6. Lever les obstacles à la mobilité résidentielle

La mobilité résidentielle est un enjeu important. La facilité avec laquelle il est possible de changer de lieu de résidence a des répercussions sur l’efficience dans la mesure où elle joue sur le processus d’appariement entre offres et demandes d’emploi. De fait, une faible mobilité résidentielle peut constituer un obstacle au redéploiement géographique de la main-d’œuvre, ce qui pèse sur l’efficience des marchés du travail, avec des conséquences négatives sur les performances globales de l’économie (Oswald, 1996[1]; Caldera Sánchez and Andrews, 2011[2]; Blanchflower et al., 2013[3]; Banque mondiale, 2018[4]).Cette facilité a également des répercussions sur la résilience puisqu’elle agit sur la rapidité d’adaptation aux chocs en déterminant la capacité des travailleurs à quitter les régions très touchées par le chômage pour rejoindre des régions où le taux de chômage est faible.

Les autres répercussions notables relèvent du bien-être et de l’équité : en effet, la facilité à changer de lieu de résidence ouvre aux individus et aux familles des possibilités de progresser dans l’échelle sociale par divers moyens (Judge, 2019[5]) ; par exemple, en ayant accès à des emplois mieux rémunérés dans des régions plus prospères, à de meilleures possibilités d’éducation et de formation, ou encore à un environnement local plus propice, notamment pour les enfants et les jeunes issus de milieux défavorisés. Il ressort du projet américain « Moving to Opportunity » que les enfants des familles tirées au sort pour bénéficier des chèques-logements leur permettant de quitter les quartiers pauvres pour s’installer dans des quartiers plus aisés affichaient par la suite un taux plus élevé de poursuite des études supérieures, des revenus plus élevés une fois dans la vie active et pâtissaient moins des effets de la monoparentalité (Chetty, Hendren and Katz, 2016[6]). Ce constat confirme tout l’intérêt qu’il y a à lutter contre la ségrégation et à réduire les séparations spatiales par revenus et patrimoine. Il montre par ailleurs que les avantages de la mobilité sont particulièrement intéressants pour les enfants, qui bénéficient ainsi d’un coup de pouce vers de meilleures opportunités, qui vaudront pour toute leur vie. Cela étant, changer de logement n’est pas toujours bénéfique. En cas d’expulsion, par exemple, les individus quittent leur logement parce qu’ils y sont contraints, ce qui n’est dans l’intérêt ni des personnes concernées ni de l’économie et de la société dans son ensemble. Une mobilité résidentielle excessive peut avoir des effets négatifs, que ce soit sur la stabilité sociale dans l’environnement local en dévalorisant le capital social local, ou sur les résultats scolaires des enfants s’ils sont contraints de changer d’établissement trop souvent (OCDE, 2020[7]).

En complément de la présente étude, les futurs travaux de l’OCDE portant sur le logement et la mobilité livreront de nouvelles données plus fines sur la mobilité interrégionale, la propension des individus à réagir à des chocs économiques locaux (y compris des poussées du chômage), en changeant de lieu de résidence, et l’influence que peuvent exercer les politiques publiques sur cette capacité de réaction (Causa, Abendschein, Cavalleri, 2021 ; Cavalleri, Luu, Causa 2021). Ces travaux permettront ainsi d’étudier la nécessité de mettre en œuvre des trains de mesures structurelles et territorialisées permettant à la fois d’encourager les individus qui le souhaitent à aller s’installer dans les territoires offrant de meilleures possibilités, mais aussi d’ouvrir des perspectives et de mettre l’accent sur le développement local dans les territoires à la traîne.

Une analyse empirique montre que la mobilité résidentielle est étroitement liée aux conditions du marché du logement et aux mesures prises en matière de logement (Encadré 6.1). Il ressort des enquêtes menées auprès des ménages que les principales motivations pour déménager tiennent aux préférences et aux besoins en matière de logement, notamment à l’envie de changer de statut d’occupation, de bénéficier d’un logement neuf ou de meilleure qualité, ou encore de s’installer dans un quartier plus agréable (

Graphique 6.1). Les mouvements résidentiels varient considérablement selon les pays de l’OCDE : c’est en Australie et aux États-Unis, ou plus de 40 % des individus déménagent sur une période de cinq ans, que la mobilité résidentielle est la plus élevée, et dans les pays d’Europe de l’Est et du Sud, où le taux tombe à moins de 10 %, qu’elle est la plus faible (Graphique 6.2).

Même si les taux de mobilité sont très différents d’un pays à l’autre, partout, les propriétaires occupants sont moins mobiles que les locataires (Graphique 6.3), d’où une corrélation négative, dans tous les pays, entre propriété du logement et mobilité résidentielle (Graphique 6.4). Les écarts de mobilité en fonction du statut d’occupation demeurent même après prise en compte d’un large éventail de facteurs de mobilité chez les individus comme parmi les ménages (âge, niveau de diplôme, revenu, etc.) (Causa and Pichelmann, 2020[8]).

  • La mobilité est la plus élevée parmi les personnes qui louent leur logement au prix du marché et la plus faible parmi les personnes pleinement propriétaires de leur habitation (non accédants). Les locataires de logements sociaux ou subventionnés sont généralement moins mobiles que les locataires du marché privé.

  • Les différences de mobilité en fonction du statut d’occupation sont très marquées dans tous les pays : ainsi, en moyenne dans les pays de l’OCDE membres de l’UE, les locataires du marché privé sont environ 5.6 fois plus mobiles que les personnes pleinement propriétaires de leur logement. Aux États-Unis, pays qui affiche l’un des taux de mobilité les plus élevés de cette étude, l’écart est également considérable puisque les locataires du marché privé sont environ trois fois plus mobiles que les propriétaires non accédants.

La baisse des coûts des transactions immobilières induite par l’action publique encourage la mobilité résidentielle. Les droits de mutation liés à l’acquisition d’un logement, qui sont des impôts non périodiques acquittés lors de l’acquisition ou de la cession d’un bien immobilier, ont un effet dissuasif sur la mobilité résidentielle, en particulier parmi les jeunes ménages, ces prélèvements étant susceptibles de peser plus lourd pour les primo-accédants. Les frais de notaire appliqués aux transactions immobilières dans certains pays ont également un effet dissuasif. Par conséquent, réformer la fiscalité immobilière de manière à abandonner les impôts non périodiques au profit d’impôts périodiques — par exemple, en mettant en place un impôt annuel sur la propriété immobilière — pourrait grandement contribuer à renforcer la mobilité résidentielle.

De fait, il ressort des simulations réalisées que l’abandon des prélèvements fiscaux non périodiques augmenterait la mobilité résidentielle (Graphique 6.5). Des réformes visant à alléger les prélèvements sur les transactions immobilières ont récemment été mises en œuvre dans quelques pays (Encadré 6.2)

La mobilité résidentielle est d’autant plus élevée que l’offre de logements a la capacité de s’adapter à l’évolution de la demande. Cette réactivité de l’offre de logements est fonction de caractéristiques géographiques, mais aussi des politiques publiques, en particulier des règles d’urbanisme qui influent sur l’affectation des sols et des logements à différents usages (voir le chapitre 2). Ainsi, une réglementation restrictive se traduit presque toujours par une grande disparité des prix des logements entre les régions et empêche les ménages de quitter les régions où les prix sont bas pour rejoindre des régions où le logement est plus cher pour y rechercher de meilleures possibilités d’emploi et de formation. Une situation de nature à peser sur l’affectation des ressources et sur la mobilité sociale.

Des simulations montrent, de fait, que des réformes permettant d’améliorer la réactivité de l’offre de logements peuvent être très utiles pour accroître la mobilité résidentielle (Graphique 6.5). Des réformes de ce type ont récemment été mises en œuvre dans un certain nombre de pays de l’OCDE. Les Pays-Bas, par exemple ont simplifié en 2018 la procédure d’approbation et levé les obligations imposées aux sociétés gestionnaires de logements souhaitant louer sur le marché privé, et accordé de plus en plus de prérogatives aux municipalités en matière de zonage et de planification du marché locatif privé. La Suède s’est également orientée dans ce sens en 2016, lorsque le gouvernement a présenté des mesures législatives visant à rendre l’aménagement du territoire plus efficient et a accordé des aides aux municipalités en fonction du nombre de logements autorisés.

Par ailleurs, les conditions de l’offre de logements peuvent influer sur les incitations économiques aux migrations interrégionales, et, par ricochet, sur la répartition territoriale des travailleurs au niveau national (Causa, Abendschein and Cavalleri, 2021[9]; Causa, Cavalleri and Luu, 2021[10]). Une offre de logements souple renforce la sensibilité des individus au PIB local par habitant et au taux de chômage régional, ce qui peut contribuer à une adéquation efficace entre les travailleurs et les emplois, à une réduction des déséquilibres locaux et à une plus grande souplesse face à d’éventuels chocs locaux (Encadré 6.3). L’allègement des obstacles induits par les politiques publiques qui entravent la capacité d’adaptation de l’offre de logements, par exemple via une réforme de la gouvernance de l’utilisation des sols, peut également renforcer l’inclusivité en favorisant l’accès à des emplois de meilleure qualité et en limitant le risque pour les individus de se trouver piégés dans des zones défavorisées. De fait, aux États-Unis, on a observé que les différences de plus en plus marquées dans les prix des logements entre les régions créent notamment des obstacles à la mobilité des travailleurs peu qualifiés vers les zones métropolitaines (Causa, Cavalleri and Luu, 2021[10]; Bayoumi and Barkema, 2019[11]). De manière générale, l’absence de possibilités de mobilité régionale à laquelle se heurtent certaines catégories socio-économiques peut avoir des effets négatifs sur la croissance et l’inclusivité (Hsieh and Moretti, 2019[12]).

Plus la réglementation du marché locatif est stricte (encadrement des loyers et règles régissant les relations entre bailleurs et locataires) plus la mobilité résidentielle est faible. Les locataires bénéficiant d’un logement à loyer encadré sont généralement réticents à l’idée de quitter ce logement et à renoncer à ce loyer inférieur au prix du marché. Par ailleurs, les mesures d’encadrement des loyers de protection des locataires pénalisent majoritairement des ménages défavorisés ainsi que les ménages peu ou moyennement qualifiés. Ces catégories sociales sont par nature les moins mobiles, ce qui signifie qu’une réglementation trop restrictive du marché locatif peut involontairement constituer un obstacle supplémentaire à la mobilité des groupes qui sont déjà les moins mobiles. En outre, lorsque les loyers sont déconnectés des conditions du marché du logement, les propriétaires sont moins enclins à mettre leur bien en location, ce qui réduit la taille du marché locatif (voir le chapitre 3), avec des répercussions potentiellement négatives sur l’accessibilité financière. Par ailleurs, en cas de protection excessive des locataires, les travailleurs vulnérables, par exemple ceux disposant de contrats atypiques, notamment les jeunes, sont particulièrement désavantagés.

Des simulations montrent que l’adoption de règles garantissant un meilleur équilibre entre les intérêts des bailleurs et des locataires, et l’assouplissement de l’encadrement des loyers, peut faciliter la mobilité résidentielle (Graphique 6.7). Dans la majorité des pays, les règles régissant les relations entre bailleurs et locataires ont évolué en faveur des premiers au cours de la décennie écoulée, notamment en Autriche et en Finlande, malgré un durcissement de l’encadrement des loyers sur la même période — à quelques exceptions près comme en République tchèque, au Royaume-Uni et aux États-Unis, où il a été allégé.

S’il est établi que l’assouplissement d’une réglementation trop restrictive du marché locatif encourage la mobilité, les réformes en la matière peuvent avoir leur revers. Une réglementation trop stricte du marché locatif peut être un obstacle à la construction de nouveaux logements et à l’entretien du parc locatif en raison du plafonnement des prix des loyers. Ces règles sont dictées par l’objectif légitime de pallier l’asymétrie du pouvoir de négociation entre les bailleurs et les locataires, ce qui est d’autant plus important dans les circonstances actuelles, où les pouvoirs publics doivent éviter l’expulsion des ménages en proie à des difficultés financières2. Face à la crise liée au COVID-19, plusieurs pays ont provisoirement durci la réglementation du marché locatif, le plus souvent en suspendant temporairement les expulsions, parfois, en accordant aux locataires en situation difficile des remises ou des reports de loyers (voir Encadré 1.6 du chapitre 1).

La mobilité résidentielle dépend en partie du niveau des transferts sociaux en espèces ou en nature et de la conception des dispositifs s’y rapportant, notamment pour les locataires et les catégories de population à faible revenu. Les allocations de logement (c’est-à-dire les transferts sociaux en espèces liés au logement) et l’offre de logements sociaux sont associées à une plus grande mobilité. Or, les locataires de logements sociaux sont moins mobiles que ceux du parc privé (Graphique 6.3), en raison de la portabilité limitée du droit au logement social, ce qui crée des effets de verrouillage.

Il ressort des simulations effectuées que la hausse des dépenses sociales consacrées au logement, notamment sous forme de transferts en espèces (allocation de logement par exemple) et en nature (ex. : logements sociaux), renforcerait la mobilité résidentielle (Graphique 6.7). Comme on l’a vu au chapitre 2, les dépenses sociales consacrées au logement, qui poursuivent principalement des objectifs d’accessibilité financière et d’inclusivité, sont en recul dans bon nombre de pays. Certains néanmoins, comme la Belgique, le Canada, le Luxembourg et la Nouvelle-Zélande, ont pris des mesures visant à étoffer ou rénover leur parc de logements sociaux. Sous réserve de règles d’attribution conçues de manière à éviter les effets de verrouillage, ce type de réformes peut résoudre les problèmes d’accessibilité financière des logements tout en permettant aux ménages défavorisés de changer de logement plus facilement.

References

[4] Banque mondiale (2018), Living and Leaving: housing, mobility and welfare in the European union, Banque mondiale.

[11] Bayoumi, T. and J. Barkema (2019), “Stranded! How Rising Inequality Suppressed US Migration and Hurt Those Left Behind”, Vol. 19/122.

[3] Blanchflower, D. et al. (2013), Does High Home-Ownership Impair the Labor Market?, http://www.nber.org/papers/w19079.ack.

[2] Caldera Sánchez, A. and D. Andrews (2011), “Residential Mobility and Public Policy in OECD Countries”, OECD Journal: Economic Studies, Vol. 2011, https://doi.org/10.1787/eco_studies-2011-5kg0vswqt240.

[9] Causa, O., M. Abendschein and M. Cavalleri (2021), The laws of attraction: economic drivers of inter-regional migration, housing costs and the role of policies, Documents de travail du Département des Affaires économiques de l’OCDE, p. à paraître.

[13] Causa, O., M. Abendschein and M. Cavalleri (À paraître), The laws of attraction: economic drivers of inter-regional migration,housing costs and the role of policies, OCDE, Documents de travail du Département des Affaires économiques.

[10] Causa, O., M. Cavalleri and N. Luu (2021), Migration, housing and regional disparities: a gravity model of inter-regional migration with an application to selected OECD countries, OCDE, Documents de travail du Département des Affaires économiques, p. à paraître.

[8] Causa, O. and J. Pichelmann (2020), “Should I Stay or should I Go? Housing and residential mobility across OECD countries”, OECD Economics Department Working papers (à paraître), Éditions OCDE.

[6] Chetty, R., N. Hendren and L. Katz (2016), The effects of exposure to better neighborhoods on children: New evidence from the moving to opportunity experiment, American Economic Association, https://doi.org/10.1257/aer.20150572.

[12] Hsieh, C. and E. Moretti (2019), “Housing Constraints and Spatial Misallocation”, American Economic Journal: Macroeconomics, Vol. 11/2, pp. 1-39, https://doi.org/10.1257/mac.20170388.

[5] Judge, L. (2019), Moving Matters: Housing costs and labour market mobility, Resolution Foundation Briefing, [email protected], http://www.nuffieldfoundation.org.

[7] OCDE (2020), Housing and Inclusive Growth, Éditions OCDE, https://www.oecd.org/fr/social/housing-and-inclusive-growth-6ef36f4b-en.htm.

[1] Oswald, A. (1996), “A Conjecture on the Explanation for High Unemployment in the Industrialized Nations: Part 1”, University of Warwick Economic Research Paper No. 2068-2018-901.

Notes

← 1. Ce chapitre, inspiré de l’étude Causa et Pichelmann (2020[37]), présente de nouvelles données factuelles relatives au logement et à la mobilité résidentielle dans les pays de l'OCDE, et à l’incidence des politiques publiques, notamment celles liées au logement, sur la mobilité,

← 2. D’après les nouvelles données de la Base de données sur le logement abordable, au moins trois millions de procédures officielles d’expulsion ont été engagées dans les 18 pays de l’OCDE pour lesquels on dispose de données. Voir la Base de données de l’OCDE sur le logement abordable.

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