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  • Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) est une plateforme internationale indépendante. Son Secrétariat est hébergé au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Sa mission est de promouvoir des politiques régionales à même d’améliorer le bien-être économique et social des populations du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. À cette fin, il se fixe pour objectifs de produire et de collecter des données, de fournir des analyses et de faciliter le dialogue stratégique, dans le but de favoriser et de promouvoir des politiques publiques en phase avec les transformations rapides à l’œuvre dans la région. Il promeut, en outre, la coopération régionale comme vecteur de développement durable et de stabilité. Ses domaines de travail portent actuellement sur les dynamiques alimentaires, les villes et territoires, et la sécurité.

  • Les violences frontalières s’intensifient en Afrique du Nord et de l’Ouest, avec 60 % des victimes et des incidents violents recensés à moins de 100 kilomètres d’une frontière entre janvier et juin 2021. La moitié implique des civils. Cette tendance, déjà perçue dans le rapport du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE) paru en 2021, est plus particulièrement visible en Afrique de l’Ouest, la situation en Afrique du Nord se stabilisant avec la signature du récent cessez-le-feu (Libye, octobre 2020). Face au développement des conflits et des groupes terroristes transnationaux, trois questions se posent : les zones frontalières sont-elles plus violentes que les autres ? L’intensité des violences y a-t-elle augmenté ? Certaines régions frontalières sont-elles plus violentes que d’autres ?

  • Au cours des six premiers mois de 2021, 60 % des victimes d’événements violents en Afrique du Nord et de l’Ouest se trouvent à moins de 100 kilomètres d'une frontière. Près de la moitié d’entre elles sont des civils. L’importance croissante des conflits et groupes transnationaux dans un contexte aux dynamiques de plus en plus complexes souligne le besoin d’analyses quantitatives et qualitatives territorialisées décryptant comment les frontières contribuent à façonner les schémas de violences politiques (Chapitre 1). Ce rapport vise à y contribuer.

  • Ce chapitre étudie l’importance croissante des régions frontalières d’Afrique du Nord et de l’Ouest dans le développement des conflits armés depuis la fin des années 1990. S’appuyant sur une analyse désagrégée de plus de 171 000 événements violents, il montre qu’il existe une relation nette entre le nombre d’événements violents et la distance aux frontières : les régions frontalières sont plus violentes que les autres. Il suggère également que la relation entre violences et frontières varie dans le temps, selon l’intensification ou la diminution des conflits. Les violences frontalières se sont ainsi déplacées du golfe de Guinée vers le Sahel depuis le milieu des années 2000. Enfin, il souligne que, loin d’être uniquement le fait de la défaillance de l’État, les violences aux frontières illustrent des problématiques politiques plus vastes, susceptibles de menacer la stabilité des États.

  • Ce chapitre montre que les conflits transnationaux impliquant des acteurs non étatiques sont devenus une caractéristique en Afrique depuis la fin de la Guerre froide. La propagation géographique et la relocalisation opportuniste de ces violences sont amplifiées par la porosité de certaines frontières, qui facilitent la circulation des combattants, des otages et des armes. Plusieurs facteurs expliquent pourquoi les frontières africaines sont progressivement devenues synonymes de troubles politiques. Au cours des dernières années, les forces armées de certains États ont pénétré dans les pays voisins pour contribuer à y rétablir l’ordre, ou les déstabiliser, exercer un droit de poursuite, ou encore instaurer des initiatives militaires conjointes mettant en commun du personnel, du matériel et des renseignements sur les organisations violentes. Les acteurs non étatiques ont également participé de la régionalisation des conflits en se relocalisant dans d’autres pays sous la pression d’opérations anti-insurrectionnelles. Ils font des régions frontalières des sanctuaires pour recruter, entraîner leurs forces, planifier leurs attaques et exploiter les faiblesses des États et les revendications locales. Cette régionalisation des conflits entraîne des coûts physiques, sociaux et stratégiques, qui pèsent à la fois sur les forces étatiques et leurs opposants.

  • Le chapitre 3 s’appuie sur plusieurs outils pour analyser si les zones frontalières sont plus violentes que les autres, y mesurer l’évolution de l’intensité des violences et identifier celles les plus violentes. Les relations spatiales et temporelles entre violences politiques et frontières sont appréhendées par deux approches complémentaires définissant les frontières : l’une fondée sur des zones tampons appliquées à l’ensemble des limites territoriales, l’autre sur les distances parcourues avec les moyens de transport locaux à chaque point de franchissement des frontières. Enfin, l’indicateur de la dynamique spatiale des conflits (Spatial Conflict Dynamics [SCDi]) développé par le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) permet d’identifier les pôles violents principaux. Il est enrichi par une analyse des organisations extrémistes violentes opérant dans les régions frontalières.

  • Le chapitre 4 analyse la répartition spatiale des violences politiques et des victimes en Afrique du Nord et de l’Ouest depuis le milieu des années 2010. Les violences y évoluent de manière contrastée. Alors que le nord du Sahara enregistre un niveau de violence historiquement bas depuis la formation du Gouvernement d’accord national en Libye en 2020, l’Afrique de l’Ouest est en proie à une vague de violence sans précédent depuis 2016. Près de la moitié des événements violents et un tiers des victimes recensées en Afrique de l’Ouest depuis 1997 sont survenus au cours des trois dernières années. Ce chapitre s’appuie sur l’indicateur de la dynamique spatiale des conflits (Spatial Conflict Dynamics indicator [SCDi]) pour illustrer l’intensité des violences en termes de décès et leur diffusion croissantes.

  • Le chapitre 5 s’appuie sur une base de données désagrégées d’événements violents pour montrer que la violence politique survient plus souvent près des frontières en Afrique du Nord et de l’Ouest. Au niveau régional, le nombre d’événements violents et de victimes diminue progressivement à mesure que l’on s’éloigne des frontières. Cette observation est d’autant plus prononcée que les distances sont faibles, avec 10 % des événements et des décès survenant à moins de 10 kilomètres d’une frontière. Si la relation entre violences et distance aux frontières ne dépend pas du type d’événement (combats, violences à l’encontre des civils), elle évolue temporellement en fonction de l’intensification ou de la diminution des épisodes de conflits. La violence frontalière a particulièrement augmenté au cours de la dernière décennie : 23 % des événements violents ont eu lieu à moins de 20 kilomètres d’une frontière en 2021, contre moins de 10 % en 2011. Ce chapitre met en lumière le lien entre les leviers de la violence politique dans les régions frontalières et le contexte social et politique propre à chaque région. La concentration des violences dans les régions frontalières s’explique par les stratégies locales des organisations extrémistes – pour préparer des offensives et mobiliser la population civile –, ainsi que par les campagnes extraterritoriales menées contre elles par certains États.

  • Ce chapitre présente les points de vue d'experts et de personnalités impliqués dans les questions de sécurité et de développement sur la nature transnationale des violences en Afrique du Nord et de l'Ouest et leurs impacts sur les politiques. Le fait que la dégradation de la sécurité dépasse le seul phénomène terroriste et djihadiste, et reflète l'émergence ou la résurgence de conflits communautaires, d'insurrections et de milices, pose de nouveaux défis aux États et à leurs partenaires. Face à cette situation préoccupante, les contributeurs soulignent la nécessité de réduire les disparités sociales et économiques entre territoires, afin d’aider à restaurer la légitimité de l'État et des pouvoirs publics. Cette continuité territoriale devrait s’appuyer sur une cohésion sociale entre populations et États, ainsi qu’une continuité informationnelle et socio-économique entre zones frontalières et capitales. Communautés, autorités locales et nationales, institutions régionales et partenaires du développement sont appelés à redoubler leurs efforts de coordination pour améliorer la sécurité, notamment dans les zones frontalières sahéliennes, et favoriser un développement transformateur de l'agriculture.