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  • La nature de l’apprentissage et les environnements propices à son épanouissement suscitent aujourd’hui un immense intérêt. Des forces à l’oeuvre dans le monde entier poussent les pays à donner la priorité à la production de connaissances et de compétences élevées en prêtant une attention croissante aux formes plus exigeantes de « compétences du XXIe siècle », la préoccupation corollaire étant que les pédagogies traditionnelles ne donnent pas les résultats exigés pour ces objectifs. Les considérables progrès accomplis en matière de mesure des acquis de l’apprentissage – dont nos enquêtes PISA sont un bon exemple – conduisent à s’intéresser plus particulièrement aux moyens d’agir sur ces acquis. En attendant, malgré les investissements conséquents réalisés dans le domaine éducatif (notamment dans les technologies éducatives) et les vastes réformes de l’éducation intervenues dans nos pays, nous savons combien il est difficile d’agir sur la « boîte noire » de l’enseignement et de l’apprentissage.

  • De puissants facteurs ont en quelques années porté l’éducation au premier plan des préoccupations de nos sociétés. Ces facteurs qui, comme l’expliquent Dumont et Istance (chapitre 1), ont une double résonance politique et éducative dans de nombreux pays, définissent les objectifs de cet important volume issu des travaux du Centre de l’OCDE pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI) sur les environnements pédagogiques novateurs.

  • Hanna Dumont et David Istance expliquent que l’éducation s’est en quelques années imposée au premier plan des politiques publiques sous l’effet conjugué d’un ensemble de facteurs – nature des économies et des sociétés du savoir, compétences exigées au XXIe siècle, ubiquité des technologies de l’information et de la communication, déceptions suscitées par des réformes de l’éducation sans cesse recommencées et somme croissante des données de la recherche en éducation. Ce chapitre montre pourquoi ces évolutions requièrent une mobilisation des connaissances acquises sur l’apprentissage et une application plus systématique de ces dernières à l’éducation et pourquoi il convient de s’intéresser en particulier aux dispositifs innovants mis en oeuvre au niveau micro – les « environnements d’apprentissage » – conceptualisés dans cet ouvrage de l’OCDE et intervenant entre les apprenants et les paramètres éducatifs traditionnels. Le chapitre montre que cet ouvrage s’inscrit dans un effort visant à résorber ce qu’on a appelé le « grand fossé » (« the great disconnect ») entre la recherche d’une part, et la politique et la pratique d’autre part.

  • Erik De Corte retrace l’évolution des théories de l’apprentissage, le béhaviorisme s’étant progressivement effacé devant la psychologie cognitive, qui conçoit l’apprentissage non plus comme une réponse à des stimuli mais comme un processus de traitement d’informations. Des conceptions de l’apprentissage plus actives se sont imposées, tout d’abord avec le « constructivisme », puis avec le socioconstructivisme, dans lequel le terrain n’est plus limité aux processus mentaux mais s’étend aux interactions entre les apprenants et la situation dans laquelle ils se trouvent. Parallèlement, la recherche s’est détournée des exercices ou situations artificiels pour s’intéresser aux situations réelles des apprentissages en classe ; elle a ainsi beaucoup gagné en pertinence pour l’éducation. Dans la conception actuelle, qui vise à promouvoir les compétences du XXIe siècle ou la compétence « d’adaptation », l’apprentissage est à la fois : « constructif » car les apprenants construisent activement leurs connaissances et leurs compétences, « autorégulé », car ils mobilisent des stratégies actives pour apprendre, « situé » en ce qu’il est mieux appréhendé en contexte qu’en faisant abstraction de l’environnement, et « collaboratif » plutôt que solitaire.

  • Michael Schneider et Elsbeth Stern placent l’acquisition des connaissances au coeur du processus d’apprentissage, en notant cependant que la qualité des connaissances est aussi importante que la quantité et que le terme « connaissances » va bien au-delà des seules connaissances factuelles. Les auteurs font la synthèse de la perspective cognitive à travers dix constats clés. L’apprentissage : (i) est une activité essentiellement exercée par l’apprenant ; (ii) doit tenir compte des acquis ; (iii) requiert l’intégration de structures de connaissances ; (iv) permet l’acquisition équilibrée de concepts, d’habiletés et d’une compétence métacognitive ; (v) développe des structures complexes de connaissances en hiérarchisant les éléments de savoir ; (vi) peut s’appuyer sur les structures du monde extérieur aux fins de structuration mentale des connaissances ; (vii) est tributaire des capacités limitées du système humain de traitement de l’information ; (viii) résulte de l’interaction dynamique des émotions, de la motivation et de la cognition ; (ix) doit élaborer des structures de connaissances transférables ; (x) demande du temps et des efforts.

  • Monique Boekaerts postule que le rôle des émotions et de la motivation a été sérieusement négligé dans la conception des dispositifs d’apprentissage et la formation professionnelle des enseignants. Elle fait la synthèse des connaissances sur l’importance du rôle des émotions et de la motivation et en dégage un ensemble de principes clés. Les élèves sont plus motivés lorsqu’ils se sentent capables de faire ce que l’on attend d’eux et perçoivent des liens stables entre leurs actions et leurs résultats ; lorsqu’ils apprécient la matière étudiée et ont une idée claire du but visé ; lorsqu’ils éprouvent des émotions positives vis-à-vis des activités d’apprentissage (et au contraire s’en détournent lorsque ces émotions sont négatives) et que l’environnement leur semble propice à l’apprentissage. Les élèves libèrent des ressources cognitives lorsqu’ils sont capables d’agir sur l’intensité, la durée et l’expression de leurs émotions, et sont plus persévérants lorsqu’ils savent bien gérer leurs ressources et surmonter les difficultés.

  • Christina Hinton et Kurt Fischer analysent l’influence des interactions de la génétique et de l’expérience sur le développement cérébral et l’empreinte physique que les expériences d’apprentissage laissent sur la structure du cerveau. Ils mettent ensuite en lumière les interactions du tandem cognition/émotion. Ce chapitre fait le point sur les recherches consacrées au cerveau et aux mécanismes cérébraux d’acquisition des compétences scolaires fondamentales, notamment le langage, la lecture, l’écriture et les mathématiques, et analyse leur développement atypique. Alors que le cerveau est biologiquement programmé pour l’acquisition du langage, la capacité de lecture et d’écriture se construit au fil du temps et s’accompagne de toute une série de modifications neuronales. Cette capacité varie en outre en fonction de la langue. De même, la construction des circuits neuronaux impliqués dans l’acquisition des compétences mathématiques est dictée par les méthodes pédagogiques mises en oeuvre. La recherche neuroscientifique corrobore les principales conclusions des études consacrées à l’apprentissage, notamment sur l’importance des caractéristiques individuelles et la nature essentiellement sociale de l’apprentissage humain. Cela signifie que les environnements d’apprentissage doivent intégrer une multitude de moyens de représentation, d’évaluation et d’engagement personnel.

  • Dylan Wiliam décrit l’évaluation comme une passerelle entre l’enseignement et l’apprentissage. Le concept d’évaluation formative est né de la reconnaissance de la valeur du feedback. Il recourt aux métaphores de la navigation, par exemple « maintenir le cap », pour éclairer son propos. Il est amplement démontré, comme nous le verrons dans ce chapitre, que le feedback améliore l’apprentissage ; mais la plupart des études souffrent d’un manque d’analyses théoriques et négligent les conséquences à long terme. La définition ci-dessous met l’accent sur le rôle de l’évaluation dans l’amélioration de la qualité des décisions pédagogiques. Cinq « stratégies clés » entrent en jeu : 1. Clarifier, communiquer et comprendre les intentions d’apprentissage et les critères de réussite. 2. Concevoir des activités de classe qui produisent des données sur les acquisitions. 3. Donner un feedback qui aide les apprenants à progresser. 4. Inciter les élèves à devenir des personnes ressources l’un pour l’autre. 5. Encourager les élèves à s’approprier leur apprentissage. L’évaluation formative est envisagée comme un processus de mise à profit de « moments de contingence » dans le but de réguler les processus d’apprentissage.

  • Robert Slavin analyse de nombreuses recherches consacrées à l’apprentissage coopératif à l’école et s’intéresse plus particulièrement aux études comprenant des groupes témoins soumis à une pédagogie classique. Il présente et analyse les deux catégories principales : « l’apprentissage structuré en équipes » et « l’apprentissage informel en groupes ». Il souligne la supériorité marquée de l’apprentissage coopératif dans la sphère affective. S’agissant des résultats des élèves, deux facteurs clés ont une incidence positive : la définition de buts collectifs (les élèves travaillent en vue d’un objectif précis, d’une récompense ou d’une reconnaissance) et la responsabilité individuelle (la réussite du groupe est tributaire des apprentissages individuels de chacun de ses membres). Ce chapitre propose divers points du vue pour expliquer les bénéfices de l’apprentissage coopératif, qu’il agisse par la motivation, la cohésion sociale, le développement cognitif ou l’« élaboration cognitive ». En dépit de données très robustes attestant ses résultats positifs, l’apprentissage coopératif « demeure marginal dans les politiques scolaires » et sa mise en oeuvre laisse souvent à désirer.

  • Richard Mayer fait valoir que nombre des affirmations relatives au potentiel de transformation des nouvelles technologies ne sont pas étayées par les données de la recherche. L’explication en est sans doute que la démarche est plus souvent axée sur la technologie que sur l’apprentissage. On peut construire une théorie solide des mécanismes d’apprentissage par la technologie sur trois grands principes : « le double canal » (traitement séparé des images et des sons), « la capacité limitée » (traitement d’un petit nombre d’images et de sons à la fois) et le « traitement actif » (l’apprentissage signifiant requiert la mise en oeuvre des processus cognitifs appropriés). L’auteur analyse ces principes et postule qu’un enseignement par la technologie efficace facilite le traitement cognitif des apprenants sans surcharger leur système cognitif, cela en réduisant le traitement inutile, en contrôlant le traitement essentiel et en stimulant le traitement génératif. Il explique enfin comment atteindre cet objectif en appliquant différents principes et techniques et présente les données probantes afférentes.

  • Brigid Barron et Linda Darling-Hammond présentent trois familles d’apprentissage par investigation, l’apprentissage par projet, l’apprentissage par problème et l’apprentissage par la conception (design-based learning), ces trois méthodes présentant de nombreux points communs. Leur étude sur les données de la recherche montre que les élèves apprennent plus en profondeur lorsqu’ils peuvent appliquer les connaissances acquises en classe aux problèmes du monde réel et que les méthodes d’apprentissage par investigation développent la communication, la coopération, la créativité et la réflexion approfondie. Les auteurs observent en outre que l’apprentissage par investigation requiert des évaluations bien conçues, visant à la fois à définir les tâches d’apprentissage et à évaluer les acquis, mais elles relèvent aussi que le succès des méthodes fondées sur l’investigation dépend étroitement des connaissances et des compétences de ceux qui les appliquent. Si elles sont mal comprises et considérées à tort comme non structurées, leurs bénéfices sont très inférieurs à ceux qu’elles produisent lorsqu’elles sont appliquées par des enseignants conscients de la nécessité d’un important travail d’étayage et d’évaluations constantes pour orienter leurs interventions.

  • Dans ce chapitre, Andrew Furco analyse « l’apprentissage par le service communautaire », une démarche pédagogique qui intègre des expériences de service communautaire au curriculum. Ces stratégies, qui suscitent un grand intérêt dans le monde entier, englobent les pédagogies de l’engagement et de l’autonomie, les programmes nationaux de services, les initiatives d’éducation aux valeurs, les programmes d’éducation à la citoyenneté et les programmes basés sur une communauté- ressource. Elles se situent entre le service communautaire et le bénévolat à une extrémité de la chaîne (service), et la formation sur le terrain et les stages à l’autre extrémité (apprentissage). Différentes formes d’apprentissage par le service présentent un intérêt éducatif intrinsèque, mais elles ont aussi des effets positifs sur les performances cognitives des apprenants, évoqués dans d’autres chapitres de ce volume, par exemple : possibilités d’apprentissage authentique, implication active des élèves, encouragement à la coopération et à la collaboration, satisfaction des intérêts individuels, autonomisation des apprenants et élargissement des horizons au-delà de la zone de confort. Toutefois, les premières conclusions des études consacrées aux effets positifs des pratiques mises en oeuvre, aux pédagogies les plus efficaces et aux raisons de l’efficacité doivent être étayées par de nouvelles recherches.

  • Barbara Schneider, Venessa Keesler et Larissa Morlock examinent (a) la nature de l’influence familiale sur l’apprentissage des enfants, (b) l’objet de cette influence et (c) le moment auquel elle s’exerce. Le statut socio-économique influe profondément sur les apprentissages des élèves ; pourtant, il n’est pas parfaitement déterministe car les familles jouent un rôle décisif, peut-être plus important que l’école, dans la formation des attentes éducatives et des aspirations professionnelles et dans la réussite scolaire. Les recherches montrent que l’implication du père et de la mère a une influence sur le bien-être et le développement des enfants. De manière générale, l’enfant apprend mieux lorsqu’il grandit dans un foyer structuré, où les attentes concernant l’apprentissage sont claires, mais adaptées à ses besoins et à sa personnalité. La socialisation reçue à la maison a une influence critique sur le développement de l’ambition et du sentiment d’efficacité personnelle. Les activités extrascolaires et l’implication parentale dans la scolarité ont des résultats positifs, mais elles sont particulièrement bénéfiques lorsqu’elles sont en cohérence avec les objectifs et les activités de l’école.

  • Lauren Resnick, James Spillane, Pam Goldman et Elizabeth Rangel observent l’absence d’effet des sciences de l’éducation sur la pratique des enseignants et l’attribuent aux modes de développement professionnels axés sur le « dire » ainsi qu’à une individualisation excessive des points de vue. Les auteurs relèvent aussi le conservatisme et la résistance à l’innovation inhérents aux établissements et systèmes scolaires et l’écart entre les pratiques de classe d’une part, et les politiques des organisations et des systèmes d’autre part. Ils plaident pour une attention beaucoup plus soutenue à la sociologie des organisations, aux routines organisationnelles et au rôle des communautés d’apprentissage professionnel et pointent l’importance des « routines germinatives » (« kernel routines ») pour semer et disséminer le changement centré sur l’enseignement et l’apprentissage. Deux routines de ce type sont présentées et analysées : la première développe des équipes de leaders centrées sur la pédagogie au sein des établissements, la seconde vise une amélioration directe de l’enseignement et de l’apprentissage par un développement professionnel axé sur les contenus.

  • David Istance et Hanna Dumont résument les principales conclusions des chapitres précédents. La recherche en éducation montre clairement qu’un environnement d’apprentissage efficace : .... accorde une place centrale aux apprentissages, encourage l’implication des apprenants et les aide à comprendre leur activité apprenante ; .... met en place un apprentissage social et souvent coopératif ; .... est très conscient des motivations des apprenants et de l’importance des émotions; .... est très attentif aux particularités individuelles, notamment au plan du bagage cognitif ; .... exige beaucoup de chaque apprenant, mais sans excès ; .... recourt à des évaluations conformes à ses objectifs, en réservant une place privilégiée au feedback formatif ; .... favorise la « connexité » horizontale entre activités et disciplines, à l’école et au dehors. Ce chapitre présente le projet éducatif – centré sur l’apprenant, structuré, personnalisé, social et inclusif – conforme à ces conclusions, avant d’évoquer certains aspects délicats de la mise en oeuvre.