Chapitre 1. Principaux constats

Ce chapitre présente une synthèse des principaux constats qui se dégagent de ce rapport. Il souligne que la décentralisation figure parmi les réformes les plus importantes des cinquante dernières années et qu’elle a de profondes répercussions, en raison de son caractère complexe et systémique. Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur la question de savoir si la décentralisation est, ou non, une bonne chose dans l’absolu, mais de prendre conscience que ses effets – en termes de démocratie, d’efficience, d’obligation de rendre compte, de développement régional et local – dépendent pour une large part de la manière dont elle est pensée et mise en œuvre. Ce rapport livre 10 principes directeurs pour une décentralisation efficace et propice au développement régional.

    

Parfois qualifiée de révolution « silencieuse » ou « discrète », la décentralisation fait partie des réformes les plus importantes de ces cinquante dernières années. Mise en œuvre à des degrés divers dans la majorité des pays en développement et développés, elle a de profondes répercussions en raison de son caractère complexe et systémique. Lorsqu’un processus de décentralisation est engagé, toutes les sphères de la société sont concernées, y compris la nature et la qualité de la gouvernance, la richesse nationale et la croissance économique, et, plus généralement, le bien-être des citoyens.

Ce rapport traite des tendances actuelles des politiques de décentralisation des pays de l’OCDE et au-delà, et de la marche à suivre pour réussir la décentralisation. Selon les auteurs, il ne s’agit pas de s’interroger sur la question de savoir si la décentralisation est, ou non, une bonne chose dans l’absolu, mais de prendre conscience que ses effets – en termes de démocratie, d’efficience, d’obligation de rendre compte, de développement régional et local – dépendent pour une large part de la manière dont elle est pensée et mise en œuvre. La décentralisation ne saurait être considérée comme une solution universelle à tous les types de problèmes qu’un pays peut rencontrer, ni comme une finalité en soi ; il s’agit plutôt d’un moyen d’atteindre certains objectifs. La recherche empirique et l’expérience d’un certain nombre de pays font apparaître que la décentralisation est susceptible de contribuer à l’efficacité du secteur public, au renforcement de la démocratie et à la stabilité politique. Mais dans certains cas la décentralisation s’est soldée par un échec, parce que les réformes ont été mal conçues ou mises en œuvre, ou que les multiples dimensions de cette notion ont été mal appréhendées.

Il est d’autant plus crucial de mettre les avantages de la décentralisation au service du développement régional qu’il existe actuellement une « géographie du mécontentement » et une fracture grandissante entre les territoires qui se sentent les laissés pour compte de la mondialisation et des évolutions technologiques, et ceux qui peuvent profiter des possibilités offertes par les mégatendances à l’œuvre (révolution de l’information, transformation numérique, mondialisation de l’activité économique et urbanisation). Les systèmes de décentralisation dysfonctionnels font notamment partie des facteurs à l’origine des crises que traversent les démocraties, d’où la nécessité de trouver des moyens de les rendre plus efficaces.

Ce rapport livre 10 principes directeurs pour une décentralisation efficace et propice au développement régional. Outre ces principes, il propose des outils pratiques à l’intention des décideurs, dont des ensembles de recommandations détaillées, des listes de contrôle, des indications sur les écueils à éviter et des exemples de bonnes pratiques, dans les pays à structure unitaire ou fédérale.

Qu’est-ce que la décentralisation ?

Bien que largement répandue et abondamment étudiée, la décentralisation est une notion qui se prête à des interprétations différentes et est appliquée à des degrés divers. Elle désigne le processus consistant pour l’État à transférer certaines de ses compétences et responsabilités à des autorités élues au niveau infranational (régions, communes, etc.) bénéficiant d’un certain degré d’autonomie. En ce sens, elle consiste à repenser les relations entre le pouvoir central et les collectivités territoriales dans la perspective de recentrer le rôle des administrations nationales/fédérales sur la coopération et la stratégie. Il s’agit d’une notion multidimensionnelle puisqu’elle recouvre trois dimensions distinctes mais indissociables : les dimensions politique, administrative et budgétaire.

Les formes et l’ampleur de la décentralisation varient considérablement d’un pays à l’autre. Selon les pays, il existe différents degrés de responsabilité, ascendante ou descendante, et de contrôle de la part de l’administration centrale.

Au niveau mondial, selon l’Observatoire mondial des finances locales de l’OCDE et du CGLU, les dépenses des collectivités territoriales représentent 9 % du PIB, 24 % de la dépense publique et 40 % de l’investissement public (OCDE-CGLU, 2016[1]).

Dans les pays de l’OCDE, les collectivités territoriales représentent une plus grande part des dépenses publiques, soit, en 2016, 16.2 % du PIB, 40.4 % de la dépense publique et 56.9 % de l’investissement public. L’éducation constitue le plus gros poste de dépenses (25 % des dépenses infranationales), devant la santé (18 %), les services généraux des administrations publiques, la protection sociale et les affaires économiques (les transports).

Au lieu d’une séparation claire et nette des responsabilités, on constate que la plupart des compétences sont partagées entre différents niveaux d’administration, fait qui se confirme depuis plusieurs décennies. La nécessité de partager les compétences peut s’expliquer par des raisons fonctionnelles – c’est souvent le cas entre échelon municipal et régional pour les questions liées aux transports et aux infrastructures, à l’environnement et à l’eau, à la culture et au tourisme, à la communication ou encore au développement économique. Les raisons peuvent aussi être financières, pour les services sociaux par exemple. Dans l’ensemble, la disparité dans la répartition des compétences est particulièrement forte au niveau régional, et moindre au niveau local.

Les systèmes de financement des collectivités territoriales sont très divers. Les pays peuvent être classés en quatre grandes familles en fonction de leurs caractéristiques en termes de niveau de dépenses infranationales et d’impôt – qui dépassent les distinctions fondées sur la structure institutionnelle (fédérale ou unitaire) du pays. En 2016, les impôts représentaient la principale source de revenus des collectivités territoriales dans les pays de l’OCDE en moyenne pondérée (45 %), devant les dotations et subventions de l’État (37 %). Cela étant, le niveau des recettes fiscales ne constitue pas nécessairement un indicateur de l’autonomie fiscale puisque certains impôts font l’objet d’un partage avec l’administration centrale. L’autonomie fiscale dépend de plusieurs facteurs, dont la capacité à fixer le taux et l’assiette des impôts. Il en va de même pour les compétences en matière de dépenses, dans la mesure où les dépenses concernent souvent des fonctions qui ont été déléguées aux collectivités territoriales, et sont très encadrées par les règlements et les règles de discipline budgétaire de l’administration centrale.

Mesurer le degré de décentralisation est une tâche complexe. Les indicateurs budgétaires sont utiles pour donner une vision macro-économique de la décentralisation mais sont incomplets (en ce sens qu’ils se concentrent uniquement sur les aspects budgétaires), et peuvent induire une interprétation erronée de la réalité qui conduirait à surestimer le pouvoir des collectivités territoriales en matière de dépenses et de fiscalité. Il convient donc d’y adjoindre des approches complémentaires et des indicateurs institutionnels qui permettront de mieux cerner la réalité des prérogatives des collectivités territoriales en matière budgétaire. Ainsi, les indicateurs de l’OCDE relatifs à la capacité budgétaire des administrations infranationales montrent que leurs prérogatives en matière de dépenses sont relativement restreintes dans un certain nombre de pays, et sont moindres dans le domaine de la santé que dans ceux du logement, des transports et de l’éducation.

Tendances actuelles de la décentralisation

Même s’il est difficile d’en mesurer l’ampleur, force est de constater que la décentralisation est une tendance de fond (à quelques exceptions près) comme s’accordent à le démontrer les indicateurs budgétaires et institutionnels.

La mise en œuvre des réformes de décentralisation répond à des motivations d’ordre politique, historique et économique, très différentes selon les pays. Plusieurs processus de décentralisation ont été engagés dans une volonté de renforcer le contrôle démocratique, mais aussi l’efficience de la prestation de services publics, et l’obligation de rendre compte des politiques de développement régional et local. Les mégatendances à l’œuvre contribuent également à accroître le rôle des collectivités territoriales.

Les modes de décentralisation varient considérablement d’un pays à l’autre, certains pays choisissant une transformation radicale du jour au lendemain, d’autre une approche graduelle, d’autres encore procédant par vagues de réformes. Tout processus de décentralisation relève in fine d’un choix politique et, à ce titre, devrait être conçu et conduit dans le cadre d’une stratégie plus large de développement territorial et de réformes de la gouvernance publique. La décentralisation doit par ailleurs être envisagée de manière plus globale, en prenant en compte les interactions avec les entités publiques et les parties prenantes privées, notamment les citoyens, les entreprises et les organisations non gouvernementales. Les réformes de décentralisation s’accompagnent souvent d’autres types de réformes de la gouvernance multiniveaux, notamment des réformes territoriales et de gestion publique. En tout état de cause, les systèmes de décentralisation ont besoin d’être examinés et ajustés régulièrement.

Plusieurs tendances complémentaires en matière de décentralisation se dégagent :

  • (i) Hausse des dépenses et des recettes au niveau infranational : dans la majorité des pays de l’OCDE, les processus de décentralisation ont entraîné une augmentation des dépenses des collectivités territoriales, tant en proportion du PIB que des dépenses publiques totales, au cours des décennies écoulées. Du côté des recettes, les recettes fiscales ont légèrement augmenté, tant en proportion du PIB que des recettes fiscales totales. Les dépenses et les recettes des collectivités territoriales ont augmenté – et, dans certains pays, cette hausse a été amplifiée par la crise financière mondiale. Même si les prérogatives des collectivités territoriales en matière de dépenses sont plus limitées dans la réalité que ne le laissent penser les indicateurs financiers, des indicateurs plus complets, comme l’indice de compétence régionale (ICR) et l’indice de compétence locale (ICL) montrent tout de même un renforcement des compétences des régions et des municipalités durant les dernières décennies.

  • (ii) Montée en puissance de la gouvernance infranationale par la coopération intermunicipale, la gouvernance métropolitaine et le renforcement des régions (régionalisation) :

    • Pour lutter contre le morcellement du territoire, les autorités ont adopté des politiques encourageant ou imposant les regroupements de communes. Elles ont également pris des mesures en faveur de la coopération intermunicipale afin de générer des économies d’échelle, des gains d’efficience et des économies. La coopération intermunicipale est aujourd’hui assez répandue dans les pays de l’OCDE et concerne tant les communes rurales que les métropoles.

    • Le nombre d’autorités de gouvernance métropolitaine, tout type confondu, a augmenté, notamment à partir des années 1990. Actuellement, les deux tiers environ des zones métropolitaines de l’OCDE disposent d’une structure de gouvernance à l’échelle de la métropole.

    • Rôle croissant des régions : sur les 81 pays couverts par l’indice de compétence régionale, 52 ont vu un net élargissement des compétences dévolues aux régions et neuf seulement font état d’un net recul. L’objectif principal est de générer des économies d’échelle dans la prestation de service publics, par exemple dans les secteurs de la santé et des transports publics. Il s’agit également de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies de développement régional intégrées prenant en compte les articulations entre zones urbaines et zones rurales. Le processus de régionalisation à l’œuvre rend indispensables la coordination entre échelons administratifs et la clarification des responsabilités incombant à chacun d’eux afin d’éviter les chevauchements.

  • (iii) La décentralisation asymétrique s’est accrue ; elle repose sur le fait que des administrations d’un même échelon infranational possèdent des compétences politiques, administratives ou budgétaires différentes. Entre les années 1950 et 1970 les dispositifs asymétriques concernaient principalement l’échelon régional ; ils semblent désormais s’appliquer aux grandes zones urbaines. Si ce système paraît plus « naturel » dans les fédérations, il est de plus en plus courant dans les États unitaires et répond à de nouvelles motivations. On constate donc une plus grande convergence entre les pays unitaires et les pays fédéraux en ce qui concerne le recours à une gouvernance différenciée au niveau infranational. En outre, l’expérience montre qu’une fois adoptée, ces dispositifs sont maintenus sur le long-terme.

Parallèlement à ces tendances qui touchent les collectivités territoriales, on observe que le rôle des administrations centrales a évolué. La décentralisation implique un rôle renouvelé pour l’administration centrale. Plus stratégique, ce rôle est centré sur l’instauration de conditions propices à la coordination et à l’alignement des objectifs de l’action publique, le suivi des résultats des régions et des villes, et la réalisation d’un développement équilibré en tous points du territoire national au moyen de politiques actives de développement régional. Dans un contexte où la plupart des responsabilités sont partagées, les politiques de décentralisation supposent de gérer la dépendance mutuelle pour atteindre des objectifs communs. Les réformes de décentralisation consistent pour l’État à passer du rôle de prestataire direct de service public à un rôle consistant à donner les moyens, conseiller et aider, veiller à la cohérence et faciliter la tâche des administrations infranationales. Une telle réorientation suppose de doter l’administration centrale de nouvelles capacités permettant d’assumer ces nouvelles fonctions qui couvrent un large éventail de secteurs.

Les répercussions de la décentralisation sur l’administration centrale sont souvent sous-estimées. Ne pas prendre toute la mesure de cet aspect peut ralentir ou infléchir le processus de réforme et être préjudiciable à son bon déroulement.

Tirer le meilleur parti des avantages de la décentralisation

La conception et la mise en œuvre de la décentralisation peuvent avoir une incidence majeure sur les effets obtenus. Les avantages obtenus sont fonction du système dans son ensemble : adéquation des capacités des collectivités locales, transparence du processus décisionnel public local, et pertinence des conditions-cadres.

Les effets positifs ou négatifs de la décentralisation peuvent être directs ou indirects. Les effets directs, découlant d’une répartition plus efficiente des ressources, englobent l’amélioration des niveaux de service, de la qualité et de l’efficience des services publics. Les effets indirects de la décentralisation, comme une accélération de la croissance économique ou une plus grande stabilité de la société, découlent des retombées directes de la décentralisation, comme une meilleure éducation ou une plus grande participation à la prise de décision politique. Cependant, puisque de nombreux facteurs ont une incidence sur les effets indirects de la décentralisation, il est difficile de distinguer ce qui relève de la décentralisation de ce qui résulte d’autres évolutions et politiques publiques.

Si les statistiques nationales ne permettent pas de tirer de conclusions en termes de causalité, le pouvoir budgétaire des collectivités territoriales est associé positivement à l’activité économique. Plus précisément, des indicateurs comme le PIB, l’investissement public dans le capital physique et humain et les résultats en matière d’éducation font apparaître une corrélation positive avec la décentralisation. La décentralisation des recettes publiques semble plus étroitement associée à l’augmentation des revenus que la décentralisation des dépenses publiques. Qui plus est, l’expérience des pays et la recherche empirique indiquent que la décentralisation peut être propice à l’efficience du secteur public, à un renforcement de la démocratie et à la stabilité politique. Notamment, la décentralisation peut encourager et renforcer la participation citoyenne en rapprochant l’administration des citoyens et en la rendant plus accessible. Dans certains cas, elle peut être le ciment qui assure la cohésion du pays.

De récentes données empiriques montrent que la décentralisation des recettes publiques pourrait être associée à une réduction des disparités économiques entre les régions. On peut penser que les recettes propres stimulent la croissance en particulier dans les régions les plus pauvres et renforcent le processus de convergence vers les régions les plus performantes. Un autre avantage potentiel de la décentralisation réside dans la capacité à mener des politiques de développement régional plus efficaces, conçues par des acteurs locaux et régionaux, plus au fait des besoins locaux. La qualité des institutions pourrait apporter un élément de réponse : il semble que la décentralisation accentue la convergence lorsque la qualité des institutions est élevée, et tend à exacerber les disparités territoriales lorsqu’elle est faible.

La décentralisation peut aussi réduire les risques de recherche de rente et de corruption dans l’administration publique. On a observé que lorsque la part des collectivités locales dans les dépenses publiques augmente, la corruption recule. Une fois encore, ces résultats dépendent de la manière dont la décentralisation a été pensée et mise en œuvre. Ainsi, des modèles de gouvernance multiniveau très complexes au sein desquels les responsabilités de chaque niveau restent floues sont apparus plus exposés au risque de corruption.

Enfin, la décentralisation peut servir de laboratoire pour l’expérimentation des politiques publiques. Dans le meilleur des cas, les processus d’innovation décentralisée en matière d’action publique fondés sur « l’apprentissage par la pratique » peuvent générer d’importantes retombées positives liées à la diffusion des informations sur les bonnes pratiques. Les « externalités cognitives » de la décentralisation peuvent profiter non seulement aux administrations infranationales mais aussi au pouvoir central.

Anticiper les risques et les réduire au maximum

Il incombe aux administrations centrales/fédérales de définir les conditions-cadres qui détermineront le fonctionnement des systèmes de décentralisation. Or la conception et la mise en œuvre de la décentralisation présentent certains écueils qu’il convient d’éviter soigneusement.

D’un point de vue général, la décentralisation est un défi pour les collectivités territoriales dans la mesure où elle exige certaines capacités économiques, politiques et administratives. L’insuffisance des capacité administratives, techniques ou encore stratégiques constitue probablement l’un des principaux obstacles en matière de décentralisation. À cet égard, le renforcement des capacités, y compris l’apprentissage par la pratique, devrait faire partie des priorités. Comme ce processus prend du temps, il implique un engagement sur le long-terme de la part des administrations centrales et infranationales. Il existe de nombreux moyens de renforcer les capacités publiques à tous les niveaux, et les politiques en la matière devront être adaptées aux besoins divers des régions. Pour mettre en œuvre ces politiques il faut que des conditions-cadres propices à la décentralisation soient en place.

La dimension budgétaire est bien souvent le maillon faible, voire le chaînon manquant, de la décentralisation. L’un des problèmes les plus fréquemment rencontrés, en particulier dans les pays en développement ou dans les pays qui en sont aux premières étapes de la décentralisation, mais aussi dans les pays développés, réside dans le décalage qui existe entre les responsabilités attribuées aux collectivités territoriales et les ressources mises à leur disposition. Les mandats non financés ou sous-financés, qui désignent les situations dans lesquelles les collectivités territoriales sont chargées de la prestation de certains services ou de la gestion de certaines politiques sans disposer des ressources nécessaires pour ce faire, ne sont pas rares.

Une forte dépendance aux transferts de l’administration centrale risque aussi de ne pas inciter les collectivités territoriales à adopter un comportement responsable en matière budgétaire. Le fait que les collectivités territoriales disposent de recettes propres contribue à la responsabilisation face à la fourniture des services publics au niveau local et à l’efficience de celle-ci. S’il est difficile de définir une règle générale s’agissant du degré optimal d’autonomie fiscale, les autorités locales devraient compter sur leurs propres recettes pour financer, à la marge, leurs services.

Le chevauchement des missions entre les différents niveaux d’administration constitue un autre écueil important de la décentralisation. L’absence de clarté dans la répartition des responsabilités renchérit le coût de la fourniture de services et de l’action publique ; ce flou contribue également à un déficit démocratique en ce sens qu’il crée de la confusion parmi les citoyens concernant l’organisme ou l’échelon administratif responsable. Une décentralisation déséquilibrée, où les divers domaines ne sont pas décentralisés de la même façon, peut aussi affaiblir les politiques de développement régional.

La décentralisation peut conduire à la disparition de certaines économies d’échelle et au morcellement des politiques publiques. Cette situation peut se produire en particulier lorsque les collectivités territoriales ne parviennent pas à coopérer entre elles. Il convient donc de déterminer le découpage optimal en fonction du contexte ; il variera non seulement selon la région ou le pays, mais aussi selon le domaine d’action. Les administrations nationales ont un rôle important à jouer en mettant en place des dispositifs juridiques et réglementaires ainsi que des incitations en faveur de la coopération entre collectivités, en particulier au sein des régions fonctionnelles.

Dix principes directeurs pour une décentralisation efficace, propice au développement régional

Il ne s’agit pas de déterminer si la décentralisation est ou non une bonne chose, mais plutôt de savoir dans quelles conditions la décentralisation peut promouvoir la démocratie locale, une prestation des services publics efficace et le développement régional. Les données d’expérience et les résultats de recherche accumulés depuis plusieurs décennies peuvent aider les décideurs à mettre en œuvre des réformes de décentralisation tout en évitant les principaux écueils. On constate que lorsqu’elles sont bien pensées et bien mises en œuvre, les politiques de décentralisation s’accompagnent de nombreux avantages comme l’amélioration de la prestation de service public au niveau infranational, une plus forte participation des citoyens, un recul de la corruption ou encore des retombées positives sur la croissance.

Afin d’aider les pays à déterminer quelles sont les conditions nécessaires pour réussir la décentralisation, l’OCDE a élaboré dix principes directeurs destinés à guider la mise en œuvre de la décentralisation. Ces principes directeurs ne se résument pas à de simples recommandations : chaque section décrit la logique existant derrière chaque principe considéré, et livre des conseils pratiques, des indications sur les écueils à éviter et les bonnes pratiques, ainsi qu’une liste de contrôle des actions à mener, adaptée aux pays fédéraux comme aux pays unitaires.

Principe directeur n° 1 : Clarifier les responsabilités attribuées aux différents niveaux d’administration

  • La répartition des responsabilités devrait être explicite, mutuellement comprise et claire pour tous les acteurs. Il importe tout autant d’être clair sur les différentes fonctions attribuées au sein des domaines d’action – financement, réglementation, mise en œuvre ou suivi. Les systèmes de gouvernance multiniveau étant en constante évolution, un examen périodique des attributions des collectivités doit être conduit afin d’assurer la souplesse du système.

  • La décentralisation des différentes responsabilités au sein des domaines d’intervention devrait être équilibrée.

Principe directeur n° 2 : Faire en sorte que toutes les responsabilités soient assorties d’un financement suffisant

  • L’accès au financement devrait coïncider avec les responsabilités fonctionnelles. La division des responsabilités en matière de financement devrait être établie de sorte qu’il n’y ait aucune mission ou aucun mandat non financé ou sous-financé.

Principe directeur n° 3 : Renforcer l’autonomie budgétaire des administrations infranationales pour améliorer la responsabilisation

  • Les administrations infranationales devraient disposer d’une certaine autonomie pour ce qui est de la conception et de l’exécution de leur mission de service public dans les limites fixées par les réglementations normatives (ex. : normes de service minimum).

  • Les administrations infranationales ont besoin de recettes propres autres que les recettes fiscales partagées – et doivent pouvoir dégager d’autres sources de revenu afin de disposer d’un panier de revenus équilibré.

Principe directeur n° 4 : Soutenir le renforcement des capacités infranationales

  • L’administration centrale devrait évaluer régulièrement les problèmes de capacités dans les différentes régions. Les mesures de renforcement des capacités devraient être adaptées aux besoins divers des territoires. Les administrations devraient chercher à renforcer les capacités des fonctionnaires et des organismes publics selon une approche systémique plutôt qu’exclusivement centrée sur le soutien technique.

  • Il faudrait former le personnel aux bases de la gestion des finances publiques locales et assurer un recrutement ouvert, concurrentiel et une promotion au mérite.

  • La création d’organismes publics spécifiques accessibles à plusieurs collectivités devrait être encouragée dans les domaines d’expertise recherchés (par exemple, des agences régionales de développement, des unités de PPP).

Principe directeur n° 5 : Instaurer des mécanismes de coordination adaptés entre les niveaux d’administration

  • La plupart des responsabilités étant partagées, il est indispensable d’établir des mécanismes de gouvernance pour les gérer. Il est également essentiel d’instaurer une culture de la coopération et une communication régulière pour que la gouvernance multiniveau soit efficace et que les réformes portent leurs fruits dans la durée. Parmi les instruments de coordination verticale figurent des plateformes de dialogue, des conseils budgétaires, des comités permanents et des conseils de consultation inter-administrations, et des accords contractuels.

  • Il est important d’éviter de multiplier les mécanismes de coordination n’ayant pas un rôle clairement défini dans le processus de décision.

Principe directeur n° 6 : Soutenir la coopération entre les territoires

  • La coordination horizontale peut s’effectuer au moyen de subventions de contrepartie spécifiques et en encourageant la coopération intermunicipale et interrégionale. La gouvernance métropolitaine devrait elle aussi être encouragée. Le système juridique devrait autoriser ce type d’outils.

  • Il faudrait promouvoir les partenariats entre zones rurales et urbaines comme une forme de collaboration entre territoires de nature à stimuler la croissance inclusive grâce à ses nombreux avantages, notamment l’amplification des avantages issus des économies d’agglomération, afin de compenser les défauts de coordination et de renforcer les capacités.

Principe directeur n° 7 : Renforcer la gouvernance innovante et expérimentale et promouvoir la participation citoyenne

  • Le citoyen devrait avoir accès à l’information afin de pouvoir participer aux décisions. Veiller à ce que toutes les actions visant la participation et l’implication des citoyens soient aux mains et sous le contrôle des conseils locaux élus.

  • La budgétisation participative a le potentiel de consolider la gouvernance inclusive.

Principe directeur n° 8 : Ménager la possibilité d’adopter des dispositifs de décentralisation asymétrique et en tirer le meilleur parti

  • La décentralisation asymétrique devrait être soutenue par des mécanismes de coordination verticaux et horizontaux efficaces et s’accompagner d’un système de péréquation adapté. Toute approche de décentralisation asymétrique devrait être fondée sur le dialogue, la transparence et l’accord des principales parties prenantes, et s’inscrire dans une stratégie plus vaste de développement territorial.

  • La répartition des responsabilités asymétriques devrait être explicite, mutuellement comprise et claire pour tous les acteurs. Dans toute la mesure du possible, la participation à un dispositif asymétrique devrait demeurer volontaire.

Principe directeur n° 9 : Systématiquement améliorer la transparence, élargir la collecte de données et intensifier le suivi des résultats

  • Les administrations nationales devraient mettre au point des systèmes de suivi des performances pour surveiller les politiques de décentralisation et de développement régional. Ces systèmes devront rester simples et comporter un nombre raisonnable d’exigences et d’indicateurs.

  • Les échelons administratifs supérieurs doivent suivre les résultats des administrations infranationales dans des domaines de services essentiels à l’aide d’un ensemble minimum d’indicateurs normalisés, formuler rapidement des observations, et comparer les performances des collectivités locales en matière de prestation de services.

  • Les administrations infranationales doivent être soumises à des règlementations et des règles budgétaires de niveau supérieur pour garantir la discipline et la viabilité budgétaires.

Principe directeur n° 10 : Renforcer les politiques nationales de développement régional et les systèmes de péréquation afin de réduire les disparités régionales

  • Le programme de péréquation, notamment les transferts conditionnels, ne doit pas être considéré séparément du système budgétaire global. Les mécanismes de péréquation doivent être soigneusement conçus de façon à favoriser les efforts des collectivités territoriales en matière de fiscalité et de développement. Les politiques de péréquation budgétaire doivent notamment s’accompagner par anticipation de mesures de développement régional afin de contrer les incitations négatives que peut comporter ce type de système.

Références

[1] OCDE-CGLU (2016), Subnational Governments Around the World: Structure and Finance, http://www.oecd.org/fr/regional/politique-regionale/sngs-around-the-world.htm.

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