1. Aperçu des principales conclusions

1. Le système international de fiscalité des sociétés est confronté à des défis croissants. Le Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) représentait un effort multilatéral sans précédent pour lutter contre le transfert de bénéfices, mais de nombreuses questions relatives à la répartition des droits d’imposition restent sans réponse. La numérisation et la mondialisation ont mis en lumière certaines faiblesses du cadre en vigueur, qui attribue les droits d’imposition essentiellement sur la base du critère de présence physique. En outre, certaines problématiques de BEPS demeurent irrésolues. Dans ce contexte, de plus en plus de juridictions prennent des mesures unilatérales et non coordonnées, qui contribuent à accroître le nombre de différends fiscaux et commerciaux et l’incertitude fiscale. La crise du COVID-19 exacerbe ces tensions en accélérant la transformation numérique de l'économie et en accroissant les pressions sur les finances publiques. Le fait que de nombreuses entreprises aient bénéficié d’une aide publique, directe ou indirecte, pendant la crise pourrait aussi aggraver le mécontentement du public face aux pratiques d'évasion fiscale des entreprises multinationales (EMN).

2. Dans ce contexte, le Cadre inclusif G20/OCDE sur le BEPS, qui rassemble 137 juridictions membres, étudie des propositions visant à engager une réforme fondée sur un consensus des règles fiscales internationales afin de relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Ces propositions, qui sont décrites dans les rapports sur les Blueprints des Piliers Un et Deux, relèvent de deux piliers qui sont décrits succinctement dans l’Encadré 1.1. Dans le cadre du Programme de travail approuvé par le Cadre inclusif en mai 2019 (OECD/G20 Inclusive Framework on BEPS, 2019[3]) et entériné par les ministres des Finances et dirigeants des pays du G20 en juin 2019, l’OCDE a reçu la mission de mener une analyse économique et une évaluation d’impact des propositions. Tel est l’objet de cette évaluation ‘ex ante’.

3. Un certain nombre d’éléments de conception et de paramètres du Pilier Un et du Pilier Deux feront l’objet de décisions futures de la part du Cadre inclusif. Aux fins de l'évaluation d’impact ‘ex ante’ décrite dans ce rapport, un certain nombre d’hypothèses ont été formulées à titre d’illustration concernant la conception et les paramètres de la proposition, sans préjuger des décisions finales qui seront prises par le Cadre inclusif. Ce rapport présente les résultats pour un ensemble de paramètres relatifs au Pilier Un et au Pilier Deux afin d'éclairer les discussions en cours du Cadre inclusif concernant la conception des propositions.

4. La couverture géographique de l’analyse effectuée est très large, puisque plus de 200 juridictions sont couvertes, y compris l’ensemble des 137 membres du Cadre inclusif. L'analyse se fonde sur un examen exhaustif et approfondi de données, enrichi par les enseignements de la littérature économique. Elle bénéficie également de nombreux échanges avec des représentants des juridictions membres du Cadre inclusif, ainsi qu’avec des universitaires, des représentants de la société civile et des entreprises et d'autres organisations internationales. Comme dans toute analyse économique, la méthodologie recourt à un certain nombre d’hypothèses de simplification, concernant par exemple la conception des propositions et la façon dont les groupes d’EMN et les pouvoirs publics pourraient réagir à leur mise en œuvre.

5. L'exercice mobilise un large éventail de sources de données qui sont regroupées dans un cadre analytique cohérent. Celui-ci rassemble des données au niveau des entreprises, y compris les états financiers de la plupart des grands groupes d’EMN dans le monde, ainsi qu’une large palette de données agrégées, dont les statistiques agrégées et anonymisées établies à partir des informations figurant dans les déclarations pays par pays réunies à la faveur de la mise en œuvre du paquet BEPS et publiées par l’OCDE pour la première fois en juillet 2020 (OECD, 2020[4]). Néanmoins, les données sur lesquelles se fonde l'analyse présentent certaines limites, tant en ce qui concerne leur portée que leur cohérence ou leur actualité. Ainsi, les données portent principalement sur les années 2016 et 2017, et sont donc antérieures à d’importantes évolutions récemment survenues, y compris la mise en œuvre de diverses mesures dans le cadre du projet BEPS de l’OCDE et du G20, l'adoption de la réforme fiscale « Tax Cuts and Jobs Act » (TCJA) aux États-Unis et, surtout, la crise du COVID-19. Les répercussions potentielles de la crise du COVID-19 sur les propositions sont examinées dans la dernière section de ce chapitre.

6. Ce rapport s’intéresse principalement à l’impact des propositions sur les recettes fiscales, l’investissement des groupes d’EMN et l'activité économique. Ce chapitre (le chapitre 1) présente une synthèse générale des principaux résultats de l’analyse. Les chapitres suivants livrent des conclusions et une analyse plus détaillées, couvrant un large éventail de paramètres possibles pour le Pilier Un et le Pilier Deux. Ces chapitres contiennent également une description complète des données et de la méthodologie utilisées pour l’analyse, ainsi qu’un large éventail de tests de robustesse appliqués aux données et aux résultats. Plus spécifiquement, les chapitres 2 et 3 portent respectivement sur les effets du Pilier Un et du Pilier Deux sur les recettes fiscales. Le chapitre 4 examine l’effet des deux piliers sur l’investissement et sur l'activité économique. Enfin, le chapitre 5 décrit la construction des « matrices » de données qui sous-tendent les estimations décrites dans les autres chapitres.

7. L’effet des propositions sur les recettes fiscales dépendra des choix définitifs de conception et de paramètres qui seront arrêtés par le Cadre inclusif. D'après un ensemble d’hypothèses de conception et de paramètres à des fins d’illustration, l’effet combiné du Pilier Un et du Pilier Deux sur les recettes de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IS) à l’échelle mondiale pourrait être un gain compris entre 1.9 % et 3.2 %, soit entre 50 et 80 milliards USD par an (Tableau 1.1)1.

8. À titre d'illustration, ces estimations supposent, bien qu’aucune décision n'ait encore été prise par le Cadre inclusif, que le régime GILTI (impôt sur le revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels) des États-Unis coexisterait avec le Pilier Deux et que les EMN américaines ne seraient pas soumises à la règle d’inclusion du revenu (RIR) du Pilier Deux. Aussi, les gains de recettes générés par le Pilier Deux indiqués dans le Tableau 1.1 n’incluent pas les gains potentiels liés à l’application du Pilier Deux par les EMN américaines, qui sont supposées rester assujetties au régime GILTI. Si l’on tient compte des gains combinés de recettes des deux piliers et du régime GILTI2, l’effet total pourrait atteindre 60 à 100 milliards USD par an, soit environ 4 % des recettes de l’IS au niveau mondial.

9. Le Pilier Un vise à adapter le système international d’imposition des sociétés à l’ère du numérique en apportant des modifications substantielles aux règles applicables aux bénéfices d’entreprise afin de faire en sorte que la répartition des droits d’imposition des bénéfices commerciaux ne soit plus uniquement dictée par le critère de présence physique. Son objectif est d'étendre les droits d’imposition des juridictions du marché (qui, dans certains modèles d’affaires, correspondent aux juridictions où sont situés les utilisateurs)3 lorsqu’une entreprise participe de façon active et soutenue à l’économie de cette juridiction via l’exercice d’activités sur son territoire, soit physiquement, soit à distance. En outre, le Pilier Un entend renforcer la sécurité juridique en matière fiscale par l’introduction de mécanismes améliorés de prévention et de règlement des différends.

10. Les éléments fondamentaux du Pilier Un se rattachent à trois composantes : un nouveau droit d’imposition pour les juridictions du marché, portant sur une fraction du bénéfice résiduel (bénéfice supérieur à un certain pourcentage de seuil de rentabilité) calculé au niveau du groupe d’EMN par application d’une formule (Montant A) ; un rendement fixe pour les activités de distribution et de commercialisation de référence exercées physiquement dans une juridiction du marché (Montant B) ; et des processus améliorés de sécurité juridique en matière fiscale par le biais de mécanismes novateurs de prévention et de règlement des différends (composante relative à la sécurité juridique en matière fiscale).

11. Le Montant A conduirait à réaffecter une partie de la base d’imposition des groupes d’EMN couverts des juridictions où le bénéfice résiduel des groupes d’EMN est actuellement situé vers les juridictions du marché. Tous les groupes d’EMN ne seraient pas soumis à cette réattribution : elle concernerait uniquement ceux qui sont relativement grands et rentables (chiffre d'affaires supérieur à un certain seuil de chiffre d'affaires mondial et rentabilité supérieure au pourcentage de seuil de rentabilité). Encore qu’un accord politique soit nécessaire, ces travaux reposent sur les propositions techniques qui définissent les activités couvertes comme étant les services numériques automatisés (ADS) et les activités en relation étroite avec les consommateurs (CFB). Par définition, le Montant A viserait essentiellement les grands groupes d’EMN dégageant d’importants bénéfices et présents dans les secteurs orientés sur le numérique et à forte intensité d'actifs incorporels.

12. Sur la base des hypothèses illustratives retenues pour les paramètres du Montant A (y compris le seuil de rentabilité fixé pour définir le bénéfice résiduel), le bénéfice résiduel des groupes d’EMN qui seraient couverts par le Montant A pourrait représenter quelque 500 milliards USD, dont un pourcentage à définir par le Cadre inclusif serait réattribué aux juridictions du marché4. Si l’on suppose de manière illustrative que ce pourcentage de réattribution est de 20 %, cela signifierait que des droits d’imposition portant sur environ 100 milliards USD de bénéfices seraient réattribués aux juridictions du marché en vertu du Montant A. Les règles existantes de détermination des prix de transfert continueraient de s’appliquer pour calculer la fraction des droits d'imposition qui s'appliqueraient aux autres bénéfices des groupes d’EMN (les bénéfices des EMN non couvertes et les bénéfices non résiduels des EMN, ainsi que la fraction de leur bénéfice résiduel non réattribuée au titre du Montant A, qui est de 80 % dans cet exemple).

13. En moyenne, les taux de l’impôt sur les sociétés sont relativement plus élevés dans les juridictions du marché à qui le bénéfice résiduel serait réattribué en vertu du Montant A que dans les juridictions où ce bénéfice est actuellement localisé. De fait, une fraction substantielle du bénéfice résiduel est actuellement localisée dans des juridictions à fiscalité relativement faible. Cela implique que la réattribution consécutive au Montant A générerait un gain net de recettes au niveau mondial. Toutefois, l’ampleur de ce gain serait assez modeste (il pourrait atteindre 0.5 % des recettes de l’IS au niveau mondial selon les hypothèses retenues dans le Tableau 1.1), car seul un pourcentage du bénéfice résiduel des groupes d’EMN couverts serait réattribué, et seule une fraction du bénéfice total réattribué serait imposée dans les juridictions du marché à un taux plus élevé que le taux auquel ce bénéfice est actuellement taxé dans les juridictions où il est localisé.

14. L’effet des autres composantes du Pilier Un (Montant B et composante relative à la sécurité juridique en matière fiscale) est plus difficile à quantifier en raison de l’insuffisance de données (données sur la nature des activités menées par les entités du groupe d’EMN et données sur les transactions) et de difficultés méthodologiques. Par conséquent, les estimations quantitatives du Pilier Un présentées dans ce rapport concernent exclusivement le Montant A. L’effet du Montant B et de la composante liée à la sécurité juridique en matière fiscale dépendra de leur conception, mais on s'attend généralement à ce qu’ils aient un impact minime sur les recettes fiscales à l’échelle mondiale. Cela reflète le fait que ces propositions visent à conforter le système actuel d'établissement des prix de transfert et à prévenir les différends fiscaux, alors que le Montant A entend donner naissance à un nouveau droit d’imposition.

15. Le Montant B établirait un rendement fixe pour certaines fonctions de commercialisation et de distribution de référence exercées physiquement par les groupes d’EMN dans les juridictions du marché. Le Montant B devrait réduire les coûts d'administration pour les pouvoirs publics et accroître la sécurité juridique en matière fiscale pour les contribuables, et serait particulièrement avantageux pour les juridictions ayant de faibles capacités administratives. Dans les juridictions où le rendement fixe convenu pour les fonctions de distribution et de commercialisation de référence serait supérieur aux rendements actuels imposables dans les juridictions du marché, le Montant B contribuerait à générer des recettes supplémentaires. Un certain nombre de juridictions ayant de faibles capacités administratives estiment que ce serait probablement le cas pour elles, en raison des difficultés qu’elles rencontrent pour appliquer efficacement les règles existantes en matière de prix de transfert. Toutefois, au niveau mondial, l’effet du Montant B sur les recettes fiscales devrait être minime, car il n'attribue pas un nouveau droit d'imposition aux juridictions du marché, mais se contente de simplifier l'administration du système actuel de prix de transfert.

16. Les différentes composantes du Pilier Deux garantiraient un niveau minimum d’imposition des bénéfices réalisés par les groupes d’EMN. Les règles GloBE (à savoir la règle d’inclusion du revenu [RIR] et la règle relative aux paiements insuffisamment imposés [RPII], voir l’Encadré 1.1) fonctionneraient comme un complément d’impôt aux impôts existants afin de garantir que le taux effectif d’imposition appliqué aux bénéfices des EMN, qui sans quoi seraient imposés à un taux inférieur au taux minimum convenu, soit porté à ce taux minimum, dont le niveau devra être décidé par les membres du Cadre inclusif. Divers taux minimums ont été analysés dans cette note. Les résultats présentés dans le Tableau 1.1 ci-dessus retiennent un taux minimum d’imposition de 12.5 %. Les résultats correspondant à d'autres taux sont exposés dans le chapitre 3.

17. Le Cadre inclusif doit aussi définir un certain nombre de caractéristiques de conception relatives au Pilier Deux, y compris le degré d’agrégation (le niveau d’agrégation auquel le test du taux d’imposition effectif serait appliqué). Deux principales options sont envisagées : l’agrégation par juridiction (agrégation des bénéfices et des impôts couverts de toutes les entités membres d’un groupe d’EMN dans une juridiction) ou l’agrégation mondiale (agrégation de tous les bénéfices et impôts couverts de source étrangère d’un groupe d’EMN). Bien que le Cadre inclusif n’ait encore pris aucune décision à ce sujet, les résultats présentés dans ce rapport sont, à titre illustratif, basés sur l’agrégation par juridiction5.

18. Une autre question de conception que le Cadre inclusif doit trancher porte sur l’existence et les caractéristiques d’une exclusion fondée sur la substance et calculée par application d’une formule. Une telle exclusion fondée sur la substance exclurait du champ des règles GloBE un rendement fixe au titre d’activités de substance menées dans une juridiction. Ce rendement fixe pourrait être défini comme un certain pourcentage des salaires et des dépenses d’amortissement des actifs corporels. Par exemple, les résultats présentés dans le Tableau 1.1 reposent sur l’hypothèse d’une exclusion de 10 % au titre des salaires et des dépenses d’amortissement des actifs corporels. Dans ce rapport, l’analyse retient un certain nombre d’options possibles concernant les exclusions fondées sur la substance et calculées par application d’une formule, et suggère que leur effet sur les recettes générées par le Pilier Deux serait relativement faible compte tenu des hypothèses considérées6.

19. L’analyse suggère également que les gains de recettes au niveau mondial procurés par le Pilier Deux pourraient être significatifs. L’impact du Pilier Deux concernerait les EMN dont les bénéfices sont faiblement taxés, notamment du fait de pratiques de transfert de bénéfices. L’importance des gains de recettes fiscales serait fonction de la conception du Pilier Deux et du taux minimum d’imposition retenu. Outre les gains directs provenant des règles du Pilier Deux sur l’impôt minimum (la règle d’inclusion du revenu ou la règle relative aux paiements insuffisamment imposés, par exemple), le Pilier Deux est supposé générer des gains de recettes fiscales indirects en limitant les pratiques des groupes d’EMN en matière de transfert de bénéfices.

20. De fait, le Pilier Deux réduirait les écarts de taux d’imposition effectifs entre juridictions, qui sont l’une des principales causes de transfert de bénéfices. Ce faisant, les entreprises multinationales seraient moins incitées à déplacer leurs bénéfices dans des juridictions à faible fiscalité. Elles seraient probablement amenées à réexaminer leurs stratégies de transfert de bénéfices, et certaines pourraient estimer que les gains procurés par ces dispositifs ne compensent plus les coûts induits (coûts financiers et de conseil liés à ces dispositifs, coûts de réputation, etc.). Il est difficile d’anticiper précisément dans quelle mesure la mise en œuvre du Pilier Deux aura un effet dissuasif sur les pratiques de transfert et de localisation des bénéfices, car les dispositifs de transfert de bénéfices sont très complexes et propres à chaque entreprise. Néanmoins, la réduction des pratiques de transfert de bénéfices devrait contribuer de manière significative aux gains de recettes fiscales résultant du Pilier Deux au niveau mondial.

21. Le Pilier Un et le Pilier Deux interagiraient, en ce sens que l’application simultanée des deux piliers n’aurait pas tout à fait le même effet qu’une application indépendante. En supposant que l’impôt minimum prévu par le Pilier Deux serait appliqué après la réattribution résultant du Pilier Un, l’analyse effectuée dans ce rapport donne à penser que l’interaction entre les deux piliers minorerait les gains totaux de recettes par rapport au scénario dans lequel il n’y aurait pas d’interaction entre les deux piliers. Toutefois, l’effet quantitatif de cette interaction serait faible selon les hypothèses retenues pour les Piliers Un et Deux dans ce rapport.

22. On estime qu’en moyenne, les juridictions à revenu élevé, intermédiaire et faible bénéficieront toutes de gains de recettes fiscales résultant de la mise en œuvre des propositions (Graphique 1.1). L’effet sur les recettes serait relativement faible en ce qui concerne le Pilier Un, et plus important dans le cadre du Pilier Deux. Selon les estimations, les gains de recettes cumulés générés par les deux piliers seraient globalement similaires — en pourcentage des recettes actuelles de l’IS — pour les juridictions à revenus faibles, intermédiaire et élevés.

23. Les gains de recettes estimés résultant de la mise en œuvre du Pilier Un sont généralement plus substantiels (en pourcentage des recettes actuelles tirées de l’IS) parmi les juridictions à revenu faible et intermédiaire que parmi celles à revenu élevé, car le bénéfice résiduel présumé actuellement localisé dans les juridictions à revenu faible et intermédiaire est relativement minime, de sorte qu’elles tireraient nettement profit de la réattribution opérée par le Pilier Un7. Ces résultats concernent exclusivement le Montant A, bien que, en fonction de la conception définitive du Montant B, certaines juridictions à faible revenu, en particulier celles dont les administrations fiscales se heurtent à des contraintes de capacité, puissent également voir leurs recettes fiscales augmenter. Cela tient au fait que ces juridictions indiquent rencontrer des difficultés pour appliquer efficacement les règles existantes en matière de prix de transfert, car certaines EMN annoncent des rendements faibles ou négatifs au titre d’activités de distribution et de commercialisation de référence exercées dans les juridictions concernées.

24. On estime que les gains de recettes générés par le Pilier Deux seraient significatifs pour toutes les catégories de juridictions présentées dans le Graphique 1.1. Ils seraient relativement plus importants parmi les juridictions à revenu élevé, du fait que les recettes procurées par la règle d’inclusion du revenu reviendraient à la juridiction de la société mère ultime des groupes d’EMN, qui est souvent une juridiction à revenu élevé. Toutefois, les juridictions à faible revenu pourraient bénéficier de gains significatifs grâce à la réduction des pratiques de transfert de bénéfices supposée résulter du Pilier Deux. La règle d’assujettissement à l’impôt, qui n’est pas modélisée dans cette analyse faute de données suffisantes, serait également une source de recettes supplémentaires pour les juridictions à revenu faible et intermédiaire, en autorisant ces juridictions à appliquer un impôt supplémentaire à un taux minimum convenu à certaines transactions entre parties liées soumises à un taux nominal d’imposition faible dans la juridiction de résidence.

25. En outre, le Pilier Deux limiterait la concurrence à laquelle se livrent les juridictions pour attirer les activités des EMN au moyen d’incitations fiscales spéciales (exonération d’impôt, par exemple), ce qui procurerait des recettes fiscales supplémentaires aux juridictions à plus faible revenu. De fait, ces juridictions ne sont souvent pas en position de force face aux EMN en quête d’investissements, ce qui peut les conduire à leur offrir des taux d’imposition très bas. Le Pilier Deux pourrait permettre à ces juridictions d’appliquer à tout le moins le taux minimum d’imposition. Les gains potentiels qui pourraient en résulter ne sont pas inclus dans les estimations du Graphique 1.1.

26. Les résultats concernant les centres d’investissement8 sont également omis du Graphique 1.1 parce qu’ils s’accompagnent généralement d’un degré d’incertitude plus élevé que d’autres résultats, et parce que les centres d’investissement constituent un groupe de juridictions relativement hétérogène. Ces résultats sont analysés au chapitre 2 (Pilier Un) et au chapitre 3 (Pilier Deux). En général, les centres d’investissement auraient tendance à voir leur base d’imposition minorée par le Pilier Un. Ils subiraient une perte de recettes fiscales dont l’importance dépendrait du taux d’imposition effectif appliqué au bénéfice résiduel présumé des groupes d’EMN qui est actuellement localisé sur leur territoire. Ce taux étant parfois nul, certains centres d’investissement perdraient une partie de leur base d’imposition sans toutefois perdre de recettes fiscales. En freinant les pratiques de transfert de bénéfices, le Pilier Deux entraînerait pour de nombreux centres d’investissement une érosion de leur base d’imposition (puisqu’ils ne recevraient plus autant de bénéfices transférés à la suite de la mise en place du Pilier Deux).

27. Néanmoins, de nombreux centres d’investissement pourraient percevoir d’importantes recettes fiscales supplémentaires grâce au Pilier Deux, surtout s’ils décident de relever le taux effectif d’imposition sur les bénéfices localisés sur leur territoire si ce taux est actuellement inférieur au taux minimum. Il est difficile de prévoir quelle sera la réponse de certains des États concernés, car elle dépendra d’un certain nombre de considérations stratégiques, et pourra être influencée par la conception précise du Pilier Deux. Cette question est examinée plus en détail dans le chapitre 3, qui analyse également les implications potentielles de scénarios simplifiés sur l’effet de ces hausses des taux d’imposition sur les gains de recettes dans les différents groupes de juridictions.

28. Les estimations d’impact du Pilier Un et du Pilier Deux sur les recettes fiscales au niveau des différentes juridictions ont été communiquées par le Secrétariat de l’OCDE à la plupart des membres du Cadre inclusif sur une base bilatérale et confidentielle. Le Secrétariat de l’OCDE a transmis des estimations à plus de 115 juridictions à leur demande. À l’issue de consultations approfondies avec les membres du Cadre inclusif, aucun consensus n’a pu être trouvé sur l’opportunité de rendre publiques les estimations propres aux juridictions dans le cadre de l’évaluation d’impact économique. Au regard de l’absence de consensus, ce rapport ne contient pas d’estimations spécifiques aux juridictions. Ces estimations ayant été communiquées aux membres du Cadre inclusif sur une base bilatérale et confidentielle uniquement, chaque juridiction a exclusivement reçu les estimations qui la concernent.

29. Ces résultats ont été diffusés sous la forme d’outils d’estimation des recettes fiscales. Ces outils permettent aux juridictions d’analyser l’effet estimaté sur leurs recettes fiscales d’un éventail de paramètres possibles pour le Pilier Un et le Pilier Deux (pourcentage de seuil de rentabilité pour le Pilier Un, taux minimum d’imposition pour le Pilier Deux, etc.) afin d’éclairer les discussions du Cadre inclusif. Les versions préliminaires des outils relatifs au Pilier Un et au Pilier Deux ont été diffusées respectivement en octobre 2019 et en février 2020. Des versions améliorées et actualisées ont ensuite été mises à disposition en juin et juillet 2020, qui tiennent compte des avancées dans la conception des propositions, des améliorations apportées aux données de base et à la méthodologie, et des commentaires relatifs aux outils et résultats antérieurs formulés par les responsables des pays membres du Cadre inclusif.

30. Les propositions auraient des répercussions sur l’investissement, l’innovation et l’activité économique des groupes d’EMN par différents canaux de transmission. En augmentant les recettes fiscales, les propositions renchériraient les coûts d’investissement (après impôt) pour les groupes d’EMN concernés, ce qui constitue le canal le plus direct. L’effet sur l’investissement et sur l’activité serait probablement négatif, encore que son ampleur soit relativement limitée : moins de 0.1 % du PIB à moyen et long terme (on trouvera des informations plus précises à ce sujet dans le chapitre 4).

31. Cet effet légèrement négatif serait probablement contrebalancé, en partie, voire en totalité, par d’autres canaux moins quantifiables, et néanmoins importants. Ainsi, les propositions visent à renforcer la sécurité juridique en matière fiscale affecteraient de diverses manières les coûts de mise en conformité et d’administration, amélioreraient l’efficience dans la répartition mondiale du capital, et réduiraient la nécessité de mobiliser des recettes en appliquant d’autres mesures fiscales (ayant un effet de distorsion potentiellement plus grand), comme expliqué ci-après.

32. Pour les besoins de cette analyse, le scénario de consensus, reposant sur l’hypothèse d’une adoption du Pilier Un et du Pilier Deux par le Cadre inclusif, suppose le retrait des taxes existantes sur les services numériques (TSN), ainsi que l’engagement à s’abstenir d’introduire de telles mesures à l’avenir. À l’inverse, l’absence de solution fondée sur un consensus conduirait probablement à une multiplication des mesures fiscales unilatérales non coordonnées (TSN, par exemple), ce qui entraînerait une augmentation de la fréquence des différends commerciaux et fiscaux préjudiciables. La sécurité juridique en serait fragilisée et l’investissement découragé, avec des effets négatifs sur le PIB mondial qui pourraient dépasser de loin l’effet direct de la réforme sur les coûts d’investissement, en particulier dans un scénario impliquant une adoption généralisée de taxes sur les services numériques et un facteur de représailles commerciales de cinq fois dans le pire des cas (Graphique 1.2).

33. En augmentant les prélèvements fiscaux sur les bénéfices de certains groupes d’EMN, les propositions alourdiraient le taux effectif d’imposition sur leurs investissements, et donc les coûts d’investissement après impôt. D’après les hypothèses retenues à des fins d’illustration pour les paramètres du Pilier Un et du Pilier Deux, on estime que le taux moyen effectif d’imposition (taux moyen de l’impôt appliqué aux bénéfices générés par un nouveau projet d’investissement) qui grève un projet d’investissement type d’un groupe d’EMN augmenterait d’environ 0.3 point de pourcentage en moyenne. Le taux marginal effectif d’imposition (taux de l’impôt appliqué aux bénéfices générés par une augmentation marginale de la portée d’un projet d’investissement existant) augmenterait d’environ 1.3 point de pourcentage en moyenne (voir le chapitre 4 et Hanappi et González Cabral (2020[5])). Ces hausses estimatives sont relativement minimes par comparaison avec le niveau moyen actuel des taux moyens et marginaux d’imposition des investissements effectués par les groupes d’EMN (respectivement 24 % et 25 % environ). Elles seraient principalement la conséquence de l’application du Pilier Deux, puisque le Pilier Deux aurait des effets plus importants que le Pilier Un sur les recettes fiscales.

34. Ce renchérissement minime des coûts d’investissement aurait un effet relativement limité sur l’investissement des entreprises au niveau mondial. En effet, les entreprises les plus touchées par les coûts supplémentaires seraient des entreprises multinationales relativement grandes et très rentables. On estime que ces entreprises sont en général moins sensibles aux impôts sur les bénéfices dans leurs décisions d’investissement que les entreprises moins rentables, comme on le verra plus en détail dans le chapitre 4 et dans Millot et al. (2020[6]). Par exemple, les entreprises qui appartiennent à la catégorie des entreprises multinationales affichant une rentabilité supérieure à 10 % sont deux fois moins sensibles aux impôts que celles dont la rentabilité est comprise entre 0 % et 10 %. Cette moindre sensibilité peut tenir au fait que les entreprises plus rentables connaissent moins de contraintes de financement, et qu’elles sont également plus susceptibles de bénéficier de « rentes » économiques (liées à leur pouvoir de marché)9. On estime habituellement que les taxes sur les rentes ont un effet moindre sur l’investissement que les taxes sur les bénéfices « classiques ».

35. En conséquence, on estime que l’effet négatif de cette hausse des coûts d’investissement sur l’activité économique serait très modeste : moins de 0.1 % du PIB à moyen et long terme. Il pourrait même être inférieur dans la mesure où certains groupes d’EMN qui réduisent leurs investissements dans les juridictions où les coûts d’investissements augmentent pourraient choisir d’investir dans d’autres juridictions.

36. De fait, les propositions favoriseraient le transfert de certains investissements, dont les coûts augmenteraient davantage dans les juridictions qui appliquent actuellement des taux effectifs d’imposition faibles (inférieurs au taux minimum qui serait fixé au titre du Pilier Deux, par exemple). L’investissement dans ces juridictions pourrait s’en trouver lourdement pénalisé, avec des effets en cascade possibles sur la base d’imposition à l’IS et d’autres bases d’imposition (impôt sur le revenu des personnes physiques, par exemple), même si cet effet négatif sur l’investissement pourrait être réduit si le Pilier Deux prévoit une exclusion fondée sur la substance et calculée par application d’une formule, excluant du champ des règles GloBE un rendement fixe au titre d’activités de substance. À l’inverse, les juridictions où les taux d’imposition sont supérieurs au taux minimum ne subiraient pas d’importantes pertes d’investissement, et pourraient même bénéficier d’une augmentation des investissements.

37. En somme, en limitant les différences de taux effectifs d’imposition entre les juridictions, les propositions tendraient à accroître l’importance relative de facteurs non fiscaux, tels que les infrastructures, les niveaux d’éducation ou les coûts du travail, dans les choix de localisation des investissements des groupes d’EMN. De façon générale, cela contribuerait à une répartition plus efficiente de l’investissement au niveau mondial, en ce sens qu’il se porterait plus volontiers là où il est le plus économiquement productif, plutôt que dans les juridictions qui offrent le régime d’imposition des bénéfices le plus favorable.

38. Au-delà de leur effet direct sur les coûts d’investissement, les propositions auraient une incidence sur les économies par plusieurs autres biais. Avant tout, en augmentant les recettes fiscales, les propositions réduiraient, tout au moins dans une certaine mesure, la nécessité pour les pouvoirs publics de recourir à d'autres mesures fiscales (pouvant avoir un effet de distorsion plus grand) ou de diminuer les dépenses afin de restaurer les finances publiques après la crise du COVID-19. À ce titre, elles soutiendraient également la mobilisation des ressources intérieures dans les économies en développement.

39. Les propositions augmenteraient les recettes fiscales mondiales via leur effet direct (analysé dans la section ci-dessus) et pourraient mobiliser des recettes supplémentaires à plus long terme en réduisant l’intensité de la concurrence fiscale entre juridictions. En effet, l’introduction d’un taux d’imposition minimum restreindrait les possibilités pour les pouvoirs publics d’utiliser des taux légaux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés très faibles ou des régimes préférentiels très généreux pour attirer l’activité et les bénéfices des groupes d’EMN. De fait, la mise en place d’un taux d’imposition minimum relèverait le taux effectif de l’impôt sur les bénéfices des sociétés appliqué aux entreprises multinationales jusqu’à un taux plancher convenu. Il est difficile d'anticiper avec certitude toutes les implications de cette évolution sur les décisions futures des pouvoirs publics en matière de taux et de bases d’imposition, et les circonstances futures seront déterminantes. Néanmoins, dans le contexte des contraintes budgétaires qui suivront la crise du COVID-19, ce taux minimum pourrait ralentir, voire stopper définitivement, une partie des pratiques de concurrence fiscale agressive observées au cours des dernières décennies.

40. Réduire la possibilité pour les États d’offrir des taux d’imposition très bas pourrait avoir pour effet négatif de restreindre leur capacité à recourir aux incitations fiscales pour atteindre des objectifs spécifiques de politique publique, comme promouvoir des activités innovantes ou le développement économique (via des incitations en faveur de l’investissement ou de la R-D, par exemple). Selon la conception et les paramètres des Piliers Un et Deux analysés illustrativement dans ce rapport, les pouvoirs publics conserveraient une grande latitude pour poursuivre ces objectifs en mobilisant le système de l’impôt sur les sociétés, surtout si le Pilier Deux prévoit une exclusion fondée sur la substance et calculée par application d’une formule, laquelle permettrait plus facilement d’imposer à faibles taux les activités impliquant une substance économique. En outre, comme le chapitre 4 l’explique, l’efficience de ces régimes préférentiels n’est pas toujours solidement établie. Enfin, les pouvoirs publics conserveraient à leur disposition un ensemble d’autres instruments d'action pour promouvoir leurs objectifs, de sorte qu’ils pourraient aisément adapter leur arsenal de mesures si nécessaire sans compromettre leur capacité à atteindre ces objectifs. Par conséquent, il paraît improbable que la réforme ait des effets préjudiciables sur l’innovation ou l’activité économique via ce canal.

41. Une autre question importante concerne l’impact que les propositions pourraient avoir sur les coûts de conformité pour les entreprises multinationales et les coûts d'administration pour les pouvoirs publics. Cet impact est difficile à évaluer précisément à ce stade, dans la mesure où il dépendra de la conception précise des propositions, et en particulier de l’ampleur des mesures de simplification adoptées par le Cadre inclusif dans l’architecture des propositions.

42. Les nouvelles dispositions fiscales prévues par les deux piliers durciront les obligations déclaratives, ce qui aura un coût pour les entreprises multinationales comme pour les pouvoirs publics (en termes de temps passé et de nécessité d’adapter les procédures et les systèmes informatiques existants). Toutefois, ce coût sera atténué par le fait que les entreprises multinationales plus petites et moins rentables échapperont au champ d'application des propositions, et par l’inclusion éventuelle dans la conception définitive des propositions de mécanismes efficients, comme des systèmes d’administration simplifiés et centralisés. En outre, certaines dispositions du Pilier Un (Montant B et volet relatif à la sécurité juridique en matière fiscale) réduiraient les coûts administratifs et de conformité en simplifiant le traitement fiscal de certaines fonctions commerciales, et en prévenant les différends fiscaux. Il est également important de souligner qu’en l’absence de solution fondée sur un consensus, les coûts de conformité augmenteraient probablement pour les entreprises, dans la mesure où la multiplication des mesures fiscales unilatérales déboucherait vraisemblablement sur un système fiscal international plus fragmenté et moins cohérent, conjugué à une augmentation de la fréquence des différends commerciaux et fiscaux.

43. L’impact économique des propositions sera également variable selon qui supporte « l’incidence » économique des impôts supplémentaires. En théorie, le coût des impôts supplémentaires pourrait échoir en dernier lieu aux actionnaires des groupes d’EMN (baisse des dividendes), aux travailleurs (baisse des salaires) ou aux consommateurs (hausse des prix). En pratique, la charge pourrait être divisée entre ces trois catégories dans des proportions qui dépendront de la situation propre à chaque entreprise, comme examiné plus en détail dans le chapitre 4.

44. Enfin, les propositions pourraient aussi affecter la dynamique concurrentielle des entreprises. En augmentant les prélèvements sur les grandes entreprises multinationales rentables et qui transfèrent des bénéfices, les propositions contribueraient probablement à créer des règles du jeu plus équitables entre ces multinationales et les autres multinationales (plus petites et qui ne pratiquent pas le transfert de bénéfices) ainsi que les entreprises qui ne sont pas des multinationales. Elles contribueraient ainsi à atténuer la tendance actuelle à la concentration du marché, notamment sur les marchés numériques, qui peut être préjudiciable au bien-être des consommateurs, à l’investissement et à l’innovation. De fait, des données préliminaires montrent que les entreprises qui transfèrent des bénéfices utilisent des économies d’impôt réalisées pour évincer leurs rivales.

45. Les effets attendus des propositions doivent être comparés aux conséquences d’un scénario contrefactuel dans lequel la communauté internationale ne parviendrait pas à négocier une solution multilatérale fondée sur un consensus. La nature exacte de ce scénario contrefactuel reste incertaine, mais il est probable qu’il serait différent d’une situation de statu quo. En effet, on a assisté ces dernières années à une multiplication des différends fiscaux et commerciaux, car diverses juridictions ont pris des mesures unilatérales pour relever les défis soulevés par la numérisation de l’économie (en adoptant des taxes sur les services numériques (TSN) ou des dispositions similaires, par exemple). Ainsi, en juin 2020, les États-Unis ont annoncé l'application de droits de douane en représailles sur l'équivalent de 1.3 milliard USD de produits français, en vertu de la section 301 de l’US Trade Act, et leur intention de lancer plusieurs enquêtes supplémentaires au titre de cette même section.

46. Il est probable que les différends fiscaux et commerciaux s’intensifieront en l’absence de solution multilatérale reposant sur un consensus. De fait, outre les juridictions qui ont d’ores et déjà annoncé l’adoption de TSN, plusieurs juridictions qui envisagent d’en appliquer ont fait savoir qu’elles s’en abstiendraient si une solution multilatérale fondée sur un consensus peut être négociée. Faute d'accord, elles opteraient probablement pour l’introduction de TSN qui ne feraient qu’aggraver les tensions commerciales liées à ces taxes. Plusieurs enquêtes récentes confirment que l’incertitude fiscale est une préoccupation majeure pour les groupes d’EMN et que le sentiment d’incertitude grandit depuis quelques années. Une solution fondée sur un consensus, qui est supposée dans ce rapport impliquer la suppression des TSN existantes ainsi que l’engagement de la part des pays à s’abstenir d’introduire de telles mesures à l’avenir, devrait accroître la sécurité juridique en matière fiscale, par rapport à un scénario contrefactuel caractérisé par l’absence d'accord multilatéral.

47. La multiplication des TSN serait une cause d’inefficience économique. S'apparentant davantage à des taxes sur le chiffre d'affaires qu’à un impôt sur les bénéfices des sociétés, les TSN sont plus susceptibles de donner lieu à des cas de double imposition. En outre, contrairement aux impôts sur les bénéfices, les TSN toucheraient aussi les entreprises déficitaires, ce qui serait dommageable dans le contexte de récession économique consécutive à la crise du COVID-19.

48. Ces inefficiences, conjuguées à l’incertitude fiscale croissante et au développement probable des différends commerciaux et fiscaux, pénaliseraient l’investissement et l’activité économique. L'ampleur de ces effets préjudiciables dépendrait notamment du nombre de juridictions qui adopteraient des TSN, de la conception et du taux de ces TSN, et de la portée des mesures tarifaires de représailles et des réactions des juridictions visées par ces droits de douane. D'après des scénarios simplifiés basés sur une application « étroite » des TSN (limitée aux juridictions actuellement visées par l’enquête des États-Unis au titre de la section 301), l’effet négatif sur le PIB mondial pourrait être compris entre -0.1 % et -0.2 %. Dans les scénarios retenant une application des TSN à plus grande échelle, l’effet négatif sur le PIB mondial atteindrait -0.4 % à -1.2 %. L’extrémité supérieure de la fourchette correspond au scénario fondé sur des représailles commerciales proportionnelles. L’extrémité inférieure de la fourchette correspond au scénario le plus défavorable, dans lequel les mesures de riposte ont une magnitude qui peut être cinq fois plus importante que les mesures proportionnelles. Dans la plupart des cas de figure, les répercussions sur le PIB seraient beaucoup plus graves que l’effet direct du Pilier Un et du Pilier Deux sur les coûts d’investissement (voir le Graphique 1.2 ci-dessus).

49. Dans l’ensemble, l’analyse conclut qu’une solution multilatérale fondée sur un consensus associant les Piliers Un et Deux procurerait d’importantes recettes fiscales supplémentaires à la plupart des juridictions. En outre, elle conduirait de toute évidence à un environnement plus propice à l’investissement et à la croissance qu’en l’absence d'accord entre les membres du Cadre inclusif, tandis que ses effets sur les coûts de conformité et d’administration dépendraient de la conception précise du Pilier Un et du Pilier Deux.

50. Plus largement, l’analyse suggère qu’une solution multilatérale fondée sur un consensus associant les Piliers Un et Deux pourrait générer une série d'avantages significatifs pour le système fiscal international. Elle adapterait le système international d’imposition des sociétés à l’ère du numérique en garantissant que la répartition des droits d’imposition des bénéfices commerciaux n’est plus uniquement dictée par le critère de présence physique. Elle favoriserait l'établissement de règles du jeu plus équitables entre les entreprises multinationales à forte composante numérique et à forte intensité d'actifs incorporels et les autres entreprises, tout en améliorant l’efficience dans la répartition mondiale du capital. Les propositions amélioreraient probablement la sécurité juridique en matière fiscale, surtout au regard de l'adoption de mesures fiscales unilatérales et de l’escalade des différends commerciaux et fiscaux qui résulteraient vraisemblablement de l’absence de solution fondée sur un consensus. Elles freineraient le transfert de bénéfices et limiteraient la concurrence fiscale, ce qui contribuerait à répondre aux besoins de recettes fiscales des États, surtout à l’heure où ils s’efforcent de rebâtir leurs économies après la crise du COVID-19. Enfin, les propositions iraient dans le sens de la viabilité à long terme du système, car la transformation numérique et le rôle des actifs incorporels ne manqueront pas de s’affirmer dans les décennies à venir.

51. On ne connaît pas l’ampleur exacte des conséquences de la crise du COVID-19 au stade actuel. L'évaluation d'impact effectuée dans ce rapport s’appuie sur des données antérieures à la crise. Ses principaux messages devraient rester pertinents dans l’environnement post-COVID-19, à quelques nuances près, évoquées dans Encadré 1.2 ci-dessous. À l’avenir, la crise du COVID-19 renforcera probablement l’urgence de trouver des solutions aux défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie, pour trois principales raisons :

i. Cette crise accélère la transformation numérique de l'économie, dont les enjeux deviennent encore plus critiques.

ii. Elle va entraîner une détérioration brutale des finances publiques dans la plupart des pays, ce qui conduira à s’interroger sur les moyens de mobiliser des recettes fiscales une fois la reprise solidement établie.

iii. De nombreuses entreprises reçoivent un soutien public pendant la crise, et beaucoup d’acteurs de la société seront invités à faire des sacrifices et à apporter des contributions supplémentaires aux efforts collectifs pour faire face à la crise ; aussi, la tolérance à l’égard des pratiques de planification fiscale agressive des entreprises multinationales sera probablement encore plus faible qu'avant la crise.

52. Tous ces éléments suggèrent qu’en l’absence de solution fondée sur un consensus, les mesures fiscales unilatérales et non coordonnées deviendront encore plus fréquentes qu'avant la crise. En outre, les effets négatifs des différends commerciaux et fiscaux qui en résulteraient pénaliseraient l’investissement et l’activité, à l’heure où l'économie mondiale est fragilisée par la crise, ce qui aggraverait les répercussions de la récession et compromettrait la reprise.

References

[5] Hanappi, T. and A. González Cabral (2020), “The impact of the pillar one and pillar two proposals on MNE’s investment costs  : An analysis using forward-looking effective tax rates”, OECD Taxation Working Papers, No. 50, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/b0876dcf-en.

[6] Millot, V. et al. (2020), “Corporate Taxation and Investment of Multinational Firms: Evidence from Firm-Level Data”, OECD Taxation Working Papers, No. 51, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9c6f9f2e-en.

[2] OCDE (2020), Les défis fiscaux soulevés par la numérisation – Rapport sur le blueprint du Pilier Deux: Cadre inclusif sur le BEPS, Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/6c4f8dde-fr.

[1] OCDE (2020), Les défis fiscaux soulevés par la numérisation – Rapport sur le blueprint du Pilier Un: Cadre inclusif sur le BEPS, Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/3585df0b-fr.

[4] OECD (2020), Corporate Tax Statistics, OECD Publishing, Paris, https://www.oecd.org/tax/beps/corporate-tax-statistics-database.htm.

[7] OECD (2020), Tax Challenges Arising from Digitalisation – Report on Pillar One Blueprint: Inclusive Framework on BEPS, OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/beba0634-en.

[3] OECD/G20 Inclusive Framework on BEPS (2019), Programme of Work to Develop a Consensus Solution to the Tax Challenges Arising from the Digitalisation of the Economy, OECD/G20 Inclusive Framework on BEPS, https://www.oecd.org/tax/beps/programme-of-work-to-develop-a-consensus-solution-to-the-tax-challenges-arising-from-the-digitalisation-of-the-economy.pdf.

Notes

← 1. On estime que les recettes de l’IS au niveau mondial s'élèvent à environ 2500 milliards USD en 2019. Ces chiffres sont basés sur les données de l’OCDE et du FMI relatives aux recettes de l’IS en 2016 (année qui offre la meilleure couverture géographique, avec plus de 120 juridictions couvertes), des extrapolations reposant sur le ratio médian des recettes de l’IS rapportées au PIB (2.7 %) dans les juridictions non couvertes par les données de l’OCDE ou du FMI, et les données de la Banque mondiale relatives à la croissance nominale du PIB mondial entre 2016 et 2019 (dans l’hypothèse d’un ratio constant recettes mondiales de l’IS/PIB mondial).

← 2. Les gains générés par le régime GILTI des États-Unis sont basés sur des estimations ex ante provenant de l’US Joint Committee on Taxation. Voir le chapitre 3 pour plus de détails.

← 3. Aux fins de ce document, par juridictions du marché/de l’utilisateur (ci-après les « juridictions du marché »), on entend les juridictions dans lesquelles un groupe d’entreprises multinationales commercialise ses produits ou services, ou, dans le cas d’entreprises à forte composante numérique, fournit ses services aux utilisateurs ou sollicite et recueille des données et des contenus auprès d’eux.

← 4. Cette estimation de 500 milliards USD suppose par convention que les groupes d’EMN couverts par le Montant A sont ceux dont le chiffre d'affaires est supérieur à un seuil de chiffre d'affaires mondial de 750 millions EUR, qui dégagent une rentabilité supérieure à un pourcentage de seuil de 10 % (basé sur le ratio bénéfice avant impôt/chiffre d'affaires) et qui exercent des activités dans les secteurs ADS et CFB. Le chapitre 2 présente des estimations basées sur d'autres hypothèses potentielles relatives aux paramètres du Montant A.

← 5. L’agrégation mondiale, plus difficile à modéliser avec les données disponibles, procurerait moins de recettes fiscales que l’agrégation par juridiction pour un taux d’imposition minimum donné, car elle autoriserait les groupes d’EMN à utiliser des bénéfices fortement taxés dans certaines juridictions pour compenser des bénéfices faiblement taxés dans d’autres juridictions.

← 6. Ainsi, ce rapport part du principe qu’un groupe d’EMN qui demande à bénéficier de l’avantage de l’exclusion serait tenu de procéder à un ajustement corrélatif et proportionnel des impôts couverts pour le calcul du TEI. L’autre option (consistant à ne pas procéder à un ajustement corrélatif et proportionnel des impôts couverts) serait difficile à modéliser avec les données disponibles. Voir le chapitre 3 pour plus de détails.

← 7. Le montant des bénéfices résiduels attribués aux juridictions à revenu élevé en vertu du Montant A pourrait augmenter, mais comme ces juridictions disposent déjà de droits d’imposition sur une fraction des bénéfices résiduels de groupes d’EMN couverts, elles verront ces droits réduits lorsqu’ils seront réattribués à d’autres juridictions au titre du Montant A. Par conséquent, on estime que dans les juridictions à revenu élevé, les gains nets de recettes fiscales générés par le Montant A seront dans l’ensemble plus faibles que dans les juridictions à revenu faible ou intermédiaire.

← 8. Dans ce rapport, les centres d’investissement désignent les juridictions dont le stock total d’IDE entrant dépasse 150 % du PIB. Beaucoup d’entre eux appliquent un taux légal et/ou effectif d’imposition des bénéfices des sociétés relativement faible. Les groupes de juridictions examinés dans ce rapport (c’est-à-dire les juridictions à revenu élevé, intermédiaire et faible) excluent les centres d’investissement.

← 9. La moindre sensibilité peut aussi être liée aux stratégies de planification fiscale, sur lesquelles les propositions de réforme devraient par ailleurs avoir un effet dissuasif.

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