3. Effets du Pilier Deux sur les recettes fiscales

174. Ce chapitre présente le cadre d’analyse et les sources de données utilisés par le Secrétariat de l’OCDE pour évaluer l’effet du Pilier Deux sur les recettes de l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Il contient aussi des estimations à grands traits de l’incidence du Pilier Deux à l’échelle mondiale ainsi qu’au niveau de larges groupes de juridictions. Le Pilier Deux apporte une réponse aux problématiques de BEPS non résolues et entend faire en sorte que les grandes entreprises multinationales paient un niveau d’impôt minimum sur leurs bénéfices, indépendamment de la localisation de leur siège ou de la juridiction où elles exercent leurs activités.

175. Le cadre d’étude du présent chapitre englobe les implications i) de plusieurs options illustratives pour la conception et le paramétrage du Pilier Deux, ii) des interactions entre les Piliers Un et Deux et de la manière dont elles peuvent modifier les effets du Pilier Deux sur les recettes fiscales et iii) des réactions comportementales possibles des entreprises multinationales (ci-après « EMN » ou « groupes d’EMN ») et des États à la mise en place du Pilier Deux. Un certain nombre d’éléments de conception et de paramètres touchant au Pilier Un et au Pilier Deux feront l’objet de décisions futures de la part du Cadre inclusif. Les options de conception et de paramétrage envisagées pour les Piliers Un et Deux dans ce chapitre ne sont que des exemples aux fins d’illustration et ne préjugent pas des décisions finales qui seront prises par le Cadre inclusif.

176. Comme avec le cadre utilisé pour évaluer les effets du Pilier Un (voir le chapitre 2), le cadre présenté dans ce chapitre couvre plus de 200 juridictions en combinant diverses sources de microdonnées et de macrodonnées dans une structure cohérente, dont un élément central est une série de matrices de données qui fait l’objet d’une description détaillée dans le chapitre 5.

177. Le cadre d’étude s’appuie sur les meilleures sources de données dont dispose le Secrétariat de l’OCDE, les données sous-jacentes ayant été contrôlées et vérifiées par comparaison entre les différentes sources. Les estimations qui en résultent font néanmoins font l’objet de quelques mises en garde importantes, récapitulées ci-dessous.

  • L’évaluation des effets du Pilier Deux sur les recettes fiscales qui est présentée ici repose sur plusieurs hypothèses simplificatrices quant à la conception et à la mise en œuvre du Pilier Deux, justifiées par la difficulté qu’il y a à modéliser certaines dispositions éventuelles du Pilier à l’aide des données disponibles. En particulier, la règle de substitution et la règle d’assujettissement à l’impôt n’ont pas été modélisées, tandis que la règle d’inclusion du revenu et la règle relative aux paiements insuffisamment imposés ne l’ont été que de manière assez simplifiée. L’effet possible des différences temporaires ou permanentes entre le résultat (bénéfice) comptable et la base d’imposition au titre du Pilier Deux et celui d’un mécanisme de report en avant des pertes en vertu du Pilier Deux (ou de tout autre mécanisme de lissage des résultats) n’ont pas été considérés. La modélisation d’une éventuelle exclusion fondée sur la substance et sur une formule repose sur un certain nombre d’hypothèses simplificatrices, comme nous le verrons plus loin.

  • L’approche employée pour estimer l’effet du Pilier Deux se concentre sur les bénéfices faiblement imposés dans des juridictions à fiscalité globalement faible1, mais laisse de côté les éventuels « réduits » de bénéfices faiblement imposés dans des juridictions à fiscalité « élevée », que les données disponibles ne permettent pas de couvrir. Afin d’en tenir compte, la limite supérieure des fourchettes d’incertitude entourant les estimations dans ce chapitre a été relevée, ce qui est décrit plus loin dans ce chapitre.

  • Les limites des données ne permettent pas de prendre en considération, aux fins de la modélisation dans ce chapitre, l’effet de certaines dispositions (retenues à la source, règles relatives aux SEC (CFC)) grâce auxquelles les États peuvent peut-être déjà prélever des impôts sur des bénéfices qui seraient sans cela soumis à de faibles niveaux d’imposition effective, de sorte que les gains de recettes potentiels peuvent se trouver surestimés.

  • Les données sur lesquelles se fonde l’analyse présentent certaines limites, que ce soit en termes de portée, de cohérence ou d’actualité. En particulier, l’utilisation de données agrégées dans certaines parties de l’analyse et pour certaines juridictions fait que l’hétérogénéité existant au niveau des entreprises peut ne pas transparaître, ce qui peut fausser les résultats. Les données sur les bénéfices des entreprises multinationales se rapportent principalement aux années 2016 et 2017. Elles sont donc, pour l’essentiel, antérieures à des évolutions importantes survenues par la suite, dont la mise en œuvre de diverses mesures dans le cadre du projet BEPS de l’OCDE et du G202, l’adoption de la loi « Tax Cuts and Jobs Act » (TCJA) aux États-Unis et, plus récemment, l’incidence de la crise du COVID-19. Plus précisément :

    • la mise en œuvre du plan d’action sur le BEPS devrait faire diminuer le montant des bénéfices faiblement imposés au niveau mondial en réduisant les possibilités pour les EMN de transférer des bénéfices vers des juridictions à faible fiscalité, ce qui amoindrit le potentiel de gains de recettes au titre du Pilier Deux ;

    • concernant les États-Unis et la TCJA, quoique le Cadre inclusif n’ait encore pris aucune décision, l’analyse utilise comme hypothèse illustrative que le régime GILTI (taxation des revenus mondiaux faiblement imposés issus de biens incorporels) en place depuis 2018 et qui se traduit par une forme d’impôt minimum sur les bénéfices des EMN américaines réalisés à l’étranger, « coexistera » avec le Pilier Deux. Le potentiel de gains de recettes au titre du Pilier Deux présenté dans ce chapitre exclut les EMN américaines sur la base de l’hypothèse que celles-ci resteraient assujetties au régime GILTI et ne seraient pas soumises aux règles du Pilier Deux. Les gains de recettes générés par le régime GILTI sont examinés à part, dans la section 3.8 de ce chapitre, sur la base des estimations ex ante établies par le Joint Committee Taxation (JTC) du Congrès américain (US Joint Committee on Taxation, 2017[1]) ;

    • la crise engendrée par la pandémie de COVID-19, qui, à la baisse de la demande des consommateurs ajoute des difficultés de production (confinement des travailleurs, restriction des déplacements, perturbations de la chaîne d’approvisionnement, notamment), va probablement engendrer une diminution de la rentabilité à court et à moyen terme de nombreuses entreprises multinationales – et, du même coup, celle des bénéfices entrant dans le champ du Pilier Deux. L’effet à plus long terme de la crise sur la rentabilité des EMN dépendra de la forme et de la vitesse de la reprise, ainsi que des changements structurels de l’économie qui pourraient se trouver déclenchés ou accélérés (transformation de la structure sectorielle des économies – notamment par la numérisation à marche forcée de certaines activités –, restructuration des chaînes de valeur mondiales, bouleversement de la dynamique concurrentielle des entreprises, ...).

  • La méthodologie tient compte, de manière simplifiée, des réactions stratégiques et politiques que pourraient avoir les EMN et les États à la mise en place du Pilier Deux. Plus précisément, l’analyse se concentre sur deux éventualités : i) un changement d’ampleur du transfert de bénéfices des EMN et ii) une augmentation de la fiscalité dans les juridictions où le taux effectif d’imposition (TEI) moyen est inférieur au taux minimum pour le Pilier Deux. Toutefois, il est difficile d’anticiper avec certitude la nature et l’intensité exactes de ces réactions, en particulier dans le contexte d’une réforme fiscale multilatérale coordonnée, alors que les études existantes se fondent principalement sur des réformes unilatérales propres à une juridiction. En particulier, il est malaisé d’anticiper précisément où iront se situer les bénéfices des EMN une fois le Pilier Deux en application, car les dispositifs de transfert de bénéfices des groupes d’EMN sont souvent complexes et pourraient changer d’une manière qu’il est difficile de prévoir après la mise en œuvre du Pilier Deux.

  • L’analyse faite ici ne tente pas de modéliser d’autres réactions possibles des groupes d’EMN et des États, telles que, pour les premiers, un changement dans les décisions d’investissement réel et, pour les seconds, la réaction des autorités des autres juridictions. Les implications des Piliers Un et Deux pour les décisions d’investissement réel des EMN et pour la concurrence fiscale entre États sont examinées en détail dans le chapitre 4. Globalement, l’appréciation qui est faite au chapitre 4 est que les Piliers Un et Deux auraient, sur les investissements mondiaux des EMN, un petit effet direct négatif qui pourrait être partiellement, voire entièrement, compensé par des effets indirects positifs. Qui plus est, une solution multilatérale fondée sur un consensus associant les Piliers Un et Deux conduirait probablement à un environnement plus propice à l’investissement et à la croissance que ne le ferait une option qui n’aurait pas le soutien unanime du Cadre inclusif. Pour autant, le Pilier Deux pourrait conduire à d’importantes hausses des coûts d’investissement dans les juridictions où le TEI est actuellement inférieur au taux minimum susceptible d’être fixé au titre de ce pilier. Cela pourrait influencer assez fortement l’investissement des EMN dans ces juridictions et, par voie de conséquence, influencer les recettes de l’IS, mais aussi les recettes fiscales sur d’autres bases d’imposition – p. ex., l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IR) ou la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – de ces mêmes juridictions.

178. Compte tenu de ces réserves, les estimations selon le cadre présenté dans ce chapitre doivent être interprétées comme des ordres de grandeur – et non comme des chiffrages précis – des implications du Pilier Deux. Les gains effectifs de recettes fiscales au titre du Pilier Deux différeront peut-être de ces estimations ex ante, car ils dépendront en dernier ressort des décisions finales du Cadre inclusif concernant la conception et le paramétrage du Pilier, de la réaction des EMN et des États à sa mise en place et de la conjoncture économique au moment de sa mise en œuvre. Pour ces raisons, les estimations présentées dans ce chapitre sont exprimées sous forme de fourchettes, afin de refléter l’incertitude qui les entoure. Par souci de simplicité, certains résultats intermédiaires sont énoncés dans ce chapitre comme des valeurs précises, mais tous les résultats globaux de la dernière partie sont exprimés sous la forme de fourchettes.

179. Comme expliqué dans le rapport sur le blueprint du Pilier Deux (OECD, 2020[2]), le Pilier Deux établit des règles interdépendantes qui visent à i) garantir un niveau minimum d’imposition tout en évitant une double imposition ou une imposition en l’absence de bénéfice économique, ii) gérer les différences de système fiscal entre juridictions et de modèles d’affaires entre entreprises, iii) assurer la transparence et l’égalité de traitement et iv) limiter au maximum les coûts d’administration et d’application.

  • Le principal mécanisme permettant d’atteindre ce résultat est la règle d’inclusion du revenu (RIR), associée à la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) en tant que filet de sécurité (ensemble, les « règles GloBE »). À certains égards, le fonctionnement de la RIR repose sur les principes des règles classiques applicables aux sociétés étrangères contrôlées (SEC), et déclenche une inclusion au niveau de l’actionnaire lorsque le revenu d’une entité étrangère contrôlée est taxé à un taux inférieur au taux d’imposition effectif minimum. Elle est complétée par une règle de substitution (RS) qui supprime les obstacles conventionnels empêchant son application à certaines succursales, et qui se déclenche lorsqu’une convention fiscale oblige par ailleurs un État contractant à employer la méthode de l’exemption. La RPII est une règle secondaire qui s’applique uniquement lorsqu’une entité constitutive n’est pas assujettie à une RIR. Néanmoins, la RPII fait partie intégrante de l’ensemble des règles parce qu’elle sert de filet de sécurité à la RIR, garantit l’égalité des règles du jeu et prévient les risques d’inversions motivées par des raisons fiscales.

  • La règle d’assujettissement à l’impôt (RAI) complète ce dispositif. Il s’agit d’une règle conventionnelle qui cible les risques créés, pour les pays de la source, par les montages de BEPS liés aux paiements intragroupe qui exploitent la faiblesse des taux nominaux d’imposition dans l’autre juridiction contractante (la juridiction du bénéficiaire du paiement).

180. Dans le présent chapitre, pour évaluer les effets du Pilier Deux sur les recettes fiscales, on isole les bénéfices des EMN faiblement taxés (c’est-à-dire, imposés à un taux inférieur au taux minimum potentiel) et on suppose qu’un impôt complémentaire viendrait s’appliquer sur ces bénéfices (après mise en œuvre d’une éventuelle exclusion sur la substance selon une formule) jusqu’à atteindre le niveau du taux minimum (Graphique 3.1). Les quatre éléments énumérés ci-dessus (RIR, RPII, RS et RAI) contribueraient tous à ce résultat, mais en pratique, comme nous le verrons dans les paragraphes qui suivent, déterminer précisément leur contribution respective est compliqué par les limites des données et par les incertitudes sur la conception exacte des composantes du Pilier Deux et de leurs interactions, qui devra in fine être décidée par le Cadre inclusif.

181. Conformément à ce qui est énoncé dans le rapport sur le blueprint du Pilier Deux (OECD, 2020[2]), l’approche présentée dans ce chapitre part du principe que les bénéfices faiblement imposés des EMN seraient généralement soumis à un impôt complémentaire dans la juridiction de l’entité mère ultime (ci-après « EMU ») du groupe d’EMN en vertu de la règle d’inclusion du revenu. La règle de substitution n’est pas explicitement modélisée dans le présent chapitre, mais elle contribuerait implicitement à l’application étendue de la RIR. De même, il est difficile de déterminer, d’après la conception de la règle d’assujettissement à l’impôt et les données disponibles, quel serait l’effet de cette règle sur la base d’imposition d’un pays. Ces limites font que l’effet de la règle d’assujettissement à l’impôt n’a pu être modélisé dans le présent chapitre.

182. Dans les scénarios simplifiés retenus ici aux fins de la modélisation, la juridiction de l’EMU n’appliquerait pas nécessairement la RIR (p. ex., s’il s’agit d’un pays qui, aujourd’hui, n’a pas de système d’impôt sur les sociétés). Les bénéfices faiblement imposés des groupes d’EMN dont l’EMU réside dans une telle juridiction sont supposés être soumis à un impôt complémentaire dans d’autres juridictions, en proportion de leur volume d’activité économique dans ces dernières. Cette hypothèse est une approximation de la méthode fondée sur les transactions présidant à la règle relative aux paiements insuffisamment imposés, et repose sur l’idée que les opérations visées par cette règle sont susceptibles d’émaner de juridictions où le groupe d’EMN exerce effectivement une activité économique. Cette hypothèse peut aussi être vue comme une approximation éventuelle pour les situations où la juridiction d’une entité mère intermédiaire appliquerait la règle d’inclusion du revenu, comme envisagé dans le rapport sur le blueprint du Pilier Deux, en partant du principe que l’emplacement de cette entité mère intermédiaire (sur lequel, dans la plupart des juridictions, on ne dispose d’aucune information) est globalement le même que celui de l’activité économique.

183. Une autre question importante pour la conception du Pilier Deux est le degré d’agrégation (autrement dit, le niveau d’agrégation auquel le taux effectif d’imposition serait calculé et le taux minimum appliqué). Quoiqu’aucune décision n’ait encore été prise par le Cadre inclusif, on suppose, dans ce chapitre, que le Pilier Deux mettrait en œuvre une agrégation par juridiction selon les lignes du rapport sur le blueprint du Pilier Deux. Autrement dit, le taux d’imposition effectif d’un groupe d’EMN serait calculé sur la somme des impôts acquittés et des bénéfices réalisés au niveau de la juridiction, puis le TEI serait comparé au taux d’imposition minimum.

184. D’autres choix de conception et de paramétrage pour le Pilier Deux influenceront aussi les effets de ce pilier sur les recettes fiscales. Un paramètre clé est le taux d’imposition minimum potentiel – pour lequel ce chapitre examine plusieurs possibilités à titre d’illustration. Parmi les autres questions figurent la définition de la base d’imposition (y compris des questions relatives à des ajustements pour tenir compte des différences temporaires ou permanentes entre les résultats comptable et fiscal), la définition des impôts couverts par le calcul du TEI, l’existence et la conception d’un éventuel mécanisme de report en avant des pertes, ainsi que l’existence et la portée d’éventuelles « exclusions » sur les critères de la présence d’activités substantielles, du secteur ou de la taille des EMN. Conformément à ce qui est exposé dans le rapport sur le blueprint du Pilier Deux, les estimations incluses dans le présent chapitre supposent que les EMN dont le chiffre d’affaires mondial est inférieur à 750 millions EUR (soit le seuil utilisé pour la déclaration pays par pays) sortent du champ d’application du Pilier Deux. Les implications d’une éventuelle exclusion sur la substance selon une formule sont modélisées dans le présent chapitre, toujours à titre indicatif ; en revanche, du fait des limites des données, aucune exclusion sur le secteur d’activité n’est envisagée dans les estimations. Enfin, l’effet d’un éventuel mécanisme de report en avant des pertes n’est pas examiné, en raison du manque de données de séries chronologiques sur les bénéfices des EMN d’une juridiction à l’autre3 – même si l’inclusion d’un tel mécanisme est susceptible d’amoindrir le potentiel de gains de recettes au titre du Pilier Deux.

185. Malgré l’inconnue que représente la décision à venir du Cadre inclusif, l’hypothèse sous-tendant les estimations illustratives contenues dans ce chapitre est que le régime GILTI des États-Unis « coexistera » avec le Pilier Deux. De ce fait, les estimations présentées dans ce chapitre excluent généralement les gains de recettes potentiels associés aux EMN américaines sur la base de l’hypothèse que celles-ci resteraient assujetties au au régime GILTI et ne seraient pas soumises aux règles du Pilier Deux. Par conséquent, les gains associés aux EMN américaines – gains directs (provenant de l’impôt minimum) et indirects (induits par la réduction du transfert de bénéfices ou par la hausse du TEI) – sont généralement exclus des estimations de gains de recettes fiscales au titre du Pilier Deux présentées dans les tableaux et graphiques ci-après. Cette précision figure chaque fois dans les sous-titres et les notes explicatives des tableaux et graphiques concernés. Les autres tableaux contenant des données ou des résultats intermédiaires qui ne concernent pas directement les gains au titre du Pilier Deux (p. ex., la matrice des bénéfices à un niveau agrégé) comprennent généralement les chiffres relatifs aux EMN américaines, ce qui est indiqué dans les notes explicatives des tableaux en question. Les gains de recettes fiscales associés aux EMN américaines, calculés à partir des estimations ex ante du Joint Committee on Taxation (JTC) du Congrès américain pour les gains de recettes potentiels au titre du GILTI, sont examinés dans la section 3.8.

186. Pour envisager les réactions comportementales possibles, on a modélisé une série de quatre scénarios simplifiés. Ces scénarios sont synthétisés dans le Graphique 3.2. Ces scénarios et la stratégie visant à quantifier leurs implications pour les recettes fiscales sont décrits plus en détail dans les sections qui suivent.

  • Le scénario 1, qui constitue le point de départ pour les estimations, est un scénario « statique ». Il ne s’intéresse pas aux réactions comportementales potentielles des EMN et des États à la mise en place du Pilier Deux, et le Pilier Deux y est modélisé isolément, en ce sens que ses interactions potentielles avec le Pilier Un ne sont pas prises en considération.

  • Le scénario 2, en revanche, tient compte des interactions entre le Pilier Un et le Pilier Deux. Dans ce scénario, on suppose que le Pilier Deux s’applique aux bénéfices après la réattribution résultant du montant A du Pilier Un, selon la modélisation effectuée dans le chapitre 2, sur la base d’hypothèses illustratives quant à la conception et au paramétrage du Pilier Un. D’autres résultats ignorant ces interactions mais tenant compte des réactions des EMN et des États telles qu’elles sont modélisées dans les scénarios 3 et 4 sont présentés à l’Annex 3.B.

  • Le scénario 3 reprend le scénario 2 en ajoutant l’hypothèse d’une diminution de l’ampleur du transfert de bénéfices des EMN en conséquence du Pilier Deux, selon le postulat que le Pilier Deux réduirait les écarts de taux d’imposition entre juridictions, qui sont l’une des principales causes du transfert de bénéfices. Cette réduction du transfert de bénéfices est évaluée à partir des hypothèses de modélisation simplifiées expliquées dans la section 3.6.

  • Le scénario 4, à son tour, développe le scénario 3 en ajoutant l’hypothèse que certaines juridictions modifieraient leurs règles fiscales ou leurs taux d’imposition afin de relever le TEI sur les bénéfices des EMN qui sont actuellement imposés en dessous du taux minimum. Il s’agit d’une réaction plausible, car elle pourrait permettre aux juridictions qui relèvent leur TEI de percevoir une part plus importante des recettes fiscales mondiales, tandis qu’elle n’aurait qu’un effet généralement limité sur le volume global d’impôts acquittés par les groupes d’EMN (comme nous le verrons plus loin, cet effet dépendrait de la conception du Pilier Deux et, notamment, de la mise en place ou non d’une exclusion sur la substance selon une formule, ainsi que de la coexistence ou non du régime GILTI et du Pilier Deux).

187. La séquence temporelle des réactions des EMN et des États envisagées dans les scénarios 3 et 4 est incertaine, ce qui soulève la question de l’ordre dans lequel il convient d’intégrer ces réactions à l’analyse. Il est possible que les groupes d’EMN soient plus prompts (et plus déterminés) à modifier leurs stratégies de transfert de bénéfices que les États leurs systèmes d’impôt sur les sociétés. En effet, ces derniers peuvent comporter une multitude de dispositions légales interconnectées, ayant toutes un effet particulier sur la situation fiscale d’entreprises variées, et tout ajustement pourrait impliquer un long processus législatif. C’est pourquoi il est logique d’envisager d’abord les réactions possibles des EMN (ce qui est fait dans le scénario 3), puis celles des États (scénario 4). Cela dit, compte tenu des scénarios et des postulats examinés dans ce chapitre, inverser cet ordre (c’est-à-dire considérer d’abord les réactions des États, puis celles des EMN) n’aurait pratiquement aucun effet (ou tout au plus un effet quantitativement faible) sur les résultats finaux. La raison en est que les réactions des États examinées dans ce chapitre n’ont pas d’incidence significative sur les incitations au transfert de bénéfices des groupes d’EMN, puisqu’elles ne modifient pas sensiblement le montant global des impôts payés par ceux-ci (elles ne font que changer le lieu où les impôts sont payés)4. Par conséquent, les réactions des EMN ne devraient pas différer sensiblement selon qu’elles interviennent avant ou après celles des États, du moins dans le cadre des scénarios simplifiés considérés ici.

188. Les quatre scénarios simplifiés présentés ici ne visent pas à couvrir tout l’univers des réactions possibles, mais à illustrer les implications de certaines des réactions les plus généralement attendues face au Pilier Deux. Les réactions envisagées ont été retenues à l’issue de discussions avec des représentants des juridictions, des universitaires, des représentants du secteur privé et d’autres organisations internationales. D’autres réactions possibles à la mise en place du Pilier Deux ne sont pas modélisées dans ce chapitre : le changement de comportement des EMN vis-à-vis de leurs investissements « réels » (par opposition à leur comportement en matière de transfert de bénéfices), une modification plus complexe des stratégies de transfert de bénéfices de ces mêmes EMN, et la modification des règles fiscales ou des taux d’imposition par les autorités de juridictions à fiscalité élevée (c’est-à-dire dont le TEI moyen est supérieur au taux minimum potentiel du Pilier Deux).

  • Concernant le comportement des EMN en matière d’investissements réels, le Secrétariat de l’OCDE estime que le Pilier Deux n’aura que des effets limités sur les TEI moyens prospectifs au niveau mondial et dans la plupart des juridictions (chapitre 4). L’ampleur des effets sur les investissements réels serait donc globalement limitée (de plus, ces effets pourraient être partiellement, voire intégralement, compensés par des effets indirects évoqués au chapitre 4), ce qui contribue à justifier l’hypothèse de non-prise en considération de ces effets dans le présent chapitre. Une exception importante est que les juridictions qui ont actuellement un TEI inférieur au taux minimum potentiel pourraient voir ce taux augmenter substantiellement, ce qui mettrait un frein aux investissements des EMN dans ces juridictions, mais serait peut-être bénéfique pour les juridictions à fiscalité élevée, vers lesquelles certains investissements pourraient être redirigés. Dans ces juridictions à faible fiscalité, cela ferait diminuer les recettes de l’IS, mais aussi celles d’autres bases d’imposition – p. ex., l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IR) ou la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Ces effets ne sont pas modélisés dans ce chapitre.

  • En ce qui concerne les stratégies de transfert de bénéfices des EMN, la modélisation présentée dans ce chapitre repose sur les hypothèses simplifiées décrites ci-dessous concernant le rapport entre ampleur du transfert de bénéfices et écart de taux d’imposition d’une juridiction à l’autre. Dans la pratique, les dispositifs de transfert de bénéfices des groupes d’EMN sont souvent complexes et, pour l’essentiel, propres à une EMN. La nature exacte de la modification de ces dispositifs en réaction à l’instauration du Pilier Deux peut différer de ces hypothèses simplifiées, ce qui jouerait sur les résultats finaux, mais cette différence ne peut être modélisée avec précision, comme on l’évoque ci-dessous.

  • En ce qui concerne la réaction des autorités des juridictions à fiscalité « élevée » (c’est-à-dire les juridictions dont le TEI moyen est supérieur au taux minimum potentiel), la réaction attendue est ambiguë et donc difficile à anticiper avec certitude, comme expliqué dans le chapitre 4. En théorie, la mise en place d’un taux minimum pourrait soit renforcer soit affaiblir la concurrence fiscale, selon les hypothèses considérées (Keen and Konrad, 2013[3])5. Une étude empirique montre que la mise en place, en 2004, d’un taux d’imposition minimum au niveau des communes allemandes a, en moyenne, conduit les collectivités locales ayant des taux supérieurs au minimum à augmenter sensiblement leur taux d’imposition (von Schwerin and Buettner, 2016[4]). Toutefois, il n’y a aucune certitude sur la mesure dans laquelle ces résultats, constatés dans le contexte d’un pays, peuvent être généralisés à un contexte international.

189. L’approche simplifiée suivie dans ce chapitre consiste à identifier les juridictions où le TEI moyen (rétrospectif) sur les bénéfices des EMN est inférieur au taux d’imposition minimum potentiel. Tous les bénéfices des EMN dans ces juridictions sont supposés être imposés à ce taux moyen (du fait du manque de données disponibles sur le TEI au niveau des entreprises dans la plupart des juridictions) et donc – après application d’une éventuelle exclusion sur la substance selon une formule – être assujettis à un impôt complémentaire à concurrence du taux minimum.

190. Il s’agit d’une simplification en ce sens que cela ne tient pas compte de ce que i) certains bénéfices des EMN peuvent être soumis à un TEI plus élevé que le taux minimum dans les juridictions à faible fiscalité (« réduits » de bénéfices fortement imposés) et ii) certains bénéfices des EMN peuvent être soumis à un TEI plus bas que le taux minimum dans les juridictions à fiscalité élevée (« réduits » de bénéfices faiblement imposés). Les réduits de bénéfices faiblement imposés sont examinés plus en détail dans l’Encadré 3.1 ci-dessous et sont pris en considération dans les fourchettes d’incertitude entourant les résultats. Les réduits de bénéfices fortement imposés seront probablement moins courants que les réduits de bénéfices faiblement imposés et l’effet de leur omission est, a priori, indécis (parce que tenir compte des réduits de bénéfices fortement imposés réduirait le montant estimé des bénéfices assujettis au Pilier Deux dans les juridictions à faible fiscalité, mais réduirait aussi le TEI moyen sur les bénéfices assujettis au Pilier Deux dans ces juridictions). En raison des limites des données, l’approche ne tient pas non plus compte du fait qu’une partie des bénéfices étrangers peuvent déjà être imposés au niveau de l’entité mère par le biais des règles concernant les sociétés étrangères contrôlées (SEC) et des retenues à la source. Ceci réduirait les gains au titre du Pilier Deux.

191. Cette approche de modélisation nécessite des données sur l’emplacement des bénéfices ainsi que sur les TEI. Les sources de données respectives pour les bénéfices et pour les TEI sont décrites dans les deux points qui suivent. La modélisation des implications d’une éventuelle exclusion sur la substance calculée selon une formule est décrite ensuite.

192. À l’instar du chapitre 2, le présent chapitre fonde son analyse sur la « matrice des bénéfices », qui combine les données de différentes sources sur l’emplacement des bénéfices des EMN (voir l’illustration simplifiée du Graphique 3.3 et la description détaillée au chapitre 5).

193. La matrice des bénéfices s’appuie sur trois grandes sources de données qui sont, par ordre de préférence :

  • le contenu anonymisé et agrégé des déclarations pays par pays pour 25 juridictions de l’EMU (voir la liste en annexe 5.A. au chapitre 5)6 ;

  • les données ORBIS sur les comptes non consolidés dans 24 juridictions de la filiale ayant une bonne couverture ORBIS (voir la liste en annexe 5.A. au chapitre 5) ;

  • les extrapolations basées sur des données macroéconomiques (p. ex., chiffres des IDE) dans d’autres cellules.

194. Dans la mesure du possible, les données de la matrice des bénéfices (et des matrices des actifs corporels et de la masse salariale) se concentrent sur les sous-groupes d’EMN bénéficiaires (c’est-à-dire, les entités appartenant à un groupe multinational qui déclare un bénéfice global dans la juridiction considérée), plutôt que sur tous les sous-groupes d’EMN (c’est-à-dire, EMN bénéficiaires et EMN enregistrant des pertes (« EMN déficitaires ») confondues). En effet, seuls les sous-groupes d’EMN dégageant des bénéfices sont éventuellement assujettis à des impôts supplémentaires au titre du Pilier Deux, tandis que les sous-groupes affichant des pertes ne paient généralement pas l’IS. Retrancher les pertes des sous-groupes d’EMN déficitaires lors du calcul des bénéfices totaux dans une juridiction pourrait donc conduire à une sous-estimation du montant des bénéfices susceptibles d’être soumis au Pilier Deux.

195. Néanmoins, une limitation de cette approche est que l’effet d’un mécanisme de report en avant des pertes au titre du Pilier Deux n’est pas pris en considération dans les estimations. Un tel mécanisme pourrait réduire les gains de recettes au titre du Pilier Deux dans les situations où un sous-groupe d’EMN dans une juridiction à faible fiscalité réalise un bénéfice (faiblement imposé) qu’il peut compenser partiellement ou intégralement au moyen de ses pertes passées dans cette juridiction. Pour estimer avec précision l’effet du mécanisme de report en avant de pertes, il faudrait disposer d’informations au niveau des entreprises sur la rentabilité des sous-groupes d’EMN durant plusieurs exercices successifs. Pour la plupart des juridictions, le Secrétariat de l’OCDE ne dispose pas de ces informations7. En pratique, l’effet du mécanisme de report en avant des pertes sur les gains de recettes fiscales au titre du Pilier Deux dépend de la fréquence à laquelle les sous-groupes d’EMN dans les juridictions à faible fiscalité passeront du statut de déficitaire à celui de bénéficiaire – c’est-à-dire, cesseront de déclarer des bénéfices pour déclarer des pertes et vice-versa. Cela peut dépendre de la conjoncture économique – par exemple, avec la crise liée à l’épidémie de COVID-19, il y a des chances pour que les pertes soient plus fréquentes –, mais aussi sur le comportement des EMN en matière de transfert des bénéfices et de transfert des pertes. Ainsi, même en tenant compte d’un mécanisme de report en avant au titre du Pilier Deux, cela peut rester avantageux pour les EMN d’inscrire des pertes dans les juridictions à fiscalité élevée plutôt que dans les juridictions à faible fiscalité, puisque ces pertes peuvent être utilisées pour compenser des bénéfices futurs imposés à un taux supérieur dans les juridictions à fiscalité élevée.

196. La matrice des bénéfices – à un niveau d’agrégation relativement élevé – est représentée dans le Tableau 3.1. La méthodologie complète qui sous-tend la construction de la matrice des bénéfices est présentée en détail dans le chapitre 5. Le chapitre 5 contient également des informations détaillées sur les sources de données utilisées dans la matrice des bénéfices, y compris un exposé des mises en garde concernant leur utilisation. En outre, il présente une version plus désagrégée de la matrice des bénéfices (c’est-à-dire avec des groupes de juridictions plus détaillés que dans le Tableau 3.1), ainsi que des informations sur l’importance relative des différentes sources de données sous-jacentes à la matrice. Enfin, le chapitre 5 contient les résultats de l’analyse comparative approfondie qui a été menée pour évaluer la qualité des données et leur cohérence d’une source à l’autre.

197. Le TEI pertinent pour estimer si un groupe d’EMN a des bénéfices faiblement imposés dans une juridiction et serait assujetti au Pilier Deux sera calculé au niveau de chaque sous-groupe d’EMN dans chaque juridiction (en partant du principe que le Pilier Deux mettrait en œuvre l’agrégation par juridiction). Estimer avec précision l’effet du Pilier Deux nécessiterait donc des données sur les TEI à ce niveau. Or, pour la plupart des juridictions, le Secrétariat de l’OCDE ne dispose pas de ces informations, et les estimations se fondent donc sur les TEI moyens calculés à partir des données agrégées.

198. Le TEI moyen sur les bénéfices des EMN dans une juridiction correspond à l’estimation médiane obtenue à partir de trois sources de données :

  • Tørsløv et al. (2018[5]). Ces données, elles-mêmes obtenues à partir d’une combinaison de sources et d’hypothèses, concernent le TEI sur les bénéfices d’EMN à capitaux étrangers dans une série de juridictions en 2015. Les données sous-jacentes ne distinguent généralement pas entre les sous-groupes d’EMN qui dégagent des bénéfices et les sous-groupes d’EMN qui enregistrent des pertes, ce qui peut donc conduire à des mesures du TEI plus élevées que des données qui se concentreraient sur les seuls sous-groupes bénéficiaires8.

  • Données du BEA sur les EMN américaines. Dans un rapport annuel sur l’activité mondiale des entreprises multinationales américaines, le Bureau of Economic Analysis (BEA) fournit des informations sur les impôts étrangers payés par les filiales des groupes d’EMN américains dans un ensemble de juridictions. Dans chacune de ces juridictions, le TEI moyen des EMN américaines se calcule en divisant le montant des impôts étrangers acquittés par le « rendement de type bénéfices », une mesure des bénéfices incluse dans les données du BEA qui vise à donner une approximation du bénéfice avant impôts et qui exclut diverses sources de revenus financiers. Pour réduire l’incidence d’une volatilité éventuelle des données, le TEI utilisé dans ce chapitre est calculé comme le TEI moyen sur plusieurs exercices (2013-2016), c’est-à-dire la somme des impôts payés dans une juridiction au cours de la période divisée par la somme des rendements de type bénéfices dans cette juridiction au cours de la même période9. Comme pour Tørsløv et al. (2018[5]), les données du BEA regroupent les statistiques relatives aux sous-groupes d’EMN bénéficiaires et d’EMN déficitaires, ce qui conduit à des TEI plus élevés que si l’on se concentrait uniquement sur les sous-groupes d’EMN dégageant des bénéfices.

  • Données anonymisées et agrégées issues des déclarations pays par pays. Les données anonymisées et agrégées issues des déclarations pays par pays de 25 juridictions de l’EMU (voir la liste en annexe 5.A. au chapitre 5) ont servi à calculer les TEI moyens par juridiction de la filiale. Le TEI dans une juridiction « de la filiale » donnée se calcule comme le total des impôts payés par les EMN à capitaux étrangers (selon la méthode de la comptabilité d’exercice) divisé par le total des bénéfices des EMN à capitaux étrangers, où l’on ne retient que les les sous-groupes qui dégagent des bénéfices (contrairement aux deux autres sources). Les valeurs aberrantes extrêmes sont éliminées (p. ex., les TEI supérieurs à 100 %), et les juridictions couvertes dans les données de moins de trois juridictions de l’EMU sont exclues. Une mise en garde importante s’impose : en raison de l’inclusion potentielle des dividendes intra-groupe dans les bénéfices reportés sur les déclarations pays par pays, les TEI peuvent être sous-estimés, en particulier pour les juridictions qui accueillent de nombreuses entités mères (OECD, 2020[6]).

199. Aucune de ces trois mesures des TEI n’est concernée par le problème de la double comptabilisation des bénéfices évoqué dans Blouin et Robinson (2019[7]) – voir également Clausing (2020[8]). De plus, le recours à la valeur médiane entre les trois mesures réduit l’incidence potentielle des limites que présentent les différentes sources de données sur les estimations finales de recettes (liées, par exemple, à la possible inclusion des dividendes dans les données des déclarations pays par pays, qui peut conduire à surestimer les gains de recettes au titre du Pilier Deux, ou à l’inclusion des sous-groupes qui déclarent des pertes dans les données de Tørsløv et al. (2018[5]) et du BEA, ce qui peut conduire à sous-estimer les gains au titre du Pilier Deux). Une analyse de robustesse excluant les données des déclarations pays par pays du calcul et s’appuyant uniquement sur la moyenne des deux autres sources suggère qu’une telle méthode pourrait conduire à des estimations plus basses des gains au titre du Pilier Deux, mais sans modifier l’ordre de grandeur général des résultats (voir Annex 3.D).

200. Ces trois sources de données sont disponibles conjointement pour 42 juridictions représentant 86 % du PIB mondial (Tableau 3.2). Au moins une des trois sources de données est disponible pour 99 autres juridictions correspondant à 12 % du PIB mondial. Pour les 81 autres juridictions considérées dans l’analyse, qui sont principalement des juridictions à faible revenu représentant ensemble 1 % seulement du PIB mondial, aucune de ces trois sources n’est disponible et le TEI est supposé correspondre au taux légal de l’impôt sur les sociétés issu des statistiques de l’IS établies par l’OCDE (OECD, 2020[9]), complété par d’autres sources10. Il s’agit d’une hypothèse prudente, les taux effectifs étant généralement inférieurs au taux légal. Cependant, l’incidence de cette hypothèse sur les estimations mondiales sera probablement marginale, car, en réalité, moins de 1 % des bénéfices totaux des EMN se situe dans ces juridictions.

201. Sur la base de la matrice des bénéfices et des données des TEI décrites ci-dessus, le montant mondial des bénéfices faiblement imposés (c’est-à-dire les bénéfices imposés en dessous d’un taux minimum potentiel) est présenté dans le Tabluea 3.3 pour une fourchette illustrative de taux minimum possibles. Pour estimer les gains au titre du Pilier Deux à l’échelle mondiale, on ajoute ensuite au taux d’imposition des bénéfices faiblement imposés le taux complémentaire à concurrence du taux minimum11. Une marge d’incertitude de ±10 % autour des estimations ponctuelles est appliquée pour tenir compte de l’incertitude des données. Les résultats, qui sont présentés dans le Tableau 3.3 correspondent aux gains de recettes dans le scénario 1 (c’est-à-dire dans un scénario statique qui ne tient compte ni des interactions avec le Pilier Un, ni des réactions comportementales des EMN et des États) en l’absence d’exclusion sur la substance calculée selon une formule. Conformément aux hypothèses relatives au régime GILTI étudiées ci-dessus, le tableau exclut les bénéfices faiblement imposés des EMN américaines et les gains de recettes correspondants (les gains de recettes associés au régime GILTI sont examinés à la section 3.8).

202. Ces estimations ne tiennent pas compte des gains potentiels liés aux réduits de bénéfices faiblement imposés dans les juridictions à fiscalité élevée (c’est-à-dire les juridictions ayant un TEI moyen supérieur au taux minimum). Ces réduits, bien que difficiles à évaluer avec les données disponibles, peuvent être substantiels, comme expliqué dans l’Encadré 3.1. Ne pas les prendre en considération pourrait conduire à sous-estimer sensiblement les gains de recettes au titre du Pilier Deux. C’est pourquoi la limite supérieure des fourchettes d’incertitude entourant les estimations des gains directs au titre du Pilier Deux dans le scénario 1 est augmentée de 50 % (dernière ligne du Tableau 3.3). Une telle augmentation des gains de recettes correspondrait à une situation dans laquelle les réduits de bénéfices faiblement imposés représenteraient près de 10 % des bénéfices totaux dans les juridictions à fiscalité plus élevée (Encadré 3.1). La limite inférieure des fourchettes d’incertitude n’est pas modifiée et suppose donc, de manière prudente, que ces réduits ne génèrent aucun gain de recettes. Dans les scénarios avec une exclusion sur la substance selon une formule (voir ci-dessous), l’incertitude autour de ces réduits diminue proportionnellement à la part des bénéfices exclus dans les juridictions à fiscalité élevée12.

203. Les estimations du Tableau 3.3 sont globalement cohérentes avec des estimations récentes faites par l’Oxford University Centre for Business Taxation (Devereux et al., 2020[10]). En supposant un taux minimum d’imposition de 10 %, pas d’exclusion fondée sur la substance selon une formule, et l’inclusion des groupes d’EMN dont l’EMU réside aux États-Unis, elles donnent pour résultat que les gains à l’échelle mondiale au titre du Pilier Deux dans un scénario statique pourraient atteindre 20 milliards USD (1.1 % des recettes mondiales de l’IS) dans une approche excluant les réduits de bénéfices faiblement imposés dans les juridictions à fiscalité élevée, ou 32 milliards USD (1.8 % des recettes de l’IS au niveau mondial) dans une approche les incluant13. Ces chiffres sont supérieurs aux estimations avec les hypothèses correspondantes présentées dans le Tableau 3.3 (à savoir, des gains estimés de 0.8 à 1.0 % des recettes de l’IS exclusion faite des réduits de bénéfices faiblement imposés, et 0.8 à 1.5 % des recettes de l’IS avec inclusion des réduits de bénéfices faiblement imposés), mais la différence s’explique probablement en grande partie par le fait que les estimations du Tableau 3.3 n’intègrent pas les groupes d’EMN dont l’EMU réside aux États-Unis, tandis que celles figurant dans Devereux et al. (2020[10]) les incluent.

Approche générale pour modéliser une exclusion sur la substance fondée sur une formule

204. Le rapport sur le blueprint du Pilier Deux envisage que les règles GloBE (la RIR et la RPII) pourraient intégrer une exclusion sur la substance selon une formule, fondée sur un pourcentage fixe de la masse salariale plus un pourcentage fixe de la charge d’amortissement d’une large palette d’immobilisations corporelles. Ces deux pourcentages pourraient être les mêmes, ou non. Les résultats présentés à titre d’illustration dans ce chapitre prennent pour hypothèse des pourcentages identiques.

205. Ainsi, si l’on suppose, à titre d’illustration, un pourcentage (ou « marge ») d’exclusion de 10 % pour la masse salariale comme pour la charge d’amortissement, les règles GloBE ne s’appliqueraient à un sous-groupe d’EMN donné dans une juridiction donnée que sur ses bénéfices qui dépassent 10 % de l’ensemble masse salariale plus charge d’amortissement dans ladite juridiction. Par exemple, si les bénéfices du sous-groupe sont de 100, sa masse salariale de 150 et sa charge d’amortissement de 50, le bénéfice auquel s’applique le Pilier Deux serait de 100-10 %*(150+50)=80.

206. Sur ces bénéfices, le Pilier Deux s’appliquerait, comme précédemment, en ajoutant un complément d’impôt au TEI moyen acquitté par le sous-groupe d’EMN dans cette juridiction afin de lui faire atteindre le niveau du taux d’imposition minimum convenu. Le Cadre inclusif définira ultérieurement les règles exactes pour le calcul de ce TEI en présence d’une exclusion et, en particulier celle qui devrait s’appliquer à un groupe d’EMN qui demanderait à bénéficier de l’avantage de l’exclusion, à savoir : serait-il tenu de procéder à un ajustement corrélatif et proportionnel des impôts couverts ? Par exemple, si, avant application de l’exclusion, un contribuable déclare un bénéfice de 100 EUR pour un impôt couvert de 20 EUR, le TEI en l’absence d’exclusion est de 20 % (20 EUR divisés par 100 EUR). Si l’exclusion ramène le bénéfice du contribuable à 80 EUR, alors, le TEI pour les besoins des règles GloBE pourrait être soit de i) 20 EUR d’impôts couverts divisés par 80 EUR de bénéfice (autrement dit, 25 %) si l’EMN n’est pas tenue d’effectuer un ajustement des impôts couverts, soit de ii) 16 EUR d’impôts couverts divisés par 80 EUR de bénéfice (c’est-à-dire, 20 %) si l’EMN est tenue de procéder à un ajustement des impôts couverts qui soit corrélatif de et proportionnel à l’effet de l’exclusion sur le bénéfice. Cette seconde approche est celle qui est modélisée dans ce chapitre, puisque la modélisation repose sur les mêmes TEI dans les scénarios avec et sans exclusion. Ce choix s’explique par la difficulté qu’il y aurait à modéliser la situation sans ajustement à l’aide des données disponibles ; il ne préjuge pas des décisions qui seront prises ultérieurement par le Cadre inclusif sur cette question. Étant donné que la première approche (c’est-à-dire, sans ajustement) se traduirait par un TEI plus élevé qu’avec la seconde approche, cela donnerait lieu à des gains de recettes moindres (pour des niveaux donnés du taux minimum et du pourcentage d’exclusion).

207. Pour modéliser avec précision l’incidence d’une exclusion, il faudrait disposer d’informations, au niveau des entreprises et pour toutes les juridictions, concernant la charge d’amortissement des immobilisations corporelles et la masse salariale. La base de données ORBIS contient des statistiques suffisamment détaillées au niveau des comptes non consolidés des entreprises, avec une bonne couverture pour seulement 18 à 24 juridictions selon la variable considérée (voir la liste en annexe 5.A. au chapitre 5)16. Dans ces juridictions, la part des bénéfices exclus est calculée directement à l’aide des données ORBIS, au niveau de chaque sous-groupe d’EMN, comme expliqué ci-dessous. Dans les autres juridictions, l’approche consiste à s’appuyer sur des données plus agrégées, combinées à une analyse des données d’ORBIS sur la relation moyenne entre les statistiques au niveau des entreprises et les données agrégées, ce qui est également décrit ci-dessous.

208. La méthode retenue dans ce chapitre consiste à estimer la part du bénéfice exclu dans toutes les juridictions, même celles ayant un TEI moyens supérieur au taux minimum. Cela offre l’avantage d’aider à mesurer l’effet de l’exclusion sur les éventuels réduits de bénéfices faiblement imposés dans ces juridictions. Pour des raisons pratiques, l’exclusion sur la masse salariale et l’exclusion sur la charge d’amortissement sont modélisées séparément, et leurs effets sont additionnés pour aboutir à l’effet d’une exclusion combinée17. Il s’agit d’une approximation par rapport à l’effet réel d’une exclusion combinée, laquelle pourrait amener à comptabiliser deux fois les effets de l’exclusion dans les cas où la somme des montants exclus au titre de chaque exclusion individuelle dépasserait les bénéfices totaux du sous-groupe d’EMN considéré18. Les calculs à partir des données ORBIS au niveau des entreprises révèlent que cette double comptabilisation ne serait pas quantitativement significative pour les pourcentages d’exclusion envisagés dans ce chapitre, puisqu’elle se traduit par une surestimation de l’effet de l’exclusion inférieure à 4 % en moyenne d’une juridiction à l’autre.

209. La couverture de la charge d’amortissement dans ORBIS est moins large que la couverture des immobilisations corporelles. Qui plus est, la charge d’amortissement des immobilisations corporelles est le plus souvent agrégée à la charge d’amortissement des immobilisations incorporelles. Dans les données agrégées également, le niveau des immobilisations corporelles est en général mieux couvert que la dotation aux amortissements. Dans ce contexte, l’approche de l’approximation de la charge d’amortissement consiste à utiliser les données sur les immobilisations corporelles combinées à une hypothèse sur le taux d’amortissement moyen. Les données disponibles provenant du BEA américain et de la base ORBIS font ressortir un taux moyen d’amortissement des immobilisations corporelles d’environ 5 à 10 %19 ; dans les estimations du présent chapitre, ce pourcentage est supposé être de 10 %.

210. Les données agrégées sur l’emplacement des immobilisations corporelles et de la masse salariale des EMN dans les différentes juridictions reposent sur une « matrice des immobilisations corporelles » et une « matrice de la masse salariale » qui combinent diverses sources de données et extrapolations, dans le même esprit que la matrice des bénéfices. Ces sources de données et la méthodologie qui sous-tendent ces deux matrices, ainsi que des analyses comparatives et des vérifications approfondies pour évaluer leur qualité, sont présentées dans le chapitre 5. Ces matrices sont présentées à un niveau agrégé dans le Tableau 3.4.

211. Une mise en garde importante pour l’analyse des exclusions est que la définition des immobilisations corporelles et de la masse salariale dans les données sous-jacentes aux matrices ne correspond pas nécessairement aux définitions exactes des variables considérées pour une exclusion sur la substance selon une formule. La matrice des immobilisations corporelles se concentre sur les immobilisations corporelles, nettes de l’amortissement cumulé, tandis que la matrice de la masse salariale se concentre sur les charges de personnel – traitements et salaires, primes, cotisations sociales et autres avantages (voir le chapitre 5). Bien que cela concorde globalement avec les variables envisagées pour une éventuelle exclusion, qui sont décrites dans le rapport sur le blueprint du Pilier Deux, il peut y avoir des différences – par exemple, dans le traitement des terrains ou de la main-d’œuvre en sous-traitance – qui, en fonction de la définition exacte de l’exclusion, pourraient influer sur la précision des estimations.

212. La part des bénéfices qui seraient exclus pour une série de pourcentages d’exclusion indicatifs est calculée avec précision à l’aide des données ORBIS non consolidées au niveau des entreprises dans les juridictions où la couverture ORBIS est bonne pour les EMN tant étrangères que nationales (voir la liste en annexe 5.A. au chapitre 5). Les données ORBIS relatives aux états financiers et aux structures de participation qui ont servi pour cette analyse ont été largement épurées sur la base de l’expérience du Secrétariat de l’OCDE avec des projets antérieurs, comme décrit dans l’annexe 5.A. au chapitre 5.

213. Comme expliqué ci-dessus, les effets respectifs des composantes masse salariale et amortissement de l’exclusion sont calculés séparément, puis additionnés. Les conséquences sur la part du bénéfice exclu pour chaque composante sont présentées dans le Graphique 3.4 pour une valeur illustrative du pourcentage d’exclusion (10 %) dans toutes les juridictions bénéficiant d’une bonne couverture ORBIS (chaque point correspondant à une juridiction).

214. Les résultats présentés dans le Graphique 3.4 suggèrent que la part des bénéfices exclus dans une juridiction est relativement bien corrélée avec le ratio de rentabilité globale au niveau de la juridiction (bénéfices rapportés aux immobilisations corporelles ou à la masse salariale, selon la partie considérée dans le tableau). Par exemple, les résultats de la Partie A suggèrent que la part des bénéfices exclus, avec une exclusion de 10 % sur les immobilisations corporelles, est bien corrélée avec le ratio des bénéfices agrégés sur les immobilisations corporelles agrégées au niveau de la juridiction. Cette relation moyenne est utilisée pour extrapoler la part des bénéfices exclus dans les juridictions ayant une faible couverture ORBIS, à partir de données agrégées tirées des matrices des bénéfices, des immobilisations corporelles et de la masse salariale. L’approche est très semblable à celle utilisée dans l’évaluation au titre du Pilier Un pour estimer la part du bénéfice résiduel à partir des bénéfices et du chiffre d’affaires agrégés – voir le chapitre 2. Par exemple, dans le cas des immobilisations corporelles, la relation, qui est évaluée sur les juridictions j ayant une bonne couverture ORBIS, est la suivante :

Profit excluProfit totalj=α+βProfit totalActifs corporels totauxj

215. Cette relation est estimée pour chaque pourcentage d’exclusion considéré dans l’analyse (5 %, 10 %, 15 % et 20 %). Il n’y a pas de raison théorique pour que cette relation soit linéaire, mais dans la pratique, une relation linéaire semble assez bien convenir et le nombre d’observations est insuffisant pour permettre d’étudier des spécifications plus complexes20.

216. L’estimation avec un pourcentage d’exclusion de 10% est présentée dans le Graphique 3.4 pour la charge d’amortissement (Partie A) et la masse salariale (Partie B). La corrélation pour les autres pourcentages considérés dans l’analyse est globalement identique à la corrélation observée avec un pourcentage de 10%, mais les coefficients α et β diffèrent. De manière générale, un pourcentage d’exclusion plus élevé entraînerait une augmentation de α puisqu’il augmenterait la part des bénéfices exclus, tandis que la variation de β dépend de la forme de la répartition des bénéfices, des immobilisations corporelles et de la masse salariale parmi les juridictions. Les résultats présentés dans les sections qui suivent sont fondés sur les coefficients spécifiques α et β correspondant au pourcentage d’exclusion considéré (p. ex., les résultats pour un pourcentage d’exclusion de 5% reposent sur le α et le β estimés pour ce pourcentage).

217. Sur la base de cette méthodologie, la part des bénéfices exclus dans chaque cellule de la matrice des bénéfices est calculée pour une fourchette des pourcentages d’exclusion. Les résultats sont présentés (à un niveau d’agrégation élevé) dans le Tableau 3.5. Par exemple, si l’on suppose un pourcentage d’exclusion de 10 % ce sont 15 % des bénéfices à l’échelle mondiale qui seront exclus. Cette part est beaucoup plus faible dans les centres d’investissement (2 %) que dans les autres groupes de juridictions (16-19 %), ce qui montre qu’une part relativement élevée des bénéfices des EMN est située dans les centres d’investissement, par comparaison avec leur part des immobilisations corporelles et de la masse salariale. Au sein du groupe « centres d’investissement », la part des bénéfices exclus tend à être encore plus faible (moins de 1 %) dans les juridictions à fiscalité nulle que dans les juridictions à fiscalité non nulle (2 %).

218. Comme le Pilier Deux fonctionne en permettant aux juridictions de « récupérer l’impôt » sur les bénéfices faiblement imposés qui sont situés dans d’autres juridictions, la part des bénéfices exclus dans une juridiction influe sur les gains au titre du Pilier Deux dans d’autres juridictions. En particulier, l’étroitesse relative de la part des bénéfices exclus dans les centres d’investissement (qui contraste avec l’ampleur de la part des bénéfices faiblement imposés à l’échelle mondiale qui est localisée dans les centres d’investissement) implique que les formules d’exclusion sur la substance examinées dans ce chapitre ont un effet limité sur les gains de recettes au titre du Pilier Deux dans les différentes juridictions, comme on peut le voir dans la section suivante.

219. L’effet du Pilier Deux dans un scénario statique (en l’occurrence, le scénario 1) avec exclusion sur la substance selon une formule est calculé de la même manière que l’effet avant l’exclusion, à la différence que le montant des bénéfices auxquels le Pilier Deux s’applique correspond à la part des bénéfices non exclus, et non aux bénéfices totaux. Les données sur les TEI sont les mêmes que dans le cas « sans exclusion », ce qui, comme nous l’avons vu précédemment, concorde avec l’hypothèse que les EMN seraient tenues de procéder à un ajustement des impôts couverts qui soit corrélatif de et proportionnel à l’effet de l’exclusion sur le bénéfice.

220. Les résultats, qui sont présentés au Tableau 3.6, suggèrent que l’effet d’une exclusion de type formule sur le critère de la substance sur les gains de recettes au titre du Pilier Deux est relativement faible, en particulier si l’on ne tient pas compte des « réduits » de bénéfices faiblement imposés dans les juridictions à fiscalité élevée. Par exemple, dans le cas d’une exclusion de 10 %, les gains estimés au titre du Pilier Deux seraient réduits d’environ 3 %. Si l’on intègre aux fourchettes d’incertitude (dernière ligne du Tableau 3.6) l’effet potentiel de l’exclusion sur les réduits de bénéfices faiblement imposés, la limite supérieure des fourchettes est sensiblement abaissée par les exclusions. Cela montre que les bénéfices dans ces réduits sont plus susceptibles de profiter d’une exclusion sur la substance selon une formule que les bénéfices dans les juridictions où le TEI moyen est faible, qui accueillent généralement moins d’activité économique21.

221. Le calcul des gains de recettes fiscales au niveau des juridictions, puis au niveau des groupes de juridictions, se fait à partir des hypothèses de modélisation simplifiées ci-dessous (également résumées dans le Graphique 3.5), qui ne préjugent pas des décisions de mise en œuvre effectives des juridictions.

  • Groupe 1 : juridictions dont le TEI moyen est supérieur au taux minimum. Ces juridictions sont supposées mettre en œuvre une règle d’inclusion du revenu (RIR), en ce sens qu’elles appliqueraient un impôt complémentaire de façon à imposer au moins au taux minimum les bénéfices des entités constitutives d’EMN (agrégés au niveau de la juridiction) dont elles accueillent l’entité mère ultime22. De même, elles sont supposées mettre en œuvre une règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII). Conformément à ce qui est expliqué dans le rapport sur le blueprint du Pilier Deux, l’application de la RIR est supposée avoir la priorité sur celle de la RPII23.

  • Groupe 2 : juridictions à taux d’IS nul. Pour les besoins de la modélisation, ces juridictions sont supposées ne pas mettre en place de RIR ou de RPII, car cela imposerait aussi l’instauration d’un système d’impôt sur les sociétés (IS), dont nombre d’entre elles sont dépourvues. Par conséquent, ces juridictions ne taxeraient pas les bénéfices faiblement imposés des entités constitutives d’EMN dont elles accueillent l’EMU sur leur territoire (puisqu’elles n’appliqueraient pas de RIR). Si une entité mère intermédiaire (c’est-à-dire, une entité mère qui n’est pas l’entité mère ultime) d’un groupe d’EMN est située dans une juridiction qui met en place une RIR, ces bénéfices faiblement imposés seraient taxés par la juridiction de cette entité mère intermédiaire (s’il y a plusieurs entités mères intermédiaires dans ce cas, la plus haut placée dans la chaîne de propriété aurait la priorité conformément au principe de l’approche descendante décrit dans le rapport sur le blueprint du Pilier Deux). Si les bénéfices faiblement imposés n’entrent pas dans le champ d’application d’une RIR (p. ex, dans les cas suivants : pas d’entité mère de niveau intermédiaire ; pas de mise en place d’une RIR dans la juridiction de l’entité mère ultime ; entité mère ultime située dans une juridiction à faible fiscalité), les bénéfices faiblement imposés pourraient être taxés en vertu de la RPII dans une juridiction mettant en place une telle règle et d’où émanent des paiements intragroupe.

    • Dans la pratique, il est difficile, à l’aide des données disponibles de modéliser ces règles avec précision, car on ne dispose que de peu d’informations sur l’emplacement des entités mères intermédiaires et l’origine des transactions. De ce fait, on suppose, pour les besoins de la modélisation dans ce chapitre, que les bénéfices des EMN dont l’entité mère ultime réside dans une juridiction du groupe 2 seraient soumis à un impôt complémentaire appliqué par d’autres juridictions, en proportion du volume de l’activité économique située sur leur territoire (représentant l’emplacement des entités mères intermédiaires dans le cas de la RIR et des transactions sous-jacentes dans le cas de la RPII).

    • L’activité économique est représentée par le chiffre d’affaires des EMN, extrait de la « matrice du chiffre d’affaires » décrite dans le chapitre 524,25. Les résultats sont globalement identiques lorsque les immobilisations corporelles ou la masse salariale sont utilisées comme variable de substitution en lieu et place du chiffre d’affaires (voir l’Annex 3.C). Lorsque l’activité économique est située dans une juridiction qui n’applique ni RIR, ni RPII (p. ex., une juridiction du groupe 2), les bénéfices correspondants, faiblement imposés, sont supposés ne pas être soumis à l’impôt complémentaire. Cela représente toutefois une fraction relativement faible du total des bénéfices faiblement imposés selon les hypothèses considérées dans ce chapitre.

  • Groupe 3 : juridictions ayant un TEI moyen non nul inférieur au taux minimum. Pour les besoins de ce scénario de modélisation, on suppose que la moitié des juridictions du groupe 3 mettent en œuvre une RIR et une RPII (à l’instar des juridictions du groupe 1), et que l’autre moitié ne pratiquent ni l’une ni l’autre (comme les juridictions du groupe 2). L’une des raisons pour lesquelles il est probable que toutes les juridictions de ce groupe ne mettront pas en œuvre une RIR et une RPII est que certaines d’entre elles jugeront qu’imposer, à un taux minimum, les bénéfices « étrangers » risque de paraître incohérent si, par ailleurs, les bénéfices « locaux » restent, eux, imposés à un TEI moyen inférieur à ce taux minimum. Il s’agit donc d’un choix qui peut être lié à d’autres choix de politique fiscale et, singulièrement, à celui d’un éventuel relèvement du TEI sur les bénéfices locaux, que toutes les juridictions de ce groupe ne sont peut-être pas disposées à mettre en œuvre (voir les hypothèses qui sous-tendent le scénario 4, au point 3.7.1 ci-dessous, avec lesquelles les présentes hypothèses visent à s’accorder). En pratique, il n’est pas simple d’identifier les juridictions de ce groupe qui mettraient en place une RIR et une RPII. Au lieu de sélectionner arbitrairement la moitié des juridictions du groupe, on fait l’hypothèse simplificatrice que toutes les juridictions de ce groupe appliquent une RIR et une RPII sur la moitié des bénéfices faiblement imposés sur lesquels elles pourraient les appliquer. Cette hypothèse n’est en aucun cas réaliste en soi, mais elle vise à être un substitut représentatif et neutre pour une situation où la moitié des juridictions de ce groupe appliqueraient ces règles et l’autre moitié ne les appliqueraient pas.

222. Le scénario 1 considère le Pilier Deux isolément, sans tenir compte de ses interactions possibles avec le Pilier Un. Le scénario 2 vise à tenir compte de ces interactions, en supposant, à titre indicatif, que les deux piliers seraient mis en place ensemble et que le Pilier Deux s’appliquerait après la réattribution des bénéfices induite par le Pilier Un.

223. Par exemple, dans un cas extrême où un groupe d’EMN aurait tous ses bénéfices dans une juridiction qui les impose à un taux inférieur au taux minimum au titre du Pilier Deux, tous les bénéfices du groupe (après application éventuelle d’une exclusion sur la substance fondée sur une formule) seraient soumis au Pilier Deux si ce dernier était mis en place isolément (Graphique 3.6). Toutefois, si la réattribution des bénéfices induite par le Pilier Un était appliquée en premier, une portion de ces bénéfices (ou, plus précisément, les droits d’imposition correspondant à ces bénéfices) serait réattribuée aux juridictions de marché (en supposant que le groupe en question entre dans le champ d’application du Pilier Un et dépasse le seuil de bénéfices résiduels). Si le taux d’imposition dans ces juridictions de marché est supérieur au taux minimum du Pilier Deux, ces bénéfices réattribués ne lui seraient pas assujettis, ce qui minorerait les gains globaux de recettes au titre du Pilier Deux.

224. Dans cet exemple, calculer les gains de recettes fiscales au titre du Pilier Un et au titre du Pilier Deux indépendamment l’un de l’autre conduirait à surestimer les gains globaux, par rapport à un calcul de l’effet conjoint des deux piliers qui tiendrait compte des interactions entre eux. Il est possible d’envisager un exemple inverse, où la réattribution effectuée au titre du Pilier Un augmenterait le montant des bénéfices faiblement imposés et donc les gains de recettes au titre du Pilier Deux. Ce serait le cas, par exemple, si un groupe d’EMN réalisait la majeure partie de ses bénéfices dans des juridictions à fiscalité élevée et la majeure partie de son chiffre d’affaires dans des juridictions à faible fiscalité. Toutefois, dans la pratique, les bénéfices des EMN ont tendance à être plus concentrés dans les juridictions à faible fiscalité que ne l’est leur chiffre d’affaires, de sorte que la réattribution effectuée au titre du Pilier Un devrait réduire le montant des bénéfices faiblement imposés au niveau mondial. Par conséquent, la prise en considération des interactions avec le Pilier Un devrait réduire les gains de recettes estimés au titre du Pilier Deux.

225. Pour tenir compte des interactions entre les deux piliers, le scénario 2 applique le Pilier Deux exactement de la même manière et avec les mêmes hypothèses que le scénario 1, mais après modification de l’emplacement du bénéfice en vertu de la réattribution induite par le Pilier Un. En pratique, cela consiste à calculer une matrice de bénéfices ajustée après la réattribution au titre du Pilier Un. Chaque cellule Profitij de la matrice (correspondant aux bénéfices dans la juridiction i des groupes d’EMN dont l’entité mère ultime se trouve dans la juridiction j) est adaptée de la manière suivante :

Profit Adjusté du Pilier 1ij=Profitij+Profit Reçuij-Profit Exonéréij

226. Le montant des bénéfices « reçus » et exonérés au titre du Pilier Un dans chaque cellule de la matrice est fondé sur les estimations du Pilier Un décrites dans le chapitre 226. En théorie, cet ajustement peut être effectué pour toute combinaison d’options de conception et de paramétrage pour le Pilier Un. Par souci de simplicité, un seul jeu d’hypothèses (donné à titre d’illustration) sur la conception et le paramétrage du Pilier Un parmi ceux étudiés dans le chapitre 2 est pris en considération dans le présent chapitre (à savoir, pourcentage de seuil de bénéfices résiduels égal à 10 %, pourcentage de réattribution égal à 20 % et seuil de recettes au niveau mondial égal à 750 millions EUR).

227. La matrice des bénéfices qui en résulte, adaptée en fonction de la réattribution au titre du Pilier Un, est présentée au Tableau 3.7. Par rapport à la matrice des bénéfices initiale (Tableau 3.1), le total de chaque colonne est identique (par construction), mais il y a eu une certaine redistribution entre les lignes, des centres d’investissement vers d’autres groupes de juridictions. L’ampleur de cette redistribution est limitée, ce qui signifie que le montant des bénéfices faiblement imposés au niveau mondial et les gains de recettes estimés au titre du Pilier Deux ne sont que légèrement réduits lorsque l’on tient compte des interactions avec le Pilier Un (Tableau 3.8). Dans la mesure où les interactions avec le Pilier Un n’ont qu’un effet modéré sur les résultats au titre du Pilier Deux, la prise en considération de différentes hypothèses concernant le Pilier Un n’affecterait probablement que marginalement les estimations du Pilier Deux.

228. Le scénario 3 est fondé sur l’hypothèse que la mise en place du Pilier Deux diminuerait l’ampleur du transfert de bénéfices des groupes d’EMN, selon le postulat que le Pilier Deux réduirait les écarts de taux d’imposition entre juridictions, qui sont l’une des principales causes du transfert de bénéfices. Pour estimer l’effet de cette diminution de l’ampleur du transfert de bénéfices sur les recettes fiscales, on part de l’hypothèse que le transfert de bénéfices dépend généralement des écarts de taux d’imposition et on compare les écarts de taux d’imposition avant et après la mise en œuvre du Pilier Deux. De cette comparaison dérive une matrice des bénéfices ajustée intégrant la réduction de l’ampleur du transfert de bénéfices, comme développé ci-dessous.

229. À partir de cette matrice de bénéfices ajustée, on calcule les gains de recettes au titre du Pilier Deux dans le scénario 3 comme étant la somme de deux composantes : i) un effet sur les recettes dû à la moindre ampleur du transfert de bénéfices (puisque les bénéfices qui ne sont plus transférés sont désormais imposés dans la juridiction où ils ont été générés et non plus dans la juridiction vers laquelle ils auraient été transférés) et ii) les recettes collectées via la RIR et la RPII sur les bénéfices faiblement imposés restants, y compris les bénéfices qui continuent d’être transférés vers des juridictions à faible fiscalité. Ce deuxième élément sera probablement inférieur au montant des recettes perçues dans le scénario 2, car la réduction du transfert de bénéfices devrait minorer le montant des bénéfices faiblement imposés à l’échelle mondiale. Cependant, la somme des deux composantes devrait être supérieure aux gains totaux de recettes dans le scénario 2, étant donné qu’une partie des bénéfices qui ne sont plus transférés vers des juridictions à faible fiscalité pourrait finalement être imposée à un taux supérieur au taux minimum dans les juridictions où ils ont été générés.

230. Pour évaluer l’effet de la mise en place du Pilier Deux sur les pratiques de transfert de bénéfices des groupes d’EMN, la première étape consiste à évaluer les schémas actuels de transfert de bénéfices. Par souci de cohérence avec la méthodologie appliquée pour quantifier, dans ce chapitre, les effets du Pilier Deux sur les recettes, le transfert de bénéfices doit être évalué sur une base « trilatérale », c’est-à-dire pour chaque combinaison de i) juridiction où les bénéfices étaient situés avant le transfert (« juridiction d’origine »), ii) juridiction où les bénéfices ont été transférés (« juridiction de destination »), et iii) juridiction de l’entité mère ultime de l’entité transférant les bénéfices (« juridiction de l’EMU »)27. Cette dernière peut ou non être la même que la « juridiction d’origine ». Ce niveau de granularité est nécessaire pour créer une matrice de bénéfices modifiée tenant compte de l’effet du Pilier Deux sur l’ampleur des transferts de bénéfices, de façon que le Pilier Deux puisse ensuite être appliqué à cette matrice de bénéfices ajustée (avec des hypothèses conformes à celles utilisées dans les scénarios 1 et 2). Il faut pour cela aller au-delà de la plupart des études sur le transfert de bénéfices, qui se concentrent souvent sur la mesure d’une semi-élasticité moyenne du transfert de bénéfices dans une série de pays de destination – pour des analyses récentes de ces études, voir par exemple Bradbury et al. (2018[11]) et Beer et al. (2019[12]).

231. Pour obtenir cette dimension « trilatérale » du transfert de bénéfices, l’approche adoptée dans ce chapitre repose sur les étapes ci-dessous, qui sont détaillées dans les sections suivantes et présentées de manière simplifiée dans le Graphique 3.7.

(i) Identification des juridictions de « destination des bénéfices », c’est-à-dire des juridictions vers lesquelles les bénéfices peuvent avoir été transférés, sur la base des données relatives aux investissements directs étrangers (IDE) et au TEI ;

(ii) Calcul du montant des bénéfices présumés transférés dans ces juridictions, en supposant que les bénéfices jusqu’à un certain taux de rentabilité « normal » n’ont pas été transférés, mais peuvent refléter l’activité économique réelle dans ces juridictions. La part des bénéfices transférés est mesurée sur une base « bilatérale », c’est-à-dire pour chaque paire de juridiction « de destination » et de juridiction « de l’EMU » ;

(iii) Identification de l’origine des bénéfices transférés. Pour chaque paire de juridictions « de destination »–« de l’EMU », les bénéfices transférés doivent être réattribués aux juridictions « d’origine ». Cela se fait sur la base des écarts de taux d’imposition par rapport à la juridiction « de destination » (en supposant qu’une différence de taux d’imposition plus élevée entraîne un transfert de bénéfices plus important, toutes choses égales par ailleurs) et sur la répartition géographique de l’activité économique des EMN de la juridiction « de l’EMU » considérée (avec l’idée que les bénéfices sont plus susceptibles de provenir de juridictions où ces EMN ont une activité économique plus importante).

232. Cette approche de la mesure du transfert de bénéfices est nouvelle, même si elle présente quelques points communs avec Tørsløv et al. (2018[5]), Cobham et al. (2019[13]) et Clausing (2020[8]). Elle est rendue possible par le niveau de détail qu’offrent la matrice des bénéfices et les sources de données sous-jacentes, y compris les statistiques anonymisées et agrégées des déclarations pays par pays, qui donnent un état détaillé du montant des bénéfices situés dans les juridictions à faible fiscalité pour chaque juridiction de l’EMU. Afin de comparer les résultats avec l’abondante littérature sur le transfert de bénéfices, une semi-élasticité globale moyenne du transfert de bénéfices est calculée sur la base des résultats et comparée avec les estimations existantes de cette semi-élasticité.

233. Les juridictions potentielles « de destination » des bénéfices sont supposées être celles qui remplissent simultanément deux critères :

  • avoir un ratio IDE entrant/PIB supérieur à 100 %, selon un calcul à partir des données concrètes ou extrapolées sur les IDE – voir l’annexe C du chapitre 5 sur la méthodologie d’extrapolation des IDE28 ;

  • avoir un TEI moyen sur les bénéfices des EMN inférieur à 17.5 %, selon un calcul à partir de la médiane des trois sources de données évoquées dans le point 3.4.2 ci-dessus. Ce taux de 17.5 % n’est pas censé représenter un plafond de TEI au-delà duquel il n’y aurait pas de transfert de bénéfices. En effet, il peut y avoir un transfert de bénéfices entre des juridictions dont les TEI sont supérieurs à 17.5 %. Ce taux est plutôt le taux le plus élevé dans la gamme des taux minimaux possibles examinés à titre d’illustration dans ce chapitre. Étant donné que l’incitation à transférer les bénéfices vers des juridictions dont le TEI moyen est supérieur au taux minimum ne serait pas directement influencée par le Pilier Deux tel que modélisé dans ce chapitre29, nous nous concentrons ici exclusivement sur les transferts de bénéfices vers des juridictions dont le TEI moyen est inférieur au taux minimum. Par exemple, lorsque le taux minimum est supposé être de 12.5 %, seuls les transferts de bénéfices vers les juridictions dont le TEI moyen est inférieur à 12.5 % sont supposés être modifiés par le Pilier Deux30.

234. Sur la base de ces critères, 39 juridictions sont identifiées comme des « destinations de bénéfices » potentielles ; mais toutes ne sont pas considérées comme des « destinations de bénéfices » effectives, car cela dépend également du taux de rentabilité des EMN dans la juridiction concernée (voir la section suivante). Dans l’ensemble, la liste des juridictions présentant des montants substantiels de bénéfices présumés transférés recoupe largement d’autres listes établies par la littérature, telles que celle de Tørsløv et al. (2018[5]), qui se réfère souvent à la liste originelle élaborée par Hines et Rice (1994[14]).

235. Dans ces juridictions « de destination des bénéfices » potentielles, seule une partie des bénéfices déclarés est présumée transférée. En effet, les EMN peuvent y avoir une activité économique locale qui génère des bénéfices (non transférés) locaux. Pour cette raison, seuls les bénéfices dépassant un certain taux de rentabilité « normal » sont présumés transférés. Ce taux de rentabilité normal est fixé à 7.9 % (sur le rapport entre le bénéfice avant impôts et le chiffre d’affaires) dans les estimations de référence, ce qui correspond à la rentabilité moyenne des EMN à l’échelle mondiale observée dans l’échantillon ORBIS31. Des tests de robustesse ont été effectués avec d’autres taux, notamment 5 % et 10 %. Ils donnent des résultats qualitativement semblables à ceux de la référence (Tableau 3.9).

236. Sur la base des données de la matrice des bénéfices et des données sur les TEI du point 3.4.2, des estimations des bénéfices transférés sont dérivées pour chaque paire de juridictions « de destination »–« de l’EMU ». Au niveau agrégé, le montant des bénéfices présumés transférés est estimé dans une fourchette approximative de 650 milliards à 850 milliards USD, soit environ 10 à 14 % des bénéfices des groupes d’EMN au niveau mondial (Tableau 3.9)32. Ce chiffre est globalement conforme aux estimations de 741 milliards et 667 milliards USD obtenues par Tørsløv et al. (2019[15]; 2019[16]), qui sont des actualisations, pour 2017 et 2016 respectivement, de leur précédent chiffre, de 616 milliards USD pour 2015 (Tørsløv, Wier and Zucman, 2018[5]). La part des bénéfices présumés transférés dans les bénéfices totaux tend à être plus élevée dans les juridictions à fiscalité nulle (88-94 %) que dans les autres juridictions de « destination des bénéfices » (55-74 %), ce qui est conforme à l’intuition selon laquelle il y a moins de substance économique (et donc une plus grande part de bénéfices transférés) dans les juridictions à fiscalité nulle que dans les autres juridictions de « destination des bénéfices ».

237. Une fois que les bénéfices transférés ont été repérés, d’autres hypothèses sont nécessaires pour déterminer d’où proviennent les bénéfices, c’est-à-dire la juridiction où ils ont été générés avant d’être transférés. Cette analyse se fait au niveau de chaque paire de juridictions « de destination »–« de l’EMU », au moyen de la formule suivante :

BénéficesTransférési,j,k=λj,k.Yi,k.fτi- τj 

238. Dans cette formule, ProfitShiftedi,j,k est le montant des bénéfices transférés de la juridiction i à la juridiction j par les EMN dont l’entité mère ultime réside dans la juridiction k. L’intuition est que ce bénéfice est proportionnel à l’activité économique dans la juridiction i des EMN dont l’entité mère ultime réside dans la juridiction k. Par exemple, il est peu probable qu’une EMN ayant une très faible activité économique dans une juridiction ait transféré ses bénéfices hors de cette juridiction, quel que soit l’écart de taux d’imposition avec cette juridiction. Cette activité économique est représentée par le chiffre d’affaires dans la juridiction i des EMN dont l’EMU réside dans la juridiction k (désigné Yi,k), qui est tiré de la matrice du chiffre d’affaires33. Les résultats sont globalement identiques lorsque l’on applique le critère des immobilisations corporelles ou celui de la masse salariale au lieu du chiffre d’affaires (Annex 3.C).

239. On suppose de même que le montant des bénéfices transférés dépend de la différence de taux d’imposition entre les juridictions i et j : fτi- τj . Les taux d’imposition pris en considération sont les taux légaux d’IS dans les juridictions « d’origine » des bénéfices, conformément à la majorité de la littérature sur le transfert de bénéfices qui se concentre sur les taux légaux, et les TEI dans les juridictions « de destination » (avec les mêmes sources de données que dans le reste de ce chapitre), car les TEI diffèrent parfois considérablement des taux légaux dans ces juridictions. Plusieurs formes de la relation entre l’ampleur du transfert de bénéfices et les écarts de taux d’imposition (c’est-à-dire de la fonction f) sont examinées dans ce chapitre, comme on le verra plus loin.

240. Enfin, le montant des bénéfices transférés dépend d’un ensemble de facteurs de mise à l’échelle λj,k, qui sont spécifiques à chaque paire de juridictions « de destination »–« de l’EMU ». Ces facteurs d’échelle montrent que certaines juridictions « de destination » des bénéfices sont plus attrayantes pour les EMN d’une juridiction « de l’EMU » donnée – en raison, par exemple, de la proximité géographique ou de l’environnement juridique – et que les écarts de taux d’imposition ne permettent pas à eux seuls de prédire où se trouvent les bénéfices transférés. Au lieu d’être tirés de la littérature ou fixés à des niveaux arbitraires, ils sont fixés à un niveau unique qui est cohérent avec le montant des bénéfices présumés transférés dans chaque paire de juridictions « de destination »–« de l’EMU », tel que calculé dans la section précédente. Formellement, ces facteurs λj,k sont calculés selon la formule suivante :

λj,k=iBénéfices Transférési,j,kiYi,k.fτi- τj 

241. Cette façon de définir les facteurs λj,k garantit la cohérence de l’approche, en ce sens que les bénéfices totaux imputables aux différentes juridictions « d’origine » – pour une paire donnée de juridictions « de destination »–« de l’EMU » – correspondent exactement au bénéfices totaux présumés transférés dans cette paire de juridictions. In fine, la moyenne de ces facteurs λj,k peut être comparée aux estimations de la sensibilité des bénéfices aux écarts de taux d’imposition tirées de la littérature, comme nous le verrons plus loin.

242. Une question centrale est la forme de la fonction f, c’est-à-dire la relation entre le transfert de bénéfices et les écarts de taux d’imposition. Cette question est importante pour la modélisation du transfert de bénéfices dans la présente section, mais aussi parce que cette hypothèse définit la manière dont la réduction des écarts de taux d’imposition dans le cadre du Pilier Deux influera sur l’ampleur du transfert de bénéfices. Les recherches académiques offrent un éclairage limité sur ce point. La plupart des études supposent une relation linéaire entre transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition légaux, et suggèrent que cette relation est significative, mais sans faire de tests empiriques sur d’autres formes possibles (voir, par exemple, Bradbury et al. (2018[11]) et Beer et al. (2019[12]) pour des revues de littérature récentes). Une relation linéaire de ce type est cohérente avec le cadre théorique de Huizinga et Laeven (2008[17]), qui repose sur l’hypothèse sous-jacente que le coût du transfert de bénéfices est quadratique, une solution « intérieure » au problème de maximisation des bénéfices de l’EMN impliquant alors un transfert de bénéfices proportionnel aux écarts de taux d’imposition.

243. Cependant, des études plus récentes suggèrent que la situation est en réalité plus complexe. Bilicka (2019[18]) et Johannesen et al. (2019[19]), notamment, montrent que nombre d’entités constitutives d’EMN déclarent un bénéfice nul dans les juridictions à fiscalité élevée. Cela laisserait entendre que ces EMN sont en mesure de transférer tous leurs bénéfices réalisés dans ces juridictions, auquel cas la solution au problème de maximisation des bénéfices de l’EMN n’est pas systématiquement « intérieure » et la relation entre transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition n’est plus linéaire. L’étude de Dowd et al. (2017[20]) constate une relation non linéaire selon laquelle les groupes d’EMN américains transfèrent plus de bénéfices vers des juridictions où les taux d’imposition sont très bas qu’une élasticité linéaire ne le laisserait supposer34. Cependant, la question étudiée par ces auteurs diffère quelque peu de celle qui est examinée dans ce chapitre. En effet, les travaux de Dowd et al. (2017[20]) se concentrent sur le choix des juridictions « de destination » possibles pour une juridiction « de l’EMU » donnée (auquel cas il peut sembler évident que les EMN transfèrent autant de bénéfices que possible vers les juridictions ayant les TEI les plus faibles), tandis que le présent chapitre vise à identifier les juridictions « d’origine » pour des juridictions « de l’EMU » et « de destination » données.

244. La littérature nous apprend également que, toutes choses égales par ailleurs, le transfert de bénéfices tend à être plus ample dans les juridictions à faible revenu que dans les juridictions à revenu élevé. Par exemple, Fuest et al. (2011[21]), sur la base de microdonnées allemandes, constatent que le transfert de bénéfices via des prêts intra-groupe est environ deux fois plus important dans les pays en développement (de leur échantillon) que dans les autres juridictions, ce qui, selon eux, pourrait s’expliquer par la capacité limitée de ces pays à appliquer des politiques anti-évasion fiscale. Johannesen et al. (2019[19]) constatent qu’une diminution de dix points de pourcentage des taux d’imposition des filiales étrangères augmente de 4 points de pourcentage la probabilité qu’une EMN déclare des bénéfices nuls dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, mais de seulement 1.7 point de pourcentage la même probabilité dans les pays à revenu élevé, sur la base des données d’ORBIS au niveau des entreprises. Enfin, Cobham et Janský (2018[22]), s’appuyant sur des données macroéconomiques, constatent que « l’intensité des pertes est nettement plus importante dans les juridictions à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur, ainsi qu’en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et aux Caraïbes et en Asie du Sud par rapport à d’autres régions ».

245. Dans ce contexte, l’hypothèse de référence dans le présent chapitre est que le transfert de bénéfices est généralement proportionnel aux écarts de taux d’imposition, mais plus ample dans les juridictions à faible revenu. Formellement, on suppose que la fonction f est définie comme suit : fτi- τj =αi.τi- τj si τi- τj est positif, et zéro sinon. Le coefficient αi est égal à 1 dans les juridictions à revenu élevé, à 1.5 dans celles à revenu intermédiaire et à 2 dans celles à faible revenu (sur la base de la classification par niveaux de revenu développée par la Banque mondiale). Cette forme de relation entre le transfert de bénéfices et les écarts de taux d’imposition est présentée dans le Graphique 3.8. Comme indiqué ci-dessus, les montants absolus de bénéfices transférés imputés à chaque juridiction « d’origine » dépendront des hypothèses présentées dans ce graphique, mais aussi des facteurs λj,k qui capturent le montant des bénéfices présumés transférés dans chaque juridiction « de destination » (et pour chaque juridiction « de l’EMU »).

246. Compte tenu de la possibilité de forme non linéaire de la relation entre le transfert de bénéfices et les écarts de taux d’imposition, d’autres formes sont considérées comme des tests de robustesse. Ces formes sont utilisées aux fins de créer des fourchettes d’incertitude autour des estimations.

247. Deux autres formes sont envisagées. La première repose sur l’idée que les juridictions à faible revenu peuvent souffrir du transfert de bénéfices pour des raisons fiscales, mais aussi non fiscales. Par exemple, les investisseurs peuvent transférer leurs bénéfices hors de ces juridictions par crainte de l’instabilité politique ou pour contourner le contrôle des capitaux (ce qui peut aussi être le cas dans les juridictions à revenu élevé, mais probablement moins fréquemment que dans les juridictions à faible revenu). En conséquence, le transfert de bénéfices peut exister dans ces juridictions même pour des écarts de taux d’imposition relativement faibles, et la pente ultérieure de la relation entre le transfert de bénéfices et les écarts de taux d’imposition peut être moins prononcée que celle envisagée dans le scénario de référence (Graphique 3.9, Partie A). Cette forme tient également compte de l’hypothèse selon laquelle, dans le cas d’écarts de taux d’imposition relativement minimes (c’est-à-dire, inférieurs à 5 points de pourcentage), les EMN peuvent aussi estimer que le coût du transfert de bénéfices serait supérieur aux gains (en économies d’impôt). C’est la raison pour laquelle, dans le Graphique 3.9 (Partie A), l’ampleur du transfert de bénéfices n’augmente pas avec l’écart de taux d’imposition tant que cet écart reste inférieur à 5 points de pourcentage.

248. La seconde autre forme prend le même point de départ, mais suppose également que la pente de la relation devient moins raide – dans toutes les catégories de revenu – au-dessus d’un certain niveau. L’idée est qu’au-delà d’un certain écart de taux d’imposition, les incitations des EMN à transférer leurs bénéfices sont de toute façon fortes, de sorte qu’une modification à la marge des écarts de taux d’imposition ne les influencerait pas sensiblement (Graphique 3.9, Partie B).

249. Il est possible de comparer les estimations obtenues au moyen de la méthodologie décrite dans les sections qui précèdent avec la littérature existante en calculant une semi-élasticité moyenne agrégée des bénéfices par rapport aux écarts de taux d’imposition. En pratique, cela signifie qu’il faut calculer une moyenne pondérée des coefficients λj,k.αi Dans le cas de référence décrit ci-dessus, cette élasticité agrégée du transfert de bénéfices est estimée à environ 1.235 – une valeur qui est proche de la semi-élasticité de 1 obtenue dans une méta-analyse récente réalisée par Beer et al. (2019[12]), mais aussi de la semi-élasticité de 0.8 constatée lors d’une méta-étude antérieure (Heckemeyer and Overesch, 2017[23]). La semi-élasticité constatée lors d’estimations antérieures de l’OCDE dans le cadre du rapport sur l’Action 11 du BEPS était d’environ 1 également (OCDE, 2017[24]; Johansson et al., 2017[25]). Dans l’ensemble, la méthodologie d’évaluation du transfert de bénéfices présentée dans ce chapitre, bien que fondée sur une approche et des sources de données différant de la plupart des études antérieures, serait donc assez conforme à ces études pour ce qui est des résultats globaux, comme le suggèrent aussi les résultats présentés dans le Tableau 3.9.

250. Le Pilier Deux devrait permettre de réduire les écarts de taux d’imposition entre les juridictions. Plus précisément, il devrait réduire l’écart de taux d’imposition par rapport aux juridictions où le TEI est actuellement inférieur au taux minimum, en augmentant ce TEI à concurrence du taux minimum. Dans un scénario où les gouvernements de ces juridictions ne réagissent pas (scénario 3, par exemple), ce taux minimum serait acquitté dans une autre juridiction (p. ex., la juridiction de l’EMU dans le cas de la RIR). Si certaines des juridictions ayant un TEI inférieur au taux minimum augmentent leur TEI à concurrence du taux d’imposition minimum, comme envisagé dans le scénario 4, alors l’impôt serait payé dans ces juridictions.

251. Dans ces deux cas, les incitations des EMN à transférer leurs bénéfices vers des juridictions à faible fiscalité seraient réduites par rapport à un scénario sans le Pilier Deux. Il est également utile de noter que ces incitations seraient les mêmes que les juridictions à faible fiscalité augmentent ou non leur TEI, puisque le groupe d’EMN paierait le même montant d’impôts sur ses bénéfices transférés (la seule différence étant le lieu où ces impôts sont payés). C’est pourquoi l’ordre dans lequel les réactions respectives des EMN et des États sont prises en considération dans ce chapitre a relativement peu d’incidence sur le résultat final, comme mentionné précédemment36.

252. On suppose que l’ampleur du transfert de bénéfices est sensiblement réduite par le resserrement des écarts de taux d’imposition induit par le Pilier Deux. Cependant, le transfert de bénéfices ne devrait pas être complètement éliminé par le Pilier Deux, car certains écarts de taux d’imposition persisteraient entre le taux minimum et le taux (plus élevé) qui s’applique dans les juridictions où le TEI est supérieur au taux minimum (voir l’exemple simplifié du Graphique 3.10). En pratique, la décision d’un groupe d’EMN de continuer ou non à pratiquer un certain dispositif de transfert de bénéfices dépendra de l’écart de taux d’imposition après la mise en œuvre du Pilier Deux et du coût du dispositif (p. ex., les coûts financiers et de conseil liés à sa mise en place, le coût de réputation). Dans certains cas, le groupe d’EMN peut continuer à utiliser le dispositif, tandis que dans d’autres, il peut estimer que les coûts dépasseront les avantages après la mise en place du Pilier Deux. Il est difficile d’évaluer à quel point la décision de réduire ou même d’arrêter le transfert de bénéfices sera fréquente, car le coût du transfert de bénéfices n’est pas connu avec précision et varie selon les groupes d’EMN et les juridictions.

253. En outre, les décisions des EMN peuvent être plus complexes que le simple choix entre la poursuite ou l’arrêt d’un dispositif de transfert de bénéfices, car une autre solution possible peut être de créer un dispositif différent pour transférer les bénéfices vers une autre juridiction (par exemple une juridiction ayant un TEI plus élevée mais vers laquelle transférer des bénéfices est moins coûteux), y compris, éventuellement, par le biais d’un changement de structure organisationnelle37. Ces réactions complexes dépendront des circonstances et des choix particuliers de chaque groupe d’EMN, et leur modélisation va au-delà de l’ambition de ce chapitre. Si les réactions des EMN s’écartent sensiblement des hypothèses de modélisation simplifiées utilisées dans ce chapitre, qui sont décrites ci-dessous, cela pourrait influencer sensiblement les effets estimés sur les recettes fiscales au titre du Pilier Deux, en particulier au niveau des juridictions prises individuellement. Au niveau mondial, ou pour de larges groupes de juridictions, les effets de réactions différentes en matière de transfert de bénéfices pourraient s’annuler en partie (par exemple, si une juridiction du groupe reçoit plus de bénéfices, une autre juridiction du groupe en recevra peut-être moins).

254. Dans ce contexte, l’hypothèse de référence simplifiée du présent chapitre est que le transfert de bénéfices diminuerait en proportion de la réduction des écarts de taux d’imposition induite par le Pilier Deux. Par exemple, si le Pilier Deux réduit d’un tiers l’écart de taux d’imposition entre deux juridictions, le transfert de bénéfices entre ces deux juridictions est supposé diminuer d’un tiers. Cette hypothèse est conforme à la modélisation de référence du transfert de bénéfices exposée ci-dessus.

255. Toutefois, cette hypothèse ne tient pas compte des faits suivants : i) une partie du transfert de bénéfices dans les juridictions à faible revenu est liée à des facteurs non fiscaux et peut perdurer après la mise en place du Pilier Deux et ii) en cas d’écarts taux d’imposition importants, une modification à la marge de l’écart peut ne pas modifier notablement l’ampleur du transfert de bénéfices, puisque l’incitation au transfert est de toute façon forte (autrement dit, le gain résultant du transfert de bénéfices est tellement supérieur au coût dans ce cas qu’une réduction marginale de ce gain ne modifierait pas le choix du groupe d’EMN de pratiquer le transfert de bénéfices). Ces considérations sont intégrées dans le scénario de test de robustesse fondé sur les deux autres formes de la relation entre ampleur du transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition (Graphique 3.9). En particulier, avec la seconde forme, les incitations à transférer les bénéfices deviennent moins sensibles aux écarts de taux d’imposition lorsque ceux-ci sont relativement grands. Ces deux scénarios de test de robustesse sont utilisés pour construire les fourchettes d’incertitude autour des estimations.

256. Sur la base des hypothèses décrites ci-dessus, une matrice des bénéfices modifiée tenant compte de la diminution de l’ampleur du transfert de bénéfices est présentée dans le Tableau 3.10 pour un taux d’imposition minimum indicatif de 12.5 %. Les résultats sont d’abord calculés pour la forme de référence de la relation entre ampleur du transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition (Partie A), puis pour les deux autres formes illustrées dans le Graphique 3.9 (Parties B et C). Par rapport au Tableau 3.7, le montant total des bénéfices dans chaque colonne est le même (par construction), mais la localisation des bénéfices s’est déplacée entre les lignes de la matrice. De façon générale, les bénéfices ont été redistribués entre les groupes, au profit des trois grands groupes de juridictions. Le montant des bénéfices dans les centres d’investissement est réduit d’environ 9 à 10 % par rapport au Tableau 3.7 (selon la partie considérée) et le montant des bénéfices dans les autres groupes de juridictions est augmenté de 1 à 8 % selon le groupe et la partie considérés. En particulier, les juridictions à revenus intermédiaire et faible ont tendance à récupérer moins de bénéfices au titre des autres formes de la relation entre ampleur du transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition (Parties B et C) qu’au titre de la forme de référence (Partie A), ce qui est cohérent avec les hypothèses qui sous-tendent ces autres formes, qui sont développées à la section précédente.

257. Les estimations de la section précédente reposent sur un scénario dans lequel le Pilier Deux ne comprendrait pas d’exclusion de type formule sur le critère de la substance. Cette section examine comment l’intégration d’une exclusion potentielle fondée sur une formule pourrait modifier l’effet du Pilier Deux sur les incitations au transfert de bénéfices des EMN.

258. L’exclusion sur la substance selon une formule pourrait avoir deux effets principaux sur le comportement des EMN en matière de transfert de bénéfices. Premièrement, une exclusion pourrait en théorie réduire l’effet du Pilier Deux sur le transfert de bénéfices dans des situations spécifiques où un groupe d’EMN transférerait ses bénéfices vers une juridiction où il possède déjà un volume substantiel d’immobilisations corporelles ou de masse salariale, ou les deux. En pratique, cela ne devrait pas être très fréquent, car les bénéfices ont de fortes chances d’être (et sont généralement) transférés vers des juridictions où les groupes d’EMN ont des niveaux minimes d’activité substantielle (voir le Tableau 3.5, par exemple). Par exemple, si l’on suppose qu’après la mise en place du Pilier Deux, i) les incitations à transférer les bénéfices ne sont pas modifiées tant que les bénéfices transférés font finalement l’objet d’une exclusion au titre du Pilier Deux et ii) le Pilier Deux a le même effet sur le transfert de « bénéfices non exclus » que l’absence d’exclusion38, alors, l’effet du Pilier Deux sur le montant global des bénéfices transférés se trouve réduit de moins de 1 % par rapport à une situation où le Pilier est appliqué sans exclusion39.

259. Deuxièmement, l’existence d’une exclusion de type formule sur le critère de la substance pourrait encourager les groupes d’EMN à transférer des immobilisations corporelles ou de la main-d’œuvre vers des juridictions à faible fiscalité où ils transfèrent déjà des bénéfices (ou pourraient le faire à l’avenir) afin de bénéficier de l’exclusion. Cet effet est difficile à modéliser car il dépend du coût de cette relocalisation d’immobilisations corporelles ou de main-d’œuvre entre deux juridictions, coût qui varie bien entendu selon le groupe d’EMN et selon la juridiction. Dans la pratique, les immobilisations corporelles et la main-d’œuvre sont généralement moins faciles à déplacer que les actifs incorporels. Compte tenu des pourcentages d’exclusion envisagés dans ce chapitre, il semble peu probable que de telles délocalisations se produisent en grand nombre40. Néanmoins, une exclusion sur la substance fondée sur une formule peut inciter les EMN qui pratiquent la planification fiscale à reclasser le lieu des immobilisations corporelles ou de la main d’oeuvre à des fins fiscales sans modifier sensiblement leur emplacement physique réel, ou à chercher d’autres mécanismes pour tenter de bénéficier de l’exclusion sans pour autant déplacer les immobilisations corporelles ou la main-d’œuvre. Dans cette optique, il est important que l’exclusion soit conçue de manière à éviter les abus, en ce sens qu’elle n’ouvre des droits d’exclusion que lorsqu’ils sont justifiés par l’emplacement effectif des immobilisations corporelles ou de la main-d’œuvre.

260. Dans ce contexte, les estimations présentées ici supposent que l’effet du Pilier Deux sur l’ampleur du transfert de bénéfices est le même dans les scénarios avec exclusion sur la substance selon une formule et dans le scénario sans exclusion.

261. Les gains de recettes au titre du Pilier Deux dans le scénario 3 sont calculés sur la base des hypothèses décrites aux sections précédentes et présentées dans le Tableau 3.11. Par souci de simplicité, les estimations sont présentées sous la forme de valeurs précises et les fourchettes reflétant l’incertitude relative aux réduits de bénéfices faiblement imposés ne sont pas incluses dans ce tableau (elles le sont dans les tableaux récapitulatifs présentés à la section 3.9). Les gains de recettes fiscales se composent de deux éléments :

  • L’effet de la diminution de l’ampleur du transfert de bénéfices : les bénéfices qui ne sont plus transférés sont supposés être imposés au taux légal de l’IS dans les juridictions « d’origine » où ils ont été générés. Cette hypothèse concorde avec la littérature sur le transfert de bénéfices, qui suppose généralement que le taux marginal d’imposition qui serait sinon appliqué aux bénéfices transférés est le taux légal41. En revanche, les juridictions « de destination » recevraient moins de bénéfices transférés, ce qui leur ferait perdre des recettes fiscales. Pour ces juridictions, on suppose que les bénéfices transférés étaient imposés au TEI moyen des EMN, pour tenir compte du fait que certaines de ces juridictions imposent les bénéfices des EMN à un taux bien inférieur au taux légal42. Globalement, au niveau mondial, cela se traduit par un gain de recettes fiscales, puisque le taux d’imposition appliqué est plus élevé dans les juridictions « d’origine » que dans les juridictions « de destination » des bénéfices :

  • Les recettes perçues grâce à l’impôt minimum : même si l’ampleur du transfert de bénéfices des EMN est amoindrie, une partie des bénéfices resterait située dans des juridictions où le TEI est inférieur au taux minimum. Les bénéfices dans ces juridictions (à l’exception de ceux des groupes d’EMN américains, auxquels le régime GILTI s’appliquerait) seraient soumis à la RIR et à la RPII, qui sont modélisées avec les mêmes hypothèses que dans les scénarios 1 et 2. Les interactions avec le Pilier Un sont prises en considération de la même manière que dans le scénario 2, sur la base de la matrice des bénéfices adaptée en fonction des nouveaux schémas de transfert de bénéfices.

262. Dans la dernière partie de ce chapitre, les résultats sont présentés sous forme de fourchettes afin de refléter l’incertitude entourant les estimations. Dans le cas de l’effet de la diminution du transfert de bénéfices, la fourchette est définie de la manière suivante : pour chaque juridiction, le point inférieur(supérieur) de la fourchette est la valeur minimale(maximale) des résultats obtenus avec les trois formes de la relation entre ampleur du transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition considérées dans le présent chapitre (formes de référence et autres formes n° 1 et n° 2, décrites dans le Graphique 3.8 et le Graphique 3.9).

263. Dans le scénario 4, on suppose qu’une partie des juridictions modifieraient certaines de leurs règles ou leurs taux d’imposition pour augmenter leur TEI sur les bénéfices actuellement imposés en dessous du taux minimum. Cette réaction se justifie par le fait qu’un relèvement du TEI (à concurrence d’un niveau inférieur ou égal au taux minimum) ne modifierait pas nécessairement le montant global de l’impôt acquitté par les groupes d’EMN, mais permettrait aux juridictions qui augmentent leur TEI de capter une plus grande part des recettes fiscales mondiales.

264. En pratique, savoir si une telle augmentation du TEI modifierait ou non le montant global de l’impôt payé par les EMN n’est pas évident, car cela dépend de la conception du Pilier Deux et de l’EMN considérée. En particulier, si le Pilier Deux comprend une exclusion sur la substance déterminée par une formule, un relèvement du TEI pourrait accroître le montant global de l’impôt payé par certaines EMN, car ces dernières « perdraient le bénéfice » de l’exclusion dans les pays qui relèvent leur TEI (c’est-à-dire qu’elles devraient acquitter le taux d’imposition minimum sur la totalité de leurs bénéfices, y compris ceux qui ont été exclus au titre du Pilier Deux)43,44. Dans le cas des EMN américaines, dans l’hypothèse de la coexistence du GILTI et du Pilier Deux, l’augmentation du TEI par une juridiction à faible fiscalité entraînerait également une augmentation du montant global de l’impôt acquitté45.

265. L’incertitude autour de l’augmentation ou non du montant de l’impôt mondial acquitté par les EMN en cas de relèvement local du TEI ne permet pas de déterminer avec certitude quelles juridictions décideraient de relever leur TEI en réaction à la mise en place du Pilier Deux. D’autres considérations (examinées dans la section suivante), telles que les coûts administratifs liés à la création ex nihilo d’un système d’IS dans une juridiction ou les répercussions possibles sur l’imposition des entreprises non multinationales, ajoutent également à cette incertitude. En conséquence, les hypothèses présentées dans la section qui suit ne doivent être considérées que comme des hypothèses simplifiées et illustratives.

266. La modélisation du scénario 4 dans ce chapitre repose sur certaines hypothèses concernant les réactions des États, résumées dans le Tableau 3.12, qui sont conformes à celles formulées dans le point 3.4.5 ci-dessus concernant la mise en œuvre du Pilier Deux. Elles ne dépendent pas de l’hypothèse d’une éventuelle exclusion de type formule sur le critère de la substance, même si, comme nous l’avons vu plus haut, une telle exclusion tendrait à réduire les incitations des juridictions à faible fiscalité à augmenter leur TEI.

  • Groupe 1 : juridictions dont le TEI moyen est supérieur au taux minimum. Aucune réaction n’est modélisée. Cela s’explique par le fait que, comme nous l’avons vu plus haut, la réaction potentielle des autorités des juridictions dont le TEI est supérieur au taux minimum est a priori incertaine46.

  • Groupe 2 : juridictions à taux d’IS nul. Aux fins de la modélisation présentée dans ce chapitre, les juridictions de ce groupe ne sont pas supposées relever leur TEI et ce, parce qu’elles ne disposent généralement pas d’un système d’impôt sur les sociétés (IS). La mise en place d’un système d’IS ex nihilo engendrerait des coûts administratifs importants, pourrait amener ces juridictions à être considérées comme des destinations d’investissement moins attrayantes et pourrait également avoir des retombées sur d’autres secteurs de leur économie puisque les entreprises non multinationales devraient éventuellement être soumises à l’IS nouvellement mis en place. Si l’on part du principe que le Pilier Deux comprend une exclusion sur la substance selon une formule, un argument supplémentaire est qu’une augmentation du TEI ne serait plus neutre pour le montant global de l’impôt acquitté par les EMN, comme nous l’avons vu plus haut. Dans l’hypothèse d’une coexistence du GILTI avec le Pilier Deux, l’augmentation du TEI ne serait pas non plus neutre pour les EMN américaines.

  • Groupe 3 : juridictions ayant un TEI moyen non nul inférieur au taux minimum. Les juridictions de ce groupe ont un système d’impôt sur les sociétés ; il leur est donc plus facile qu’aux juridictions du groupe 2 d’augmenter leur TEI. Néanmoins, il semble plausible que toutes n’augmenteront pas leur TEI, y compris pour les raisons évoquées ci-dessus. En outre, les TEI auxquels sont soumises les EMN peuvent ne pas être homogènes, car ils reflètent l’application de dispositions fiscales variées (p. ex., différents types de déductions fiscales et de régimes préférentiels), auquel cas il n’est peut-être pas simple de porter le TEI de toutes les entités des groupes d’EMN au niveau du taux minimum. Au vu de ces éléments :

    • l’hypothèse retenue dans ce chapitre est que la moitié des juridictions du groupe 3 augmenteraient leur TEI sur les bénéfices des EMN à concurrence du taux minimum au titre du Pilier Deux, tandis que l’autre moitié ne le feraient pas. Cela concorde avec les hypothèses relatives à la mise en œuvre des RIR et RPII, exposées dans le point 3.4.5, où la moitié des juridictions de ce groupe sont supposées mettre en œuvre une RIR et une RPII. Les gains de recettes potentiels liés à une hausse du TEI des entités non constitutives d’EMN ne sont pas pris en considération dans ce chapitre.

    • En pratique, et comme ci-dessus, il n’est pas simple d’identifier les juridictions du groupe 3 qui augmenteraient leur TEI ; aussi une méthodologie semblable à celle utilisée pour la mise en œuvre des RIR et RPII dans le scénario 1 est-elle appliquée. Au lieu de sélectionner arbitrairement la moitié des juridictions du groupe, on fait l’hypothèse simplificatrice que toutes les juridictions de ce groupe augmentent leur TEI pour combler la moitié de l’écart par rapport au taux minimum. Là encore, cette hypothèse n’a pas l’ambition d’être réaliste en soi, mais se veut plutôt un substitut raisonnable pour une situation dans laquelle la moitié des juridictions de ce groupe augmenteraient leur TEI pour atteindre le niveau du taux minimum et l’autre moitié ne modifieraient pas leur TEI. Pour les besoins de l’établissement de fourchettes d’incertitude autour des estimations, on suppose qu’entre un tiers et deux tiers des juridictions de ce groupe augmenteraient leur TEI jusqu’au niveau du taux minimum (au lieu de la moitié dans le scénario de référence).

267. La méthode de calcul des gains de recettes permis par le scénario 4 est relativement simple, puisque l’emplacement des bénéfices est le même que dans le scénario 3 (Tableau 3.10). La principale différence avec le scénario 3 est la répartition des gains de recettes entre les juridictions, car les juridictions qui augmentent leur TEI captent une plus grande part des gains de recettes au niveau mondial. Dans la pratique, les gains spécifiques à chaque juridiction sont calculés conformément aux scénarios 1 à 3 ci-dessus, avec l’hypothèse supplémentaire que les bénéfices réalisés dans une juridiction qui relève son TEI sont imposés par cette juridiction, au lieu d’être soumis aux RIR et RPII d’autres juridictions (Graphique 3.11).

268. Les gains de recettes au niveau mondial dans le scénario 4 sont présentés dans le Tableau 3.13. Par souci de simplicité, les estimations sont présentées sous la forme de valeurs précises et les fourchettes reflétant l’incertitude relative aux réduits de bénéfices faiblement imposés ne sont pas incluses dans ce tableau (elles le sont dans les tableaux récapitulatifs présentés à la section 3.9). Toujours dans un souci de simplicité, les résultats du Tableau 3.13 se concentrent uniquement sur la forme de référence de la relation entre ampleur du transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition. Les résultats pour les deux autres formes évoquées ci-dessus sont exposés à l’Annex 3.A.

269. Comme indiqué ci-dessus, bien qu’aucune décision n’ait encore été prise par le Cadre inclusif, il est supposé à titre indicatif dans ce chapitre que le régime GILTI coexisterait avec le Pilier Deux. Cela implique a priori que les États-Unis percevraient les recettes fiscales au titre du GILTI, au lieu de la RIR, sur les bénéfices étrangers faiblement imposés de leurs groupes d’EMN.

270. Le régime GILTI partage certaines caractéristiques avec la proposition GloBE, en ce sens qu’il implique un niveau minimum d’imposition sur les bénéfices étrangers des EMN américaines ; il en diffère également à plusieurs égards. Une différence notable est le niveau d’agrégation : le régime GILTI retient – essentiellement, mais pas complètement – une agrégation des bénéfices étrangers au niveau mondial, alors que GloBE (selon les hypothèses illustratives de ce chapitre) mettrait en œuvre une agrégation par juridiction. D’autres différences (qui dépendront aussi de la conception définitive du régime GloBE) pouraient concerner notamment l’existence d’un seuil de recettes « mondial », la définition exacte de la base d’imposition, l’inclusion de dispositions relatives aux reports des pertes et des crédits d’impôt, la définition des impôts couverts ainsi que l’existence et la structure d’éventuelles exclusions (voir le rapport sur le blueprint du Pilier Deux). Le taux d’imposition du GILTI varie entre 10.5 % et 13.125 % selon le montant des impôts étrangers acquittés47. Ces taux devraient monter à 13.125 % au minimum et 16.406 % au maximum en 2026. Le régime GILTI s’applique aux bénéfices dépassant 10 % de la valeur comptable des immobilisations corporelles utilisées dans la production du revenu assujetti à la taxe, moins certaines charges d’intérêt (soit la définition des « immobilisations admissibles employées dans l’activité », qualified business asset investments, QBAI).

271. Il va au-delà de l’ambition de ce chapitre de modéliser avec précision les gains de recettes au titre du GILTI, en raison notamment des nombreuses différences de règles potentielles avec la proposition GloBE. Les estimations ex ante du JCT concernant les gains possibles au titre du régime GILTI sont présentées dans le Tableau 3.14 (US Joint Committee on Taxation, 2017[1]). Sur la période de 2018 à 2025, les gains estimés représentent environ 9 milliards à 10 milliards USD par an. Les gains de recettes devraient passer à 21 milliards USD en 2027, en raison de l’augmentation prévue du taux du GILTI. À ce jour, aucune évaluation ex post du régime GILTI n’a été publiée par les autorités américaines. Par rapport à l’évaluation ex ante du JCT, il a été avancé que les gains de recettes réels pourraient être plus élevés (Horst, 2019[26]), car certaines dispositions de la loi (notamment sur l’imputation des dépenses déductibles) sont plus strictes que prévu lors de l’évaluation ex ante.

272. On peut s’attendre à ce que le régime GILTI ait eu un effet sur le transfert de bénéfices des groupes d’EMN américains en réduisant les gains potentiels associés au transfert de bénéfices vers des juridictions à faible fiscalité, ce qui pourrait influer sur les recettes fiscales aux États-Unis et dans d’autres juridictions. Toutefois, la quantification de cet effet est compliquée par le fait que le régime GILTI a été mis en place dans le cadre d’une vaste et complexe réforme de l’IS aux États-Unis, comprenant une réduction du taux d’imposition légal et plusieurs autres mesures importantes – telles que le régime FDII (Foreign-Derived Intangible Income) ou encore la BEAT (Base Erosion and Anti-abuse Tax)– qui ont aussi, probablement, modifié les incitations au transfert de bénéfices des EMN. Une autre complication vient de la nature du régime GILTI qui procède par agrégation au niveau mondial, de sorte que les incitations au transfert de bénéfices ne sont pas modifiées de la même manière pour toutes les entreprises, selon que le TEI moyen sur les revenus étrangers de l’EMN est supérieur ou inférieur au taux du GILTI. Par exemple, le taux du GILTI ne réduit pas les incitations au transfert de bénéfices des groupes d’EMN lorsqu’il reste inférieur au TEI moyen sur leurs bénéfices étrangers (même s’il est supérieur au TEI pratiqué dans certaines juridictions). En outre, le taux du GILTI peut inciter à des réactions plus complexes comme de transférer certains actifs corporels hors des États-Unis aux fins de bénéficier d’une exclusion plus importante48.

273. Les estimations présentées dans ce chapitre n’incluent normalement pas les groupes d’EMN dont l’entité mère ultime réside aux États-Unis. Aux fins de l’évaluation des gains de recettes à l’échelle mondiale (y compris ceux liés aux EMN américaines) dans le point 3.9.3, on suppose que les gains réalisés par les États-Unis au titre du régime GILTI se situeraient dans une fourchette de 9 milliards à 21 milliards USD. L’utilisation d’une fourchette permet d’intégrer à la fois l’incertitude autour des estimations ex ante faites par le JCT et celle générée par l’augmentation prévue des taux à partir de 2026.

274. Les estimations des effets nets du Pilier Deux pour les recettes au niveau mondial dans les quatre scénarios envisagés – à l’exclusion des gains liés aux EMN américaines – sont résumées dans le Tableau 3.15, où sont couverts différents taux minimum pris à titre d’illustration. Les résultats sont présentés sans exclusion sur la substance de type formule (Partie A) ou avec exclusion de 10 % sur la masse salariale plus l’amortissement des immobilisations corporelles (Partie B).

275. Les résultats sont présentés sous forme de fourchettes, afin de refléter l’incertitude entourant trois facteurs :

  • dans les quatre scénarios, le montant des bénéfices faiblement imposés assujettis à la RIR ou à la RPII est supposé être assorti d’un facteur d’incertitude de ±10 % autour de la valeur d’estimation précise. En outre, la limite supérieure de la fourchette du scénario 1 est relevée de 50 % pour l’option sans exclusion, ou de 40 % pour l’option avec une exclusion de 10 %, afin d’intégrer l’incertitude autour des réduits de bénéfices faiblement imposés dans les juridictions à fiscalité élevée, comme expliqué au point 3.4.3. La limite inférieure de la fourchette est inchangée. Dans les scénarios 2 à 4, la limite supérieure de la fourchette est relevée du même montant absolu que dans le scénario 1, eu égard au fait que le niveau absolu d’incertitude entourant ces réduits est le même dans les quatre scénarios ;

  • dans les scénarios 3 et 4, l’effet de la réduction du transfert de bénéfices est supposé se situer dans une fourchette formée par les estimations minimales et maximales pour les trois formes de la relation entre ampleur du transfert de bénéfices et écarts de taux d’imposition qu’envisage l’analyse (à savoir, la forme de référence illustrée dans le Graphique 3.8 et les deux « autres formes » représentées dans le Graphique 3.9). Lorsque l’on considère les estimations à l’échelle mondiale (par opposition aux estimations au niveau des groupes de juridictions), les effets de l’utilisation de ces différentes formes se compensent en partie. Par exemple, lorsqu’un groupe de juridictions tend à gagner plus de recettes avec une forme, les autres groupes tendent à en gagner moins, et l’estimation au niveau mondial varie peu (comme on peut le voir dans le Tableau 3.11). Pour éviter que cet effet ne produise des fourchettes trop étroites de l’effet d’une réduction du transfert de bénéfices au niveau mondial, on rajoute des marges d’incertitude de ±10 % ; concrètement, lors de la construction des fourchettes « mondiales », on applique -10 % au résultat minimum pour les trois formes de transfert de bénéfices et une marge de +10 % au résultat maximum.

  • Dans le scénario 4, la part des juridictions à faible fiscalité (du groupe 3) augmentant leur TEI est supposée se situer entre un tiers et deux tiers. Comme on l’a vu au point 3.7.1, l’estimation de référence est un relèvement de leur TEI par la moitié des juridictions de ce groupe.

276. Une ventilation plus détaillée de la contribution des différentes composantes à ce résultat est présentée à titre d’illustration dans le Graphique 3.12 ; le cas avec un taux minimum de 12.5 % est pris comme exemple, dans une situation sans exclusion (Partie A), puis dans la situation d’une exclusion de 10 % sur la masse salariale et l’amortissement des immobilisations corporelles (Partie B). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que les interactions avec le Pilier Un n’ont qu’une incidence limitée sur les gains de recettes au titre du Pilier Deux (scénario 2). La réduction de l’ampleur du transfert de bénéfices des EMN entraîne une augmentation substantielle des gains de recettes fiscales au niveau mondial (scénario 3). Enfin, l’augmentation du TEI dans certaines juridictions ne modifie que légèrement49 les gains de recettes au niveau mondial, mais change sensiblement la répartition de ces gains entre les juridictions (scénario 4). Dans les quatre scénarios, l’effet d’une exclusion sur la substance selon une formule sur les gains estimés est relativement faible.

277. Dans un souci d’exhaustivité, il est intéressant d’examiner les gains de recettes fiscales à l’échelle mondiale en incluant ceux qui proviennent des EMN américaines. Ces derniers correspondent à l’effet du GILTI dans l’hypothèse illustrative que ce régime coexisterait avec le Pilier Deux, appréhendé au moyen des estimations du JCT du Congrès américain décrites à la section 3.8 Le Tableau 3.16 fournit une vue d’ensemble des résultats à l’échelle mondiale incluant les EMN américaines, pour plusieurs taux d’imposition minimum (10 %, 12.5 % et 15 %) dans deux scénarios illustratifs supposant soit l’absence d’exclusion, soit une exclusion de 10 % sur la masse salariale plus l’amortissement des immobilisations corporelles. Les résultats se concentrent sur le scénario 3 (c’est-à-dire, celui qui inclut les interactions avec le Pilier Un et la réaction des EMN). Par exemple, en supposant un taux d’imposition minimum de 12.5 %, la somme des gains au titre du Pilier Deux (effets directs et indirects) et au titre du régime GILTI pourrait totaliser entre 2.0 et 3.8 % des recettes de l’IS.

278. Les résultats par grand groupe de juridictions dans les quatre scénarios et sur la base de plusieurs taux d’imposition minimum illustratifs (10 %, 12.5 % et 15 %) sont détaillés dans le Graphique 3.13. Ces résultats excluent les gains de recettes liés aux EMN américaines, et le groupe des juridictions à revenu élevé n’inclut pas les États-Unis. La Partie A concerne les quatre groupes considérés dans l’analyse (juridictions à revenu élevé, juridictions à revenu intermédiaire, juridictions à faible revenu et centres d’investissement) ; la Partie B présente les mêmes résultats mais pour les seuls trois premiers groupes de juridictions (c’est-à-dire, en excluant les centres d’investissement). L’exclusion des centres d’investissement permet d’utiliser une échelle différente et améliore la lisibilité des résultats pour les autres groupes.

279. Les juridictions à revenu élevé, intermédiaire et faible tireraient des recettes de l’application du Pilier Deux dans les quatre scénarios envisagés. Si les gains de recettes tendent à être plus importants dans les juridictions à revenu élevé que dans celles à faible revenu, c’est que la plupart des entités mères ultimes de groupes d’EMN résident dans des juridictions à revenu élevé, de sorte que les gains associés à la RIR reviennent principalement à ces juridictions. Néanmoins, les gains dans les juridictions à revenus intermédiaire et faible ne sont pas négligeables, surtout si l’on intègre la réduction de l’ampleur du transfert de bénéfices des EMN (scénarios 3 et 4).

280. Pour les centres d’investissement, les gains de recettes seraient surtout tangibles dans les scénarios 1 et 2, mais moins importants, en moyenne, dans le scénario 3. Selon le niveau du taux d’imposition minimum, ce scénario pourrait même leur occasionner des pertes de recettes (Graphique 3.13, Partie A). En effet, une diminution des transferts de bénéfices des EMN rétrécirait la base d’imposition dans un certain nombre de centres d’investissement qui sont actuellement destinataires de ces transferts. Toutefois, l’ampleur de cette perte moyenne de recettes est difficile à mesurer avec précision, car elle dépend du taux d’imposition effectif sur les bénéfices ainsi transférés. Pour les centres d’investissement, la perte peut être encore alourdie par les répercussions sur d’autres bases d’imposition d’une éventuelle réduction des investissements, qui ne sont pas prises en compte dans les estimations. Il faut ajouter que les résultats varient selon les centres d’investissement, lesquels forment un groupe relativement hétérogène. Enfin, dans le scénario 4, les centres d’investissement bénéficieraient en moyenne de gains de recettes relativement importants, ce qui concorde avec l’hypothèse selon laquelle ils seraient nombreux à relever leur TEI sur les bénéfices faiblement imposés. Étant donné que les centres d’investissement captent une part plus grande des gains de recettes à l’échelle mondiale, les gains dans les autres groupes de juridictions sont mécaniquement plus faibles dans le scénario 4 que dans le scénario 3.

281. Les résultats des scénarios hybrides intégrant les réactions des EMN et des États (scénarios 3 et 4), mais non les interactions avec le Pilier Un, sont exposés dans l’Annex 3.B ; ils s’apparentent qualitativement aux résultats du Grapique 3.13. Les résultats du Graphique 3.13 supposent, à titre indicatif, une exclusion de 10 % sur la masse salariale et l’amortissement des immobilisations corporelles. Les résultats d’un scénario sans formule d’exclusion sur la substance sont présentés à l’Annex 3.E. Eux aussi sont qualitativement semblables à ceux du Graphique 3.13, mais les gains de recettes pour tous les groupes sont légèrement plus élevés que dans le scénario avec exclusion.

282. Ce chapitre décrit la méthodologie et les sources de données utilisées par le Secrétariat de l’OCDE pour estimer l’ordre de grandeur des implications potentielles du Pilier Deux sur les recettes fiscales, selon une série d’options de conception et de paramétrage pour le Pilier Deux retenues à titre d’illustration et une sélection d’hypothèses simplifiées sur les possibles réactions comportementales des EMN et des États. Il présente également les gains de recettes estimés au niveau mondial et au niveau des grands groupes de juridictions sur lesquels s’exerceraient les effets de ce Pilier Deux.

283. Comme expliqué dans le chapitre 1, les résultats concernant les recettes fiscales au niveau des différentes juridictions ont été communiqués à la plupart des membres du Cadre inclusif sur une base bilatérale et confidentielle. Le Secrétariat de l’OCDE a transmis des estimations à plus de 115 juridictions à leur demande. Ces résultats ont été diffusés sous la forme d’outils d’estimation des recettes fiscales. Ces outils permettent aux juridictions d’analyser l’effet estimatif sur leurs recettes fiscales d’un éventail de paramètres possibles pour le Pilier Deux (taux minimum d’imposition, pourcentage d’exclusion, par exemple). Les estimations dans les outils sont présentées sous la forme de fourchettes pour refléter l’incertitude relative aux données. À l’issue de consultations approfondies avec les membres du Cadre inclusif, aucun consensus n’a pu être trouvé sur l’opportunité de rendre publiques les estimations propres aux juridictions dans le cadre de l’évaluation d’impact économique. Au regard de l’absence de consensus, ce chapitre ne contient pas d’estimations spécifiques aux juridictions.

284. Les résultats présentés ici encouragent à pronostiquer des gains de recettes au titre du Pilier Deux non négligeables dans tous les groupes de juridictions. En réduisant l’ampleur du transfert de bénéfices des EMN, le Pilier Deux donnerait probablement lieu à des gains de recettes fiscales supplémentaires, qui viendraient s’ajouter aux gains directs générés par l’impôt minimum dans de nombreuses juridictions. Les interactions du Pilier Un avec le Pilier Deux ne restreindraient qu’à la marge les gains de recettes estimés au titre du Pilier Deux. Ceux-ci dépendent beaucoup du taux d’imposition minimum considéré – alors qu’ils sont modérément influencés par la formule d’exclusion sur la substance telle que modélisée dans le cadre de ce chapitre. Enfin, la répartition des gains entre les juridictions sera conditionnée par les réactions des États et, par le choix que feront peut-être certaines autorités fiscales de relever leur TEI en réponse à la mise en place du Pilier Deux.

285. Comme expliqué dans l’introduction et en divers autres passages de ce chapitre, les estimations reposent sur un certain nombre d’hypothèses simplificatrices relatives à la conception du Pilier Deux et à la modélisation des réactions comportementales à sa mise en place. Les réactions comportementales sont toujours difficiles à anticiper, surtout dans un domaine aussi complexe que celui des comportements des entreprises multinationales en matière de transfert de bénéfices. En outre, les données sous-jacentes à l’analyse présentent un certain nombre de limites. Elles sont, évidemment, antérieures à la crise du COVID-19, et, pour l’essentiel, à d’autres évolutions également importantes telles que la mise en œuvre de diverses mesures dans le cadre du projet BEPS de l’OCDE et du G20 et l’adoption de la loi « Tax Cuts and Jobs Act » (TCJA) aux États-Unis. On peut s’attendre à ce qu’une bonne partie des estimations clés de cette analyse restent valables dans l’environnement post-COVID-19 (p. ex., en ce qui concerne la sensibilité des résultats aux différents choix de paramétrage du Pilier Deux, ou les implications des réactions comportementales envisagées). Cependant, pour nombre d’EMN, à court et moyen terme, leur capacité à générer des bénéfices va être fortement malmenée par la crise et, tant que cela durera, les gains potentiels au titre du Pilier Deux pourraient peiner à se matérialiser. Les implications à plus long terme de la crise sur les gains de recettes au titre du Pilier Deux dépendront des changements structurels de l’économie que la crise pourrait précipiter ou faciliter, mais qui restent largement incertains à ce stade.

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[5] Tørsløv, T., L. Wier and G. Zucman (2018), “The Missing Profits of Nations”, NBER Working Paper, No. 24701, http://www.nber.org/papers/w24701.pdf.

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286. Les résultats des scénarios 2 à 4 de ce chapitre tiennent compte de la manière dont les interactions avec le Pilier Un modifieraient les résultats du Pilier Deux. Cette annexe présente des variantes des résultats où l’effet de ces interactions est ignoré. Dans l’ensemble, ces résultats sont très proches de ceux intégrant les interactions, lesquelles, de fait, n’ont qu’une incidence minime dans le cadre des hypothèses du présent chapitre sur la conception et le paramétrage des Piliers Un et Deux.

287. Des mesures de l’activité économique sont nécessaires dans deux parties de l’analyse : i) comme variables de substitution pour imputer les gains de recettes provenant de la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) et ii) comme variables de substitution pour évaluer l’origine des bénéfices transférés dans la modélisation du transfert de bénéfices des groupes d’EMN. Dans les deux cas, les résultats de référence présentés dans ce chapitre reposent sur le chiffre d’affaires utilisé comme mesure de l’activité économique. Les données sur le chiffre d’affaires sont tirées de la « matrice du chiffre d’affaires » décrite dans le chapitre 5. Dans cette annexe sont aussi exposés les résultats obtenus à partir de deux autres variables : les immobilisations corporelles et la masse salariale, pour lesquelles les données ont été extraites de matrices similaires, également décrites dans le chapitre 5.

288. La présentation des résultats dans cette annexe vise à décrire la sensibilité des résultats à la variable de substitution utilisée pour l’imputation des gains de recettes provenant de la RPII (Tableau d’annexe 3.C.1 et Graphique d’annexe 3.C.1) puis leur sensibilité à la variable de substitution utilisée pour la modélisation du transfert de bénéfices (Tableau annexe 3.C.2 et Graphique d’annexe 3.C.2). Dans l’ensemble, les résultats sont assez peu sensibles à ces différentes hypothèses de modélisation.

289. Les taux effectifs d’imposition (TEI) au niveau des juridictions jouent un rôle important dans l’évaluation des gains de recettes au titre du Pilier Deux, puisqu’il s’agit des taux qui sont comparés à l’impôt minimum et qui peuvent être relevés dans le scénario 4. Ils entrent également dans les écarts de taux d’imposition utilisés pour évaluer l’origine des bénéfices transférés et la réduction induite par l’impôt minimum. Dans l’analyse de référence, le TEI moyen sur les bénéfices des EMN dans une juridiction est mesuré comme l’estimation médiane obtenue à partir de trois sources de données (voir le point 3.4.2), dont les déclarations pays par pays (données anonymisées et agrégées).

290. Les résultats présentés dans cette annexe se concentrent sur la sensibilité des résultats à l’exclusion des déclarations pays par pays en tant que source de données sur les TEI. Dans l’ensemble, les résultats suggèrent que cette exclusion conduirait à des estimations plus faibles des gains au titre du Pilier Deux, mais sans modifier l’ordre de grandeur général des résultats.

Notes

← 1. Dans tout ce chapitre, les « juridictions à faible fiscalité » désignent les juridictions dont le TEI moyen est inférieur au taux minimum (plusieurs niveaux possibles pour ce dernier étant envisagés ici à titre indicatif) et les « juridictions à fiscalité élevée », celles dont le TEI moyen est supérieur au taux minimum.

← 2. Le paquet BEPS OCDE/G20 a été diffusé en octobre 2015 et diverses mesures qui y sont décrites ont été appliquées dans les années qui ont suivi. Plusieurs mesures dont l’application a été décidée par les membres du Cadre inclusif continuent d’être mises en œuvre par les juridictions, de sorte que les données disponibles au moment de cette analyse ne rendent pas pleinement compte de leur effet.

← 3. Par exemple, les données des déclarations pays par pays, qui constituent une source importante pour l’analyse, ne portent que sur une année (2016) et ne contiennent aucune information sur la rentabilité, au cours des exercices précédents, de sous-groupes d’EMN ayant dégagé des bénéfices (« EMN bénéficiaires ») dans une juridiction en 2016.

← 4. En présence d’une formule d’exclusion sur le critère de la substance, une augmentation du TEI dans une juridiction à faible fiscalité pourrait légèrement accroître le volume global d’impôts acquittés par un groupe d’EMN, puisque celui-ci perdrait l’avantage de l’exclusion sur ses bénéfices dans cette juridiction. Néanmoins, comme nous le verrons plus loin, cet effet est quantitativement faible sous le régime de paramètres envisagé dans ce chapitre.

← 5. Si l’on suppose une fixation des taux d’imposition dans un jeu simultané et non coopératif (équilibre de Nash), l’instauration d’un taux minimum tend à amener la juridiction à fiscalité élevée à augmenter son taux d’imposition ; dans un jeu séquentiel, en revanche, la juridiction à fiscalité élevée, qui est un « pilote » au sens de la théorie de Stackelberg (« leader de Stackelberg »), aura tendance à baisser son taux en réaction à la mise en place de l’impôt minimum (Keen and Konrad, 2013[3]). Dans un jeu simultané, la « meilleure solution » d’une juridiction est généralement de relever son taux d’imposition lorsque les autres juridictions augmentent le leur, car, si les taux d’imposition dans ces autres juridictions sont plus élevés, alors, elle peut augmenter son propre taux (pour accroître ses recettes) sans perdre son attrait. L’instauration d’un impôt minimum tend à augmenter le taux de « meilleure solution » des juridictions au-delà de l’impôt minimum dans ce contexte. Dans un jeu séquentiel à la Stackelberg, le premier à agir (le « leader ») tient compte du fait que fixer un taux d’imposition bas pourrait ne pas être bénéfique, puisque les « suiveurs » peuvent eux aussi abaisser leur taux. Avec un taux d’imposition minimum, cette « menace des suiveurs » est moins prégnante.

← 6. Les données des déclarations pays par pays présentent deux grandes limites : i) il y a des incohérences dans la manière dont les dividendes des filiales sont déclarés (parfois inclus, parfois non) et ii) certaines juridictions déclarent les bénéfices pour des entités « apatrides », notion qui peut recouvrir diverses situations, y compris des entités « intermédiaires » uniquement chargées de la transmission de fonds – voir l’encadré 3 dans le document OCDE (2020[6]), ainsi que http://www.oecd.org/fr/fiscalite/politiques-fiscales/statistiques-anonymisees-et-agregees-cbcr-avertissement.pdf. Les bénéfices correspondant à ces entités « apatrides » ne sont, de ce fait, pas inclus dans la matrice des bénéfices. Une analyse comparative approfondie des données issues de cette source et de celles puisées dans d’autres sources (telles qu’ORBIS) laisser penser que ces contraintes ne modifient pas sensiblement le tableau général, comme expliqué plus avant dans le chapitre 5.

← 7. Le montant des pertes des sous-groupes d’EMN déficitaires au cours d’un exercice donné n’indique pas clairement quelle ampleur prendrait l’effet d’un mécanisme de report en avant des pertes appliqué au titre du Pilier Deux. Par exemple, il est possible que certains sous-groupes d’EMN dégagent constamment des bénéfices dans une juridiction (et ne profitent donc jamais de la possibilité du report de pertes) tandis que d’autres affichent en permanence des pertes (et n’ont jamais de dette fiscale au titre du Pilier Deux qu’ils pourraient apurer avec leurs reports de pertes).

← 8. Par exemple, si les sous-groupes « bénéficiaires » réalisent des bénéfices de 100 et paient des impôts de 20, alors que les sous-groupes « déficitaires » enregistrent des pertes de 15 et ne paient pas d’impôt, le TEI moyen des sous-groupes bénéficiaires est de 20/100=20 %, tandis que le TEI moyen pour l’ensemble des sous-groupes, bénéficiaires et déficitaires, est de 20/(100-15)=24 %. Un TEI axé uniquement sur les sous-groupes bénéficiaires serait plus cohérent avec l’analyse du Pilier Deux présentée dans ce chapitre.

← 9. Cette méthodologie axée sur les impôts étrangers et les bénéfices des EMN américaines est utilisée pour calculer les TEI dans des juridictions autres que les États-Unis. Pour compléter cette méthode, on calcule un TEI moyen des entreprises multinationales – à capitaux étrangers – aux États-Unis, en utilisant la même méthodologie que celle appliquée aux données du BEA sur les IDE aux États-Unis.

← 10. Ces autres sources sont le Bureau international de documentation fiscale (IBFD) et les enquêtes en libre accès de KPMG, Ernst & Young et de la Tax Foundation sur les taux d’imposition .

← 11. Les gains estimés tiennent également compte des hypothèses spécifiques à chaque juridiction concernant la mise en œuvre du Pilier Deux, décrites au point 3.4.5, dont la conséquence est qu’une petite part des bénéfices faiblement imposés n’est pas soumise à l’impôt complémentaire.

← 12. Par exemple, si l’on estime qu’environ 20 % des bénéfices dans les pays à fiscalité élevée sont exclus, la limite supérieure de la fourchette d’incertitude du Pilier Deux est augmentée de 40 % (c’est-à-dire 50 % * (1-20 %)) au lieu de 50 %.

← 13. Ces chiffres sont fondés sur les estimations des recettes de l’IS au niveau mondial dans Devereux et al. (2020[10]), qui sont inférieures à celles figurant dans ce rapport en raison de la couverture géographique moins étendue et du centrage sur une année de référence antérieure.

← 14. L’hypothèse est que les TEI dans chaque juridiction suivent une distribution bilinéaire entre zéro et le taux légal, avec, en son centre, le TEI moyen. Cela revient à supposer qu’une fraction des bénéfices est uniformément répartie entre zéro et le TEI moyen, et que le reste est uniformément réparti entre le TEI moyen et le taux légal. La part des bénéfices dans chaque groupe est déterminée de manière à ce que la moyenne des TEI au sein de la distribution corresponde au TEI moyen dans la juridiction.

← 15. Cela suppose implicitement que le TEI moyen actuel dans ces réduits de bénéfices faiblement imposés (qui n’est pas observé) est le même que le TEI moyen dans les juridictions à faible fiscalité. Une hypothèse différente donnerait d’autres estimations.

← 16. Dans ORBIS, la couverture des immobilisations corporelles (la variable utilisée comme base pour l’approximation de la charge d’amortissement) est globalement meilleure que celle de la masse salariale.

← 17. De fait, s’il est relativement simple de calculer directement l’effet d’une exclusion combinée à l’aide des données au niveau de l’entreprise dans les juridictions où ces données sont disponibles, il est moins aisé de le faire pour les juridictions où seules les données agrégées sont disponibles.

← 18. Par exemple, si le bénéfice d’un sous-groupe d’EMN est de 15 EUR, sa masse salariale de 100 EUR et sa charge d’amortissement de 100 EUR, une exclusion de 10 % sur la masse salariale retrancherait un montant de 10 EUR et une exclusion de 10 % sur la charge d’amortissement retrancherait aussi un montant de 10 EUR. Additionner les deux exclusions produirait un effet total de 20 EUR, alors que l’exclusion combinée ne donne qu’un montant de 15 EUR (c’est-à-dire le bénéfice total du sous-groupe).

← 19. Le BEA fournit des données détaillées sur l’amortissement par catégorie d’actifs dans le secteur privé sans distinguer entre les entités constitutives d’EMN et entités non constitutives d’EMN (la base de données du BEA sur l’activité des EMN américaines fournit également des données sur l’amortissement, mais ne fait pas de distinction entre les immobilisations corporelles et incorporelles). Si l’on considère les immobilisations privées hors immeubles (c’est-à-dire, les équipements et installations), le ratio des charges d’amortissement sur le stock d’immobilisations corporelles, estimé au coût actuel, est stable, autour de 6.3-6.5 %, entre 2011 et 2018. La désagrégation au niveau du secteur (code à deux chiffres du SCIAN) suggère une hétérogénéité entre les secteurs d’activité, le taux d’amortissement moyen se situant entre 2.6 % (immobilier, location et crédit-bail) et 12.7 % (construction). Une mise en garde s’impose concernant ces chiffres : l’amortissement dans les comptes nationaux peut différer de l’amortissement dans les comptes fiscaux et financiers. Le tableau 7.13 des National Income and Product Accounts (les comptes de la nation des États-Unis) rapproche les amortissements tels que les rapporte l’Internal Revenue Service et tels qu’ils figurent dans les comptes nationaux, et laisse à penser que la plupart des divergences proviennent sans doute de la différence de traitement des immobilisations incorporelles. Les données des bilans et des comptes de résultat disponibles dans ORBIS constituent une autre source d’information sur l’amortissement. Les données ORBIS contiennent des informations sur l’amortissement des actifs au niveau des entreprises, mais sans distinction entre l’amortissement des immobilisations corporelles et celui des immobilisations incorporelles. En moyenne, pour les entreprises nationales et multinationales incluses dans ORBIS, le ratio de l’amortissement sur le total des immobilisations (corporelles et incorporelles) a été d’environ 5.8 % au cours des vingt dernières années. Les immobilisations corporelles représentant environ la moitié du total des immobilisations et le taux d’amortissement étant probablement plus élevé pour les immobilisations incorporelles que pour les immobilisations corporelles, ces chiffres suggèrent que 10 % serait en effet une limite supérieure pour le taux d’amortissement moyen des immobilisations corporelles.

← 20. Prendre pour hypothèse une relation linéaire implique que, au-dessus d’un certain niveau du ratio de rentabilité globale, aucun bénéfice ne serait exclu, ce qui n’est pas totalement réaliste. Cependant, un test de robustesse faisant l’hypothèse qu’au moins un pourcentage minimum du bénéfice (p. ex., 1 %) serait exclu dans toutes les juridictions révèle que cela a probablement un effet minime sur les résultats d’ensemble (à savoir, une réduction de moins de 2 % des gains de recettes totaux au titre du Pilier Deux).

← 21. Les hypothèses relatives à la limite supérieure de la fourchette pour tenir compte de l’incertitude liée aux réduits de bénéfices faiblement imposés sont les suivantes : +50 % dans un scénario sans exclusion (comme indiqué au point 3.4.3), +45 % lorsque le pourcentage d’exclusion est de 5 %, +40 % lorsque le pourcentage d’exclusion est de 10 %, +35 % lorsque le pourcentage d’exclusion est de 15 et +30 % lorsque le pourcentage d’exclusion est de 20 %. Ces hypothèses se veulent relativement simples et en même temps cohérentes avec les estimations de la part des bénéfices exclus dans les juridictions à fiscalité élevée. Par exemple, avec un pourcentage d’exclusion égal à 10 %, on estime que 16 à 19 % des bénéfices réalisés dans les juridictions à fiscalité élevée sont exclus (voir le Tableau 3.5). Si l’hypothèse est que 20 % des bénéfices dans les juridictions à fiscalité élevée sont exclus, alors la limite supérieure de la fourchette d’incertitude augmenterait de 40 % (soit 50 % * (1-20%)) au lieu de 50 % dans le scénario sans exclusion.

← 22. Comme on l’a vu, les États-Unis constituent une exception, car on suppose ici que le GILTI coexisterait avec le Pilier Deux et que les États-Unis appliqueraient le GILTI (au lieu d’une RIR) aux groupes d’EMN dont l’EMU réside sur leur territoire – voir la section 3.8.

← 23. Comme indiqué ci-dessus, la règle de substitution et la règle d’assujettissement à l’impôt contribueraient également à porter le TEI sur les bénéfices faiblement imposés au niveau du taux minimum, mais elles ne sont pas modélisées dans ce chapitre en raison des limites des données.

← 24. Une autre approche consisterait à utiliser des données bilatérales sur l’IDE (par exemple sur les flux de redevances et d’intérêts) pour identifier les transactions susceptibles d’être soumises à la RPII. Cette démarche est peut-être plus proche de l’esprit réel de la RPII, mais elle pose d’autres problèmes méthodologiques, liés à la double comptabilisation possible des flux qui transitent par plusieurs juridictions, ainsi qu’aux lacunes des données dans les statistiques bilatérales sur les flux d’IDE (voir l’annexe 5.C. du chapitre 5).

← 25. Le chiffre d’affaires des EMN dans certaines juridictions peut être gonflé en conséquence de stratégies de planification fiscale. Pour éviter que cela n’ait un effet disproportionné sur les résultats, la solution est de plafonner le chiffre d’affaires des groupes d’EMN à 100 % du PIB dans toutes les juridictions.

← 26. En pratique, le montant des bénéfices résiduels exonérés au titre du Pilier Un a été calculé pour chaque paire de juridictions de la matrice des bénéfices du chapitre 2, tandis que le montant des bénéfices résiduels reçus a été calculé uniquement au niveau de la juridiction « réceptrice » (plutôt que pour la paire de juridictions). Pour désagréger de façon bilatérale le montant des bénéfices résiduels reçus, on prend pour hypothèse que le bénéfice dans chaque colonne (c’est-à-dire, chaque juridiction de l’EMU) est redistribué selon la clé de répartition utilisée, au chapitre 2, pour la réattribution des bénéfices résiduels au niveau mondial – c’est-à-dire, sur la base de la répartition géographique du chiffre d’affaires par juridiction de destination. C’est ainsi que l’on assure la cohérence entre les chiffres agrégés obtenus dans l’estimation et les estimations du Pilier Un obtenues dans le chapitre 2.

← 27. Dans le présent chapitre, pour des raisons pratiques, les juridictions sont considérées soit comme « juridiction d’origine » des bénéfices soit comme « juridiction de destination » des bénéfices, mais pas les deux.

← 28. Sur le lien entre stocks d’IDE élevés et transfert des bénéfices, voir, par exemple, Damgaard et al. (2019[28])

← 29. En effet, les bénéfices transférés vers des juridictions où le TEI moyen est supérieur au taux minimum ne seraient généralement pas soumis au Pilier Deux. Toutefois, des situations dans lesquelles le TEI sur ces bénéfices transférés serait inférieur au taux minimum pourraient se produire (et ces bénéfices seraient soumis au Pilier Deux) en raison de l’existence de réduits de bénéfices faiblement imposés dans les juridictions à fiscalité élevée.

← 30. Il est possible que la diminution des incitations à transférer les bénéfices vers des juridictions où le TEI moyen est inférieur au taux minimum puisse accroître la volonté des EMN de transférer leurs bénéfices vers des juridictions où le TEI moyen est supérieur au taux minimum. Cette possibilité n’est pas modélisée dans ce chapitre, car il n’existe pas de moyen clair d’identifier l’ampleur de cet effet et les juridictions où une plus grande partie des bénéfices serait transférée sans disposer de données plus granulaires sur le coût du transfert de bénéfices vers différentes juridictions.

← 31. D’autres ratios de rentabilité pourraient être envisagés pour définir les bénéfices « normaux » (p. ex., bénéfice/actif total). Le ratio bénéfices/chiffre d’affaires a été choisi parce qu’il pouvait être facilement calculé pour toutes les paires de juridictions sur la base des données disponibles dans les matrices des bénéfices et du chiffre d’affaires.

← 32. Cette estimation inclut les EMN dont l’EMU réside aux États-Unis, pour des besoins de comparabilité avec les estimations que l’on trouve dans la littérature économique.

← 33. Sur les sources de données qui sous-tendent la matrice du chiffre d’affaires et sa construction, voir le chapitre 5.

← 34. En revanche, Johansson et al. (2017[25]) décèlent plutôt une semi-élasticité du taux d’imposition moyen moins forte vis-à-vis des juridictions à fiscalité nulle que parmi les juridictions à taux d’imposition strictement positifs

← 35. Pour obtenir cette semi-élasticité globale, on divise la part des bénéfices transférés au sein des bénéfices totaux (observés et transférés) dans les juridictions « d’origine » (12.5%), par l’écart moyen de taux d’imposition légal entre les juridictions « d’origine » et les juridictions « de destination » (10.3 points de pourcentage). Ces taux d’imposition sont pondérés par le chiffre d’affaires. Bien que ce chapitre utilise une combinaison de taux d’imposition légaux et effectifs pour modéliser le transfert de bénéfices, ce calcul est fondé exclusivement sur les taux d’imposition légaux pour la comparabilité avec la littérature (qui s’appuie généralement sur les taux légaux). La semi-élasticité est estimée avec un certain degré d’incertitude, car elle dépend, entre autres, des hypothèses sur le niveau de rentabilité « normal » considéré, la forme de la relation entre le transfert de bénéfices et les écarts de taux d’imposition, ou les pondérations utilisées pour agréger les coefficients.

← 36. En présence d’une exclusion de type formule sur le critère de la substance, une augmentation du TEI dans une juridiction à faible fiscalité pourrait entraîner un montant de taxe légèrement plus élevé pour une EMN, car elle perdrait le bénéfice de l’exclusion sur le critère de substance comprise dans le Pilier Deux. Néanmoins, comme nous le verrons plus loin, cet effet est quantitativement faible.

← 37. Par exemple, Clifford (2019[27]) constate qu’en réaction aux règles sur les SEC, les groupes d’EMN réorientent les bénéfices des filiales qui sont sous le seuil de « faible imposition » des SEC vers des filiales juste au-dessus de ce seuil, et changent leurs modes de constitution afin de placer moins de filiales sous le seuil et plus au-dessus. Environ la moitié de l’augmentation des recettes fiscales mondiales qui en résulte revient à la juridiction appliquant les règles.

← 38. Cette hypothèse ne serait pas valable si les règles de calcul du TEI en présence d’une exclusion n’imposaient pas aux EMN de procéder à un ajustement des impôts couverts associés au bénéfice exclu.

← 39. Ce calcul suppose, à titre indicatif, un taux d’imposition minimum de 12.5 % et un pourcentage d’exclusion de 10 %. La réduction du transfert de bénéfices est également très faible avec d’autres hypothèses sur l’impôt minimum et les taux d’exclusion prises en considération dans ce chapitre.

← 40. Par exemple, le transfert de collaborateurs représentant 10 millions USD de masse salariale dans une juridiction à fiscalité nulle offrirait une exclusion de 1 million USD (en supposant un taux d’exclusion de 10 %), qui, si elle était utilisée dans son intégralité, réduirait le montant de l’impôt payé au titre du Pilier Deux de 0.125 million USD (en supposant un taux d’imposition minimum de 12.5 %). Il est peu probable que cette économie d’impôt justifie le coût de la délocalisation.

← 41. En effet, les facteurs qui contribuent aux différences entre les taux légaux et effectifs (p. ex., les règles d’amortissement, les déductions fiscales, les crédits d’impôt) sont généralement liés à l’activité économique réelle.

← 42. La différence avec le raisonnement de la précédente note de fin est que les bénéfices transférés peuvent se voir appliquer un traitement de faveur dans les juridictions « de destination », et que le TEI qui en résulte reflétera peut-être ce taux préférentiel, sans être nécessairement lié au taux légal dans ces juridictions.

← 43. Considérons par exemple un groupe d’EMN ayant des bénéfices de 100 EUR, une masse salariale de 40 EUR et une dotation aux amortissements de 10 EUR, et qui n’a payé aucun impôt dans une certaine juridiction. Dans le cadre du Pilier Deux, en supposant un taux d’imposition minimum de 12.5 % et un taux d’exclusion de 10 %, ce groupe d’EMN devrait verser 12.5 %*(100-10 %*(40+10))=11.9 EUR. Si la juridiction augmente le TEI de cette EMN à 12.5 %, le groupe devrait acquitter ce taux sur la totalité de ses bénéfices (100 EUR), ce qui se traduirait par un impôt de 12.5 %*100=12.5 EUR, soit un total supérieur aux 11.9 EUR payés avant l’augmentation du TEI.

← 44. Si les juridictions qui augmentent leur TEI veulent préserver la neutralité du montant global de l’impôt acquitté par les EMN, elles pourraient s’inspirer du fonctionnement du Pilier Deux pour leur système fiscal et concevoir une augmentation du TEI qui comprendrait une clause d’exclusion reprenant les termes (structure, pourcentage) de l’exclusion sur la substance fondée sur une formule dans le Pilier Deux. Dans la pratique, toutefois, un tel mécanisme n’est peut-être pas simple à concevoir ou à ajuster pour qu’il ne soit pas en conflit avec les autres caractéristiques du système d’IS de la juridiction.

← 45. Pour les EMN dont les bénéfices étrangers sont soumis à un TEI moyen supérieur au taux du GILTI (et qui ne paient donc pas d’impôts au titre du GILTI), le relèvement du TEI dans une juridiction à fiscalité nulle se traduirait intégralement par une augmentation globale de l’impôt. Pour les EMN dont le TEI moyen est inférieur au taux du GILTI, un relèvement du TEI dans une juridiction à fiscalité nulle se traduirait aussi par une augmentation globale de l’impôt, puisque seuls 80 % des impôts étrangers sont crédités au titre du GILTI dans cette situation. Dans ce cas, l’augmentation globale de l’impôt représenterait 20 % de l’obligation fiscale découlant de l’augmentation du TEI.

← 46. Les autorités des juridictions de ce groupe peuvent envisager d’augmenter le TEI sur les éventuels réduits de bénéfices faiblement imposés dans leur juridiction. Par souci de simplicité et en raison du manque de données sur ces réduits, cette réaction potentielle n’est pas prise en considération dans ce chapitre.

← 47. Les sociétés sont soumises à une obligation fiscale aux États-Unis à un taux de 10.5 % sur le revenu concerné et perçoivent un crédit d’impôt non remboursable sur 80 % des impôts étrangers payés. Si le TEI étranger est égal ou supérieur à 13.125 %, le crédit d’impôt couvre la totalité de l’obligation fiscale contractée aux États-Unis. Selon la même logique, l’obligation fiscale aux États-Unis, à 13.125 % à partir de 2026, avec le même crédit d’impôt, donne une limite supérieure de 16.40625 %. Il s’agit là des taux d’imposition déterminés en application des règles légales du GILTI et qui ne tiennent pas compte d’autres caractéristiques du système américain de fiscalité internationale, telles que l’imputation des dépenses, qui peuvent effectivement accroître l’obligation fiscale globale d’un contribuable américain en limitant la déductibilité des impôts étrangers.

← 48. Une première évaluation de l’incidence du régime GILTI sur le transfert de bénéfices a été réalisée par Clausing (2020[8]). Elle conclut que le nouveau régime fiscal pourrait « réduire les bénéfices des filiales des EMN américaines dans les pays « refuges » d’environ 12 à 16 % » et entraîner de ce fait « une hausse de l’ordre de 8 à 9 % de la base de l’IS des entités américaines dans les juridictions étrangères au-delà du seuil d’imposition minimum et une augmentation de 15 milliards à 30 milliards USD de la base de l’IS aux États-Unis chaque année ». Toutefois, ces résultats sont très sensibles aux hypothèses concernant la part respective des EMN américaines dont les bénéfices étrangers sont soumis à un TEI moyen supérieur ou inférieur au taux du GILTI (voir l’annexe C dans Clausing (2020[8])).

← 49. Les gains de recettes au niveau mondial dans les scénarios 3 et 4 sont similaires, ce qui concorde avec le fait que la réaction modélisée dans le scénario 4 modifie surtout la répartition de ces gains entre les juridictions. On observe néanmoins une petite variation à la hausse des gains de recettes au niveau mondial entre les scénarios 3 et 4, qui s’explique par deux raisons. Premièrement, les augmentations du TEI dans le scénario 4 réduisent le montant (relativement modeste) des bénéfices faiblement imposés à l’échelle mondiale qui ne sont pas entièrement imposés au titre du Pilier Deux selon les hypothèses examinées dans ce chapitre (voir le point 3.7.1 ci-dessus). Ce serait le cas, par exemple, du bénéfice de l’entité d’une EMN située dans une juridiction du groupe 3 (qui augmenterait son TEI dans le scénario 4), dont l’entité mère ultime réside dans une juridiction du groupe 2 (qui n’applique pas de RIR) et dont l’activité économique se déroule aussi dans une juridiction du groupe 2 (qui n’applique pas de RPII). Deuxièmement, le relèvement des TEI implique qu’une partie des bénéfices faiblement imposés qui ont profité d’une exclusion de type formule sur le critère de la substance au titre du Pilier Deux seraient taxés, ce qui augmenterait le volume global des gains de recettes.

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