25. Composantes des écosystèmes numériques dont chaque pays a besoin

Kate Wilson
Digital Impact Alliance

Kate Wilson, Digital Impact Alliance

  • La transformation numérique s’articule autour de cinq facteurs qui se sont avérés essentiels à la réussite des processus : la volonté politique, les politiques publiques, les prix et la passation de marchés, le produit et les personnes.

  • Compte tenu de la complexité et des coûts de la transformation numérique, et de la nécessité d’un soutien durable pour la mener à bien, la volonté politique aux niveaux national et mondial est cruciale pour favoriser le changement.

  • Les pouvoirs publics ont besoin de nouveaux mécanismes de financement et de passation de marchés pour garantir une meilleure tarification globale des composantes de la technologie numérique.

  • Les partenaires au développement doivent renforcer la coordination, notamment en ce qui concerne le financement (compte tenu de l’ampleur des besoins), les produits (pour éviter les doubles emplois et le gaspillage), le soutien par l’action publique (pour minimiser les risques et favoriser les débouchés) et les types de capacités renforcées (pour garantir des conditions de concurrence équitables).

Entreprendre une transformation numérique est un exercice complexe qui nécessite d’aligner la demande sur l’offre de manière holistique et bien coordonnée. Pour mieux comprendre les choix à faire, les dirigeants nationaux examinent de plus en plus vers la situation de pays tels que l’Estonie, l’Inde ou Singapour, qui sont très avancés dans cette voie. Les bailleurs de fonds partout dans le monde étudient ces mêmes modèles pour déterminer quels investissements dans la transformation numérique doivent être prioritaires et comment investir de manière efficace, responsable et rentable (DIAL, 2020[1]). Mais l’application et l’exécution de ces modèles et « recettes » de la réussite ailleurs restent très difficiles, en particulier dans les pays en développement.

Pour soutenir ces transitions, les acteurs du développement doivent acquérir une meilleure compréhension des facteurs que ces modèles ont en commun ainsi que des besoins spécifiques au contexte propre à chaque pays. Considérer chacun de ces facteurs individuellement et les uns par rapport aux autres peut aider les acteurs du développement à décomposer le défi de la transformation numérique en ses éléments constitutifs, ce qui permettra à son tour d’améliorer la coopération au service du développement dans son ensemble pour soutenir les besoins et les priorités de chaque pays.

Les transformations numériques ont de multiples facettes. Pour aider les pays, les acteurs du développement et les autres parties prenantes doivent répondre à des besoins et des priorités propres à chaque contexte spécifique. Les tendances observées dans certains des pays qui ont ouvert la voie de la transformation numérique, ainsi que les mesures des transformations numériques nationales1 elles-mêmes, suggèrent qu’au moins cinq facteurs sont essentiels, même s’ils ne sont pas tous présents au départ. La Digital Impact Alliance (DIAL) a élaboré un cadre simple, dit des « 5 P » (Box 25.1). La prise en compte de ces domaines interdépendants – chacun d’entre eux étant important pour la mise en place d’un système numérique de qualité – peut aider les acteurs à recenser des ensembles de problèmes gérables et à se coordonner en fonction de ceux-ci.

Le premier facteur est la volonté politique des dirigeants nationaux de parvenir à une économie numérique et (le cas échéant) la volonté de la communauté internationale au service du développement de soutenir cette transformation numérique. Le deuxième facteur est la mise en place de politiques publiques adaptées aux citoyens, qui fassent en sorte que le système en cours d’édification soit conçu sans perdre de vue la protection des citoyens. Les troisième et quatrième facteurs – l’offre et la demande – sont des modèles de fixation des prix et de passation de marchés commercialement attractifs et la disponibilité de produits évolutifs qui peuvent se connecter de manière transparente. Enfin, le cinquième facteur est l’ampleur de la culture numérique et la capacité de toutes les personnes, y compris dans les organismes de développement, à mettre en œuvre les politiques, à gérer à la fois les achats et les produits, et in fine à élaborer des solutions durables susceptibles d’être améliorées au fil du temps. Le Graphique 25.1 décrit les relations entre ces facteurs, illustrant le rôle essentiel joué par la volonté politique dans la mise en place d’un changement tout au long du processus.

Depuis plus de dix ans, les États et les acteurs du développement investissent dans différents projets à travers le monde en développement2 qui utilisent la technologie numérique (par exemple, les logiciels, les données massives) pour obtenir de meilleurs résultats sociétaux. Les pays de l’OCDE et les fondations du secteur privé ont également investi dans des programmes de politiques numériques et de renforcement des capacités numériques et dans la création de produits numériques évolutifs, plus particulièrement pour la prestation de services de santé et la promotion de l’inclusion financière. Pourtant, comme le reconnaissent les acteurs de la politique, du développement et de la société civile, le numérique n’a pas réalisé son plein potentiel pour améliorer l’efficacité des programmes de développement3.

Au niveau national, cependant, on constate une volonté politique croissante d’entreprendre des transformations numériques. Dans les quelques pays où les outils numériques ont été intégrés de manière complète (par exemple la Corée, l’Estonie, l’Inde), on a observé une volonté politique marquée et systématique dans toutes les composantes de l’administration d’intégrer l’utilisation de la technologie et des données numériques dans leur approche. Au cours des deux dernières années, et notamment en raison de la pandémie de COVID-19, les responsables politiques ont pu constater que les services publics dotés de moyens numériques étaient capables d’administrer des services sociaux à distance, de verser des prestations et des allocations par voie numérique et de gérer les principales transactions financières et autres – même en pleine crise nationale – et ce, plus rapidement et à moindre coût que ceux qui étaient dépourvus de capacités numériques. Les dirigeants des pays à revenu faible ou intermédiaire passent désormais au numérique (Union africaine, 2019[4]) et demandent un soutien accru aux acteurs du développement4.

Compte tenu des nombreux facteurs qui composent la transformation numérique, la volonté politique en faveur d’approches inclusives et centrées sur les personnes aux niveaux national et mondial est cruciale. Sans cette volonté, les solutions risquent de nuire au bien-être plutôt que de l’améliorer, à travers, par exemple, des fuites de données personnelles, le manque d’interopérabilité, la redondance des systèmes et l’utilisation abusive de données personnelles entre les mains des pouvoirs publics. À l’heure où le monde s’attaque aux nombreux défis liés au changement climatique, aux conflits et à la fragilité, ainsi qu’à l’impact du COVID-19, les systèmes numériques et de données peuvent être exploités pour optimiser les ressources rares et renforcer la préparation aux crises futures, mais seulement si les pièges les plus dangereux peuvent être évités. C’est là que les politiques publiques entrent en jeu.

Une transformation numérique nationale responsable, inclusive et efficace nécessite une approche à l’échelle de l’ensemble de la société pour instaurer un environnement politique favorable (DIAL, 2020[1]). De telles approches intègrent les valeurs d’inclusion, obligeant les pouvoirs publics à créer des mécanismes constructifs grâce auxquels les acteurs de la société peuvent participer et s’engager dans la définition des priorités, la sélection des parties prenantes et la stratégie de mise en œuvre, et demander des comptes aux pouvoirs publics. Une appropriation accrue de la transformation numérique par les citoyens, à son tour, renforce la confiance de la population dans l’utilisation des outils et des données numériques par les pouvoirs publics.

On trouve un exemple de cette approche en Estonie (voir le Chapitre 12), qui a fait de la transparence mutuelle une caractéristique de son système numérique, avec la participation et le consentement des citoyens comme principes de base de la conception5. Les cadres politiques numériques nationaux couvrent des questions telles que la protection des données et la vie privée, la cybercriminalité et la cybersécurité, les droits de propriété intellectuelle, les paiements et la réglementation commerciale, la protection sociale numérique et les réglementations relatives aux technologies émergentes et à l’innovation. Ces politiques reconnaissent les impacts économiques et sociaux plus insidieux de la fourniture de services numériques, tels que l’utilisation de l’intelligence artificielle pour cibler ou limiter l’aide financière ou les offres de soins de santé aux citoyens, et aident à se prémunir contre ceux-ci. L’approche inclusive de l’Estonie offre un modèle utile dont d’autres pays peuvent s’inspirer lors de la conception de transformations numériques nationales.

Les pays à revenu faible ou intermédiaire n’ont souvent pas accès à la gamme complète des produits numériques tels que les logiciels, les services mobiles de base et les données. Souvent, ces pays n’ont pas les moyens de payer les droits de licence élevés exigés par les grands fournisseurs de systèmes, tandis que le manque de financement et les cadres réglementaires opaques empêchent les entreprises technologiques nationales de développer des technologies numériques à grande échelle, notamment des logiciels propriétaires. Dans le même temps, la petite taille du marché, le manque d’exécutants locaux pour déployer la technologie et les budgets technologiques nationaux relativement faibles dissuadent souvent les entreprises internationales de fournir ces pays. Cette structure de la demande incertaine et l’absence de financement soutenu posent un problème de détermination des prix et de financement pour de nombreux produits technologiques. Afin de fournir des produits plus abordables et plus appropriés aux pays à revenu faible ou intermédiaire, les acteurs du développement international interviennent pour financer un grand nombre de produits d’infrastructure numérique publique (INP) les plus connus et les plus nécessaires dans le domaine de l’identité numérique (ID) et des paiements – parmi lesquels Mojaloop et la plateforme d’identité modulaire open source (MOSIP) – ainsi que des produits de biens publics numériques (BPN) conçus pour des secteurs tels que la santé (par exemple, le logiciel d’information sanitaire de district 2, ou DHIS2), les interventions humanitaires (par exemple, Primero) et l’agriculture (par exemple, FarmOS)

L’Encadré 25.1 fournit des estimations préliminaires du coût de la mise en place d’infrastructures numériques publiques dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Bien que la structure du marché soit différente, certains des mécanismes de financement innovants utilisés pour remédier aux défaillances du marché des vaccins peuvent aider à résoudre des problèmes similaires d’accès à des produits numériques abordables dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Par exemple, des recherches menées par DIAL, Tableau Foundation et PATH ont mis en évidence qu’un mécanisme de passation de marchés groupés, mis à profit sur plusieurs marchés, permettait aux fabricants de vaccins d’être assurés d’avoir des débouchés à un prix garanti (DIAL, 2018[2]). Il a également favorisé la consolidation et la normalisation autour d’un nombre réduit de produits, ce qui a permis aux pouvoirs publics de valider plus facilement les produits en les testant et en observant leur utilité, avec à la clé une hausse de la confiance dans l’approvisionnement en vaccins.

Une dynamique similaire pour la tarification et la passation de marchés existe dans les pays à revenu faible et intermédiaire pour les outils numériques qui peuvent être fournis comme des biens publics numériques et des infrastructures numériques publiques. Comme le montre le Graphique 25.2, l’approche fragmentée et sectorielle adoptée aujourd’hui par les fournisseurs de la coopération pour le développement augmente les coûts de transaction et saupoudre de faibles sommes sur des efforts numériques trop nombreux. Ces problèmes sont aggravés par l’absence actuelle de critères d’évaluation communs aux différents acteurs du développement pour certifier quels produits fonctionnent et pourraient être utilisés avec peu de changements dans un autre pays. Cette dynamique se traduit par une offre inégale de produits qui ne disposent pas d’un capital suffisant pour être transposés à plus grande échelle et accroît les risques déjà élevés auxquels sont confrontés les responsables pour les infrastructures numériques publiques et les BPN.

Les acteurs du développement ont lancé des initiatives qui tiennent compte à la fois du défi de la détermination des prix et de celui du financement, comme Digital Square et Giga (voir le Chapitre 24), et du défi de la durabilité des produits. Mais ces initiatives n’abordent la question qu’au niveau sectoriel (par exemple l’éducation ou la santé) ou fonctionnel (par exemple la connectivité, les applications). À ce jour, il n’y a pas de consensus sur la viabilité d’un mécanisme de financement commun holistique et intersectoriel combinant les financements des secteurs privé et public.

La tarification et le financement des infrastructures numériques publiques et des BPN font souvent l’objet de débats au niveau international. De l’avis des administrations des pays partenaires, il est tout aussi important que l’achat de nouveaux outils numériques soit efficace, en partie en raison de la nature transversale des technologies et des données numériques et des difficultés à aligner les investissements entre les ministères et les partenaires de la coopération pour le développement6. Autre problème lié à la passation de marchés : ni la durée du développement des solutions numériques, ni les approches de développement agiles, ni les coûts de maintenance et de soutien récurrents ne s’intègrent bien dans les cycles de financement traditionnels des gouvernements. Les processus et les normes de passation de marchés ne sont pas forcément adaptés à l’acquisition de technologies numériques ou harmonisés entre les organismes publics. En bref, l’expertise nationale en matière de marchés publics et les processus actuels peuvent ne pas être en phase avec les ambitions nationales en matière de transformation numérique.

L’expertise nationale en matière de marchés publics et les processus actuels peuvent ne pas être en phase avec les ambitions nationales en matière de transformation numérique.  
        

Toutefois, les marchés publics peuvent être utilisés pour favoriser les objectifs de la transformation numérique, comme la promotion des petites et moyennes entreprises et une plus grande adoption des technologies. Dans presque tous les pays, l’État est le plus gros acheteur et l’équivalent de milliers de milliards de dollars sont échangés chaque année pour des contrats publics (The Economist Intelligence Unit, 2020[6]), dont 11 000 milliards USD pour la seule année 2018 (Bosio et Djankov, 2020[7]). Les pays peuvent tirer parti de cet important volume de dépenses pour orienter le marché vers des objectifs de transformation numérique. La passation de marchés publics devrait être considérée comme un outil politique pour la transformation numérique nationale et être incluse dans la définition de la stratégie nationale de transformation numérique (DIAL, 2021[3]).

En résumé, de nouveaux mécanismes de financement et de passation de marchés sont nécessaires pour garantir une meilleure tarification globale des composantes de la technologie numérique. Au nombre des stratégies possibles figurent la mise en commun des besoins d’approvisionnement des pays à revenu faible et intermédiaire autour de modules technologiques réutilisables, la création d’un fonds de financement commun pour les produits numériques et l’investissement dans des données probantes, montrant comment ces mécanismes qui façonnent le marché peuvent faire baisser les prix et augmenter l’offre de solutions numériques éprouvées. Les politiques et les mécanismes de passation de marchés et de financement adéquats permettant dobtenir de meilleurs prix constituent le volet « demande » des transformations numériques. Du côté de loffre, on trouve les composantes technologiques, ou produits, qui constituent les systèmes numériques.

L’économie des plateformes numériques7 suggère que, même si les besoins de chaque pays sont uniques, il existe des composantes ou des produits technologiques communs dont chaque pays a besoin pour se doter d’une pile numérique nationale complète, c’est-à-dire de toutes les couches technologiques qui, ensemble, créent le système permettant de fournir un service par voie numérique.

En général, ces éléments de base comprennent au minimum une couche d’identification numérique nationale, une couche de paiements numériques et une couche de protection des données. Lorsque ces éléments sont interopérables et créés de façon à être extensibles avec une couche d’interface de programmation (API), de manière à se connecter à de nouvelles applications et de nouveaux services, un pays peut économiser du temps et de l’argent, et inciter les innovateurs locaux à créer des services aux citoyens conçus localement. Bien que cette approche semble proposer une solution unique, il est intéressant d’imaginer une pile numérique comme un gâteau à plusieurs couches, dont les ingrédients seraient les composantes technologiques (Graphique 25.2). Tout comme la plupart des gâteaux ont des ingrédients communs, tels que des œufs, de la farine, de la levure et de l’huile, pour n’en citer que quelques-uns, les recettes, les saveurs et une myriade d’autres détails varient, et les chefs s’appuient sur ce que d’autres ont essayé avant eux. De même, les architectes numériques des transformations numériques nationales tiennent compte des « recettes » que d’autres pays ont essayées et des ingrédients – les produits – utilisés.

Pour de nombreux pays, la couche d’infrastructure de base commence par la connectivité, l’électricité et les compétences en ingénierie. De nombreux pays, dont l’Estonie et l’Inde, ont ajouté des couches nationales d’identification numérique, de paiements et de données qui sont connectées par des normes communes et des intergiciels. Par-dessus ces couches, les pays ont ensuite construit une infrastructure d’API8, grâce à laquelle d’autres applications (par exemple pour le renouvellement du passeport numérique ou l’inscription à l’école) peuvent étendre l’infrastructure nationale de base suivant les conceptions et développement d’innovateurs du pays. Cet écosystème favorise l’économie numérique et permet de créer plus rapidement de nouvelles applications de services adaptées aux besoins locaux (par exemple pour l’apprentissage à distance ou le paiement des services publics). Ces applications sont la partie la plus visible – et, pour la société, la plus gratifiante – de la pile. Mais elles ne pourraient pas exister sans les couches de base et fondamentales qui les composent.

Le Plan d’action pour la coopération numérique du Secrétaire général de lONU souligne limportance des BPN pour la réalisation des Objectifs de développement durable, en les définissant comme « des logiciels libres, des données ouvertes, des modèles d’intelligence artificielle ouverts, des normes ouvertes et des contenus ouverts qui respectent la vie privée et les autres lois, normes et meilleures pratiques internationales et nationales applicables et ne causent aucun préjudice » (ONU, 2021[9]). Les pays qui s’engagent dans des transformations numériques doivent opter pour la première étape adéquate pour développer les BPN ainsi que leur INP et leur infrastructure publique de données. Plusieurs initiatives internationales récentes offrent des orientations, parmi lesquelles le Cadre d’investissement numérique au service des ODD, élaboré par l’Union internationale des télécommunications et DIAL9, la norme ouverte de la Digital Public Goods Alliance10 et des outils tels que le catalogue DIAL de solutions numériques11. Cependant, pour que les biens publics numériques constituent un choix réaliste pour les États, les produits disponibles doivent reposer sur des sources de revenus durables à long terme, ainsi que des processus de certification rigoureux et des investissements soutenus sur des décennies par les fournisseurs de coopération pour le développement.

Certains investissements sont consacrés à des composantes numériques telles que les paiements (Mojaloop), l’identité numérique (MOSIP) et les systèmes de gestion des informations de santé (DHIS2). Toutefois, les investissements durables dans les biens publics numériques essentiels restent rares, notamment pour ce qui concerne le soutien technique de base, la gouvernance locale et l’adoption de normes. Il convient de souligner que, malgré l’accent mis actuellement sur les BPN, le secteur privé a un rôle important à jouer. Un écosystème d’exécutants et d’intégrateurs de systèmes locaux est nécessaire pour aider au soutien et à la maintenance des piles numériques nationales employées par les États pour fournir des services. Les logiciels commerciaux en tant que service, connus sous le nom de SaaS, et les offres sur mesure du secteur privé sont en train de devenir des solutions numériques couramment utilisées dans les administrations des pays à revenu élevé. Les pays à revenu faible ou intermédiaire ont droit de disposer des mêmes offres. Si le financement était mieux assuré, tant pour les logiciels libres que pour les technologies propriétaires, les secteurs public et privé seraient plus enclins à s’unir pour créer un écosystème numérique florissant de biens et services numériques mondiaux interopérables.

Une approche pangouvernementale des politiques a conduit la Corée, l’Estonie, l’Inde et d’autres pays à investir dans des produits et services numériques interopérables qui sont devenus des biens numériques mondiaux soutenus par une communauté d’utilisateurs. Cette approche peut même inspirer la coopération régionale autour des piles technologiques, des normes et des cadres réglementaires dans des domaines tels que l’identification numérique et les paiements12. Le partenariat GovStack13, par exemple, invite à la fois les fournisseurs de produits et les pouvoirs publics nationaux à participer à une communauté qui s’engage à concevoir des spécifications basées sur les meilleures pratiques de composantes numériques génériques et réutilisables, à créer des modèles de plateformes de services gouvernementaux numériques et à fournir un soutien pour les marchés publics et la mise en place dans des contextes où les ressources sont rares.

Une approche pangouvernementale des politiques a conduit la Corée, l’Estonie, l’Inde et d’autres pays à investir dans des produits et services numériques interopérables qui sont devenus des biens numériques mondiaux soutenus par une communauté d’utilisateurs.  
        

Tous ces efforts illustrent le fait que les acteurs du développement, au niveau bilatéral et dans le cadre de partenariats, s’efforcent déjà d’unir les investissements (voir, par exemple, les Principes d’alignement des donneurs pour la santé numérique14) dans des éléments constitutifs techniques transversaux et de bâtir des cadres basés sur la conception de composantes numériques réutilisables et interopérables. Ce qui manque, c’est la capacité d’unir ces efforts aux niveaux national, régional et mondial dans un cadre commun de transformation numérique qui dispose des financements suffisants pour financer les produits nécessaires.

La conception, la maintenance, l’investissement et la réglementation à l’appui des plateformes numériques et de l’utilisation des données au niveau national nécessitent d’approfondir les compétences numériques au sens large, au sein des organismes gouvernementaux et du secteur privé, ainsi que dans la société civile. Dans la sphère du développement, les discussions sur le renforcement des capacités numériques portent souvent essentiellement sur l’amélioration de la capacité des citoyens à accéder aux services numériques, à trouver des informations en ligne et à naviguer dans les nouveaux espaces et médias numériques. Pourtant, la culture numérique des acteurs du développement est particulièrement importante s’ils veulent soutenir efficacement les pays dans l’élaboration de nouvelles politiques, le financement et l’acquisition de nouveaux produits, ainsi que le déploiement et la pérennisation des produits numériques. Pour financer des systèmes d’information évolutifs, les acteurs du développement devraient aussi étudier soigneusement les lacunes en matière de compétences qui importent le plus, celles qui sont nécessaires et celles qui devraient être prioritaires. Les résultats pourraient être surprenants.

Par exemple, une recherche menée par DIAL en 2019 a révélé que, pour le développement de logiciels en Afrique, des compétences moins techniques telles que la gestion de programme constituaient un plus grand défi que les compétences en ingénierie pour les dirigeants (DIAL, 2019[10]). D’autres études mettent en évidence des lacunes en matière de compétences techniques dans les achats de solutions numériques15. Des compétences en communication et des compétences juridiques générales, ainsi que des compétences spécifiques en matière d’intelligence artificielle, d’analyse des données et de cybersécurité, sont également nécessaires, selon la Commission de sécurité nationale des États-Unis sur l’intelligence artificielle (2021[11]), qui note que les États-Unis sont également confrontés à une telle pénurie de talents.

Heureusement, les acteurs du développement harmonisent leurs efforts pour combler les lacunes collectives du monde en matière de capacités numériques. Un exemple en est la nouvelle initiative Digital Capacity16, un projet du Programme des Nations Unies pour le développement et de l’Union internationale des télécommunications, qui vise à créer une base de données des formations aux compétences numériques existantes pour aider à mettre en relation les personnes à la recherche de formations au numérique et aux données avec les prestataires, et à réunir un réseau multipartite promouvant des approches plus holistiques et inclusives du renforcement des capacités numériques. Plus de 270 organisations de développement numérique ont également approuvé les Principes pour le développement numérique17, un ensemble de lignes directrices établies en 2014 pour soutenir les meilleures pratiques et ainsi de meilleurs résultats. Dans le monde entier, des cours se sont servi des supports de formation adaptables DIAL pour sensibiliser les fournisseurs de coopération pour le développement de l’OCDE au numérique18.

Il serait intéressant d’étendre ces formations à l’échelle mondiale pour avoir un impact significatif sur le déficit apparemment insoluble des capacités numériques, mais des défis subsistent. Comme indiqué dans le Plan d’action du Secrétaire général de l’ONU, ces initiatives profitent principalement aux locuteurs de quelques langues minoritaires, et l’on n’a pu observer de hausse de financement ni d’appétence en faveur d’une action de grande ampleur visant à accroître les capacités à l’échelle mondiale (ONU, 2021[9]). Les acteurs de la coopération pour le développement doivent garder à l’esprit qu’en fin de compte, pour progresser dans la composante humaine de la transformation numérique nationale, il faudra modifier à plus long terme l’état d’esprit mondial quant aux formations nécessaires et investir davantage pour rendre les formations existantes plus accessibles.

Le cadre des 5 P a pour but d’aider les décideurs politiques et les partenaires de la coopération pour le développement à décomposer l’entreprise complexe de la transformation numérique dans les pays à revenu faible et intermédiaire en des ensembles de problèmes gérables, puis à identifier les moyens de progresser. Trois recommandations primordiales s’appliquent aux cinq facteurs et sont essentielles à la réussite.

  1. 1. Partager ouvertement les enseignements. Chaque parcours de transformation numérique est différent. Mais apprendre de l’histoire de chaque pays peut aider les acteurs du développement à comprendre et à résoudre les défis communs. Les acteurs devraient investir le temps et les ressources nécessaires pour partager publiquement les enseignements. Les initiatives de partage des connaissances et les réseaux d’apprentissage par les pairs peuvent contribuer à ce que les acteurs du développement tirent des enseignements des nombreux efforts de transformation numérique déployés dans le monde et comprennent comment maximiser les gains de développement des investissements numériques et réduire autant que possible les impacts négatifs. Le cadre des 5 P est une façon d’organiser et de comprendre les pièges communs auxquels tous les pays et acteurs du développement sont confrontés.

  2. 2. Coordonner les approches, les financements et le soutien. La transformation numérique mondiale exige un changement radical dans la manière dont les acteurs de la coopération pour le développement et leurs homologues nationaux définissent, financent et soutiennent les solutions. Une plus grande coordination est essentielle compte tenu de l’ampleur du financement nécessaire pour identifier, bâtir, évaluer et soutenir des biens publics numériques intersectoriels, à l’échelle de la société, qui peuvent être utiles au plus grand nombre de nations possible pour leurs propres efforts de transformation numérique. Outre la coordination de ce travail de financement des produits, il est nécessaire d’aligner et de financer les innombrables aspects des politiques publiques, du renforcement des capacités, de la fixation de prix et de la passation de marchés, afin que les produits, ou les éléments constitutifs technologiques soient utiles. La volonté politique à cet égard commence clairement à se manifester, et il est temps de profiter de cette dynamique.

  3. 3. Ne laisser personne de côté dans les transformations numériques. Dans tout ce travail, tous les acteurs devraient consciemment appliquer les principes et les pratiques de l’engagement à « ne laisser personne de côté » et soupeser les avantages potentiels de la transformation numérique au regard de ses inconvénients potentiels, en particulier pour les groupes les plus vulnérables et marginalisés19. Cela signifie qu’il faut investir dans le renforcement des capacités numériques autour de pratiques de conception responsables telles que les Principes pour le développement numérique, garantir une approche inclusive et consultative de la gouvernance numérique et soutenir un examen continu des impacts de la transformation numérique sur les groupes vulnérables. Tous ces éléments sont indispensables si les acteurs du développement veulent s’assurer que chacun puisse bénéficier de la transformation numérique.

Références

[7] Bosio, E. et S. Djankov (2020), « How large is public procurement? », blogs de la Banque mondiale, https://blogs.worldbank.org/developmenttalk/how-large-public-procurement (consulté le 29 octobre 2021).

[5] Dhillon, D. et A. Kastner (2019), « Financing digital technologies », Digital Impact Alliance, https://digitalimpactalliance.org/financing-digital-technologies/.

[3] DIAL (2021), « Public procurement of digital technology », Leadership Series Brief, n° 3, Digital Impact Alliance, Washington, D.C., https://digitalimpactalliance.org/wp-content/uploads/2021/09/DIAL_LeadershipBrief3-Procurement.pdf.

[1] DIAL (2020), « Accelerating national digital transformation », Leadership Series Brief, n° 1, Digital Impact Alliance, Washington, D.C., https://digitalimpactalliance.org/wp-content/uploads/2021/08/DIAL_LeadershipBrief1-DX2_v1.pdf.

[10] DIAL (2019), « Insight 4: Moving forward as an ecosystem to support the next generation of software developers », Digital Impact Alliance, Washington, D.C., https://digitalimpactalliance.org/insight-4-moving-forward-as-an-ecosystem-to-support-the-next-generation-of-software-developers (consulté le 12 octobre 2021).

[2] DIAL (2018), Financing Digital Markets: What Vaccines Can Tell Us About Scaling Digital Technologies in Low- and Middle-Income Countries, Digital Impact Alliance, Washington, D.C., http://digitalimpactalliance.org/wp-content/uploads/2018/12/DIAL_Financing_Digital_Markets_final.pdf.

[9] ONU (2021), Plan d’action du Secrétaire général pour la coopération numérique : soutenir le renforcement des capacités numériques, Nations Unies, New York, https://www.un.org/fr/content/digital-cooperation-roadmap/#.

[6] The Economist Intelligence Unit (2020), The Future of Public Spending: Why the Way We Spend is Critical to the Sustainable Development Goals, The Economist Intelligence Unit, https://unops.economist.com/wp-content/uploads/2020/01/Thefutureofpublicspending.pdf.

[4] Union africaine (2019), « African leaders redefine the future through digital transformation », communiqué de presse, Union africaine, https://au.int/en/pressreleases/20190211/african-leaders-redefine-future-through-digital-transformation (consulté le 29 octobre 2021).

[11] US National Security Commission on Artificial Intelligence (2021), Final Report, National Security Commission on Artificial Intelligence, Washington, D.C., https://www.nscai.gov/wp-content/uploads/2021/03/Full-Report-Digital-1.pdf.

[8] Wilson, K. (2021), « Is there a digital recipe for country resilience? », Digital Impact Alliance, Washington, D.C., https://digitalimpactalliance.org/is-there-a-digital-recipe-for-country-resilience.

Notes

← 1. Des variables et des indicateurs communs ont été analysés pour mesurer la transformation numérique nationale. Pour de plus amples informations, voir : https://digitalimpactalliance.org/collaborating-to-measure-digital-transformation-sharing-dials-draft-digital-transformation-indicator-library-for-consultation-and-comment.

← 2. Le Groupe de la Banque mondiale, par exemple, a investi 12.6 milliards USD dans les technologies de l’information et de la communication au cours de la période 2006-16. Voir : https://www.worldbank.org/en/publication/wdr2016.

← 3. Voir : https://digitalimpactalliance.org/research/digital-impact-alliance-2018-baseline-ecosystem-study.

← 4. La volonté politique au niveau mondial se renforce également, comme en témoignent les programmes de coopération et de transformation numériques qui sont devenus des priorités pour l’OCDE, la Banque mondiale et l’ONU, par l’intermédiaire de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement et de l’Union internationale des télécommunications. L’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis figurent parmi les donateurs bilatéraux qui accordent la priorité à la transformation numérique.

← 5. Voir : https://e-estonia.com/cornerstone-governance-trust.

← 6. Comme l’indique un rapport publié par DIAL en 2020, « certains pays ont également du mal à améliorer la connectivité et la culture numérique en raison de problèmes d’accessibilité financière, et les difficultés liées à la passation des marchés créent souvent des effets négatifs en aval pour l’accès aux TIC, ce qui remet en question l’amélioration continue des services publics numériques ». Voir : https://digitalimpactalliance.org/research/unlocking-the-digital-economy-in-africa-benchmarking-the-digital-transformation-journey. Pour en savoir plus : https://digitalimpactalliance.org/wp-content/uploads/2021/09/DIAL_LeadershipBrief3-Procurement.pdf.

← 7. Voir : https://www.institutefordigitaltransformation.org/how-the-platform-economy-contributes-to-sustainable-development.

← 8. Les INP simplifient le développement de logiciels et l’innovation en permettant aux applications d’échanger des données et des fonctionnalités facilement et en toute sécurité. Voir : https://www.ibm.com/cloud/learn/api#:~:text=Application%20programming%20interfaces%2C%20or%20APIs,and%20functionality%20easily%20and%20securely.

← 9. Voir : https://digitalimpactalliance.org/research/sdg-digital-investment-framework.

← 10. Voir : https://digitalpublicgoods.net/standard/#:~:text=The%20DPG%20Standard%20itself%20is,our%20growing%20list%20of%20endorsers.

← 11. Voir : https://solutions.dial.community/fr.

← 12. Pour consulter des exemples d’efforts régionaux, voir : https://www.astroawani.com/berita-dunia/adgmin1-successfully-concludes-charting-5year-vision-asean-digital-development-plan-279282 ; https://www.csis.org/analysis/digital-africa-leveling-through-governance-and-trade et https://au.int/sites/default/files/documents/38507-doc-dts-english.pdf.

← 13. Voir : https://www.govstack.global.

← 14. Voir : https://digitalinvestmentprinciples.org/

← 15. Voir, par exemple, l’idée clé no 4 à l’adresse : https://digitalimpactalliance.org/research/public-procurement-of-digital-technology-leadership-series-brief-3 et https://www.nao.org.uk/wp-content/uploads/2011/02/1011757.pdf, particulièrement aux p. 17-18.

← 16. L’initiative Digital Capacity s’inscrit dans le prolongement du Plan d’action pour le numérique du Secrétaire général de l’ONU. Voir : https://digital-capacity.org.

← 17. Voir : https://digitalprinciples.org/fr/.

← 18. Parmi les organismes participant à la formation figurent la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, l’Agence suédoise de coopération internationale au développement, l’Agence norvégienne de coopération au développement, Lux Dev, le Foreign, Commonwealth & Development Office du Royaume-Uni et l’Agence des États-Unis pour le développement international.

← 19. Les principes et pratiques proposés par DIAL pour éclairer les transformations numériques inclusives sont disponibles à l’adresse suivante : https://digitalimpactalliance.org/research/leave-no-one-behind-leadership-series-brief-2. DIAL prévoit de publier début 2022 des études de cas pratiques sur les approches d’élaboration de politiques inclusives à l’échelle de la société.

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