible de porter la proportion des recettes intérieures à 20 % du PIB, soit au moins 130 milliards FCFA (francs de la Communauté financière africaine) de rentrées supplémentaires en 2017.
La structure du système fiscal alourdit les frais de fonctionnement et les coûts relatifs au respect des obligations fiscales. L’organisation du système fiscal et de l’administration ont un impact sur les frais de fonctionnement des entreprises, l’ampleur des incitations économiques pour les particuliers et les entreprises, et la transformation économique et le développement. Le système ivoirien actuel pâtit de nombreux points faibles. Le système fiscal a évolué de façon progressive, ce qui l’a rendu très complexe, a augmenté les coûts liés au respect des obligations fiscales et accentué les distorsions. Dans le même temps, le système a perdu de sa transparence et les recettes ont baissé. À titre d’exemple, la palette de taxes perçues sur une base d’imposition limitée, ou encore les nombreuses exemptions et déductions ad hoc. L’administration fiscale rencontre de nombreuses difficultés, telles qu’une organisation encore très bureaucratique, ou de faibles capacités informatiques. La réforme de l’administration fiscale est nécessaire pour instaurer une culture du respect des règles et de la mise en conformité. De nombreux dossiers fiscaux et bases de données ne fonctionnent pas encore sur une base électronique et/ou sont incomplets. Les contraintes de capacité des fonctionnaires ainsi que la charge de travail ralentissent également les progrès dans la création d’annuaires complets des contribuables. L’informatisation des procédures et la numérisation des répertoires pourraient considérablement améliorer l’efficacité et la rapidité de traitement.

Note : Ce graphique est associé aux recommandations et au plan d’action présenté à la fin de ce rapport. « RA 1 » fait référence au résultat attendu numéro 1, et les numéros entre parenthèses font référence aux différentes recommandations qui se trouvent dans le plan d’action.
Source : Auteurs.
Le système fiscal influence les décisions de formalisation, et la Côte d’Ivoire devrait chercher à combiner des mesures dissuasives et incitatives. Les mesures incitatives comprennent, entre autres, des baisses de charge fiscale et des mesures de simplification des obligations fiscales, en particulier pour les petits opérateurs, tandis que les mesures dissuasives passent principalement par le renforcement des capacités de contrôle, de détection et de sanction de l’administration fiscale. Par exemple, des impôts élevés sur les salaires, les bénéfices ou la consommation peuvent encourager les entreprises, les entrepreneurs et les travailleurs à rester dans le secteur informel. Les opérateurs formels ne doivent pas seulement supporter la charge fiscale qui leur incombe mais également les coûts administratifs liés à la déclaration et au paiement de leurs impôts.
La TVA a un rôle important à jouer dans la formalisation de l’économie. D’une part, il s’agit d’un impôt payé par le secteur informel. Les entreprises informelles payent la TVA sur leurs intrants mais n’ont pas le droit de la déduire (ne s’agissant pas d’assujettis). D’autre part, le système de la TVA repose sur le mécanisme du paiement fractionné. Selon ce mécanisme, les assujettis doivent collecter la TVA sur les livraisons de biens et prestations de services qu’ils rendent, et peuvent déduire la TVA sur leurs intrants. Ils ne reversent en TVA à payer que la différence entre la TVA qu’ils ont collectée et celle qu’ils peuvent déduire. Mais ce droit à déduction est soumis à un certain nombre de conditions. L’une d’elle est que les intrants soient utilisés pour les besoins d’opérations imposables (condition de fond). L’autre est que l’assujetti soit en possession de factures établies en bonne et due forme (condition de forme). Le mécanisme du paiement fractionné et l’exigence de factures conformes incitent l’assujetti à demander à ses fournisseurs des factures établies en bonne et due forme. Il a tout intérêt à se voir facturer la TVA dans la mesure où il peut la déduire. Il a tout intérêt également à réaliser des opérations imposables car la TVA sur ses intrants n’est déductible que si ces derniers sont utilisés pour les besoins de ses opérations imposables. L’effet incitatif de la TVA peut potentiellement se propager tout au long de la chaîne de production et entraîner à terme la formalisation des opérateurs du secteur informel « forcés » à se formaliser sous la pression de leurs clients ou de leurs fournisseurs (qui refusent de facturer sans TVA). De surcroît, la TVA peut également avoir un rôle formalisateur par rapport aux autres impôts.
Les efforts pour encourager la formalisation peuvent avoir d’importants effets de ricochet. Si de plus en plus d’entreprises deviennent formelles, la pression pour devenir formel peut s’accroître, notamment via les effets de chaîne de la TVA mentionnés ci-dessus. Cela implique que des mesures telles que des contrôles ciblés peuvent avoir des effets significatifs. De plus, si le nombre d’entreprises formelles grandit, la probabilité que les entreprises informelles soient détectées devient plus forte. L’administration peut en effet se permettre de concentrer davantage de moyens sur les entreprises informelles en nombre plus restreint.
Une étude détaillée du système fiscal est essentielle pour donner plus de précisions aux réformes proposées dans ce chapitre. Ce chapitre identifie les défis les plus importants auxquels est confrontée la Côte d’Ivoire. Les paragraphes ci-dessous recommandent plusieurs ajustements à réaliser afin de rendre le système fiscal plus efficace, équitable et résilient. Parallèlement à ces ajustements, il s’agira de réaliser des investissements importants pour renforcer l’efficacité de l’administration fiscale. Toutefois, mener à bien une réforme fiscale est long et complexe. Ce chapitre pose ainsi les premiers éléments de discussion, qu’il s’agira d’approfondir au sein de l’administration publique, du gouvernement, du secteur privé et de la société civile. Une étude approfondie pourrait être menée, avec des objectifs similaires aux recommandations proposées dans ce chapitre : le renforcement de la perception des recettes, tout en améliorant l’efficacité, l’équité et l’inclusivité du système fiscal. En effet, la plupart des pays qui font face à des contraintes de leur système fiscal semblables à celles de la Côte d’Ivoire ont entrepris ces examens détaillés en amont de leur réforme fiscale globale, et ces expériences peuvent servir de modèle pour la Côte d’Ivoire (l’Afrique du Sud est un exemple récent).
Les réformes fondamentales devront être adaptées au contexte et à l’économie ivoirienne
La Côte d’Ivoire ne pourra pas se contenter de réformes partielles, mais a besoin d’une réforme fiscale complète et adaptée à son contexte. La réforme fiscale devrait être mise en œuvre de façon graduelle dans la perspective d’établir un système simplifié, cohérent et adapté au niveau de développement du pays et à ses capacités, ainsi qu’aux besoins d’une économie émergente. La structure des recettes fiscales est de nature dynamique : à mesure qu’un pays se développe, la structure fiscale voit s’accroître le poids de la TVA et de l’impôt sur le revenu. En l’absence de réformes plus larges, les mesures visant à évoluer vers un système et une structure fiscale plus « modernes » peuvent s’avérer contre-productives. Remplacer des impôts qui ont tendance à générer d’importantes distorsions par des impôts considérés comme plus neutres n’aura pas nécessairement les effets escomptés si l’administration fiscale n’est pas renforcée en parallèle, ou si les conditions économiques du pays ne s’y prêtent pas.
Pour que l’administration fiscale ivoirienne puisse contribuer à l’émergence, les réformes doivent suivre cinq axes prioritaires :
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Améliorer l’efficacité des services fiscaux, en particulier par l’informatisation et la dématérialisation des démarches afin de réduire les coûts relatifs au respect des obligations fiscales.
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S’efforcer d’incorporer l’économie informelle dans le système fiscal, notamment en élargissant la portée de la TVA et en révisant l’impôt synthétique pour le rendre plus efficace.
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Mettre l’accent sur l’élargissement de la base fiscale et la simplification du système fiscal en abolissant les nombreuses petites taxes. Par exemple, il s’agirait d’élargir la portée de la taxe foncière et de la TVA.
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Accroître la confiance de la population dans le système fiscal afin d’encourager le civisme fiscal en rendant l’administration fiscale plus transparente, responsable et prévisible.
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Adopter une approche systématique pour l’attribution et l’évaluation des exemptions et avantages fiscaux existants qui trouve un point d’équilibre entre les bénéfices réels de l’abaissement des taux d’imposition pour attirer des investissements additionnels, et les coûts sur les recettes et l’efficience du système.
Le fonctionnement de l’administration fiscale doit être amélioré
Les procédures de l’administration fiscale doivent être modernisées (recommandation 1)
Le gouvernement devrait élaborer une stratégie pour réformer et moderniser l’administration fiscale. Il pourrait être utile de lancer un dialogue avec des bailleurs de fonds susceptibles d’apporter un appui financier et technique. Une telle stratégie nécessite des recherches et des enquêtes approfondies, afin d’établir des points clés :
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Quels sont les logiciels à acheter, sur la base de comparaisons internationales ?
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Comment séquencer la mise en œuvre des réformes ? Quels projets pilotes dans quels ministères clés ?
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Quelles seront les réformes du cadre juridique nécessaires pour ajuster les procédures ?
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Comment mettre en place une connexion avec les banques pour faciliter les paiements en ligne ?
L’informatisation de l’administration fiscale représentera un projet complexe et à long terme. Ces réformes doivent être soigneusement planifiées et préparées, en tenant compte des expériences d’autres pays et en cherchant des conseils d’experts sur les bons principes (Box 6.1). L’informatisation de l’administration fiscale devrait être accompagnée de mesures de formation pour permettre aux fonctionnaires d’utiliser efficacement les nouveaux outils. Cela nécessitera également des changements dans le cadre institutionnel et des procédures pour adapter le système fiscal à de nouvelles possibilités et contraintes découlant de l’informatisation.
De nombreux pays ont recours à l’informatisation pour améliorer l’efficacité de l’administration fiscale. Le Viet Nam est en passe de finaliser ce processus. Depuis 2013, le pays s’est engagé, avec la Banque mondiale, dans un projet de réforme pour renforcer les capacités de l’administration fiscale, avec notamment pour objectif de réduire les coûts de conformité des contribuables. Le projet comprend un volet informatisation d’une valeur de 70 millions USD (dollars des États-Unis), dédié à la mise en place du matériel, aux réformes réglementaires, à l’éducation des fonctionnaires, etc.
Au Mozambique, le Conseil Municipal de Beira a lancé en 1992 un système d’informatisation pour l’enregistrement des terres et la planification afin de gérer les procédures foncières plus efficacement. Un outil électronique a été développé pour traiter plus rapidement les demandes de baux fonciers et faciliter la planification de l’utilisation des terres. Le système a été développé avec succès et déployé avec un coût limité, mais il n’a pas été opérationnel en raison de contraintes liées à l’économie politique. Il n’en reste pas moins que la mise en œuvre et le développement de l’outil pourraient inspirer les autorités ivoiriennes quant à la mise en œuvre des systèmes informatiques et aux défis politiques qui y sont liés.
La modernisation de l’administration fiscale doit être liée à la modernisation d’autres systèmes administratifs, comme celui lié au foncier. La Côte d’Ivoire devra établir des cadastres informatisés pour améliorer la sécurisation et l’enregistrement des titres fonciers. Les réformes dans ce domaine devront être étroitement liées à l’administration fiscale pour assurer que les caractéristiques des biens soient actualisées dans les cadastres. En effet, les informations du cadastre doivent être utilisées efficacement pour maintenir un registre à jour de la valeur des biens immobiliers. Ces valeurs étant à la base de l’impôt, il est important qu’elles soient régulièrement réévaluées. Avec une augmentation de l’assiette fiscale, les taux d’imposition pourraient être réévalués et ajustés à la baisse afin d’éviter une charge fiscale trop lourde, et les propriétés de faible valeur pourraient être exonérées d’impôt. Les recettes fiscales de l’impôt foncier peuvent être utilisées pour améliorer la qualité des services urbains.
La transparence de l’administration fiscale et la lutte contre la fraude fiscale sont actives et renforcées (recommandations 2 et 3)
La promotion de la transparence devra être au cœur des réformes de l’administration fiscale. Une meilleure transparence permettra d’accroître la confiance de la population et d’améliorer la réputation de l’administration fiscale. Pour ce faire, le ministère (et notamment les deux directions en relation directe avec les contribuables) devrait établir un groupe de travail pour élaborer une stratégie axée sur la transparence et la communication. Une telle stratégie devra établir une liste des publications clés (rapport annuel, guide simplifié pour les contribuables, etc.) et une mise à disposition pour la population (par exemple sur un site web). Le ministère devra renforcer les mécanismes d’audit et de contrôle pour tous les services (Direction générale des douanes [DGD], Direction générale des impôts [DGI], etc.) afin d’améliorer la qualité des services aux contribuables.
La Côte d’Ivoire a fait d’importants progrès en matière de gestion du risque des contribuables pour limiter la fraude fiscale, mais les efforts devraient être renforcés. L’informatisation des systèmes pourra soutenir ces efforts, par exemple en facilitant le croisement des données. Par ailleurs, le développement d’une gestion du risque dans la sélection des dossiers à contrôler, et l’augmentation des contrôles seront également utiles. La priorité devrait être de détecter les contribuables qui minorent leur chiffre d’affaires pour bénéficier des régimes d’imposition simplifiés et échapper aux obligations fiscales en matière de TVA et de régime normal de l’impôt sur le revenu (par exemple, le seuil de 50 millions FCFA de l’impôt synthétique).
La TVA a un rôle important à jouer dans la formalisation de l’économie, mais la Côte d’Ivoire devrait chercher à combiner des mesures dissuasives et incitatives. Les mesures dissuasives passent principalement par le renforcement des capacités de contrôle, de détection et de sanction de l’administration fiscale. L’Box 6.2 présente les efforts du Brésil pour formaliser les transactions commerciales.
De nombreux pays en développement ont des difficultés dans la collecte des impôts et de la TVA, surtout lorsque le secteur informel est important. Une approche novatrice a misé sur l’incitation des consommateurs à demander des reçus dans les magasins, entraînant la formalisation d’une plus grande part des transactions. L’État de São Paulo, au Brésil, a lancé le programme Nota Fiscal Paulista en 2007. Le pays disposait déjà d’un système de déclaration fiscale électronique, des commerces ont été mandatés pour signaler électroniquement leurs ventes régulièrement aux autorités fiscales. Dans le cadre de ce programme, le système électronique a évolué pour permettre aux citoyens de créer un numéro d’identification individuelle en ligne (par l’enregistrement) pouvant être rattaché à leurs achats. Les citoyens peuvent ainsi suivre leurs achats en ligne et indiquer des achats non rapportés par le vendeur, faisant ainsi office « d’inspecteur civil des impôts ». Cela a obligé les propriétaires de magasins à enregistrer électroniquement la transaction et à la signaler aux autorités fiscales. Tous les numéros d’identification des clients rapportés ont été inclus dans une loterie où les clients pouvaient gagner des récompenses, les incitant à réaliser une transaction formelle. Le programme a été très efficace : des millions de clients se sont enregistrés, la base de la TVA et les recettes fiscales ont augmenté.
Source : Naritomi (2013).
La base d’imposition fiscale devrait être élargie et simplifiée
Les exonérations de TVA doivent être revues et limitées (recommandation 4)
La réforme des exonérations fiscales de TVA est une préoccupation principale pour le gouvernement. Les exonérations du TVA contribuent à une part important du coût total des exonérations de plus de 200 milliards FCFA en 2014. La difficulté que recontrent les assujettis à obtenir le remboursement de leur crédit de TVA explique souvent la mise en place d’exonérations de TVA. À la fin 2015, le ministère du Budget avait réussi à traiter tous les arriérés de remboursement des crédits TVA, et à traiter les nouvelles demandes dans un délai d’une semaine. Ces améliorations dans le traitement des remboursements pourront permettre au gouvernement de supprimer certaines exonérations de TVA. En effet, la multiplication des exonérations et des régimes dérogatoires compromet la cohérence du système de TVA et en rend la gestion difficile.
Une révision systématique du régime des exonérations serait utile pour établir une stratégie de suppression progressive. En premier lieu, l’exonération totale de TVA en phase d’investissement sur le matériel et les équipements prévue par le Code de l’investissement pourrait être supprimée, à condition que les remboursements de crédits de TVA continuent d’être traités efficacement. En second lieu, il pourrait être envisagé de soumettre à la TVA les produits de première nécessité qui en sont exonérés. Actuellement, les sociétés agricoles nationales peuvent se trouver victimes d’une distorsion de concurrence si elles supportent un coût de TVA sur leurs intrants alors que les sociétés concurrentes étrangères pourront déduire la TVA supportée sur leurs intrants dans leur pays d’origine. En troisième lieu, certaines exonérations à caractère social pourraient être supprimées car elles ne remplissent pas toujours leur objectif et sont susceptibles de profiter aux tranches relativement aisées de la population (voir le rapport de la phase II).
Les incitations fiscales et les exonérations devront être rationalisées (recommandation 5)
Le taux de l’impôt sur les sociétés en Côte d’Ivoire est relativement compétitif, ce qui rend les incitations fiscales aux entreprises à travers le Code des investissements moins nécessaires. Le gouvernement devra revoir les incitations fiscales et les exonérations pour réduire le manque à gagner en matière de recettes publiques. Parmi l’ensemble des incitations fiscales, les congés fiscaux (exonérations fiscales temporaires telles que l’exonération des bénéfices industriels et commerciaux) sont les plus coûteux.
Dans un premier temps, il serait judicieux de ne plus accorder de nouveaux avantages sectoriels. Dans un deuxième temps, il conviendrait de regrouper l’ensemble des incitations fiscales dans le Code général des impôts de manière à ce que les codes sectoriels se limitent à la réglementation des aspects organisationnels ou techniques des secteurs concernés. Dans un troisième temps, certaines incitations fiscales existantes pourraient être supprimées, en particulier l’exonération de TVA et l’exonération d’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux dans le district d’Abidjan prévues par le Code des investissements (les congés fiscaux accordés dans les autres régions pourraient quant à eux devenir moins généreux). Plusieurs incitations fiscales peuvent dès à présent être supprimées, telles que l’exonération de TVA sur les achats des investisseurs, ou les avantages fiscaux accordés dans le cadre du code minier (suppression des exonérations de droits de douane dans la mesure où les biens d’équipement peuvent être importés en suspension de droits sous le régime douanier de l’admission temporaire; exonérations de TVA en phase de production, voire en phase de recherche et de construction de la mine). Les modifications aux exonérations pourront être précisées avec une étude approfondie.
La fiscalité devrait être simplifiée et renforcée (recommandations 6 et 7)
La pression fiscale pèse uniquement sur un très petit nombre de contribuables, en particulier sur les grandes entreprises et les employés du secteur formel. Le secteur informel a un poids important dans l’économie ivoirienne mais contribue peu aux recettes de l’État. Cette situation créée une tendance à la hausse des impôts sur le secteur formel, ce qui accroît les distorsions entre le secteur formel et l’économie informelle et, à terme, génère davantage d’incitations à rester ou à passer dans le secteur informel. Le système fiscal ivoirien pourrait être simplifié. Cela contribuerait au développement de la Côte d’Ivoire de deux façons : d’une part, les paiements d’impôts deviendraient plus facile, ce qui peut inciter les contribuables à un comportement plus conforme et donc d’élargir l’assiette d’imposition ; d’autre part, le système fiscal deviendrait plus équilibré et inclusif en reposant sur un plus grand nombre de contribuables (bien que la simplification du système fiscal n’implique pas forcément un système plus équilibré et inclusif). L’Box 6.3 présente les efforts du Mexique pour simplifier sa fiscalité.
En janvier 2014, le gouvernement mexicain a introduit un nouveau régime fiscal pour les petits contribuables dont les revenus ne dépassent pas 2 millions MXN (peso mexicain). Ce régime fiscal nommé Régimen de Incorporación Fiscal (RIF) fait partie de la stratégie globale « Grandir ensemble », visant à réduire l’informalité dans les petites entreprises. En abaissant considérablement l’ensemble des charges (sécurité sociale, TVA, accises) pendant les dix premières années d’exploitation, le nouveau régime fiscal crée des incitations pour les entreprises informelles à basculer vers le secteur formel. L’impôt est calculé sur la base du chiffre d’affaires, avec un taux comparable aux autres régimes fiscaux. Le régime de la TVA est également simplifié en fonction de l’activité et de la taille de l’entreprise, et combiné avec plusieurs exonérations.
Les contribuables du RIF sont obligés de remplir les déclarations et de payer des avances tous les deux mois, ce qui simplifie la gestion administrative (les déclarations sont mensuelles sous le régime standard). Pour en bénéficier, l’entreprise doit s’enregistrer auprès du répertoire national des contribuables. Le régime est complété par une gamme de services de soutien, comme l’assistance administrative, et des outils en ligne pour faciliter les paiements des impôts.
Source : OCDE (2015).
En Côte d’Ivoire, il existe un système de taxes forfaitaires pour les entreprises individuelles. Les entreprises individuelles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions FCFA sont soumises à l’impôt synthétique. Une taxe forfaitaire peut être utile pour les très petites entreprises qui n’ont pas les capacités de gérer des impôts comme la TVA, l’impôt sur les sociétés et/ou l’impôt sur le revenu. Si celle-ci est bien administrée, elle peut inciter les entrepreneurs informels à devenir formels. Il faudrait réformer le barème de l’impôt synthétique en introduisant une progressivité en fonction du chiffre d’affaires déclaré de façon à ce que les entreprises dans les tranches supérieures aient une incitation à passer sous le régime du réel. Pour implémenter ces réformes, il est nécessaire de lancer des études poussées sur la simplification des impôts, sur l’élimination graduelle des petits impôts assis sur le chiffre d’affaires, et de simplifier les obligations fiscales des petits opérateurs, notamment en réduisant le nombre de petits impôts qui pénalisent en particulier les petites entreprises.
Le fonctionnement du système fiscal est renforcé
Le rôle des droits d’accises et des taxes foncières est renforcé (recommandations 8 et 9)
Une réforme des droits d’accises pourrait être envisagée. En matière de droits d’accises, la base d’imposition pourrait être élargie en la déterminant en fonction du prix de vente au détail et non plus du prix sortie-usine. Des droits spécifiques et/ou ad valorem pourraient être relevés. Ce processus pourrait toutefois être délicat dans la mesure où la Côte d’Ivoire est liée par les Directives de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) en matière de droits d’accises.
Une réforme des taxes foncières pourrait aussi être envisagée. Les impôts fonciers ont un fort potentiel étant donné la croissance des villes et les efforts de modernisation du cadastre. Cependant, les règles d’évaluation devraient être transparentes et liée aux valeurs de marché afin que les contribuables puissent évaluer la valeur de leur propriété eux-mêmes. Les taux d’imposition actuels pourraient éventuellement être réévalués et ajustés à la baisse afin d’éviter une charge fiscale trop lourde. Les propriétés de faible valeur pourraient être exonérées de l’impôt.
Les droits de douane doivent être limités progressivement (recommandation 10)
Les droits de douane représentent actuellement une grande partie des recettes de l’État. Les échanges commerciaux augmentant, les droits de douane peuvent entraîner une augmentation des recettes à court terme mais pénaliser le commerce à long terme. Une baisse de la protection douanière pourrait avoir l’effet inverse : élargir le volume des échanges et compenser les effets négatifs de la baisse du taux de protection. De même, les droits à l’exportation peuvent affecter la compétitivité des exportateurs domestiques par rapport aux exportateurs étrangers s’ils entraînent un prix à l’exportation plus élevé. Les taxes à l’exportation peuvent aussi créer des distorsions dans les choix de production en encourageant les producteurs à s’orienter vers la production de produits moins taxés.
Cependant, l’imposition d’un grand nombre d’activités économiques en Côte d’Ivoire reste difficile en raison de la capacité limitée des autorités fiscales. Les droits de douanes sont un des mécanismes pour soumettre le secteur informel ainsi que les producteurs agricoles à la taxation. À long terme, il serait préférable de les intégrer dans les systèmes de TVA et de taxation des revenus, mais, pour l’instant, l’imposition des échanges est le mécanisme le plus efficace et simple pour partager le poids de l’imposition entre tous les acteurs économiques. Par conséquent, la marche vers un système plus moderne, reposant sur plus de TVA et d’impôts individuels, et moins sur les droits d’échanges, se fera étape par étape.
Le gouvernement devra revoir sa stratégie de prélèvements sur les échanges. La Côte d’Ivoire pourrait envisager une étude détaillée sur les effets budgétaires d’une diminution des droits d’échanges prenant en compte les effets positifs d’une telle réforme sur les flux commerciaux et les expériences d’autres pays ayant mis en œuvre des changements de politiques similaires. Des consultations avec le secteur privé sur les effets d’une telle réforme et des conseils d’experts pourraient également contribuer à rééquilibrer le système de manière à ce que les recettes ne baissent pas à court terme, tout en rendant le système plus propice au développement du secteur privé à moyen et long terme.
L’impôt sur le revenu des particuliers doit être simplifié (recommandation 11)
Bien qu’il soit probable que les recettes de l’impôt sur le revenu des particuliers restent limitées à court terme, il serait judicieux de mettre en place rapidement un système plus simple et plus neutre pour anticiper l’évolution éventuelle de cette assiette et inciter les PME à contribuer plus fortement au développement économique. L’impôt sur le revenu des particuliers en Côte d’Ivoire repose sur un système ancien et complexe d’impôts cédulaires (assiette difficile à déterminer, nombreuses déductions, formules de calcul compliquées), ce qui n’incite pas les entrepreneurs de petite taille à devenir formels. La complexité fiscale rend donc le respect des procédures difficile, et induit une certaine incertitude quant aux montants à payer, le total pouvant être très élevé. La Côte d’Ivoire pourrait envisager de faire évoluer ce système cédulaire particulièrement complexe vers un impôt dual, où le revenu du travail serait soumis à un impôt progressif tandis que les revenus du capital seraient imposés à un taux uniforme et plus faible. Un système plus simple et plus transparent pourrait encourager un plus grand nombre de contribuables à payer leurs impôts, en particulier si ces mesures s’accompagnent d’un renforcement des capacités de l’administration fiscale. Ces efforts devraient être intégrés dans des réformes administratives plus larges, en améliorant la capacité des autorités à capter les revenus.
L’impôt dual est une forme simplifiée de système cédulaire. Toutes les formes de revenus du travail devraient être imposées de la même façon. L’impôt sur les traitements et salaires et la contribution nationale devraient également être intégrés et transformés en une retenue à la source. Pour augmenter les recettes de l’impôt sur le revenu des particuliers, l’approche devrait consister à élargir les assiettes fiscales plutôt qu’à augmenter des taux d’imposition déjà élevés. Ainsi, le barème de l’impôt sur le revenu devrait être revu à la baisse, et le nombre de tranches devrait être réduit dans une perspective de simplification. L’abattement de 20 % devrait être forfaitaire (c’est-à-dire défini pour un montant fixe, et non par un pourcentage fonction du revenu) pour éviter que l’avantage n’augmente avec le revenu. Enfin, les bases imposables devraient être élargies en éliminant ou en réduisant les déductions qui ont tendance à profiter davantage aux ménages aisés.
Références
Naritomi, J. (2013), « Consumers as tax auditors », job market paper, Harvard University, Cambridge, MA, http://siteresources.worldbank.org/INTMACRO/Resources/Joanapaper.pdf.
OCDE (2015), Taxation of SMEs in OECD and G20 Countries, OECD Tax Policy Studies, No. 23, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264243507-en.