Chapitre 5. Investir dans la main-d’œuvre via une éducation de qualité et des compétences adaptées
Ce chapitre analyse le « système de compétences » ivoirien et la façon dont il s’articule avec le marché du travail pour répondre aux exigences de l’émergence. La première section est dédiée à l’examen de la capacité du système éducatif et de formation à développer les compétences adaptées aux besoins du marché du travail. Cette section souligne les défis à relever en termes d’accès et de qualité à tous les niveaux d’éducation, d’amélioration des conditions d’enseignement, et de réduction des inégalités socio-économiques, de genre et spatiales. La deuxième section porte sur la mobilisation des compétences disponibles sur le marché du travail. Elle révèle une participation insuffisante des jeunes, des femmes et des diplômés au marché du travail ivoirien, ainsi que l’opportunité que constituent la diaspora et les migrants en termes de réservoir de compétences. La dernière section de ce chapitre traite de l’utilisation efficace des compétences en Côte d’Ivoire. Elle analyse l’inadéquation entre l’offre et la demande de compétences et la manière dont la segmentation du travail y contribue, et présente les compétences entrepreneuriales comme des opportunités de développement des secteurs clefs de l’économie.
Pour accéder à l’émergence, la Côte d’Ivoire devra s’appuyer sur un capital humain et des compétences suffisants en nombre et en qualité. Malgré une dynamique positive, le système éducatif ivoirien ne garantit pas encore l’accès à l’éducation de base et l’acquisition des compétences de base à l’ensemble de la population. L’accès au secondaire et à l’enseignement supérieur demeure restreint, ce qui limite l’acquisition de compétences plus complexes et spécifiques à destination du marché du travail. À ces problèmes d’accès s’ajoutent des questions liées à la faible qualité du système éducatif, notamment du fait de moyens limités des écoles en termes d’infrastructure et d’enseignants.
Ingrédient indispensable de la transformation et de la compétitivité de l’économie, le capital humain doit répondre aux besoins actuels et futurs de l’économie. Sans un investissement approprié dans le capital humain le progrès technologique ne génère pas de croissance et les économies perdent en compétitivité. À ce titre, l’un des rôles du système éducatif est d’adapter son offre de formation à la demande de compétences du marché du travail. Le système de compétences doit donc tenir compte de la structure de l’économie ivoirienne, largement dominée par l’agriculture, ainsi que du caractère informel de la plupart des activités. La Côte d’Ivoire doit également s’assurer que les secteurs à fort potentiel de croissance disposent des compétences nécessaires afin de favoriser la participation des individus à des activités à plus forte valeur ajoutée. Le capital humain peut également participer à l’émergence de nouvelles activités et stimuler la diversité de l’économie, notamment à travers l’acquisition et la valorisation de compétences entrepreneuriales.
Développer les compétences pour l’émergence nécessite d’améliorer la qualité du système éducatif et de réduire les inégalités scolaires
Malgré de récents progrès, le système éducatif ivoirien ne répond pas encore aux exigences de l’émergence en termes d’accès à l’éducation et de qualité des compétences. La crise socio-politique a limité le financement et la mise en œuvre des politiques éducatives au cours des deux dernières décennies, mais les efforts récents ont permis d’améliorer le fonctionnement du système éducatif et constituent un premier pas vers l’émergence. De nombreux défis doivent néanmoins être relevés avant de prétendre à l’émergence. Une part encore trop importante de la population sort du système éducatif sans avoir acquis les compétences de base, nécessaires pour s’insérer dans la vie sociale et économique. En effet, trop peu d’individus achèvent le cycle primaire, et le préscolaire est très peu développé. Par ailleurs, l’accès au secondaire et à l’enseignement supérieur ne concerne qu’une minorité d’Ivoiriens, ce qui entrave une bonne insertion sur le marché du travail. Les problèmes d’accès s’accompagnent de questions liées à la faible qualité du système éducatif. L’environnement scolaire est dégradé et les écoles manquent de moyens, d’enseignants et d’infrastructures de qualité. De plus, l’organisation interne du système éducatif conduit à une forte sélection des élèves au cours de leur scolarité. En conséquence, le système éducatif ne permet pas aux élèves d’acquérir un niveau de connaissance suffisant. Il ne garantit pas non plus un accès équitable à l’instruction et présente de fortes disparités spatiales, socio-économiques et de genre.
L’accès à l’éducation est insuffisant à tous les niveaux
Après une période de stagnation, les efforts financiers ont permis d’augmenter la scolarisation
Le système éducatif ivoirien actuel a hérité des problèmes causés par l’inertie du système éducatif pendant la période de troubles socio-politiques. Au cours des deux dernières décennies, une situation macro-économique difficile combinée à l’instabilité politique ont conduit à une dégradation du système éducatif ivoirien. Le financement de l’éducation a souffert des mauvaises performances de l’économie ivoirienne et de la réduction des dépenses imposées par l’ajustement structurel du début des années 90. La part des dépenses courantes d’éducation a chuté, passant de 7.4 % du produit intérieur brut (PIB) en 1990 à 3.9 % en 1995, niveau auquel elles se sont stabilisées jusqu’en 2007. Ce niveau reste toutefois plus élevé que la moyenne régionale qui s’établissait à 3.3 % (MENET, 2011).
Sur la même période, les effectifs scolaires ont augmenté en raison de la forte croissance démographique, ce qui s’est traduit par une baisse des dépenses par étudiant. Entre 1998 et 2006, les indices de couverture scolaire sont restés stables. Les taux bruts de scolarisation ont connu une hausse limitée, passant de 2.4 % à 3.1 % dans le préscolaire, de 71.7 % à 74.3 % dans le primaire, de 29.6 % à 32.4 % dans le 1er cycle du secondaire, et de 13.3 % à 15.8 % dans le 2d cycle du secondaire. Pourtant, la forte croissance démographique a engendré une hausse importante des effectifs. Cela a abouti à une baisse des dépenses par étudiant et une dégradation des conditions d’éducation.
La Côte d’Ivoire a fourni d’importants efforts financiers en faveur du secteur éducatif. Entre 2011 et 2013, les dépenses courantes d’éducation ont augmenté à un rythme d’environ 23 % par an aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire. Sur la même période, la dépense moyenne par élève du primaire est passée de 63 000 FCFA (franc de la Communauté financière africaine) à 80 000 FCFA, soit une augmentation de 12.7 % par an en moyenne. La progression des dépenses par élève est comparable dans le secondaire, où elle atteint 11.4 % par an en moyenne. Ces dépenses représentent 2.9 % du PIB en 2011, et 3.5 % en 2013. Les dépenses d’investissements, qui ne représentent que 7 % du total des dépenses, ont fortement augmenté, passant de 5.78 milliards FCFA en 2011 à 18.55 milliards FCFA en 2013, du fait de la réhabilitation et de la construction de salles de classe.
Cette augmentation des dépenses s’est accompagnée d’une amélioration rapide de la couverture scolaire. Entre 2010 et 2013, les taux brut de scolarisation ont fortement augmenté dans le préscolaire, le primaire et le 1er cycle du secondaire (graphique 5.1). En effet, le taux brut de scolarisation au primaire et au 1er cycle du secondaire a augmenté de dix points de pourcentage en seulement quatre ans. L’évolution de la couverture du préscolaire est saisissante, avec une hausse de 70 % entre 2010 et 2013, mais son niveau reste très faible (7 %). En revanche, le taux brut de scolarisation a diminué dans le 2d cycle du secondaire, passant de 31.1 % en 2010 à 27.2 % en 2013. La diminution est plus prononcée dans la filière générale, alors que la couverture du secondaire technique a doublé, tout en restant marginale avec un taux brut de scolarisation de 4.1 % en 2013 (MENET, 2014). Les effectifs de l’enseignement supérieur ont connu une évolution très rapide entre 2010 et 2013 (graphique 5.1, axe de droite), période pendant laquelle ils ont triplé. Cette évolution traduit toutefois un rattrapage des niveaux en vigueur en 2006 après la fermeture des universités de Cocody et d’Abobo-Adjamé à la suite des dégâts causés lors des combats dans la ville d’Abidjan.

Notes : L’axe de gauche représente le taux brut de scolarisation (%) pour les niveaux préscolaire, primaire, secondaire 1er et 2d cycles. L’axe de droite représente les effectifs de l’enseignement tertiaire (post baccalauréat).
Source : MENET (2014).
Toutefois, une part substantielle de la population n’achève pas le cycle primaire, et le préscolaire, le secondaire et le supérieur restent réservés à une minorité
Sur le plan international, les performances de la Côte d’Ivoire sont particulièrement faibles en ce qui concerne l’accès au préscolaire, au secondaire, et au supérieur. Le taux de fréquentation du pré-primaire est très faible en Côte d’Ivoire (environ 6 % des enfants ivoiriens inscrits en 2012) en comparaison avec les pays de l’échantillon du graphique 5.2 (panel A). Il est pourtant reconnu que l’école maternelle a une influence positive sur la durée de scolarisation des enfants et constitue un lieu d’apprentissage privilégié des compétences cognitives et comportementales indispensables à la vie en société (Berlinksi et al., 2009). Concernant le taux de fréquentation dans l’enseignement secondaire général, la performance de la Côte d’Ivoire est également médiocre : en 2013, le nombre d’inscrits au secondaire (tous cycles confondus) représentait seulement 47 % de la classe d’âge concernée, contre 58.1 % au Ghana et près de 87 % en Thaïlande (graphique 5.2, panel B). Ce chiffre ne traduit toutefois pas l’opposition entre la nette progression dans l’accès au 1er cycle du secondaire mentionnée ci-dessus et la légère baisse du taux brut de scolarisation au 2d cycle qui atteint seulement 27.2 % en 2013 (graphique 5.1). Le taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur était de seulement 4.5 % en Côte d’Ivoire en 2012, un niveau très faible même en comparaison avec l’Afrique subsaharienne où la moyenne était de 8.1 % (UNESCO, 2014).

Notes : Le taux brut de scolarisation mesure la fréquentation scolaire des jeunes entre 6 et 24 ans par rapport au nombre d’enfants ayant l’âge normal de fréquentation du niveau scolaire considéré. Les données relatives au taux brut de scolarisation au pré-primaire et secondaire datent de 2012 avec les exceptions suivantes : Éthiopie (2006), Malaisie (2011), Nigéria (2010). Les données ne sont pas disponibles pour le Brésil aux deux niveaux et pour le Viet Nam au secondaire.
Sources : ISU (2014), http://data.uis.unesco.org/; INS (2013).
Malgré un taux brut de scolarisation élevé, la Côte d’Ivoire enregistre un retard conséquent au niveau du primaire. Le taux brut de scolarisation au primaire en Côte d’Ivoire (94 %), n’est pas très éloigné de celui de l’échantillon de pays représentatif (graphique 5.3). Il est toutefois délicat de dériver une mesure de performance du système éducatif pour des taux bruts de scolarisation proches de 100 %, en particulier du fait de la sensibilité aux redoublements. Le taux net de scolarisation permet de faire des comparaisons plus pertinentes. En Côte d’Ivoire, il atteignait seulement 62 % en 2006 contre 95 % en Thaïlande la même année, 87 % en Colombie en 2010 ou encore 68 % en Éthiopie en 2006 (graphique 5.3). Les chiffres du ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement technique (MENET) sont plus optimistes et indiquent un taux net de scolarisation de 77 % en 2013 (MENET, 2014). Cela reste toutefois bien en deçà des taux net de scolarisation de l’échantillon de pays représentatif et signifie que 23 % des 6-11 ans ne sont pas scolarisés. L’accès à l’enseignement primaire reste donc un défi majeur en Côte d’Ivoire.

Notes : Les taux brut de scolarisation peuvent être supérieurs à 100 %, mettant en lumière l’incidence de la scolarisation d’enfants plus jeunes ou plus vieux que l’âge normal. Le taux net de scolarisation représente la part des enfants scolarisés ayant l’âge officiel d’une scolarisation par rapport au total des enfants en âge d’être scolarisés. Les données relatives au taux brut de scolarisation au primaire sont de 2012 avec les exceptions suivantes : Éthiopie (2006), Malaisie (2005) et Nigéria (2010). Les données ne sont pas disponibles pour le Brésil et le Viet Nam. Les données relatives au taux net de scolarisation sont de 2014 pour le Ghana et l’Indonésie ; 2012 pour la Corée , le Maroc et la Malaisie ; 2010 pour la Colombie et la Thaïlande ; 2009 pour le Nigéria et l’Éthiopie ; 2006 pour la Côte d’Ivoire ; et 2005 pour l’Afrique du Sud et le Viet Nam.
Source : ISU (2014), http://data.uis.unesco.org/.
Les taux d’accès aux différents cycles masquent l’ampleur de l’abandon scolaire et la situation préoccupante de la Côte d’Ivoire en matière d’achèvement des cycles éducatifs. Bien que la quasi-totalité (98.3 %) des enfants de 6 ans ait accès au primaire, 60.4 % seulement complètent ce cycle en 2013-14 (graphique 5.4). Cela signifie que près de 40 % des enfants qui accèdent au primaire (CP1) abandonnent après seulement quelques années d’études. Ces taux sont préoccupants, car ces individus sortiront du système éducatif avant d’avoir acquis les compétences nécessaires pour « être et rester alphabétisés tout au long de leur vie » (OCDE, 2014). Selon les données de l’Unesco, le taux d’achèvement de l’enseignement primaire avoisinait 55 % en 2013 (contre 60.4 % en 2013 selon le MENET), soit le taux le plus faible au sein de l’échantillon représentatif, loin derrière celui du Nigéria (20 points de pourcentage de différence). Naturellement, cette faible rétention des élèves au primaire se répercute sur l’accès au 1er cycle du secondaire, qui n’était que de 58.2 % en 2013. Le rythme de l’abandon scolaire y est similaire, et 35 % seulement d’une classe d’âge achève ce cycle d’études (graphique 5.4). En conséquence, moins d’un cinquième (19 %) d’une classe d’âge avait accès au lycée en 2013-14. L’abandon scolaire y est toutefois moins prononcé, si bien que la plupart des entrants finissent par obtenir leur baccalauréat.

Sources : Banque mondiale (2009) ; MENET (2014).
La faible rétention au sein des cycles scolaires n’a pas permis de transformer les progrès remarquables en termes d’accès en une hausse de la durée des études. L’évolution des profils de scolarité entre 2005 et 2013 révèle des progrès considérables d’accès à toutes les classes du primaire au 2d cycle du secondaire. Entre 2005 et 2010, les progrès ont en grande partie pour origine une amélioration de la rétention des élèves au cours d’un cycle donné, alors que la transition entre les différents cycles donnait lieu à des abandons massifs. En effet, environ un tiers des élèves ayant achevé le primaire ne transitait pas vers le 1er cycle du secondaire en 2010, et le taux de transition entre le 1er et le 2d cycle du secondaire atteignait seulement 60 % (graphique 5.4). Au contraire, entre 2010 et 2013 les efforts ont été concentrés sur l’accès aux cycles primaire et secondaire. Ainsi, entre 2010 et 2013, le taux d’accès au CP1 a augmenté de 20 points de pourcentage mais ne s’est traduit que par une hausse de 4 points de pourcentage en termes d’achèvement du primaire. Le cas du 1er cycle du secondaire est encore plus saisissant. Le taux de transition entre le CM2 et la 6e est de l’ordre de 100 % en 2013, avec un taux d’accès à la 6e de 58.2 %, contre 39 % en 2010. En revanche, le taux d’achèvement du 1er cycle du secondaire n’a pas progressé entre 2010 et 2013. L’abandon scolaire étant concentré dans les premières années des différents cycles, les améliorations en termes d’accès ne sont pas traduites par une hausse significative de la durée des études.
Les mesures efficaces mises en œuvre pour faciliter l’accès et la transition entre les différents cycles d’études doivent être prolongées. Le MENET a lancé plusieurs programmes pour augmenter et améliorer les capacités d’accueil pour l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire avec la création ou la réhabilitation des salles de classes et des équipements qui leur sont associés (60 000 salles de classe de primaire réparties sur l’ensemble du territoire seraient concernées par ce programme). Ces mesures se sont traduites par une augmentation considérable de la scolarisation aux différents niveaux, et doivent être prolongées pour faciliter l’augmentation des taux de scolarisation aux 1er et 2d cycles du secondaire en vue de l’émergence. Augmenter les capacités d’accueil au secondaire est d’autant plus urgent que le dynamisme démographique combiné à la hausse des taux de scolarisation au primaire et à l’assouplissement des conditions d’admission au collège donnera lieu à un doublement des effectifs dans l’enseignement secondaire d’ici à 2020 (MENET, 2011).
De plus, relever les taux d’achèvement à travers une meilleure rétention des élèves doit constituer une priorité du système éducatif ivoirien. La Côte d’Ivoire doit s’assurer que l’augmentation des taux d’accès au primaire et au secondaire se traduit par une hausse de la durée d’études et des taux d’achèvements afin que les individus acquièrent un minimum de compétences.
Le système éducatif ne garantit pas des conditions d’enseignement propices à l’acquisition de compétences
Un système éducatif de qualité pour l’émergence doit s’assurer que les entrants achèvent un cycle scolaire avec les compétences nécessaires pour poursuivre leurs études ou s’orienter vers une activité professionnelle. Le fort abandon scolaire constitue la faiblesse primordiale du système éducatif ivoirien. Son origine réside principalement dans l’incapacité des familles à supporter les coûts de l’éducation, l’échec scolaire, ainsi que la volonté des élèves d’apprendre un métier. De plus, le système éducatif ne permet pas aux élèves de primaire d’acquérir les compétences de base en raison, entre autres, de la faible qualité des infrastructures scolaires et du manque de formation des enseignants.
Les contraintes financières sur les familles constituent la cause principale de la déperdition scolaire au primaire et au secondaire. En 2012, entre 40 % et 50 % des élèves de primaire et de secondaire mentionnaient les contraintes financières des parents comme raison principale de l’arrêt des études (graphique 5.5). L’importance du travail des enfants en Côte d’Ivoire, qui touche 6.3 % des enfants de 6 à 13 ans, tend à confirmer que certaines familles subissent un coût d’opportunité important en laissant leurs enfants suivre des études (MEMEASFP, 2014).

Source : MEMPD/MEMEASFP (2014).
Le coût de l’éducation est élevé à tous les niveaux et devient prohibitif à mesure que le niveau de formation augmente. Au niveau du primaire, les dépenses des familles (par élève) atteignent en moyenne 28 000 FCFA, soit environ 35 % des dépenses publiques par élève (graphique 5.6). Si l’on considère un ménage moyen avec quatre enfants et un revenu mensuel de 100 000 FCFA, cela représente un effort financier à hauteur de 9 % du budget annuel du ménage. Il est donc rentable d’investir dans l’éducation dans la mesure où les rendements privés de l’éducation primaire atteignent 37.6 % pour l’Afrique subsaharienne selon Psacharopoulos et al. (2004). Les niveaux de dépenses par élève au préscolaire, au collège et au lycée (respectivement 75 000, 100 000 et 150 000 FCFA) deviennent très élevés au regard du revenu moyen, ce qui prive d’accès à l’éducation une part conséquente de la population. La Côte d’Ivoire doit donc faire en sorte de réduire fortement les coûts supportés par les familles à tous les niveaux d’éducation.

Notes : Les données datent de 2007. Les dépenses des familles sont des estimations.
Source : Calcul des auteurs à partir de Banque mondiale (2009).
Dans l’enseignement technique et professionnel, les coûts supportés par les familles sont particulièrement élevés. Les dépenses des familles dans l’enseignement technique atteignent 250 000 FCFA (graphique 5.6). Les frais de scolarités d’une formation technique ou professionnelle varient de 100 000 FCFA pour une formation courte et relativement peu qualifiée, à 200 000 FCFA pour la préparation d’un diplôme plus qualifié. À cela s’ajoutent les coûts indirects (transports, matériel scolaire, hébergement, etc.) qui s’élèvent environ à 100 000 FCFA (METFP, 2010). Ce niveau de dépenses exclut une grande partie de la population dans la mesure où le revenu mensuel moyen d’un travailleur indépendant non-agricole atteint environ 60 000 FCFA (MEMEASFP, 2014). Les populations les plus à même de bénéficier des formations techniques et professionnelles ne peuvent donc pas en bénéficier (15 % des étudiants de l’enseignement technique et de la formation professionnelle [ETFP] recevaient une bourse d’étude en 2011). Pour promouvoir ces filières, la Côte d’Ivoire devra mettre en œuvre des mesures pour réduire les coûts auxquels font face les étudiants : construction de logement à destination des étudiants ; subvention des formations techniques et professionnelles ; développement du système de bourse pour les étudiants qui manquent de ressources ; prêts aux étudiants.
La distribution structurelle des ressources publiques aux différents niveaux d’éducation est inéquitable en Côte d’Ivoire. Le graphique 5.6 révèle que les dépenses publiques par élève sont très inégalement réparties selon le niveau d’éducation. Les étudiants du préscolaire, du supérieur et de l’enseignement technique sont bien plus financés par les dépenses publiques que les élèves du primaire et du collège alors qu’ils ne représentent qu’une minorité. Si un certain degré d’inégalité est acceptable au regard des coûts plus élevés des formations à un niveau avancé, l’indice de Gini, qui mesure le niveau de cette concentration, est de 0.69 en Côte d’Ivoire en 2007contre 0.56 pour les pays d’Afrique francophone et 0.36 pour les pays d’Afrique anglophone, ce qui place la Côte d’Ivoire parmi les pays les plus inéquitables de la région en termes de distribution structurelle des ressources publiques d’éducation (Banque mondiale, 2009).
L’échec scolaire conduit les élèves à abandonner l’école. Les élèves de primaire avancent cette cause dans 26.5 % des cas en zone urbaine, et dans 32 % des cas en zone rurale (graphique 5.6). Dans le secondaire, l’échec scolaire est un motif d’abandon pour 17 % des élèves en zone urbaine et 23.5 % en zone rurale. L’échec scolaire est alimenté par la fréquence élevé des redoublements et les faibles taux de réussite aux examens de passage d’un cycle scolaire à l’autre. Les taux de redoublements atteignent 20 % au primaire et 1er cycle du secondaire et sont de l’ordre de 30 % au 2e cycle du secondaire. De manière générale, ils sont élevés en fin de cycle du fait des faibles taux de réussite aux examens. En effet, si le taux de réussite à l’examen d’entrée en 6e (certificat d’études primaires élémentaires [CEPE]) a progressé de manière continue entre 2011 et 2014 pour atteindre 80 %, il n’est que de 57 % au brevet d’études du premier cycle (BEPC) et de 36 % au baccalauréat. La progression du taux de réussite a été particulièrement forte (plus de 300 %) pour le BEPC, mais les niveaux atteints en 2014 sont comparables à ceux de 2005 (MENET, 2014), avec toutefois des effectifs bien plus importants. Le redoublement conduit rarement les élèves à améliorer leurs résultats scolaires, le soutien scolaire et les classes de niveau sont plus efficaces. Dans le système éducatif ivoirien, il semble que le redoublement serve à contrôler les flux d’étudiants entre les différents cycles. Un rythme suffisant de construction de salles de classe au secondaire devrait permettre de modifier cette logique de pilotage pour se concentrer sur l’acquisition d’un socle de compétences.

Note : Le baccalauréat marque la fin du second cycle du secondaire (lycée) et donne accès aux études supérieures; le BEPC marque la fin du premier cycle du secondaire (collège) et donne accès au lycée; le CEPE marque la fin de l’école primaire et donne accès au collège.
Source : MENET (2014).
La fréquence des abandons liés à la volonté d’apprendre un travail suggère que le système éducatif n’offre pas les formations adaptées aux élèves en difficultés. Cette raison est mentionnée par 15 % à 20 % des élèves, aussi bien en primaire qu’au secondaire, mais davantage dans un environnement urbain (graphique 5.5). La demande de formation technique et professionnelle est donc relativement précoce dans le parcours scolaire des élèves ivoiriens. Compte tenu du coût élevé des formations dans l’ETFP, une part importante de ces élèves doit s’orienter vers une formation en apprentissage dans le secteur informel. Dans la mesure où les élèves abandonnent l’école en cours de cycle et où les formations sont proposées dans un cadre informel, elles correspondent probablement mal au niveau de connaissance et aux attentes des élèves.
Afin d’exploiter au mieux ce potentiel, le gouvernement pourrait commencer par mettre en œuvre un suivi des élèves au sein de l’apprentissage traditionnel. Ce dernier est peu documenté alors qu’il constitue la principale source de formation professionnelle en Côte d’Ivoire (Banque mondiale, 2014). Si l’orientation des élèves vers des filières professionnelles dès le primaire semble prématurée, il faut peut-être envisager de modifier l’approche pédagogique et le programme pour certains élèves afin de mieux répondre à leurs attentes. Par la suite, la consultation et la participation du secteur informel au niveau de l’école primaire et du 1er cycle du secondaire peuvent faciliter l’institutionnalisation et la certification des apprentissages et, éventuellement, favoriser le retour vers une formation reconnue.
L’acquisition des compétences de base n’est pas garantie à l’issu du cycle primaire. Le niveau de l’éducation s’est considérablement dégradé au cours des dernières années. Le ministère de l’Éducation nationale a procédé à une évaluation des acquis scolaires du système éducatif (programme d’analyse du système éducatif de la Conférence des ministres de l’Éducation des pays ayant le français en partage [Confemen – Pasec]) et a constaté la baisse du niveau des acquisitions des élèves de l’enseignement primaire. En français, le score moyen a baissé de 50/100 à 30/100 entre 1996 et 2009, ce qui classe la Côte d’Ivoire bien en dessous de la moyenne des pays africains évalués sur la base d’un test similaire (le score moyen est de 40/100, MENET, 2011). En mathématiques, le constat est similaire, le score moyen de la Côte d’Ivoire s’est dégradé sur la période de référence, faisant passer le pays en dessous de la moyenne des pays africains retenus. La Côte d’Ivoire se distingue par la forte proportion d’élèves qui n’atteignent pas un niveau satisfaisant en mathématiques à l’issue du CM2. Ainsi, parmi les 65 % d’élèves qui accèdent au CM2, seul 25 % environ disposera d’un niveau satisfaisant en mathématiques, contre 60 % au Sénégal selon les résultats du Pasec (graphique 5.8).

Sources : Confemen/République Togolaise (2012).
L’analphabétisme est une des conséquences du faible niveau d’instruction en Côte d’Ivoire. Sur la base des estimations de la Banque mondiale et de l’Unesco, le taux d’alphabétisation des adultes en Côte d’Ivoire était de 41 % en 2012, et il devrait atteindre 43 % en 2015. Il s’agit du taux le plus bas dans l’échantillon représentatif, alors que plus de la moitié des pays de l’échantillon affichent des taux supérieurs à 90 %. L’étude ayant eu lieu en 2009, dans des conditions délicates pour la Côte d’Ivoire, il serait utile d’en réaliser une nouvelle pour voir si le niveau d’instruction a progressé depuis la fin des conflits.
La qualité des équipements scolaires et le niveau de qualification des enseignants sont des déterminants important de l’acquisition de connaissances. Une analyse des résultats aux tests scolaires du Pasec en Côte d’Ivoire indique que la qualité des équipements scolaires (matériel scolaire, taille de la classe) et le niveau de qualification des enseignants (diplôme universitaire, expérience) sont positivement corrélés aux résultats en mathématiques et en français (CONFEMEN/MEN, 2012). La disponibilité de matériel scolaire adéquat, de bonnes conditions de travail et un enseignant de qualité facilitent l’acquisition de compétences ; la qualité des infrastructures peut, quant à elle, jouer indirectement sur l’apprentissage à travers une réduction de l’absentéisme des élèves comme des enseignants.
Le nombre d’élèves par classe a été contenu par la construction de salles de classes mais reste très élevé au 1er cycle du secondaire. Les programmes de réhabilitation et de construction de salles de classes initiés au début des années 2010 ont permis de contenir le nombre d’élèves par salle de classe au primaire et de le réduire fortement dans le secondaire. Avec près de 90 élèves par salle de classe au 1er cycle du secondaire, 50 au 2d cycle et 34 au préscolaire, la Côte d’Ivoire reste néanmoins bien au-delà des standards internationaux (MENET, 2014). La taille des classes est cependant plus faible dans les écoles privées, qui représentent environ la moitié des effectifs du collège.
La Côte d’Ivoire ne répond pas encore au défi de l’équipement des établissements scolaires, notamment en milieu rural. En moyenne, moins de 30 % des écoles primaires disposent d’électricité ou de latrines en 2013 et seulement 50 % ou moins ont accès à l’eau courante et une cantine (graphique 5.9). Les conditions des écoles primaires se sont détériorées entre 2008 et 2013, notamment en ce qui concerne l’accès à l’électricité et la présence d’une cantine. Cette évolution peut probablement être en partie attribuée aux violences lors de la crise politique. La situation des écoles rurales est particulièrement alarmante : moins de 10 % d’entre elles ont l’électricité et seulement 20 % des latrines (graphique 5.9). La disponibilité d’un service de cantine peut constituer une forte incitation auprès des familles pauvres pour envoyer leurs enfants à l’école. La qualité des infrastructures des établissements privés aux niveaux préscolaire et primaire est bien moins élevée que dans le public (MENET, 2014).

Source : MENET (2014).
Assurer la qualité des équipements est particulièrement crucial pour l’enseignement technique. Faute de moyens, il arrive que certains établissements de formation technique et professionnelle ne disposent pas des outils, machines, accessoires ou autres équipements adaptés à un enseignement de qualité. Il se peut alors que les apprentissages reposent sur des équipements vétustes, ou que l’apprentissage pratique soit remplacé par un enseignement théorique. Les chances d’acquérir des compétences directement valorisables dans les entreprises sont alors fortement limitées.
Pour garantir une offre d’éducation de qualité, des efforts importants doivent être mis en œuvre afin d’accélérer la formation et la mise à niveau des enseignants. En effet, la part des enseignants titulaires du baccalauréat atteint seulement 46 % au primaire et 35 % au préscolaire, tandis que le reste du personnel enseignant est titulaire d’un BEPC. La capacité des institutions de formation des enseignants des filières générales et techniques doivent augmenter, et ce, d’autant plus que les effectifs augmentent rapidement (MENET, 2014). Dans le cadre de la réforme du collège, une attention particulière doit être portée aux enseignants des collèges de proximité, pour lesquels le critère de polyvalence risque de l’emporter sur la qualité, nuisant ainsi à la qualité de l’enseignement dans les matières principales. Par ailleurs, peu d’enseignants bénéficient de remises à niveau et de formations pédagogiques, et les inspections pédagogiques sont peu fréquentes (MENET, 2014).
L’amélioration du système éducatif ivoirien passe par la diminution des inégalités socio-économiques, de genre et spatiales
À condition de bénéficier à l’ensemble de la population, l’éducation peut devenir un moteur puissant de la réduction des inégalités, tout en favorisant une croissance inclusive. En Côte d’Ivoire l’éducation ne joue pas ce rôle. Les filles, les habitants des zones rurales, et les personnes les plus démunies rencontrent d’importantes difficultés pour accéder aux études. Les politiques éducatives ayant pour objectif de favoriser l’accès et le bon déroulement des études auront un impact plus fort si elles ciblent en premier lieu ces populations en difficulté. De plus, ces populations rencontrent des contraintes spécifiques, qui nécessitent de mettre en œuvre des réponses appropriées.
Par rapport à l’échantillon de référence, les Ivoiriennes accusent un retard particulièrement important en termes d’éducation, notamment en milieu rural. Les statistiques sur le système éducatif ivoirien sont particulièrement alarmantes pour les filles, et toujours en leur défaveur par rapport aux garçons. Si les filles sont plutôt bien représentées au préscolaire (50 %) et au primaire (46 %), la situation est préoccupante dans le secondaire, en particulier dans les zones rurales. Selon l’enquête démographique et de santé à indicateurs multiples EDS-MISC, 38 % des filles fréquentent un établissement de l’enseignement secondaire (contre 56.3 % pour les garçons) en 2011-12, mais ce taux tombe à 7.7 % en zone rurale (INS, 2013). Compte tenu du manque d’infrastructures dans les zones rurales, les filles sont amenées à quitter le domicile familial pour étudier, elles deviennent ainsi très vulnérables, notamment si leurs ressources financières sont limitées, et les grossesses non désirées sont nombreuses. Pour éviter une telle situation, certains parents préfèrent ne pas envoyer leurs filles dans l’enseignement secondaire. Les Ivoiriennes savent en moyenne moins bien lire et écrire que les Ivoiriens (écart de 20 points de pourcentage) et leur taux d’alphabétisation est nettement inférieur à ceux de leurs consœurs vivant dans les pays de l’indice de référence (graphique 5.10, partie A). Les Ivoiriennes ne sont que 36 % à justifier d’un niveau primaire et, en 2013, la durée moyenne de scolarisation ne dépassait pas 18 mois pour une femme de plus de 25 ans (graphique 5.10, partie B).

Notes : Le taux d’alphabétisation (panel A) correspond au pourcentage de femmes âgée de 15 ans et plus qui peuvent comprendre, lire et écrire de courts énoncés au sujet de sa vie quotidienne. La durée moyenne de scolarisation (panel B) mesure le nombre moyen d’années de scolarisation pour une femme de plus de 25 ans. Les données datent de 2013.
Source : ISU (2014).
Les filles font face à davantage de difficultés que les garçons pour acquérir des compétences à l’école. Les tests du Pasec révèlent que les filles obtiennent de moins bons résultats que les garçons, même lorsque l’on tient compte des conditions d’enseignement et de certaines caractéristiques des élèves. Ces résultats peuvent s’expliquer par l’existence de discrimination envers les filles au sein des écoles, ou un manque de confiance ou de soutien des parents.
Les disparités liées au genre sont renforcées par la faible féminisation du corps enseignant. Les femmes occupent quasiment tous les postes d’enseignants du préscolaire et représentent la moitié des enseignants du primaire, mais sont peu représentées au secondaire, où elles ne représentent que 15 % des enseignants. Cette disparité est d’autant plus forte lorsque l’on considère les matières enseignées par les femmes : elles occupent 30 % des postes de lettres modernes, espagnol ou encore éducation musicale, mais seulement 6 % des postes de mathématiques et sciences physiques dans le public (MENET, 2014). Dans la mesure où les filles sont souvent confrontées à des préjugés sur leurs aptitudes et à un manque de confiance dans les matières scientifiques, l’absence de référent féminin alimente un cercle vicieux : les filles obtiennent de mauvais résultats en sciences, ne s’orientent donc pas vers ces filières, et le corps des professeurs ne se féminise pas.
Les élèves qui apprennent avec une enseignante au primaire obtiennent de meilleurs résultats. En effet, les élèves ayant une enseignante obtiennent un score plus élevé en 5e année (où elles occupent seulement 15 % des postes), et ce, même lorsque l’on ne contrôle pas le niveau des élèves en début d’année, ce qui suggère qu’il ne s’agit pas d’un effet de sélection des meilleurs élèves vers les enseignantes mais d’un meilleur apprentissage au cours de l’année. En revanche, ce n’est pas le cas en classe de 2e année où les résultats aux tests ne sont pas meilleurs pour les élèves ayant une enseignante (environ 50 % des postes).
Les disparités spatiales sont importantes et recoupent en grande partie les disparités socio-économiques. Le taux brut de scolarisation dans le secondaire atteint 76 % en milieu urbain, alors qu’il n’est que de 14 % en milieu rural (EDS-MISC, 2011-2012). Les taux de fréquentation les plus faibles sont enregistrés dans les régions du Nord-Ouest (21 %) et de l’Ouest (29 %). Les problèmes d’accessibilité aux collèges et aux lycées dans les zones rurales expliquent en partie ces écarts. Mais une grande partie de ces différences peut s’expliquer par les disparités socio-économiques entre les habitants des zones urbaines et rurales. La part des diplômés de l’enseignement primaire atteint seulement 18 % pour les enfants de ménages pauvres, surreprésentés en zone rurale. Elle atteint 75 % dans les ménages riches (graphique 5.11, panel A). Si cette tendance se retrouve dans la plupart des pays africains de l’échantillon représentatif, l’origine socio-économique n’a pas ou peu d’impact sur les taux d’achèvements du cycle primaire dans les pays asiatiques de l’indice de référence (Indonésie, Thaïlande et Viet Nam). Le constat est similaire si l’on considère les taux d’achèvement au collège (graphique 5.11, panel B).

Note : Pour le primaire, les données datent de 2012 pour l’Indonésie ; de 2011 pour la Colombie, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Ghana et le Nigéria ; de 2010 pour le Viet Nam ; de 2005 pour la Thaïlande ; et de 2003 pour le Maroc. Les données ne sont pas disponibles pour le Brésil, la Corée et la Malaisie.
Source : Unesco (2014), www.education-inequalities.org.
La crise politique ivoirienne a contribué aux disparités spatiales. Les déplacements massifs de population, y compris de professeurs, ont déstructuré l’offre et la demande de formation du système éducatif ivoirien. Le conflit a entraîné le déplacement de plus de 700 000 personnes, et 500 000 enfants ont été déscolarisés entre 2002 et 2004 (Sany, 2010). D’après le même rapport, le nord du pays a particulièrement souffert en termes d’éducation avec près de 50 % des enfants privés d’éducation et seulement 20 % des enseignants à leur poste. Dabalen et Saumlik (2012) estiment que la crise politique a réduit la scolarisation des enfants scolarisés dans les zones de conflits de près d’une année en moyenne. La réhabilitation des infrastructures scolaires dans les zones affectées par le conflit fait l’objet d’une attention particulière de la part du gouvernement ivoirien. Ces mesures peuvent être complétées par des mesures spécifiques, notamment en termes de soutien scolaire, afin de corriger ces disparités.
La Côte d’Ivoire doit réduire les obstacles liés à la mobilisation des compétences sur le marché du travail
Si la Côte d’Ivoire attache autant d’importance au développement des compétences, c’est parce que celles-ci doivent participer à l’émergence du pays à travers la formation d’une main-d’œuvre qualifiée amenée à participer à des activités à plus forte valeur ajoutée. Lorsque les individus ne travaillent pas, d’une part les compétences qu’ils possèdent se déprécient et, d’autre part, ils n’acquièrent pas les nouvelles compétences utiles pour le marché du travail (OCDE, 2012a). La mobilisation des compétences est d’autant plus importante que les transformations structurelles sont rapides et que les méthodes de travail évoluent.
Cependant, la Côte d’Ivoire ne tire pas suffisamment profit des compétences dont elle dispose. S’il est vrai que le taux d’activité est élevé dans l’ensemble, certaines catégories de la population mobilisent peu leurs compétences. L’important taux de chômage parmi les Ivoiriens les plus éduqués est particulièrement alarmant dans la mesure où ce sont également ceux qui ont bénéficié des investissements les plus importants. Par ailleurs, une partie de la population est contrainte de mobiliser ses compétences de manière très incomplète dans un secteur informel peu productif afin de subvenir à ses besoins. Le réservoir de compétences que constitue la diaspora peut s’avérer un atout majeur si des politiques adaptées sont mises en œuvre pour les mobiliser.
Une large proportion d’Ivoiriens travaillent, mais certaines catégories de population mobilisent peu ou pas entièrement leurs compétences
Dans l’ensemble, la population ivoirienne met ses compétences à la disposition du marché du travail. Avec un taux d’activité de 76.8 % (MEMEASFP, 2014) – largement au-dessus des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais légèrement en dessous de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (Banque mondiale, 2014) – la grande majorité de la population en âge de travailler est disposée à travailler. De même, le ratio emploi/population est élevé en Côte d’Ivoire relativement aux pays de l’échantillon (graphique 5.12). L’essentiel de l’emploi est concentré dans l’agriculture (45.7 %), suivi par le commerce de détail (20.6 %) et les services aux ménages (7.40 %). En l’absence de mécanismes de protection sociale efficaces, les défis principaux auxquels fait face la Côte d’ivoire en matière de mobilisation des compétences sont la faiblesse des créations d’emplois dans le secteur formel et les mauvaises conditions de travail dans le secteur informel.

Note : Le ratio emploi-population mesure la proportion de la population de plus de 15 ans d’un pays qui a un emploi. Ce ratio provient d’une estimation modélisée par l’OIT. Les données remontent à 2012.
Source : Banque mondiale (2012).
Cependant, les jeunes ne mobilisent pas assez leurs compétences sur le marché du travail. Le taux d’actifs occupés parmi les jeunes de 14 à 35 ans (59.2 %) est plus faible que le taux moyen d’activité des 14-64 ans (66 %). En 2012, la part de la population ni en emploi, ni en éducation, ni en formation (NEET) était de 21.2 % parmi les 14-24 ans, et de 21.7 % parmi les 14-35 ans (MEMEASFP, 2013). Dans la mesure où la population entre 0 et 14 ans représente 41.5 % de la population totale en 2014, cette population constitue un manque à gagner considérable en termes de mobilisation de compétences (RPGH, 2014).
Dans ce contexte, des politiques de réinsertion des jeunes vers le système éducatif sont particulièrement appropriées. Pour atteindre cet objectif, la Côte d’Ivoire pourrait mettre en œuvre des programmes de formations accélérées, de formations non-formelles, ou des équivalences de diplômes. Dans le cadre du plan opérationnel à moyen terme (POMT) 2012-15, plusieurs mesures allant dans ce sens ont déjà été mises en place par le gouvernement, comme les travaux à haute intensité main-d’œuvre (THIMO), les contrats d’apprentissage et les formations professionnelles de courte durée. En 2013, le THIMO, un des plus grand programmes, envisageait de former 19 688 jeunes, alors que les contrats d’apprentissage envisageaient d’en former 8 500 (MEMPD/MEMEASFP, 2014).
Les femmes constituent également un important réservoir de compétences à mobiliser. Leur taux d’activité est significativement plus faible (67 %) que celui des hommes (75 %). De plus, lorsqu’elles sont actives, elles font face à un risque de chômage plus élevé (11.9 % contre seulement 7.4 % pour les hommes (MEMEASFP, 2013). Les jeunes femmes sont particulièrement touchées par le chômage, avec un taux qui s’élève à 15 % pour les 14-35 ans, contre 9.7 % chez les hommes. Par ailleurs, les femmes font face à des contraintes spécifiques qui renforcent leurs difficultés à mobiliser leurs compétences. En particulier, 30 % des femmes entre 15 et 19 ans ont déjà eu ou attendent un enfant (OCDE, 2014), ce qui complique leur intégration dans le marché du travail. La garde des enfants en bas âge constitue un facteur limitant la mobilisation de leurs compétences. Multiplier le nombre de places de crèche, à un coût accessible pour les familles, pourrait favoriser l’insertion des femmes sur le marché du travail, tout en ayant des effets positifs à long terme sur l’acquisition de compétences. Des mesures visant à réduire les discriminations envers les femmes, à renforcer leur pouvoir de décision et à améliorer l’accès à la contraception, peuvent avoir des effets remarquables sur leur accès au marché du travail. Il faut noter que les jeunes filles et les femmes rurales, font l’objet d’une attention particulière de la part de l’Agence nationale de la formation professionnelle (Agefop) et bénéficient en priorité des formations qualifiantes de courte durée proposées par l’agence.
L’ampleur du chômage est en partie masquée par le nombre élevé de travailleurs en sous-emploi. Le sous-emploi touche environ 20 % des employés en Côte d’Ivoire, indépendamment du niveau d’éducation (graphique 5.13). Les compétences des travailleurs ne sont donc pas mobilisées entièrement. Ce phénomène limite les potentiels gains de productivité qu’une main-d’œuvre qualifiée est censée apporter à l’économie. De plus, le développement de compétences n’étant rentable que si celles-ci sont mobilisées au profit de l’économie, le sous-emploi représente aussi une perte en termes d’investissements déjà réalisés par le passé.

Note : Le sous-emploi fait référence aux personnes qui souhaitent et sont disponibles à travailler davantage.
Source : MEMEASFP (2014).
Si l’ampleur du chômage est limitée, son intensité est alarmante et accentue la dégradation des compétences. En Côte d’Ivoire, un individu au chômage risque d’y rester longtemps. La durée moyenne du chômage atteint en effet 4 années (MEMEASFP, 2013). Le chômage de longue durée touche les individus indépendamment de leur niveau d’éducation. Un peu moins de la moitié des chômeurs sont à la recherche d’un emploi depuis plus de trois ans, et seul un quart trouve un emploi en moins d’un an. Cette proportion atteint néanmoins un tiers pour les diplômés du supérieur (MEMEASFP, 2013). Ces longues périodes d’inactivités aboutissent à une dégradation des compétences des individus. L’accumulation de barrières à un retour vers l’emploi peut décourager les chômeurs et les exclure définitivement du marché du travail avec des conséquences importantes pour l’économie ivoirienne.
Les travailleurs n’arrivant pas à trouver des emplois adaptés à leurs compétences se tournent vers le secteur informel peu productif sans réellement mobiliser leurs compétences. Le recours à des activités à faible valeur ajoutée dans le secteur informel représente souvent l’option par défaut des populations qui ne peuvent pas se permettre de rester inactives (BAD/OCDE, 2012). Les diplômés qui exercent dans le secteur informel ne mobilisent pas l’ensemble des compétences acquises au cours de leur scolarité en raison de la nature peu spécialisée et peu productive de leurs activités. Comme les chômeurs, ces individus vont voir leurs compétences initiales se dégrader à force de ne pas les mobiliser. Les individus contraints de travailler dans le secteur informel en attendant un emploi adapté se retrouvent dans une position d’autant plus difficile qu’ils ont moins d’opportunités de chercher un autre emploi ou de suivre des formations complémentaires.
Pour limiter la dégradation des compétences, la Côte d’Ivoire doit multiplier les opportunités d’augmenter l’employabilité des personnes qui ne mobilisent pas ou peu leurs compétences. Dans le cadre de la stratégie de relance de l’emploi des jeunes, le gouvernement a mis en œuvre un programme de requalification et de mise en adéquation emploi-formation à destination des chômeurs de longue durée. Avec un objectif de 1 000 bénéficiaires, l’ampleur du programme est relativement faible (MEMPD/MEMEASFP, 2014). L’offre de formations (re-)qualifiantes, de perfectionnement ou de spécialisation devrait être très largement développée et le ciblage révisé, de manière à ce qu’elles puissent bénéficier aux diplômés travaillant dans le secteur informel par nécessité, et éventuellement aux travailleurs en sous-emploi. Afin de multiplier les opportunités, ces formations pourraient être de courte durée et dispensées au sein des institutions scolaires, avec l’appui du secteur privé et des collectivités locales si besoin.
Le risque de chômage augmente avec le niveau d’étude mais varie substantiellement selon les filières
Le taux de chômage des actifs les plus éduqués limite la mobilisation des compétences de ceux sur lesquels la Côte d’Ivoire a le plus investi. Contrairement à ce qui est observé dans les pays de l’OCDE, en Côte d’Ivoire les études ne protègent pas contre le chômage. Bien que le taux de chômage au sens large soit relativement faible dans l’ensemble (9.4 %), il varie substantiellement selon le niveau de diplôme. Le taux de chômage des individus sans diplômes est de 6.4 %, et augmente avec le niveau de diplôme. Il atteint environ 14 % pour les diplômés du primaire, 17 % pour ceux qui complètent le secondaire, 20 % pour les détenteurs du baccalauréat, et jusqu’à 42.9 % pour les titulaires d’un master (graphique 5.14). Les détenteurs de diplômes à destination du milieu académique (diplôme d’études approfondies [DEA] et doctorat) échappent à cette règle et font face à des taux de chômage très faible.

Notes : Le taux de chômage est ici mesuré au sens élargi. Il fait référence aux personnes sans travail, à la recherche d’un travail durant une période récente spécifiée et disponibles pour travailler, et aux personnes inactives prêtes à accepter un emploi. Le certificat d’études primaires élémentaire (CEPE) marque la fin de l’école primaire. Par niveau de qualification: le certificat d’aptitude professionnelle (CAP), le brevet d’études professionnelles (BEP), le brevet de technicien (BT), le brevet professionnel (BP), le baccalauréat technique, le brevet de technicien supérieur (BTS) et le diplôme universitaire de technologie (DUT) délivrent des formations techniques et professionnelles. Par niveau de diplôme: le brevet d’études du 1er cycle du second degré (BEPC), le baccalauréat (BAC), le diplôme universitaire d’études générales, (bac+2, DEUG), la licence (bac +3), la maîtrise (BAC +4), le master (BAC +5), le DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées, BAC+5), le DEA (diplôme d’études approfondies, BAC+5) le diplôme d’ingénieur (BAC +5), et le doctorat (BAC+8) délivrent des formations générales.
Source : MEMEASFP (2014).
Les investissements en faveur des étudiants sont importants, la Côte d’Ivoire doit donc faciliter la transition des diplômés vers le marché du travail. Le taux de chômage des plus éduqués est coûteux d’un point de vue sociétal, de plus, il limite la mobilisation des compétences parmi ceux qui en disposent le plus. Quelles que soient les raisons qui expliquent ce phénomène (mauvaise qualité des formations, inadéquation avec la demande du marché du travail, manque d’emplois qualifiés), les diplômés du secondaire et de l’enseignement supérieur bénéficieraient de programmes visant à les rapprocher du marché du travail. C’est l’objectif du programme d’aide à l’embauche, qui s’adresse aux diplômés primo-demandeurs d’emploi, mais dont le processus de sélection des bénéficiaires limite l’ampleur (MEMPD/MEMEASFP, 2014). Faciliter la mise en relation des diplômés et des employeurs au sein des institutions scolaires (et avec la participation des collectivités locales) pourrait favoriser la transition vers l’emploi. La faiblesse du nombre d’individus accédant à l’enseignement supérieur ne constitue donc pas un défi majeur tant que l’insertion des diplômés n’est pas améliorée.
Un taux de chômage élevé parmi les populations les plus éduquées reflète, en partie, leur plus grande capacité à faire face au chômage. Les compétences développées par la main-d’œuvre ivoirienne qualifiée ne correspondent pas forcément aux demandes du marché du travail, mais les chiffres du chômage sont à relativiser dans la mesure où les plus diplômés ont plus souvent les moyens financiers de rester au chômage en attendant une opportunité d’emploi qu’ils jugent appropriée. C’est ce que l’on désigne par le terme de « chômage bourgeois », un phénomène commun à toute la région (BAD/OCDE, 2012).
Les formations techniques ne protègent pas contre le chômage. Les filières techniques ont pour objectif affiché d’assurer une meilleure adéquation entre l’offre de formation et les demandes du marché du travail. Cependant, ceci ne semble pas être le cas en Côte d’Ivoire. Selon le graphique 5.13, à années d’études égales, les formations techniques présentent des taux de chômage plus élevés. Ainsi, le taux de chômage est cinq points plus élevé pour les détenteurs d’un bac technique (25 %) que pour les détenteurs d’un bac général (19.8 %). La différence entre les deux filières est encore plus grande à bac+2/3 : le taux de chômage après une licence est de 21.3 % alors qu’il est de 35.7 % après un brevet de technicien supérieur (BTS). Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que les filières techniques ne représentent qu’une petite minorité de l’ensemble des formations (MENET, 2014). Les filières techniques ne semblent donc pas remplir leur rôle dans le marché des compétences.
Le contenu des formations techniques doit être repensé afin que celles-ci s’adaptent davantage aux besoins des employeurs. La mise en place de partenariats entre les institutions de l’ETFP et le secteur privé constitue une piste intéressante pour rapprocher les étudiants de l’emploi à travers la définition des contenus, l’offre de stage ou encore l’information sur les opportunités d’emploi et les compétences nécessaires pour y accéder.
Les migrants constituent un réservoir de compétences à mobiliser davantage
Le capital humain de la diaspora ivoirienne représente un levier pour l’émergence. La population ivoirienne vivant dans les pays de l’OCDE représentait près de 10 % des plus de 15 ans en 2005 (OCDE, 2012a). Environ 30 % d’entre eux possèdent un niveau d’éducation élevé, dont la Côte d’Ivoire pourrait bénéficier en favorisant leur retour. Avec un taux d’emploi de 61 % en moyenne et de 80 % pour les diplômés du supérieur, les Ivoiriens résidents dans les pays de l’OCDE ont pu acquérir des compétences particulièrement valorisables sur le marché du travail. La distribution de l’emploi selon les professions révèle la diversité des compétences dont dispose la diaspora (graphique 5.15). Environ un tiers de la diaspora exerce des professions qualifiées dans les pays de l’OCDE. Cette population peut être incitée à rentrer en Côte d’Ivoire par le biais de politiques ciblées telles que le programme Maison diaspora du Togo mis en œuvre en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et la Banque africaine de développement (BAD) pour recruter les individus les plus qualifiés de la diaspora. Par ailleurs, un tiers de la diaspora ivoirienne dispose de compétences techniques développées dans des pays d’accueil aux standards élevés. Mobiliser ces compétences pour répondre au besoin à court terme de main-d’œuvre technique qualifiée peut s’avérer intéressant pour la Côte d’Ivoire.

Source : OCDE (2012b).
Un programme visant à favoriser le retour de la diaspora doit faciliter la mobilité des individus, garantir des conditions de travail satisfaisantes et associer cette population à la conception et la gestion du dispositif. La plupart de la diaspora prête à s’engager en Côte d’Ivoire ne cherche pas à rentrer de manière définitive. À ce titre, faciliter les déplacements avec le pays d’origine peut favoriser leur participation. De plus, assurer des conditions de travail satisfaisantes constitue un élément clef de l’engagement ou du retour de la diaspora. Les incitations ne doivent pas se limiter à des aspects financiers mais tenir compte également de la qualité et de l’accessibilité des services de santé, de la scolarité des enfants, ou encore de la sécurité dont cette population bénéficie souvent dans son pays d’origine. Enfin, associer directement la diaspora à la conception et à la gestion du dispositif peut s’avérer plus efficace.
L’expérience des émigrés de retour en Côte d’Ivoire est positive. Les migrants de retour en Côte d’Ivoire perçoivent des revenus allant jusqu’à quatre fois les revenus des non-migrants (DIAL, 2006). Par ailleurs, le taux de participation dans le marché du travail est également plus important pour les migrants de retour au pays que pour les non-migrants. Si l’on compare à d’autres villes africaines, l’expérience à l’étranger semble être particulièrement valorisée en Côte d’Ivoire, l’écart des salaires entre les non-migrants et les migrants de retour des pays de l’OCDE est en effet plus important à Abidjan que dans des villes comme Bamako, Dakar ou Lomé (DIAL, 2006).
L’utilisation efficace des compétences doit s’appuyer sur une meilleure adéquation de l’offre de compétences aux besoins actuels et futurs du marché du travail
Pour tendre vers l’émergence, la Côte d’Ivoire doit non seulement s’assurer que les individus mettent leurs compétences à disposition du marché du travail, mais également que celles-ci soient utilisées de manière efficace. À ce titre, le système éducatif doit adapter au mieux son offre de formation à la demande de compétences du marché du travail. L’offre de formation doit davantage refléter la structure de l’économie ivoirienne, en grande majorité informelle. Par ailleurs, la segmentation et les imperfections du marché du travail font obstacle à la qualité de l’appariement entre les compétences des individus et leurs emplois. Certains individus utilisent leurs compétences dans des emplois où elles sont peu valorisées. Accroître l’offre de formation en emploi peut répondre en partie au problème d’appariement.
Le système éducatif ivoirien doit participer à la mise en œuvre des conditions propices à la diversification et à la transformation de l’économie ivoirienne. Si l’adéquation entre offre et demande de compétences doit être améliorée en Côte d’Ivoire, l’objectif n’est pas de fournir une main-d’œuvre peu qualifiée pour des activités à faible valeur ajoutée. Le système de compétences dans son ensemble doit s’assurer que les individus disposent des qualifications nécessaires pour saisir les opportunités qui s’offrent à eux. Dans cette perspective, le système éducatif doit anticiper les besoins de compétences à venir et s’assurer qu’il forme la main-d’œuvre à destination des secteurs à fort potentiel identifiés par la stratégie de développement (notamment le secteur agricole, les transports et la construction). Le rôle des compétences entrepreneuriales est également primordial pour stimuler la demande de main-d’œuvre qualifiée et devra faire l’objet d’une attention particulière.
L’offre de formation doit mieux refléter la structure de l’économie ivoirienne
Le travail en tant qu’indépendant dans le secteur informel concerne la majorité de la population ivoirienne et n’épargne pas les diplômés du secondaire et du supérieur. Le secteur informel représente 90 % des emplois en Côte d’Ivoire et la part de l’emploi vulnérable y est particulièrement élevée (70 %) en comparaison avec l’échantillon représentatif de pays émergents (MEMEASFP, 2013). Par ailleurs, 43.5 % des emplois sont regroupés dans le secteur agricole, de loin le plus pourvoyeur d’emplois, suivi du secteur des services, avec 26 % des emplois, du commerce (18 %) et de l’industrie (13 %). Si l’emploi indépendant est bien plus représenté parmi la population la moins qualifiée, en particulier dans le secteur agricole, l’emploi indépendant non-agricole concerne plus d’un tiers des diplômés du secondaire et environ un quart des diplômés du supérieur (graphique 5.16).

Source : MEMPD/MEMEASFP (2014).
Pourtant, la structure de l’offre de formation révèle que le système éducatif est essentiellement tourné vers l’emploi salarié. Le système éducatif ne tient pas compte de la prévalence de l’emploi indépendant en Côte d’Ivoire. La grande majorité des sortants du système éducatif aux niveaux primaire et secondaire ont suivi un cursus qui n’inclut aucune formation spécifique pour préparer au statut d’indépendant. Les travailleurs indépendants ne sont pas nécessairement des entrepreneurs, ils font néanmoins face à des besoins de compétences particuliers en comparaison avec les salariés. Quelle que soit la filière, le système éducatif devrait dès lors s’assurer que les élèves du primaire et du secondaire possèdent les compétences de base en matière de gestion, d’organisation du travail ou d’éducation financière. Dans l’enseignement supérieur, la prédominance des formations littéraires, de sciences sociales et de gestion semble mimer la répartition des emplois salariés et ignorer le fait qu’un quart des diplômés devront mener une activité indépendante dans le secteur non-agricole.
La structure des rendements de l’éducation révèle une valorisation asymétrique des compétences sur le marché du travail ivoirien. Le revenu moyen par niveau d’éducation constitue un indicateur indirect de la valorisation des compétences sur le marché du travail. En Côte d’Ivoire, les salaires augmentent de manière importante et croissante en fonction du niveau d’étude. Ainsi, un salarié ayant achevé le primaire obtient des revenus 39 % supérieurs à une personne sans instruction, le gain atteint 57 % pour un diplômé du secondaire par rapport au primaire et 145 % pour un diplômé du supérieur par rapport au secondaire (graphique 5.17). En revanche, ce n’est pas le cas pour les travailleurs indépendants dont les revenus sont relativement stables qu’ils soient sans instruction ou diplômés du primaire, puis doublent pour les diplômés du secondaire et du supérieur. Cette différence d’évolution traduit bien le décalage entre la structure de l’offre de compétences tournée vers l’emploi salarié (et vers le supérieur) et les besoins sur le marché du travail.

Source : MEMPD/MEMEASFP (2014).
Une autre conséquence d’un système tourné vers l’emploi salarié réside dans la prépondérance des formations à destination des secteurs des services et du commerce. Bien que certaines compétences soient transférables entre secteurs, cette orientation se fait aux dépens des formations à destination de l’agriculture et de l’industrie, qui représentent près d’un quart de l’emploi indépendant (contre seulement 13 % de l’emploi salarié) et qui sont dominées par la fabrication et l’agro-alimentaire (MENET, 2014).
La formation agricole reste très en deçà des besoins malgré le développement récent de programmes de formation. Bien que les activités agricoles soient prépondérantes dans l’économie ivoirienne, la formation en agriculture (au sens large) est réduite à une portion congrue. Elle était quasi-inexistante au sein de l’enseignement technique et la formation professionnelle avant 2012, avec seulement 35 élèves ayant bénéficié d’une formation tournée vers l’agriculture (MEMEASFP/DEPS, 2013).
Toutefois, l’offre de formation professionnelle tournée vers l’agriculture s’est beaucoup développée en 2013, à travers différents programmes à destination des jeunes. Le Projet emploi jeune et développement des compétences (PEJEDEC) a ainsi mis en formation professionnelle 160 pépiniéristes, 497 greffeurs et 186 saigneurs ; la plateforme de services a contribué à l’insertion de jeunes vers des activités génératrices de revenus ; et l’Agence nationale de la formation professionnelle (Agefop) a formé des jeunes handicapés (MEMEASFP/DEPS, 2013). Par ailleurs, la stratégie de développement de la riziculture et le projet d’appui au développement de l’élevage en Côte d’Ivoire (Padeci) devraient s’accompagner d’un nombre conséquent de formations. Afin de compléter les efforts de développement des formations à destination du secteur agricole, le gouvernement peut également favoriser l’attractivité du secteur en facilitant la modernisation des activités, et attirer ainsi davantage de travailleurs qualifiés.
Ces efforts vont grandement contribuer à améliorer l’adéquation entre les formations et les besoins sur le marché du travail, et doivent être développés. Les effectifs qui bénéficient de ces formations sont peu nombreux par rapport aux cohortes de jeunes qui quittent le système éducatif sans formation spécialisée. L’offre de formation professionnelle en agriculture gagnerait donc à être pérennisée et développée au sein du système éducatif pour toucher un plus grand nombre de personnes. Dans le cadre de la réforme de l’ETFP, une étude de faisabilité est en cours quant à la création de dix centres de formation professionnelle dans des métiers de l’agriculture (production végétale et animale, machinisme, commercialisation). La mise en œuvre de ce projet permettrait de combler une partie des besoins.
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire doit faire le lien entre l’innovation et la recherche en agriculture, et les pratiques locales des agriculteurs. Paradoxalement, les effectifs de l’enseignement supérieur formés à des métiers en rapport avec l’agriculture sont relativement nombreux. En 2013, les universités publiques et privés comptaient 85 étudiants en agronomie ; 119 en économie et gestion agropastorale ; environ 1 000 en agriculture tropicale et production animale ou végétale ; et 1 000 autres en agroforesterie. Afin de favoriser l’émergence d’un secteur agricole plus productif, il est essentiel d’établir un lien entre la recherche et les pratiques des agriculteurs au niveau local. L’implication du secteur privé peut favoriser la participation d’étudiants qui seraient attirés par le secteur public (voir ci-dessous). La station rurale expérimentale de Zambakro-Yamoussoukro, pilotée par Nestlé, constitue un exemple intéressant dans la mesure où elle allie recherche, innovation et formation aux coopératives. L’usine école du Cajou de Yamoussoukro, qui vise à développer et vulgariser les technologies locales de transformation de l’anacarde, et à former les agriculteurs, en est un autre (voir chapitre 2).
Les formations techniques et professionnelles se sont développées, mais leur couverture reste insuffisante. Les effectifs de l’ETFP ont triplé entre 1992 et 2011, date à laquelle ils ont atteint près de 60 000 étudiants, répartis à parts égales entre l’enseignement technique (53 % des effectifs) et la formation professionnelle, ainsi qu’en termes de genre, les filles représentant la moitié des effectifs. Pourtant, la Côte d’Ivoire doit s’attacher à développer la formation technique et professionnelle, qui reste négligeable en comparaison avec l’échantillon de pays émergents sélectionnés. La part de l’ETFP dans l’enseignement secondaire atteint seulement 2.4 % en Côte d’Ivoire, contre 4.2 % en Éthiopie, 6.1 % au Maroc et plus de 15 % en Thaïlande ou en Indonésie (graphique 5.18). L’ETFP doit se développer de manière à constituer une opportunité pour les 400 000 jeunes qui sortent tous les ans du dispositif éducatif général sans perspectives d’avenir (AFD, 2013).

Note : Les données pour la Côte d’Ivoire, le Ghana, l’Afrique du Sud et la Colombie datent de 2013. Les données pour l’Éthiopie, le Maroc, la Malaisie, la Corée, la Thaïlande et l’Indonésie datent de 2012. Les données pour le Togo datent de 2011.
Source : Banque mondiale (2012), http://donnees.banquemondiale.org/indicateur.
La structure de l’offre d’enseignement technique et professionnel ne correspond pas aux bénéficiaires potentiels au sein du système éducatif. En Côte d’Ivoire, l’enseignement technique et professionnel s’adresse en priorité aux élèves ayant achevé le 1er cycle du secondaire, alors que 40 % seulement d’une classe d’âge atteint ce niveau. En effet, les effectifs de l’ETFP qui suivent un cursus de type baccalauréat, brevet de technicien ou brevet d’étude professionnel, accessibles après la 3e, représentent respectivement 53 %, 23 % et 5 % des effectifs (graphique 5.19). En comparaison, le CAP n’attire que 11 % des effectifs alors qu’il est accessible à partir de la 5e et pratiquement aucun élève (1 %) ne cherche à obtenir un certificat de qualification professionnelle alors même que 60 % des élèves atteignent le CM2 et qu’un cinquième des abandons au secondaire sont dus à la volonté d’apprendre un métier. Une montée en puissance (et en gamme) de l’offre de formation professionnelle au niveau du 1er cycle du primaire constitue une opportunité intéressante à la fois pour retenir les enfants dans le système éducatif et pour initier des gains de productivité dans les activités dans le bas de l’échelle de valeur.

Notes : Les formations qualifiantes attestent l’acquisition d’une compétence professionnelle (indépendamment du niveau d’étude). Le certificat de qualification professionnelle (CQP), le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et le brevet d’études professionnelles (BEP) s’obtiennent respectivement après le primaire, la 5e et la 3e. Le brevet professionnel (BP) peut s’obtenir en 3 ans après un CAP ou un BEP à condition d’avoir 22 ans au moins et une expérience professionnelle. Le brevet de technicien (BT), se prépare à partir de la 3e, le baccalauréat technique ou professionnel (BAC) et le brevet de technicien supérieur (BTS) s’obtiennent après le baccalauréat.
Source : MEMEASFP (2013).
Même au sein de l’ETFP la distribution des élèves dans les différentes filières est très inégale. Alors que l’enseignement technique et professionnel a pour vocation de rapprocher les étudiants du marché du travail, l’offre de formation semble décorrélée des opportunités d’emploi. L’immense majorité des effectifs de l’enseignement technique se tourne vers des formations d’économie, de secrétariat et de comptabilité (graphique 5.20, panel A), tandis que les formations industrielles sont quasi-inexistantes. Elles sont plus présentes au sein de la formation professionnelle mais restent minoritaires par rapport aux formations tertiaires (graphique 5.20, panel B). Le déséquilibre entre filières se double d’un déséquilibre de niveau. Les formations destinées au tertiaire correspondent généralement à un niveau de qualification élevé par rapport aux formations industrielles. La Côte d’Ivoire devrait donc également développer des formations industrielles de haut niveau. Cela pourrait par ailleurs revaloriser la filière.

Source : MEMEASFP (2013).
Le secteur privé pourrait être associé plus largement au développement de la formation professionnelle afin de répondre au défi actuel de l’adéquation entre l’offre et la demande de compétences. En Côte d’Ivoire, plus d’un quart des entreprises formelles déclarent que le manque de qualification de la main-d’œuvre constitue un obstacle majeur à leur activité (graphique 5.21). La part des employés ayant bénéficié d’une formation atteint seulement 43 %, ce qui est inférieur à la moyenne pour l’Afrique subsaharienne (46 %) Le manque de qualification de la main-d’œuvre est particulièrement concentré dans le secteur de la fabrication, où 38 % des entreprises déclarent qu’il constitue un obstacle (contre 23 % des entreprises des services). Cela reflète en partie la structure de l’offre de formation en Côte d’Ivoire, massivement orientée vers les services et très peu vers l’industrie. Les entreprises pourraient participer davantage à l’offre de formation : seules 19 % d’entre elles déclarent offrir une formation, contre 30 % en Afrique subsaharienne et 35 % pour l’ensemble du monde. Le graphique 5.21 révèle également que les petites entreprises sont moins disposées, ou moins à même, d’offrir des formations à leurs employés.

Note : ASS correspond à l’Afrique subsaharienne.
Source : Banque mondiale (2014).
Les contraintes qui touchent les petites entreprises formelles s’imposent probablement d’autant plus fortement aux micro-entreprises du secteur informel, largement majoritaires en Côte d’Ivoire. Parmi ces contraintes, on peut noter les coûts directs et d’opportunités, le manque de capacité des entreprises à déterminer les besoins de formation et à mobiliser les ressources humaines et organisationnelles nécessaires pour former les employés, auxquelles s’ajoute le risque de voir les entreprises concurrentes bénéficier des investissements de formation réalisées au sein de l’entreprise (OCDE, 2013). Afin de favoriser le développement de l’offre de formation au sein des entreprises, le gouvernement doit avant tout identifier les contraintes majeures auxquelles elles font face, puis informer les entreprises sur les contenus des formations, en assurant les entreprises qui proposent des formations contre le risque de perdre un apprenti, ou en favorisant la création de groupements d’entreprises pour faire face aux coûts induits.
La segmentation et le manque de fluidité du marché du travail nuisent à l’utilisation optimale des compétences
Les attentes des individus ne correspondent pas à la réalité d’un marché du travail segmenté. Des divisions claires marquent le marché du travail ivoirien. Le secteur informel domine l’économie et s’oppose au secteur formel restreint que cherchent à rejoindre la plupart des diplômés. Au sein du secteur informel, les jeunes cherchent à éviter les activités agricoles et migrent vers le commerce et les services. Au sein du secteur formel, l’emploi public constitue pour beaucoup un aboutissement et une sécurité par rapport au secteur privé formel. Ainsi, 49 % des chômeurs aspirent à un emploi salarié et 89 % veulent un emploi permanent en 2012 (MEMEASFP, 2013). Ces proportions augmentent pour les anciens actifs occupés dans les zones urbaines, mais surtout avec le niveau d’éducation. À Abidjan, 61.5 % des chômeurs souhaitent trouver un emploi dans une institution formelle, alors qu’en milieu rural 64 % préfèrent être à leur compte (MEMEASFP, 2014). La quasi-totalité des chômeurs diplômés du supérieur souhaitent un emploi salarié, contre un quart des chômeurs sans instruction. On note également que 4.3 % des chômeurs aspirent à un emploi agricole, contre 18 % dans le public et 25 % dans le privé formel, loin des réalités du marché du travail.
Alors que 90 % de la main-d’œuvre ivoirienne est employée dans le secteur informel (MEMEASFP, 2013), les formations adaptées à ce secteur sont quasi-inexistantes en Côte d’Ivoire. Aussi est-il important de développer des politiques pour satisfaire les demandes du secteur informel, tout en garantissant une formation de qualité.
Le secteur informel contribue à former une part importante de la main-d’œuvre ivoirienne par le biais de l’apprentissage. Plutôt que de se substituer aux pratiques existantes, le gouvernement pourrait tirer profit du savoir-faire du secteur informel en encadrant et favorisant le développement de formations de qualité dans ce secteur. L’implication du gouvernement est particulièrement souhaitable dans deux domaines : l’accès à l’information et l’accès aux sources de financement.
Le manque d’information sur la qualité des formations touche les personnes à la recherche d’une formation ainsi que les employeurs à la recherche d’un travailleur. Afin de réduire l’asymétrie d’information, l’État peut mettre en place un système de certification pour les entreprises accueillant des apprentis, permettant aux futurs apprentis et employeurs d’estimer avec plus de précision le type et le niveau de compétence développés au sein de chaque formation.
Cette option a été choisie avec succès par le Bénin, qui a instauré un certificat de qualification professionnelle (CQP), qui atteste de la réussite d’une qualification professionnelle dispensée par un système d’apprentissage traditionnel réformé ; et le certificat de qualification au métier, qui certifie l’acquisition des compétences acquises tout au long de l’apprentissage informel (OCDE, 2012a). Le gouvernement contribue ainsi non seulement à réduire les asymétries d’information dans le marché du travail, mais aussi à contrôler la qualité des formations.
Une autre manière d’affecter le choix de formation des individus est de les informer sur les revenus qu’ils peuvent attendre à la suite d’une formation. Une étude menée au Kenya montre en effet que cette information affecte les choix de formation (Hicks et al., 2011).
Du fait des coûts élevés des formations techniques et professionnelles, réduire les contraintes financières constitue un autre domaine dans lequel le gouvernement ivoirien pourrait agir afin d’encourager la demande de formation professionnelle dans le secteur informel. Des programmes de transferts en espèce ou de coupons pourraient être une solution. Au Kenya, par exemple, 75 % des étudiants ayant reçu un financement se sont inscrits dans une formation tandis que seulement 5 % des jeunes n’ayant pas reçu de coupons se sont inscrits (Hick et al., 2011). Une étude menée en Colombie (Attanasio et al., 2009) montré aussi comment, en réduisant les coûts indirects des ménages (coûts de transports, alimentation, garde des enfants), les taux d’inscriptions à ce type de formations pouvaient augmenter de manière significative, en particulier pour les femmes.
En conséquence, les compétences ne sont pas utilisées de manière optimale. Dès lors qu’une part non négligeable des individus guide en priorité ses décisions de formation et de recherche d’emploi par la volonté d’échapper à un secteur ou de rejoindre le secteur formel public, cela crée des déséquilibres entre l’offre et la demande de formation et aboutit à une utilisation sous optimale des compétences. Par ailleurs, la prédominance du secteur informel tire les rémunérations vers le bas, bien en deçà du revenu minimum acceptable pour les chômeurs qui atteint 108 000 FCFA en moyenne, soit l’équivalent du salaire moyen dans le secteur formel. Les revenus moyens dans le secteur informel sont deux fois moins élevés.
L’écart de rémunération en faveur du secteur public n’incite pas les diplômés à se tourner vers le secteur privé. Dans un grand nombre de secteurs d’activité, le niveau de rémunération dans le secteur public est supérieur ou comparable à celui qui prévaut dans le secteur privé formel (graphique 5.22). L’écart entre le niveau de rémunération dans les secteurs public et privé fait partie des éléments qui affectent les choix d’orientation de la main-d’œuvre qualifiée. Plus le niveau d’instruction est élevé, plus les chômeurs désirent travailler dans le public. En effet, 52.9 % des chômeurs de niveau supérieur recherchent un emploi dans le public alors que cette part n’est que de 6.1 % pour les sans instruction (MEMEASFP, 2014). Cette observation est la même pour les travailleurs du secteur privé diplômés du supérieur, dont 39.3 % déclarent vouloir migrer vers le secteur public, contre 17 % pour les autres. Il en résulte une sorte d’éviction du travail qualifié sur le marché de l’emploi, qui contribue à expliquer les difficultés de recrutement des entreprises privées.

Source : MEMEASFP (2013).
Réduire les frictions sur le marché du travail ivoirien peut améliorer l’appariement des travailleurs et des emplois. Les relations personnelles constituent le moyen le plus utilisé par les chômeurs pour rechercher un emploi, et ce, quels que soient le genre, le milieu de résidence, l’âge et le niveau d’instruction (MEMEASFP, 2014). Environ huit chômeurs sur dix utilisent ce canal pour obtenir un emploi. La proportion des chômeurs qui fréquentent les agences d’intermédiation est assez faible : 4.8 % ont recours à l’Agepe, et 7.3 % aux agences privées de placement (graphique 5.23). Le recours au réseau pour trouver des emplois n’est pas toujours très efficace, en particulier pour les plus démunis. Cela contribue par ailleurs à une certaine inertie sociale et ralentit la diversification de l’économie. Développer le rôle de l’Agepe, en liant l’inscription aux institutions éducatives du supérieur à l’inscription aux fichiers de l’Agepe par exemple, peut à terme fluidifier le marché du travail salarié.

Note : L’agence d’études et de promotion de l’emploi (Agepe) joue le rôle d’agence pour l’emploi.
Source : MEMPD/MEMEASFP (2014).
Le système de formation ivoirien peut participer à l’émergence en développant l’offre de compétences pour les secteurs clefs et en favorisant l’entrepreneuriat
La Côte d’Ivoire doit s’assurer que les secteurs clefs pour l’émergence disposent d’une main-d’œuvre suffisante et qualifiée. Le système de compétences ivoirien doit accompagner les efforts de financement et d’infrastructure en s’assurant que la demande de main-d’œuvre qualifiée soit satisfaite dans les secteurs clefs pour l’émergence, mais également en favorisant l’acquisition de compétences entrepreneuriales nécessaires pour développer de nouvelles activités et saisir les opportunités dans l’avenir. La stratégie de développement des compétences doit s’orienter en premier lieu vers les secteurs à fort potentiel de croissance identifiés dans la stratégie de développement. Ainsi, la Côte d’Ivoire doit avant tout développer des formations à destination de l’agriculture, de l’agro-industrie, de la construction, des transports et des travaux à haute intensité de main-d’œuvre. Le rôle primordial joué par le financement de l’économie implique que le secteur bénéficie également des compétences adaptées, d’autant que ce secteur se heurte à des difficultés de recrutement (encadré 5.2).
Le monde de la banque et de la finance se heurte parfois à des difficultés de recrutement. La filière attire peu d’étudiants, et la main-d’œuvre formée est insuffisante. Par ailleurs, la crise a affaibli les compétences de toute une frange de jeunes actifs, pénalisant ainsi la qualité de la main-d’œuvre. Quelques grandes écoles et universités privées offrent déjà des formations dans le secteur bancaire, mais leurs effectifs restent réduits. Ils pourraient être développés : les débouchés pour ces étudiants semblent en effet relativement bien assurés, et cela contribue directement au bon développement du secteur. La maîtrise de l’anglais devra être au centre du développement de ces filières, comme au sein de la filière Banque et Finance de l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny, soutenue par de grandes banques, et dont les deux langues de formation seront bientôt l’anglais et le français. Les banques auront également un rôle direct à jouer en participant plus activement à la formation de leurs jeunes cadres (facilitation de l’obtention de stage pour les étudiants de la branche, développement des périodes d’apprentissage, etc.). Enfin, tabler sur le vivier de cadres formés de la diaspora ivoirienne peut constituer une solution. En effet, de nombreux Ivoiriens formés en Côte d’Ivoire occupent des postes à haute responsabilité au sein de multinationales en Afrique subsaharienne. Les faire revenir permettra de bénéficier d’une main-d’œuvre très qualifiée et bien intégrée dans le monde des affaires et de la finance.
Sources : Entretiens avec des experts ; DPE (2014).
La réforme de l’enseignement professionnel a permis de rénover l’offre de formation en adoptant une approche par branche à destination des secteurs porteurs. Ainsi, avec le soutien de l’Union européenne (UE), des centres de formation professionnelle ont été réhabilités et le Collège d’enseignement technique de Bouaké a doublé sa capacité. De plus, dans le cadre des contrats de désendettement et de développement, l’Agence française de développement (AFD) finance la construction de deux lycées professionnels qui formeront près de 5 000 stagiaires dans les domaines de l’agro-alimentaire, de la maintenance industrielle et du BTP (MEMPD/MEMEASFP, 2014).
Une implication continue du secteur privé est importante pour définir les besoins en compétences aujourd’hui, mais aussi pour faire évoluer les cursus avec l’économie. L’expertise du secteur privé quant aux compétences nécessaires pour exercer certains métiers doit être exploitée au mieux par la Côte d’Ivoire. Le gouvernement a associé le secteur privé à la réforme de l’ETFP avec pour objectif de décrire l’ensemble des métiers correspondants aux différents secteurs, puis d’élaborer un référentiel métier/compétences (MEMPD/MEMEASFP, 2014). Dans un contexte de transformations structurelles rapides, ce partenariat avec le secteur privé doit rester actif afin de garantir une réactivité du système éducatif aux nouveaux besoins de l’économie. À terme, la Côte d’Ivoire devrait s’orienter vers la mise en place d’un système de veille stratégique sur les compétences en s’appuyant sur l’expérience du secteur privé (y compris informel), des institutions d’enseignement sur l’ensemble du territoire, et sur les collectivités locales afin d’alimenter une vision stratégique des besoins en compétences des régions.
Les compétences entrepreneuriales peuvent jouer un rôle clef dans l’émergence en tant que moteur de la création d’entreprises et d’emplois. Le manque de financement et d’infrastructures constituent les obstacles majeurs à la création d’entreprise. Toutefois, l’acquisition de compétences entrepreneuriales s’avère nécessaire, non seulement pour surmonter les obstacles à la création d’entreprise, mais également pour développer une activité pérenne.
Malgré les difficultés rencontrées par les Ivoiriens pour démarrer une affaire, peu d’entre eux ont bénéficié d’une formation entrepreneuriale. En comparaison avec les pays de l’échantillon représentatif, les Ivoiriens font face à d’importantes difficultés pour commencer une entreprise : 71 % d’entre eux considèrent que cela pose des difficultés, contre 52 % au Ghana, ou 36 % en Thaïlande. Pourtant, peu de travailleurs ont accès à une formation entrepreneuriale en Côte d’Ivoire. Seulement 12.5 % des travailleurs déclarent avoir reçu une formation entrepreneuriale, contre 34 % au Ghana, 22 % en Thaïlande, 23 % en Éthiopie et 16 % en Indonésie (graphique 5.24).

Source : Gallup (2012), http://www.gallup.com.
La Côte d’Ivoire doit développer les programmes de formation entrepreneuriale, d’aide à la création d’entreprise et d’accès au financement. Dans le cadre du PEJEDEC, la Côte d’Ivoire s’appuie sur des cabinets de formation spécialisés pour aider les jeunes diplômés à installer leur entreprise. La palette d’aides proposées est large dans la mesure où elle inclut la constitution, le financement et la formalisation des projets, ainsi qu’un soutien pour les demandes de financement. Le programme a donné lieu à la création de 403 nouveaux emplois dans 55 entreprises toujours actives. Par ailleurs, le Fonds national de la jeunesse propose d’accompagner les jeunes entrepreneurs dans leur projet professionnel (conseil, formation, financement). Ce type de programme ne devrait toutefois pas rester cantonné aux jeunes diplômés désireux de créer une entreprise formelle. L’État pourrait financer en partie des formations pour les chefs d’entreprises du secteur informel, ou pour des indépendants dont les activités sont jugées porteuses avec un fort potentiel d’embauches.
Des programmes visant à améliorer les rendements des petits agriculteurs permettrait à ceux-ci de mieux intégrer le marché agricole et donc, potentiellement, de voir leur niveau de vie augmenter. Des programmes tels que les écoles pratiques d’agriculture (farmer field schools) ou les incubateurs d’entreprises reliant l’offre et la demande de produits agricoles, se sont révélés particulièrement efficaces dans ce domaine (Banque mondiale, 2014) et pourraient servir d’exemple à la Côte d’Ivoire.
Recommandations
Développer les capacités humaines futures en investissant aujourd’hui dans la qualité de l’éducation
Une part encore trop importante de la population sort du système éducatif sans avoir acquis les compétences de base, nécessaires pour s’insérer dans la vie sociale et économique. Trop peu d’individus achèvent le cycle primaire, et le préscolaire est très peu développé. Par ailleurs, l’accès au secondaire et à l’enseignement supérieur ne concerne qu’une minorité d’Ivoiriens, ce qui freine l’insertion sur le marché du travail.
Assurer que l’acquisition des compétences de base ne soit pas entravée par une mauvaise qualité de l’enseignement
Les conditions d’enseignement dégradées et le niveau de qualification des enseignants entravent l’acquisition des compétences de base, ce qui alimente un analphabétisme déjà très élevé. Pour garantir une offre d’éducation de qualité, il faut accélérer la formation et la mise à niveau d’un personnel enseignant qualifié, et assurer la qualité des équipements, notamment en milieu rural et dans l’enseignement technique.
Assurer que les compétences des étudiants répondent aux besoins du marché du travail
Les compétences à disposition du marché du travail ne sont pas utilisées de manière efficace. Le système éducatif ivoirien doit adapter son offre de formation à la demande de compétences du marché du travail pour mieux refléter la structure de l’économie ivoirienne. Il doit également anticiper les besoins de compétences à venir et s’assurer qu’il forme la main-d’œuvre à destination des secteurs à fort potentiel identifiés par la stratégie de développement. Ainsi, le secteur privé pourrait être associé plus largement au développement de la formation professionnelle afin de répondre au défi actuel de l’adéquation entre l’offre et la demande de compétences.
Encourager le retour et l’engagement de la diaspora ivoirienne
Le capital humain de la diaspora ivoirienne représente un levier pour l’émergence à mobiliser davantage. En effet, 30 % de la diaspora ivoirienne dans les pays de l’OCDE possède un niveau d’éducation élevé. Avec un fort taux d’emploi, la diaspora dispose de compétences valorisables sur le marché du travail national. Favoriser le retour de la diaspora et son engagement bénéficierait donc à la Côte d’Ivoire.
Références
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